Soins palliatifs pour la dignité et la vie : entretien avec une doctoresse catholique (traduction revue et corrigée) (24/11/2024)
Un ami attentif a décelé des problèmes de traduction dans cet article que nous avions mis en ligne vendredi dernier. Il nous propose une traduction plus rigoureuse que nous publions ci-dessous en le remerciant de tout coeur pour ce travail et pour l'attention qu'il veut bien accorder aux parutions de belgicatho.
Du CWR :
Soins palliatifs pour la dignité et la vie
Entretien avec la Dre Natalie King
21 novembre 2024
Selon l'auteure de Intensive Caring: A Practical Handbook for Catholics about Serious Illness and End-of-Life Care, la médecine palliative « ne se concentre pas sur la mort du patient. Elle se concentre sur la vie du patient, sur sa vie du mieux qu'il peut malgré une maladie grave. »
La Dre Natalie King, diplômée de la faculté de médecine de l'université de Tulane (1), est une médecin catholique spécialisée en soins palliatifs. Elle vit dans l'Utah (2).
Soucieuse de la qualité et de l'éthique des soins prodigués aux patients à tous les stades de leur vie, elle est l'auteure de Intensive Caring: A Practical Handbook for Catholics about Serious Illness and End-of-Life Care, qui vient d'être publié par Ave Maria Press.
Elle s’est récemment entretenue avec Catholic World Report (CWR) sur les soins palliatifs, son propre parcours dans cette discipline et les questions morales liées à la fin de vie.
CWR : Vous êtes médecin en « soins palliatifs ». Que sont les « soins palliatifs » ? Quel est, selon vous, le lien entre les « soins palliatifs » et votre statut de médecin catholique ?
Dr King : En grandissant, je n'avais jamais entendu parler des soins palliatifs. J'ai fait des études de médecine, comme la plupart des gens, pour pouvoir comprendre le fonctionnement du corps humain, diagnostiquer ses dysfonctionnements et travailler à les traiter et à les corriger si nécessaire pour retrouver la santé.
En cours de route, j’ai découvert la médecine palliative, une sous-spécialité médicale axée sur les soins aux personnes souffrant de problèmes médicaux graves ou chroniques (souvent incurables). Pensez à des problèmes comme l’insuffisance cardiaque congestive (3), les accidents vasculaires cérébraux, la démence, l’insuffisance rénale, les problèmes pulmonaires et de nombreux cancers. Avec l’évolution des technologies de santé, de nombreuses personnes se retrouvent à vivre pendant des années avec des problèmes médicaux comme ceux-là. Ces problèmes ne sont peut-être pas immédiatement mortels, mais ils auront une incidence considérable sur la façon dont les gens vivent avec eux.
Ces problèmes médicaux peuvent avoir des conséquences considérables sur la vie des personnes concernées, avec de nombreux symptômes, des tensions et même des effets secondaires liés aux traitements nécessaires. Les tensions peuvent s'étendre au-delà du physique et inclure également des dimensions émotionnelles, financières, spirituelles et relationnelles. Souvent, la maladie grave n'affecte pas seulement le patient, mais aussi toutes les personnes qui l'aiment dans sa vie.
Les médecins en médecine palliative sont formés pour aider les personnes dans ce genre de situation à vivre la meilleure vie possible le plus longtemps possible. Nous travaillons avec une équipe interdisciplinaire (comprenant souvent des infirmières, des travailleurs sociaux et des aumôniers) pour identifier les effets de la maladie sur le patient et trouver des solutions créatives pour le soutenir.
En tant que catholique, travailler comme médecin en médecine palliative est un immense cadeau. C’est un véritable privilège de prendre soin des patients et de leurs familles alors qu’ils traversent une maladie grave. J’ai l’occasion de constater la richesse de leur personnalité et l’amour qui les unit à leur famille et à Dieu. J’ai l’occasion de les accompagner, de les aider à défendre leurs intérêts et de mettre en lumière leur dignité et leur valeur intrinsèques. J’y trouve une telle beauté et ma foi rend tout cela encore plus significatif.
CWR : Certaines personnes confondent les soins palliatifs avec les « soins de fin de vie », imaginant les « soins palliatifs » comme un joli euphémisme pour « mouroir ».
Dr King : Il y a beaucoup de choses que les gens trouvent déroutantes dans mon domaine de médecine palliative. Je suis d'accord avec vous : même en tant que médecin généraliste en médecine interne, je ne comprenais pas certains aspects des soins palliatifs avant de me spécialiser dans ce domaine. Les malentendus et la confusion que j'ai rencontrés m'ont incitée à écrire le livre Intensive Caring.
De plus, il est très stressant de faire face à une maladie grave. Et puis, il faut se retrouver dans le système de santé, défendre les meilleurs soins et veiller à ce que ces soins soient également respectueux et respectueux de la vie. C'est très difficile, et je veux contribuer à clarifier les choses.
On pense souvent à tort que la médecine palliative est la même chose que les soins en fin de vie. Ce n’est pas vrai. Il faut considérer les soins palliatifs comme un ensemble de soins plus vaste, et les soins en fin de vie comme un sous-ensemble de ceux-ci. Les soins en fin de vie sont un type de soin palliatif, mais tous les soins palliatifs ne sont pas des soins de fin de vie.
La médecine « combat » généralement la maladie, et les soins palliatifs cherchent à assurer un équilibre holistique dans tous les aspects de la vie d’un patient-en-tant-que-personne lorsque cette maladie est « chronique », c’est-à-dire qu’elle ne disparaît pas. Les soins de fin de vie, en tant que sous-ensemble des soins palliatifs, sont une prestation de soins médicaux qui se concentre sur une aide au niveau des symptômes et sur les soins à donner lorsqu’un patient a décidé de ne plus recourir à des soins médicaux réparateurs ou axés sur la maladie. L’accent des soins passe de l’utilisation de la chimiothérapie, de l’hémodialyse ou d’autres traitements de prolongation de la vie du patient à celui de se concentrer sur son confort : l’objectif est de lui procurer un temps précieux loin de l’hôpital, afin qu’il puisse passer encore de bons jours avec ses proches. Pour y arriver, les soins de fin de vie ne sont pas des soins appropriés, et la médecine palliative doit travailler aux côtés des autres médecins du patient, en s’efforçant de se préserver autant que possible de la maladie tout en s’efforçant de vivre la meilleure vie possible.
La médecine palliative ne se concentre pas sur la mort du patient. Elle se concentre sur la vie du patient, sur sa capacité à vivre du mieux qu'il peut malgré une maladie grave. Elle s'efforce de comprendre les objectifs et les valeurs du patient et de l'orienter vers des soins médicaux qui y correspondent. Des études montrent que pour les patients confrontés à de nombreux problèmes médicaux, le soutien d'une équipe de soins palliatifs peut les aider à vivre plus longtemps et à passer plus de temps hors de l'hôpital.
Avoir une équipe de soins palliatifs à vos côtés pendant que vous traversez une maladie grave n’enlève rien à vos soins : cela ajoute simplement du soutien et de l’aide de professionnels formés pour vous aider à gérer les problèmes communs à ce que vous pourriez vivre. Si vous pensez que vous ou un proche pourriez bénéficier d'une consultation en soins palliatifs, vous pouvez en parler à votre médecin traitant ou à un autre médecin spécialiste. Ils pourront vous orienter vers un spécialiste. Si vous êtes hospitalisé, vous pouvez demander à bénéficier d'une consultation en soins palliatifs pendant votre séjour à l'hôpital. Dans de nombreux endroits, il existe des cliniques de médecine palliative ou même des services de médecine palliative à domicile, dont l'équipe se déplace chez vous.
CWR : De plus en plus d’États font pression pour légaliser une forme d’euthanasie, que ce soit par le patient lui-même (avec des produits chimiques mortels ou des « machines à suicide »), ou avec l’aide d’un médecin (« suicide assisté par un médecin » ou « aide médicale à mourir »). Les « soins palliatifs » peuvent-ils aider à endiguer la vague d’euthanasie et, si oui, comment ?
Dr King : Il est très important que les catholiques comprennent que le suicide assisté par un médecin est désormais légal dans 11 juridictions des États-Unis (dix États et Washington DC), et qu’il est évoqué dans la législation d’autres États chaque année. (La Virginie-Occidentale vient d’adopter le 5 novembre une proposition visant à interdire le suicide assisté).
L’Église catholique s’oppose ardemment à l’accélération de la mort par le suicide assisté (souvent appelé « aide médicale à mourir »), et plusieurs documents de l’Église le répètent. J’en aborde plusieurs dans mon livre, mais je voudrais particulièrement souligner la lettre de 2020 du Dicastère pour la doctrine de la foi, Samaritanus Bonus (Le Bon Samaritain), sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie (4). Cette lettre ne s’adresse pas seulement au clergé ou aux médecins, elle s’adresse à tous ceux qui sont en contact avec les malades et les mourants. Elle fournit des conseils attentifs aux problèmes de la culture moderne et à la manière de les résoudre. Elle souligne spécifiquement la nécessité des soins palliatifs pour accompagner les personnes tout au long du chemin que Dieu dirige (il ne s’agit pas de diriger nos vies de manière à contrôler ou à hâter notre mort).
Les soins palliatifs qui favorisent la dignité et la vie sont l’antidote au mouvement du suicide médicalement assisté. Ils considèrent le patient avec sa dignité intrinsèque en tant que fils ou fille de Dieu, en tant que personne à aimer, et non en tant que problème à traiter. J’en parle plus en détail dans mon livre.
Je ne nie pas que dans le domaine de la médecine palliative, comme dans toute autre spécialité médicale, il existe des personnes qui exercent leur profession de manière contraire à l’enseignement de l’Église catholique. Tout comme il existe des médecins en obstétrique et en gynécologie qui prônent l’avortement, il existe des médecins en médecine palliative qui pensent que la solution pour soulager la souffrance d’un patient est d’éteindre lui-même la souffrance. Pour moi, cela est contraire aux objectifs inhérents à la médecine.
Les médecins qui aident à tuer leurs patients détruisent la relation sacrée médecin-patient, fondée sur la confiance et le fait de vouloir le bien de quelqu’un. Comme dans d’autres domaines de la santé, nous devons récupérer et défendre le bien, le vrai et le beau de la médecine palliative.
N’oubliez pas : si votre médecin de soins palliatifs ou de fin de vie ne respecte pas vos valeurs de catholique concernant la dignité de la vie humaine, vous pouvez toujours en choisir un autre.
CWR : Quels sont les problèmes moraux auxquels un catholique fidèle pourrait être confronté aujourd’hui lorsqu’il a affaire au système de santé américain en cas de maladie grave ?
Dr King : Il est parfois difficile de s’y retrouver dans le système de santé alors que l’on est atteint d’une maladie grave. On peut se sentir dépassé. Sans compter que la plupart des patients confrontés à ce genre de problèmes sont limités d’une manière ou d’une autre, ce qui les rend encore plus vulnérables.
Pour mieux vous aider à défendre vos intérêts ou ceux de vos proches, je m'efforcerais de communiquer vos valeurs à vos proches et à votre équipe soignante. Cela peut se faire verbalement, mais mieux encore, à l'aide de directives anticipées. Les directives anticipées sont des formulaires juridiques qui fournissent des informations sur vos préférences en matière de soins de santé et les communiquent à votre équipe soignante. Pour les catholiques, le plus important est d'avoir une procuration médicale durable ou un mandataire légal en matière de soins de santé. La situation idéale est que vous puissiez toujours prendre vos propres décisions médicales, mais pour de nombreuses personnes, il peut arriver un moment où elles ne sont pas en mesure de se représenter correctement (peut-être sont-elles confuses, somnolentes ou dans un état médical grave où la communication n'est pas possible). Elles doivent désigner quelqu'un qui peut parler à leur place si cette situation se présente. Dans de nombreux États, il s'agit par défaut de votre conjoint, de votre enfant adulte ou de votre parent. Cependant, le choix par défaut n'est pas toujours la meilleure personne pour parler en votre nom.
Il est important que votre mandataire médical durable connaisse vos valeurs et puisse être votre porte-parole lorsque vous ne pouvez pas vous exprimer vous-même. Qu'il puisse dire ce que vous diriez, voudriez et feriez. Si votre foi catholique est importante pour vous, cette personne doit le communiquer et faire des choix en fonction de votre foi. Elle peut également plaider pour qu'un prêtre vienne vous donner l'onction des malades et répondre à d'autres besoins spirituels.
Souvent, les gens ont des questions spécifiques sur leur situation particulière en matière de soins de santé. Ils s’efforcent de suivre les enseignements de l’Église catholique et veulent respecter au maximum la dignité de la vie. Des sondes d’alimentation aux respirateurs et à la dialyse, en passant par le don d’organes et la mort cérébrale, entre autres, dans mon livre, je m’efforce d’aborder de nombreux sujets, afin de donner aux catholiques un meilleur sentiment de paix s’ils se trouvent un jour dans une situation où ils doivent les aborder.
CWR : Votre nouveau livre, Intensive Caring, a pour but d’aider les catholiques à surmonter ces défis. Parlez-nous de ce livre et de la raison pour laquelle vous l’avez écrit.
Dr King : Deux mois après avoir déménagé dans un nouvel État pour commencer mon premier emploi, le suicide assisté par un médecin a été adopté par la loi dans cet État.
J’étais dévastée. Comment allais-je m’y retrouver en tant que catholique, en tant que médecin spécialisé en médecine palliative ? Je n’aurais certainement pas déménagé là-bas si j’avais su que cela allait arriver.
C’est grâce à ces luttes que j’ai eu envie d’en apprendre davantage sur l’enseignement de l’Église catholique, la théologie morale et l’éthique. Je me suis impliquée dans mon hôpital local et dans le système de santé en général. J’ai commencé à être invitée à parler de questions liées à la fin de vie en tant que catholique. Lors de mes conférences, les gens venaient me voir avec des questions – c’était angoissant de les voir lutter pour vivre au mieux leur foi catholique tout en faisant face à une maladie grave ou en aidant à prendre soin d’un proche.
J’ai écrit ce livre pour les aider. Je souhaite mettre en lumière la beauté des soins palliatifs, la façon dont ils peuvent être pratiqués avec succès conformément à la foi catholique et la façon de gérer concrètement les situations courantes et difficiles liées à une maladie grave. J’ai écrit ce livre pour mettre en lumière la beauté de l’accompagnement des personnes atteintes d’une maladie grave et pour souligner que le suicide assisté par un médecin ne devrait jamais être la solution. Il existe des soins qui affirment la vie et la dignité. Quel que soit le problème de santé auquel vous êtes confronté, vous êtes valorisé et vous comptez.
CWR : Novembre est traditionnellement un mois où les catholiques se concentrent sur la prière pour les fidèles défunts et font le point sur leur propre mortalité. En tant que médecin catholique, que recommanderiez-vous aux catholiques qui envisagent de se préparer à leur avenir, à la maladie et à la mort éventuelle ?
Dr King : Toute conversation que vous pouvez avoir avec vos proches (ou avec ceux qui vous aideraient à parler en votre nom si jamais vous perdiez la capacité de parler en votre nom), sur vos préférences et vos valeurs en matière de soins de santé est un cadeau pour eux. Avoir ce genre de conversations peut être très difficile, mais je vous encourage à être aussi ouvert que possible (et il existe quelques guides pour le faire dans mon livre). Ce que vous transmettez pourrait très bien apporter beaucoup de paix à un proche qui prendra une décision pour vous un jour, sachant qu’il est assuré qu’il fait ce que vous voudriez.
------------
(1) L'Université de Tulane est une université privée, située à la Nouvelle-Orléans (Louisiane, USA).
(2) L'Utah est un État des États-Unis d'Amérique. Sa capitale est Salt Lake City.
(3) Affection chronique à espérance de vie réduite.
(4) Lien pour atteindre ce texte :
Source : http://www.belgicatho.be/archive/2024/11/22/soins-palliat...dignite-et-la-vie-entretien-avec-un-6524013.html (traduction revue)
09:03 | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer |