Il faut protéger les enfants de la pornographie (01/05/2024)

De Louis-Marie Bonneau sur le site de l'ECLJ :

Protéger les enfants de la pornographie

30/4/2024

Le vendredi 19 avril 2024, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a adopté à l’unanimité plusieurs textes important relatifs à « La protection des enfants contre la violence en ligne » en citant les travaux de l’ECLJ en la matière. En effet, l’ECLJ a développé depuis plusieurs années une expertise dans le domaine, dans le but de comprendre l’étendu et la gravité du phénomène afin de pouvoir y apporter une réponse. 

Laisserait-on un enfant regarder ce qui se passe dans une maison close ? C’est pourtant à cela que revient la pornographie laissée en ligne à la portée de la jeunesse, sans compter le métavers et ses potentialités multisensorielles. En 2013, le Parlement européen a constaté que l’usage de la pornographie se banalise chez les jeunes et imprègne leur construction. Quant à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), elle se dit « vivement préoccupée par l’exposition sans précédent des enfants aux images pornographiques, qui nuit à leur développement psychique et physique ». L’ECLJ a récemment publié un rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour protéger les enfants et les adultes de la pornographie. Avant cela, il s’agit néanmoins de comprendre l’ampleur du phénomène.

Une exposition de plus en plus massive à la pornographie

Si les contenus pornographiques sont normalement réservés aux majeurs, des études montrent que les mineurs y sont de plus en plus exposés. En effet, selon une étude IFOP de 2017, « au cours de leur vie, 63 % des garçons et 37 % des filles de 15 à 17 ans ont déjà au moins une fois surfé sur un site pour y voir des films pornographiques ». Il en va de même aux États-Unis où un récent sondage révèle que 73 % des jeunes de 13 à 17 ans ont été exposés à la pornographie en ligne. La tendance est à l’augmentation.

C’est aussi l’abaissement de l’âge du premier visionnage pornographique qui inquiète : en 2016 par exemple, près de 49 % des étudiants américains de sexe masculin déclaraient avoir découvert la pornographie avant l’âge de 13 ans et ce phénomène atteint désormais les enfants dès l’école primaire. La fréquence de visionnage de pornographie par les jeunes est également préoccupante. Ainsi, en 2022, 59 % des jeunes américains de 13 à 17 ans déclaraient avoir regardé intentionnellement de la pornographie au moins chaque semaine. D’après l’IFOP, en France en 2017, 36 % des adolescents de sexe masculin décaleraient surfer sur des site X une fois par mois ou plus.

Ce phénomène si massif peut s’expliquer de diverses façons. Tout d’abord, l’entrée dans l’ère numérique a mis la pornographie à portée de clic. Elle infiltre même l’enceinte des écoles via les smartphones de plus en plus répandus chez les mineurs. D’après le rapport de 2016 de Ennoncence, une autre raison est le « marketing féroce de l’industrie du porno » et « différentes techniques utilisées par [celle-ci] pour attirer des internautes malgré eux » (clics publicitaires, détournement de page d’accueil, sites clandestins, utilisation de mots-clés cachés, sites de téléchargement, de streaming et de live streaming illégaux). Il faut dire que l’exposition des mineurs à la pornographie en ligne rapporte gros à cette industrie : de l’ordre de 789 millions de dollars par an, une telle exposition accidentelle générant environ 147 millions de dollars, sans compter que ces mineurs sont les clients de demain.

La nocivité de la pornographie pour les enfants

La pornographie a un impact très important sur les jeunes, en raison de leur sensibilité à la dopamine. L’une des caractéristiques du cerveau d’un adolescent est sa capacité à changer en fonction de l’environnement en modifiant les réseaux de communication qui relient les régions du cerveau. Bien que la plasticité de ce cerveau permette d’énormes progrès dans l’apprentissage et la réflexion, elle les rend également plus vulnérables au développement de troubles mentaux et de comportements dangereux. La pornographie est donc préjudiciable aux processus normaux et à la maturation du cortex frontal d’un enfant. L’utilisation de la pornographie cause ainsi aux enfants de graves dommages psychologiques. Les recherches montrent que « les perturbations induites par le visionnage de ce genre de programme par des enfants jeunes [peuvent] induire des perturbations psychiques et des dérèglements de comportements analogues à ceux d’un abus sexuel[1] ».

Le visionnage précoce de pornographie n’est donc pas sans conséquence comme le reconnaissait récemment l’APCE : « Cette exposition augmente les risques de construction de stéréotypes sexistes nuisibles, d’addiction à la pornographie et de relations sexuelles précoces et malsaines, et entraîne des difficultés à instaurer des relations équilibrées et respectueuses dans leur vie future », elle « brouille les limites de la curiosité normale à l’égard de la sexualité et celles des comportements socialement acceptables, et nuit au respect de la dignité humaine, de la vie privée et de l’intégrité physique ». L’exposition des jeunes à la pornographie induit le développement d’attentes irréalistes et déformées à l’égard de la sexualité et des attitudes trompeuses à l’égard des relations humaines.

L’IFOP révèle ainsi que « 73 % des garçons au collège pensent que les films X ont participé à l’apprentissage de leur sexualité ». Certes, la pornographie n’est qu’une représentation de la sexualité, mais les adolescents ne font pas de distinction entre film et réalité, d’autant plus que le rapport sexuel qu’ils visionnent est bien réel. L’exposition à du contenu sexuellement obscène augmente ainsi la probabilité que les adolescents acceptent et adoptent des comportements sexuels nuisibles et risqués, pour eux-mêmes et pour les autres : activité sexuelle à un âge plus précoce, sexting, partenaires sexuels multiples, pratiques sexuelles déviantes, utilisation de substances psychoactives et vulnérabilité aux IST.

En décembre 2023, la Commission européenne a décidé d’inclure trois grands sites pornographiques à la liste des « très grandes plateformes en ligne » au titre du Règlement européen sur les services numériques. Cette mesure devrait notamment permettre d’améliorer la sécurité des enfants sur internet. C’est le signe d’une prise de conscience. Malheureusement, aujourd’hui, de nombreux décideurs considèrent encore que prendre des mesures pour empêcher que des enfants puissent accéder à des sites pornographiques nuerait à la liberté des adultes. Il est de la responsabilité des gouvernements de rejeter ces discours pour ne pas sacrifier les enfants sur l’autel d’une prétendue liberté des adultes.

_____

[1] L’environnement médiatique des jeunes de 0 à 18 ans : Que transmettons-nous à nos enfants ? Rapport en réponse à la mission confiée par Ségolène Royal, Ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes handicapées au Collectif Interassociatif Enfance Médias (CIEM), mai 2002, p. 39 : https://cemea.asso.fr/IMG/rapportCIEM.pdf

09:59 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |