Cinq nouveautés qui vont guider la gouvernance de l'Eglise catholique (28/10/2024)

De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro :

Les cinq nouveautés qui vont guider la gouvernance de l'Église catholique

27 octobre 2024

356 évêques et laïcs ont voté samedi au Vatican dans le cadre d’un synode mondial des propositions donnant plus de responsabilités aux laïcs et ouvrant à une décentralisation inédite des décisions ecclésiales, mesures aussitôt acceptées par le pape François.

Le oui de l'Église catholique à la possibilité d'ordonner un jour des femmes diacres a été l'article le plus mal voté, samedi, au Vatican, dans le document final du synode sur la nouvelle gouvernance de l'Église. Il a cependant dépassé la majorité des deux tiers, nécessaire, soit 237 pour et 97 contre. 

Cet article invite à une pleine reconnaissance du rôle des femmes dans l'Église catholique : « Cette Assemblée appelle à la pleine mise en œuvre de toutes les possibilités déjà prévues par la législation actuelle concernant le rôle des femmes, en particulier dans les endroits où ces possibilités ne sont pas encore exploitées. Il n'y a aucune raison d'empêcher les femmes d'assumer des rôles de leadership, (« ruoli di guida », « rôle de guide » dans la version de référence en italien) dans l'Église : ce qui vient de l'Esprit Saint ne peut être arrêté. La question de l'accès des femmes au ministère diaconal reste également ouverte. Un discernement plus approfondi est nécessaire à cet égard. »

Adoption immédiate

Ce même pape n'avait-il pas exclu la question du diaconat féminin en février dernier pour la confier à un « groupe de travail » du Vatican, mais extérieur au synode pour éviter la polarisation des débats à cet égard ? C'était sans compter sur la pugnacité des 58 femmes invitées à ce synode et au soutien de nombreux prélats à leur cause. Même si le mouvement de promotion de la femme dans l'Église catholique semblait irrémédiable, il a maintenant pris un tournant décisif même s’il reste à l’étude. Des femmes qui pourront désormais, même si cela se fait déjà, participer à la formation dans les séminaires et au discernement des candidats au sacerdoce.

Car, c'est la deuxième nouveauté de ce synode, beaucoup moins spectaculaire, mais extrêmement significative, le texte que l'assemblée synodale a voté ce samedi 26 octobre, va être promulgué, tel que, par le pape François, sans correction de sa part. Il devient instantanément le texte de référence de ce synode.

L'usage voulait en effet que le pape rédigeât une « exhortation apostolique » dans les mois qui suivait la clôture de tous les synodes. Ce document pontifical s'installait alors comme la synthèse de référence, digérée par le pape, et qu'il inscrivait dans son magistère. Il pouvait abandonner des mesures qui avaient pourtant été votées par le synode. Il le fit en février 2020 en laissant tomber dans son exhortation post-synodale, Querida Amazonia, une proposition ouvrant l'ordination d'hommes mariés - pourtant votée - par le synode sur l'Amazonie en octobre 2019.

Samedi soir, dans son discours de clôture devant les membres du synode, le pape François a ainsi justifié sa décision : « Ce que nous avons approuvé est suffisant, le document contient déjà des indications très concrètes qui peuvent servir de guide pour la mission des Églises […], c'est pourquoi je le mets immédiatement à la disposition de tous ». Il a expliqué vouloir « reconnaître ainsi la valeur du chemin synodal accompli », sans éluder pour autant « des décisions à prendre à la lumière du chemin synodal ».

Eglise consensuelle

Fidèle à la méthode du pontificat, François, plutôt que des discours ou des projets théoriques, expérimente les réformes chemin faisant, comme il le fit pour l'admission à la communion de certains divorcés-remariés. Ainsi de ce synode sur la gouvernance de l'Église. Il s'annonçait programmatique avec des éléments spectaculaires de réforme, dont le questionnement sur le célibat des prêtres qui apparaissaient dans les documents préparatoires, est devenu une sorte d'expérimentation où toute l'Église doit changer ses méthodes de travail et de prises de décision. Chacun est appelé à donner son avis jusqu'à trouver un consensus, c'est la méthode synodale.

En renonçant à écrire sa propre synthèse post-synodale, François veut donner l'exemple de mise en pratique d'une Église plus démocratique au rebours de la centralisation et d'un fonctionnement hiérarchique pyramidal. Même si c’est lui seul qui validera les décisions à venir car, a rappelé le Vatican, samedi soir, « le document voté n'est pas normatif ».

Reste que ce processus ecclésial ouvert où chacun a désormais la parole, implique aussi, troisième nouveauté, un contrôle et des « évaluations » à tous les étages, entendez le contrôle par la base de ceux qui exercent des responsabilités : curés, évêques, nonces apostoliques, conférence des évêques, dicastères romains. « La transparence et la responsabilité ne devraient pas être exigées uniquement en cas d'abus sexuels, financiers ou autres dit une proposition. Elles concernent également le style de vie des pasteurs, les plans pastoraux, les méthodes d'évangélisation et la manière dont l'Église respecte la dignité de la personne humaine, par exemple en ce qui concerne les conditions de travail au sein de ses institutions ». Même la diffusion de la « synodalité » dans l'Église va être soumise à évaluation, comme dans les entreprises pour en vérifier « les progrès réalisés » et contrôler les « performances de tous les ministères et missions au sein de l'Église » !

Le tout avec une implication plus large « des laïcs et des laïques à toutes les phases des processus décisionnels ». Pourraient être rendus « obligatoires » par exemple, des « conseils » pourtant déjà prévus par le droit canon : « conseil pastoral diocésain, conseil pastoral paroissial, conseils pour les affaires économiques ».

Évêques sous contrôle

Des « laïcs et des laïques », quatrième nouveauté, mis vraiment à l'honneur avec des « ministères laïcs » qui pourraient être créés, selon « la créativité » de chacun en fonction des besoins pastoraux locaux. De même un « ministère de l'écoute et de l'accompagnement » pourrait être inventé, confié à des laïcs pour être à disposition de tous ceux qui auraient besoin d'être entendus.

Il est important d'aider les fidèles à ne pas cultiver des attentes excessives et irréalistes à l'égard de l'évêque, en se rappelant qu'il est lui aussi un frère fragile, exposé à la tentation, qui a besoin d'aide comme tout le monde.

Texte final du synode

Ce sont en revanche les évêques qui se trouvent d'une certaine façon désacralisés, non pas dans leur responsabilité spirituelle mais quant à leur faillibilité humaine. « Il est important d'aider les fidèles à ne pas cultiver des attentes excessives et irréalistes à l'égard de l'évêque, en se rappelant qu'il est lui aussi un frère fragile, exposé à la tentation, qui a besoin d'aide comme tout le monde ». Ainsi « une vision idéalisée de l'évêque ne facilite pas son délicat ministère, qui est au contraire soutenu par la participation de tout le peuple de Dieu à la mission dans une Église véritablement synodale ».

Le Synode appelle donc, désignant ici les prêtres comme les évêques, à « un discernement plus courageux de ce qui appartient en propre au ministère ordonné et de ce qui peut et doit être délégué à d'autres ». Cette répartition des tâches et des responsabilités permettra de lutter contre les « abus sexuels, économiques, de conscience et de pouvoir de la part des ministres de l'Église ».

Églises continentales

Cinquième nouveauté, la mise en place de la subsidiarité entre le Vatican et les Églises locales. Ce qui pourrait bousculer à terme, l'équilibre actuel de l'Église catholique, très centralisée au Saint-Siège où beaucoup de choses sont décidées.

Cette idée qui vient du Concile Vatican II a été réactivée par les sept « Assemblées ecclésiales continentales » qui se sont tenues au début de l'année 2023 pour préparer ce synode et qui pourraient devenir un nouveau schéma d'organisation et de niveaux de décision. Le texte adopté samedi stipule : « Leur statut théologique et canonique, ainsi que celui des groupements continentaux de Conférences épiscopales, devra être mieux clarifié afin de pouvoir exploiter leur potentiel pour le développement ultérieur d'une Église synodale. Il revient en particulier aux Présidents des groupements continentaux des Conférences épiscopales d'encourager et de soutenir la poursuite de cette expérience. »  

Une autre proposition du texte va aussi dans ce sens qui rendrait le Vatican dépendant et non plus dominant vis-à-vis des conférences épiscopales. Il est demandé qu'aucun texte romain important ne puisse être adopté sans que les conférences épiscopales aient été consultées : « Avant de publier d'importants documents normatifs, les Dicastères sont invités à entamer une consultation avec les Conférences épiscopales. »

Avec cette suggestion : « On pourrait identifier, par une étude théologique et canonique, les matières qui devraient être réservées au pape (reservatio papalis) et celles qui peuvent être renvoyées aux évêques dans leurs Églises ou groupements d'Églises ».

Cela dit, une forte poussée des évêques allemands pendant le synode avait cherché à donner encore plus de pouvoir, et donc d’autonomie, aux conférences épiscopales au détriment de Rome mais ce mouvement a été contenu par l’assemblée et n’apparait qu’en filigrane dans le texte final.

De même, est envisagée, la création d'une liturgie adaptée à la synodalité. Ce projet va donner lieu à un groupe d'études pour « aider toutes les communautés chrétiennes, dans la pluriformité de leurs cultures et de leurs traditions, à adopter des styles de célébration qui manifestent le visage d'une Église synodale ». Interrogés sur ce point, samedi soir, lors de la conférence de presse, les responsables du synode sont toutefois restés très vagues.

Ce décentrement du Vatican pourrait cependant conduire à un affaiblissement de l'autorité actuelle du Saint-Siège même si le document assure : «Dans une Église synodale, la compétence décisionnelle de l'évêque, du Collège des évêques et de l'évêque de Rome est inaliénable, car elle s'enracine dans la structure hiérarchique de l'Église établie par le Christ au service de l'unité et du respect de la légitime diversité. Cependant, elle n'est pas inconditionnelle. »

Revoir l'autorité papale

Le texte observe : « l''évêque de Rome, principe et fondement de l'unité de l'Église, est le garant de la synodalité : c'est à lui qu'il revient de convoquer l'Église en Synode, de le présider et d'en confirmer les résultats. En tant que successeur de Pierre, il a un rôle unique dans la sauvegarde du dépôt de la foi et de la morale, en veillant à ce que les processus synodaux soient fructueux pour l'unité et le témoignage.»

Andréa Tornielli, un laïc, directeur éditorial des médias du Vatican, expliquait samedi soir l'enjeu de toute cette affaire : « Le Synode sur la synodalité appelle à un changement de mentalité. Il demande de ne pas considérer la synodalité comme une tâche bureaucratique à mettre en œuvre de manière paternaliste avec quelques petites réformes superficielles. Le synode appelle à repenser le service de l'autorité, y compris celui du Successeur de Pierre. Il appelle à un rôle de plus grande responsabilité pour les laïcs et en particulier pour les femmes. »

Pour ce responsable du Vatican, il s'agit de créer « une nouvelle image de l'Église où les structures ecclésiales, dans cette nouvelle perspective, ne représentent plus le lieu vers lequel les laïcs doivent converger, mais un soutien au service que le peuple de Dieu accomplit dans le monde. » Le but étant de relancer l'Église vers la mission : « L'horizon de ce texte, que le Pape François a immédiatement voulu donner à toute l'Église, est la mission. »

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