En RDC la corruption continue de tourner à plein régime... (14/05/2024)
Christophe Rigaud (Afrikarabia) confirme, mais qui pouvait en douter ?
« La corruption est devenue quelque chose de normal, une sorte de seconde nature. Les gens ne sont plus choqués par ça » s’était ému le président Félix Tshisekedi devant la diaspora congolaise de Belgique début mai. Un constat pour mieux vanter les mérites de l’Inspection générale des finances (IGF), l’organisme censé contrôler l’argent public et lutter contre les détournements de fonds. Pourtant, depuis cinq ans, les scandales financiers se sont multipliés en République démocratique du Congo (RDC). « Programme des 100 jours », financement du fond Covid, taxe téléphonique RAM, Jeux de la Francophonie… Les affaires s’enchaînent, les responsables sont souvent blanchis, et l’argent détourné reste dans la nature. Si la corruption touche tous les acteurs de l’économie congolaise et frappe à tous les étages, les acteurs politiques se taillent souvent la part du lion. Dernier exemple en date, le rapport explosif d’une ONG congolaise sur la gestion douteuse des fonds publics de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Budget éléphantesque
Un groupe d’experts du Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL) s’est penché sur les exercices budgétaires du Parlement entre 2021 à 2023. Ce qu’ils y trouvent est édifiant. L’institution est qualifiée de « budgétivore », avec 1,1 milliard de dollars de dépenses pour les deux chambres. Une incongruité pour la RDC, où le budget de l’Etat affiche péniblement 16 milliards de dollars pour un pays grand comme cinq fois la France et peuplé de 100 millions d’habitants. Selon le CREFDL, « Ce montant correspond aux besoins actuels exprimés par le secteur du développement rural pour réhabiliter 40.000 Km de route de desserte agricole et désengorger les territoires ». Mais surtout, le budget éléphantesque du Parlement est également utilisé en toute opacité. « L’analyse révèle le non-respect du circuit de la dépense publique ». Au total, 303 millions de dollars ont été débloqués sans aucun contrôle, et 309 millions sur « le fonds spécial d’intervention » sans aucune justification.
26 bus pour 90 millions de dollars
L’audit pointe aussi des cas de « fraude et d’enrichissement illicite ». Le bureau de l’Assemblée et son président, Christophe Mboso, a dépensé 90 millions de dollars pour acheter 12 bus et 14 minibus pour le personnel administratif et les directeurs de service. Une addition plutôt salée ramenée au prix des véhicules, alors que le plafond autorisé pour ce type de transaction est limité à 4,5 millions. « Le montant de 90 millions de dollars paraît surestimer pour couvrir les dépenses de 26 bus » tacle le rapport. Au Sénat voisin, la chambre haute a, elle aussi, dépensé plus de 400.000 dollars pour l’achat de véhicules sans justification. Des bureaux sont censés avoir été construits et achetés pour la Commission de l’Assemblée et ses archives. Là encore, l’opacité règne : « Le prix, la procédure d’achat et l’adresse physique sont tenus au secret » expliquent les experts du CREFDL, et ce, malgré le décaissement de 4,1 millions de dollars.
Des députés millionnaires
Les deux chambres ont également pratiqué un « recrutement massif et abusif. L’administration de l’Assemblée Nationale compte un effectif de 612 personnes tandis que les cabinets politiques en disposent de 2.756 ». Quatorze membres des bureaux de l’Assemblée et du Sénat perçoivent une double rémunération, « en tant que député national [ou sénateur] et puis comme membre des bureaux ». Deux entreprises sous-traitantes ont été recrutées pour l’entretien du Palais du peuple, alors que 300 agents sont déjà censés faire le travail. Enfin, l’ONG note que certains parlementaires ne disposent pas d’assistant, et font enregistrer des membres de leurs familles « pour gagner de l’argent ». Ce qui fait dire aux experts du CREFDL « qu’avec l’opacité actuelle dans la gestion des fonds alloués à l’Assemblée nationale, en 2 mandats un député national peut facilement devenir millionnaire ». Le rapport a été qualifié de « bidon » par l’Assemblée nationale.
Des jeeps «d’encouragement »
Depuis plusieurs mois, les affaires de soupçons de corruption s’enchaînent au sein du pouvoir. Fin avril, l’affaire des jeeps de l’UDPS était venue secouer la classe politique congolaise. Des véhicules tout terrain ont, en effet, été distribués par le parti présidentiel à des députés provinciaux de Kinshasa, à la veille des élections des sénateurs et des gouverneurs. La société civile s’en est mêlée et l’Agence nationale de renseignements (ANR) a fini par saisir une poignée de véhicules dans les sous-sols d’un parking. Pour les cadres du parti, rien d’anormal, il s’agirait d’une simple « prime d’encouragement ». La pratique n’est pas vraiment nouvelle. On se souvient qu’en 2021, la distribution de 500 jeeps aux députés nationaux avoir fait polémique, alors que le président Tshisekedi cherchait à débaucher des élus kabilistes pour reprendre la main sur l’Assemblée nationale.
Surfacturation de forages et de lampadaires
La longue liste des scandales financiers ne s’arrête pas là. La veille de la visite officielle de Félix Tshisekedi en France, deux de ses ministres, celui des Finances, Nicolas Kazadi et celui du développement rural, François Rubota, se sont venus interdire de quitter le territoire congolais par la justice congolaise, qui enquête sur des soupçons de détournements de fonds. En cause, des soupçons de surfacturation de forages et de stations de traitement des eaux, mais aussi de lampadaires pour la ville de Kinshasa. Là encore, l’affaire se chiffre en millions de dollars. Des allégations que récuse le ministre des Finances : « S’il y a des gens qui ont surfacturé, ce n’est certainement pas moi ». Une affaire du plus mauvais effet à la veille du déplacement en France de Félix Tshisekedi pour inciter les entreprises… à venir investir au Congo.
Politique business
La kleptocratie congolaise se porte donc toujours bien malgré les déclarations de bonnes intentions de Félix Tshisekedi, qui avait fait de la lutte contre la corruption sa principale promesse de campagne en 2018. En 2024, la RDC fait encore partie des trois pays les plus corrompus d’Afrique francophone après le Burundi et le Tchad, selon Transparency International. On a l’impression que les promesses électorales des leaders politiques s’envolent facilement à l’exercice du pouvoir. D’autant que la politique reste le business le plus rémunérateur. Le rapport édifiant du CREFDL sur le Parlement démontre que la mégestion, et les détournements de fonds sont encore la règle au Congo et qu’une élite politique continue donc de vampiriser les richesses du pays. A l’heure où le bureau de l’Assemblée nationale est en plein renouvellement, la liste des prétendants sur la ligne de départ laisse peu d’espoir pour un changement des pratiques politiques en RDC. »
Christophe Rigaud – Afrikarabia
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