« La Civiltà Cattolica » change de cap et se tient à bonne distance des bénédictions des couples de même sexe (07/03/2024)

De Sandro Magister sur Settimo Cielo (Diakonos.be) :

« La Civiltà Cattolica » change de cap. Et se tient à bonne distance des bénédictions des couples homos

La “Civiltà Cattolica” change de cap. Et se tient à distance prudente des bénédictions des couples homos

(s.m.) Je reçois et je publie. L’auteur de la lettre, Antonio Caragliu, est avocat au barreau de Trieste et membre de l’Union des Juristes Catholiques Italiens.

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Cher M. Magister,

En lisant l’article sur « Fiducia supplicans » du nouveau directeur de « La Civiltà Cattolica », le P. Nuno da Silva Gonçalves [photo – ndlr] j’ai été frappé par l’équilibre et la mesure de son exposé : deux qualités révélatrices du net changement de ligne éditoriale de la revue survenu avec la fin de la direction du P. Antonio Spadaro. Un changement appréciable notamment dans la séquence des articles : on y retrouve à présent mis en avant les analyses historiques (et non militantes) du P. Giovanni Sale.

Je précise d’emblée que je trouve très pertinentes et incontournables les remarques critiques du cardinal Gerhard Müller récemment publiées dans « First Things », concernant la déclaration « Fiducia supplicans » et le communiqué de presse du Dicastère pour la Doctrine de la foi qui a suivi, sur la bénédiction des couples homosexuels.

Les objections théologiques du cardinal Müller se basent, en définitive, sur des questions rationnelles très laïques. D’où naissent plusieurs interrogations :

  • L’intention exprimée dans la déclaration de préserver l’enseignement catholique sur le mariage et la sexualité n’est-elle pas inévitablement contredite par le sens objectif véhiculé par le geste de bénir un couple en situation irrégulière par rapport à la doctrine catholique ?
  • Est-il possible de bénir un couple et, dans le même temps, de ne pas bénir l’union qui le constitue ?
  • L’intention déclarée dans un document peut-elle transcender à ce point le sens objectif d’un geste ?
  • L’autorité du pape (« le magistère du pape François ») est-il susceptible de pouvoir qualifier et garantir le sens d’une conduite humaine en violation des principes herméneutiques les plus basiques ?

Mais il faudrait encore ajouter une question qui suscite des contradictions similaires. C’est une question que le cardinal Müller, en se cantonnant dans sa propre zone de compétence spécifique, n’aborde pas, mais que les laïcs réfléchis se posent. De telles contradictions à ce point évidentes sont-elles intentionnelles ? Leurs auteurs en sont-ils conscients ?

Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention ni d’avoir la prétention de « lire le cœur de l’homme ». L’intentionnalité de la conduite humaine n’est pas une sphère étrangère à la réflexion rationnelle : nous nous y référons constamment dans la vie de tous les jours et, quoique de manière analytique plus raffinée et méthodique, en matière d’interprétation historique ou judiciaire.

Au-delà de l’évidence de ces contradictions, est-ce un hasard qu’aucun évêque et aucun théologien n’ait été consulté pour « Fiducia supplicans », contrairement à ce qui se passe d’habitude ? Ne serait-ce pas pour éviter d’être mis face à ces contradictions que de telles consultations ont été évitées ?

Le pape François lui-même, qui se borne à répéter que « l’on bénit les personnes, pas les unions », esquive les objections formulées publiquement et officiellement après la publication de « Fiducia supplicans ». Une attitude qui confirme qu’il est bien conscient de ces contradictions.

Le fait est qu’à mon avis, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, durant ce pontificat, le « saint peuple fidèle de Dieu » a fait les frais à maintes reprises d’une tactique consistant à l’induction intentionnelle de « dissonances cognitives ».

Cette tactique consiste à introduire, au nom du « lancement de processus », des affirmations et des principes incompatibles entre eux, niant dans le même temps l’incompatibilité logique et fonctionnelle.

L’incompatibilité logique et sa négation sont de nature à créer une tension, un véritable malaise mental à proprement parler, dont la prise en compte critique est peut-être désamorcée par l’éloge de « l’inquiétude ». Comme le relève en effet Leon Festinger (1919-1979), le premier psychologue et sociologue à avoir introduit en 1957 le concept de « dissonance cognitive » dans le champ de la psychologie sociale, les personnes ont un besoin inné de cohérence cognitive. C’est ainsi que, peut-être au nom du « discernement », chacun est encouragé à résoudre ces incohérences (niées comme telles) à sa manière.

La conséquence c’est que la recherche de la vérité cède le pas à la logique politique des rapports de force entre les factions. Face à ces dernières, le pape François, se retranchant derrière le pouvoir découlant de son office, se pose en arbitre dogmatiquement désintéressé et détaché.

Ce schéma récurrent a trouvé son apothéose symbolique et en même temps la manifestation éclatante de ses limites précisément avec la publication de « Fiducia supplicans », un document emblématique qui colle au pape François comme « Dominus Iesus » colle à Benoît XVI.

Bien entendu, l’article de « La Civiltà Cattolica » de son nouveau directeur est bien éloigné de l’analyse désinhibée que j’ai proposée en quelques lignes. Mais sans aucun doute, elle veille à se tenir à l’écart des enthousiasmes apologétiques et parfois infantiles auxquels le professeur Spadaro nous avait habitué.

Au contraire, avec une honnêteté intellectuelle qui force le respect, le P. Gonçalves pointe du doigt la nécessité d’approfondir théologiquement la distinction inédite entre bénédictions liturgiques et bénédictions pastorales, avançant ainsi une critique fondamentale, quoique feutrée : comme pour dire que le « développement » dont le document prend acte est en réalité une question qui doit encore être bien développée.

Bref, l’article du P. Gonçalves me semble être une présentation de « Fiducia supplicans » avisée et intelligente, dans laquelle je vois transparaître également la sensibilité diplomatique et ecclésiale du secrétaire d’État Pietro Parolin, dont le bureau est chargé de contrôler chaque article de la revue avant publication.

C’est comme si les jésuites de « La Civiltà Cattolica » se projetaient déjà vers le prochain pape, qui qu’il soit. Instinct de survie ?

Cordiales salutations,

Antonio Caragliu

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(s.m) L’article sur « Fiducia supplicans » du directeur de « La Civiltà Cattolica » Nuno da Silva Gonçalves est disponible dans son intégralité même pour ceux qui ne sont pas abonnés à la revue :

> “Affidarsi al Signore e alla sua misericordia”

Voici en revanche l’article du cardinal Gerhard Müller dans « First Things » du 16 février :

> Does “Fiducia supplicans” affirm heresy?

Quant au cardinal secretaire d’État Pietro Parolin, interrogé le 12 janvier sur « Fiducia supplicans » et les réactions suscitées par ce texte, il a répondu que « les réactions montrent qu’on a touché un point très sensible », que « l’Église est ouverte et attentive aux signes des temps mais qu’elle doit être fidèle à l’Évangile » et que « il faudra des approfondissements ultérieurs ».

Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.
Tous les articles de Settimo Cielo depuis 2017 sont disponibles en ligne.

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