La peine de mort en RDC « Bouc émissaire des échecs de l’armée congolaise » (22/03/2024)

Lu dans « Afrikarabia » (l’info en R.D Congo et en Afrique centrale) : un article de Christophe Rigaud :

Peine de mort en RDC "bouc émissaire des échecs de l'armée congolaise"

18 mars 2024

Le retour de la peine de mort suscite de vives critiques et souligne la lente dégradation des droits humains au Congo. "Une mesure dangereuse" qui vise, avant tout, à masquer les défaites de l’armée congolaise à l’Est du pays.

La peine de mort est de retour en République démocratique du Congo (RDC). Après 20 ans de moratoire, décidé sous Joseph Kabila, qui permettait de commuer les peines en prison à perpétuité, une circulaire du ministère de la Justice réactive la peine capitale. Un premier ballon d’essai avait été lancé en février par le ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba, pour punir « les cas de trahison au sein des Forces armées congolaises (FARDC) ». Un mois plus tard, Félix Tshisekedi a donc donné son feu vert pour que le rétablissement de la peine de mort soit désormais effectif en levant le moratoire de son prédécesseur. Dans sa circulaire, la ministre de la Justice souhaite « débarrasser l’armée des traîtres, et endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’homme ». Toujours selon la circulaire, « les actes de traîtrise ou d’espionnage ont fait payer un lourd tribut tant à la population qu’à la République au regard de l’immensité des préjudices subis ». Le retour de la peine capitale intervient dans un contexte de guerre ouverte depuis 2021 entre la RDC et la rébellion du M23, soutenue par Kigali selon les Nations unies. Par « traître », il faut donc entendre les militaires qui collaborent avec les rebelles ou le Rwanda.

Tollé général

Depuis la publication de la circulaire levant le moratoire sur la peine de mort, rarement une décision politique n’aura fait l’objet d’une telle levée de boucliers. Le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, a dénoncé une mesure « particulièrement dangereuse dans un pays où la justice est dysfonctionnelle et malade » : « Malade », c’est ironiquement le propre terme qu’a utilisé le président Félix Tshisekedi, le 22 février, dernier pour qualifier la justice congolaise concernant le journaliste Stanis Bujakera, emprisonné depuis 6 mois pour un article qu’il n’a pas signé. Denis Mukwege recommande « l’abolition pure et simple de la peine de mort » et plaide pour « une réforme profonde des secteurs de la sécurité et de la justice » avant de souligner que « de nombreuses études ont démontré le caractère non-dissuasif de la peine de mort ». Le mouvement citoyen Lucha a, lui, pointé son caractère « anticonstitutionnel (…), qui ouvre un couloir à des exécutions sommaires ». Pour l’opposant Martin Fayulu, le rétablissement de la peine de mort « menace les résistants et opposants politiques » et a fustigé « la volonté affirmée du régime de consolider sa dictature ».

Une dégradation des droits humains en RDC 

A l’international, la mesure est largement critiquée. L’Union européenne (UE) s’oppose de façon « ferme et sans équivoque au recours à la peine de mort à tout moment et en toutes circonstances ». L’Europe rappelle également que la peine capitale « rend irréversible toute erreur judiciaire ». Amnesty s’indigne contre « un énorme pas en arrière pour le pays ». « Cette décision cruelle mettra en danger la vie de centaines de personnes condamnées à mort, notamment celles qui se trouvent dans le couloir de la mort à la suite de procès inéquitables et d’accusations motivées par des considérations politiques » s’alarme l’ONG. Interrogé par Afrikarabia, Clément Boursin, responsable Afrique subsaharienne d’ACAT-France (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), n’est pas vraiment étonné par cette mesure. « Nous sommes face à dégradation systématique et systémique des droits humains en RDC. On le voit par rapport aux différentes libertés d’expression, de rassemblement, d’association, qui sont bafouées. C’est une mesure qui est opportuniste et populiste. L’armée congolaise est en échec à l’Est et on a l’impression qu’il faut un bouc émissaire pour justifier les défaites récurrentes des FARDC. La peine de mort sert de palliatif aux autorités congolaises pour éviter d’avoir à rendre compte de ses échecs ».

Les grand perdants, ce sont les autorités congolaises 

La circulaire qui rétablit la peine de mort est beaucoup plus large que la simple « trahison » destinée aux militaires. « Quand on regarde le texte, on peut être condamné à mort et exécuté pour participation à un « mouvement insurrectionnel, trahison, ou espionnage », ce qui pose vraiment question » s’inquiète Clément Boursin. « Les grands perdants du rétablissement de la peine de mort, ce sont les autorités congolaises elles-mêmes. Le pseudo-vernis de Kinshasa sur la défense des droits humains et la lutte contre l’impunité s’écroule avec cette mesure. Toutes ces promesses de justice, notamment sur le massacre de Kishishe, ne sont pas au rendez-vous. Où en est le travail de la RDC vis à vis de la Cour pénale internationale (CPI) dans les enquêtes sur le Livre blanc des exactions à l’Est ? Nous n’avons aucune information pour savoir si les autorités congolaises enquêtent. Au-delà du narratif de lutter contre l’impunité, il ne se passe rien ».

Une mesure à contre-courant 

Le retour de la peine capitale en RDC pourrait avoir des conséquences inattendues. Notamment le refus par certains pays d’extrader des personnalités visées par des plaintes au Congo, si elles risquent d’y être exécutées. Cela pourrait être le cas de Roger Lumbala, détenu en France, ou de Laurent Nkunda, qui est au Rwanda. Clément Boursin s’interroge également sur la réaction des partenaires occidentaux de la RDC, qui sont déjà rétifs à soutenir la lutte contre l’impunité en RDC et les procédures judiciaires concernant les crimes dans l’Est. « Certains Etats peuvent ne plus vouloir coopérer avec un pays qui a rétabli la peine de mort. Cela va être de plus en plus compliqué de parler des droits humains avec la RDC ». Mais surtout, « cette mesure tombe vraiment à contre-courant de ce qui se passe sur le continent africain, qui est plutôt sur une pente abolitionniste ». Mais la charge la plus virulente contre le rétablissement de la peine de mort vient de l’Eglise catholique. Pour Fridolin Ambongo, l’Archevêque de Kinshasa, « les grands traîtres à la Patrie, ce sont ceux qui sont au pouvoir et qui n’assument pas le rôle pour lequel ils ont reçu la charge ». La notion de traître reste « flou » estime l’homme d’église, qui ne souhaite pas « que l’on profite de cette notion pour des règlements de compte politiques ».

Retour de la peine de mort après les élections truquées, la dérive annoncée d'un régime et d'un président aux abois? mais quelles alternatives sérieuses ? JPSBelgicatho

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