La Cour Européenne des Droits de l'Homme valide l’interdiction des signes religieux visibles faite aux élèves belges (12/06/2024)

Du site de l'ECLJ :

La CEDH valide l’interdiction des signes religieux visibles faite aux élèves belges

11 juin 2024

Saisie par trois jeunes Belges musulmanes qui souhaitaient conserver leur voile islamique dans leur établissement scolaire malgré l’interdiction du port de signes religieux visibles, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé le 9 avril 2024 que cette interdiction était légitime et proportionnée aux fins d’assurer la protection des droits et libertés d’autrui et de l’ordre public. Malgré les recommandations contraires des Comités onusiens, la jurisprudence de la Cour demeure constante. 

Dans son arrêt Mikyas et autres contre la Belgique du 9 avril 2024 (n° 50681/20), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que l’interdiction pour les élèves de porter des signes religieux visibles, au nom de la neutralité de l’enseignement, « ne heurte pas en soi » l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté de religion), et ce même s’il peut exister d’autres conceptions de cette neutralité. L’affaire concerne trois jeunes femmes musulmanes qui indiquent porter le voile islamique en accord avec leurs convictions religieuses.  

En 2009, le Conseil de l’enseignement officiel organisé par la Communauté flamande décida d’étendre à l’ensemble de son réseau l’interdiction du port de signes convictionnels visibles, voulant ainsi lutter contre « une ségrégation, non seulement entre les écoles, mais aussi entre les élèves du même établissement ». En effet, le Conseil déplorait des pressions sur des jeunes filles pour leur faire porter certains symboles convictionnels. Il regrettait également le fait que le choix de l’école soit exclusivement déterminé par l’autorisation ou non de symboles convictionnels. En 2017, les parents des requérantes, scolarisées dans des établissements du réseau du Conseil, demandèrent à la justice belge que cette interdiction soit déclarée illégale car ils l’estimaient contraire à la liberté de religion. 

Accusations d’islamophobie et misogynie : la mauvaise foi des requérantes encouragée par l’ONU mais condamnée par la CEDH 

Devant la CEDH, les requérantes contestent le but légitime d’une telle interdiction. Selon elles, la mesure vise en réalité à « dissuader les jeunes filles musulmanes de s’inscrire dans les établissements scolaires concernés ». Dans leurs observations, le Centre des droits de l’homme de l’Université de Gand et l’Equality Law Clinic de l’Université libre de Bruxelles affirment que l’interdiction litigieuse témoigne « d’une hostilité croissante à l’égard des musulmans » et « invitent la Cour à adopter, pour appréhender la question de la vulnérabilité des jeunes filles musulmanes, une approche intersectionnelle, c’est-à-dire une approche qui prenne en compte non seulement leur religion, mais aussi leur genre, leur âge et leur race ».  

Cette « approche intersectionnelle » trouve sa justification dans les observations des différents Comités de l’ONU. En 2014, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale avertissait que l’interdiction du « port de symboles religieux dans toutes les écoles » de la communauté flamande était « susceptible d’ouvrir la voie à des actes de discrimination contre les membres de certaines minorités ethniques ». Des positions similaires furent tenues par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le Comité des droits de l’enfant, le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, ce dernier évoquant même en 2020 « le risque de décrochage scolaire causé » par cette interdiction. 

La Cour écarte en bloc les positions des Comités de l’ONU. D’une part, la question porte sur la « compatibilité de l’interdiction litigieuse avec la Convention européenne des droits de l’homme dont elle assure le respect », et non pas sur la compatibilité avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui appartient au système onusien. D’autre part, et bien que les articles 18 du PIDCP et 9 de la Convention soient en substance très similaires, la Cour préfère naturellement se référer à sa propre « jurisprudence déjà fournie sur la question présentement en jeu ». À cet égard, elle note qu’il « n’a pas été établi que l’interdiction litigieuse ait été inspirée par une quelconque forme d’hostilité à l’égard des personnes de confession musulmane ». En effet, « l’interdiction litigieuse ne vise pas uniquement le voile islamique, mais s’applique sans distinction à tout signe convictionnel visible ». Enfin, la Cour met en avant que les requérantes avaient librement choisi leurs établissements scolaires, sans qu'elles puissent ignorer l’impératif du respect du principe de neutralité, et avaient accepté de se conformer aux règles applicables. 

La légitimité de l’interdiction du port de signes religieux visibles pour les élèves 

Dans sa jurisprudence, la Cour a déjà reconnu que l’interdiction pour les élèves ou les étudiants de porter le voile dans le milieu scolaire ou universitaire pouvait poursuivre les buts légitimes de la protection des droits et libertés d’autrui et de la protection de l’ordre public. En l’espèce, la Cour admet que « l’interdiction litigieuse vise à protéger les élèves contre toute forme de pression sociale et de prosélytisme », et rappelle l’importance que « la manifestation par les élèves de leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires ne se transforme pas en un acte ostentatoire pouvant constituer une source de pression et d’exclusion ». De par leur « plus grand degré de vulnérabilité », les élèves mineurs peuvent donc être légitimement interdits de porter des signes religieux, à l’instar des enseignants, « symboles d’autorité à [leur] égard ». La Cour estime donc légitime un « environnement scolaire exempt de signes religieux portés par des élèves », en vertu de la marge d’appréciation de l’article 9 de la Convention dont disposent les autorités nationales belges.  

Par ailleurs, pour la Cour, « le pluralisme et la démocratie doivent se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique ». Sur ce point, le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) souligne le paradoxe selon lequel c'est au nom du « pluralisme » que la Cour justifie l'interdiction du port de signes religieux visibles, donnant une nouvelle fois « le sentiment que la Cour prône le pluralisme religieux sans en vouloir les conséquences » (commentaire de l’arrêt Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse (n° 29086/12) concernant l’obligation faite aux parents dans le cadre de la scolarité de leurs filles d’envoyer ces dernières à des cours de natation mixtes malgré leurs convictions religieuses opposées). Néanmoins, il reste que l’interdiction du port de signes religieux visibles pour les élèves représente bien un moyen légitime d’assurer la protection de la liberté de conscience des élèves, et tout particulièrement des jeunes filles, contre les pressions prosélytes de leurs camarades, pressions souvent initiées et appuyées parmi l’entourage familial. 

La CEDH valide également la conception française de la laïcité, au contraire de l’ONU 

Dans la présente affaire, le gouvernement belge compare l’importance de la neutralité de l’enseignement public avec celle de la laïcité dans d’autres pays. La France, qui a fait de la laïcité un principe constitutionnel, n’échappe pas non plus aux réprimandes des Comités de l’ONU concernant ses interdictions du port de signes religieux ostentatoires, réprimandes contredisant parfois directement des décisions de la CEDH en faveur de la France. L’ECLJ a déjà expliqué comment l’opposition des experts de Genève aux juges de Strasbourg affaiblissait la liberté de religion (commentaire sur les affaires Baby-Loup et burqa). En mars 2022, le Comité des droits de l’homme a de nouveau épinglé la France pour avoir violé le PIDCP, l’accusant d’avoir commis une « discrimination intersectionnelle basée sur le genre et la religion ». La France avait interdit à une femme de porter le voile lors d’une formation continue pour adultes organisée dans un lycée. 

La Cour quant à elle préfère laisser aux États une marge d’appréciation des limitations de la liberté de religion. Ainsi, dans une succession d’affaires en 2008 et 2009 qui ont fait jurisprudence, elle n’avait pas condamné la France pour l’interdiction faite aux élèves des écoles, collèges et lycées publics de porter des « signes ou tenues par lesquels [ils] manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », interdiction générale ou seulement limitée aux cours d’éducation physique et sportive, et l’exclusion subséquente d’élèves pour avoir porté un foulard islamique ou un turban ou un « keski » (sous-turban) sikhs dans l’enceinte de l’établissement. La Cour estimait que la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité, conforme aux valeurs sous-jacentes à la Convention, était suffisante pour justifier l’interdiction.

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