Depuis son premier voyage en tant que pape, à Lampedusa, les destinations de voyage du pape François ont été singulières. Mais aucune n'a été aussi particulière que cette semaine, où, après avoir décliné l'invitation pour la réouverture de Notre-Dame de Paris, il se rend en Corse dimanche.
Le pape François a décidé de ne pas se rendre dans les grandes capitales européennes, sauf en cas de nécessité, comme lors de sa visite à Cracovie et Lisbonne pour les Journées mondiales de la jeunesse. Ses visites européennes sortent donc du cadre habituel du pape.
La Corse sera sa troisième visite en France. Il s'était rendu à Strasbourg en 2014 pour s'adresser au Parlement européen, mais avait refusé de visiter Notre-Dame de Strasbourg, alors que la cathédrale célébrait son millénaire ! Il était entré et sorti de la ville en quelques heures. Il s'est rendu à Marseille en 2023 pour une conférence sur les migrations méditerranéennes, mais a insisté : « J'irai à Marseille, mais pas en France. » Et maintenant la Corse - qui est une « région » de France - une semaine après ne pas être allé à Paris pour Notre-Dame.
Le titre du journal America, dirigé par les Jésuites, était sans détour sur cette juxtaposition : « Le pape François se rendra en Corse le 15 décembre après avoir raté la réouverture de Notre-Dame à Paris. » La messe papale en Corse se déroulera sur une place où se trouve une grande statue de Napoléon, le plus infâme de tous les Corses.
Napoléon figure également en bonne place dans l'histoire de Notre-Dame de Paris, où il s'est fait couronner empereur en présence du pape Pie VII.
L'attention portée récemment à l'histoire de Notre-Dame a également attiré l'attention sur Napoléon qui, après la Terreur, s'est emparé du pouvoir et a modéré une partie de l'extrémisme sanglant de la France révolutionnaire. Il a conclu un concordat avec le Saint-Siège, négocié par le secrétaire d'État de Pie VII, Ercole Consalvi.
Ces négociations sont surtout connues pour l'échange entre Napoléon et Consalvi. Enflé d'un sentiment de puissance, Napoléon tenta d'intimider Consalvi en menaçant de détruire l'Église. Le cardinal Consalvi répondit qu'aucun empereur ne pouvait accomplir ce que dix-huit siècles de clergé français n'avaient pas pu faire. C'était un rappel des limites du pouvoir de l'État et que le plus grand danger pour l'Église venait toujours de l'intérieur.
Cette année marque le bicentenaire de la mort de Consalvi, célébré à Rome par une conférence. Consalvi est une légende de la diplomatie vaticane, non seulement pour le concordat avec Napoléon mais aussi, après Napoléon, pour la reconquête des États pontificaux en Italie au Congrès de Vienne.
Les éloges sont mérités. En 1798, les troupes de Napoléon envahirent Rome, enlevèrent le pape Pie VI et le firent finalement prisonnier en France, où il mourut en 1799. Le fait que deux ans plus tard, Napoléon signât un concordat avec le Saint-Siège témoigne de la volonté de Napoléon de se faire des ennemis et des alliés selon les besoins, ainsi que de l'habileté de Consalvi.
Lorsque le pape François verra la statue de Napoléon en Corse, il se demandera peut-être si Consalvi a des leçons à donner à la diplomatie papale d'aujourd'hui. Il était un modèle d'engagement réaliste avec les puissances hostiles. Il a négocié avec les tyrans. Il a fait des compromis pour donner un peu de répit à l'Église après le massacre de la révolution.
En même temps, Consalvi avait des limites à ne pas franchir. Ayant trouvé l'expérience de l'enlèvement de Pie VI revigorante, Napoléon répéta l'expérience avec Pie VII, bien que ce dernier se soit rendu à Notre-Dame pour le couronnement de Napoléon en 1804. Napoléon fit prisonnier Pie VII en France de 1809 à 1814. Consalvi fut emmené à Paris, dépouillé de tous ses biens et emprisonné pendant cinq ans. Son engagement avait des limites.
Consalvi a été chaleureusement félicité par l'archevêque Paul Gallagher, actuel ministre des Affaires étrangères du Vatican, lors des commémorations du bicentenaire au début de cette année.
« Consalvi a vécu une époque très difficile – une époque difficile pour la papauté, la perte des États pontificaux. L’Europe était en pleine tourmente », a déclaré l’archevêque Gallagher dans une interview à Vatican News. « Bien sûr, nous vivons aussi une époque difficile. Alors, voir quelqu’un qui essayait de servir le pape et qui était convaincu que l’action du pape était vraiment axée sur le bien commun, je pense que je trouve cela encourageant. »
Quelles leçons tirer de la relation de Consalvi avec Napoléon ? Le Concordat de 1801 fut douloureux : l'Église concéda que la plupart de ses biens ne lui seraient pas restitués. Mais l'« Église constitutionnelle » instaurée par la République française disparut et le gouvernement de l'Église par le pape fut assuré.
Le parallèle le plus frappant aujourd’hui est celui avec la Chine, où le Parti communiste chinois (PCC) contrôle sa propre Église constitutionnelle, en quelque sorte l’« Association patriotique ». En 2018, les successeurs de Consalvi ont négocié non pas un concordat, mais un « accord secret » – dont le texte n’a jamais été rendu public – concernant la nomination des évêques en Chine. Renouvelé en 2020 et 2022, il a été reconduit cet automne pour quatre ans.
L'accord n'a pas conduit à la dissolution de l'Association patriotique. Au contraire, elle s'est renforcée, le PCC – qui exerce un contrôle direct sur la religion en République populaire de Chine – ayant transféré un évêque complaisant à Shanghai , le diocèse le plus important de Chine, sans même en informer Rome. Le pape François a accepté l'offense théologique, l'illégalité canonique et l'humiliation politique, en donnant son approbation après coup.
Shanghai est le diocèse autrefois tenu par l'héroïque Ignace Kung Pin-Mei, qui passa trente ans dans les prisons communistes avant d'être exilé. Saint Jean-Paul le Grand avait son propre secret concernant la Chine ; il fit de Kung un cardinal in pectore lors de son premier consistoire en 1979, rendu public en 1991.
Quelles que soient les concessions que Pie VII et Consalvi ont dû faire, ils ont aussi obtenu des gains concrets, ce qui est plutôt le but de la diplomatie. L’accord actuel entre le Vatican et le PCC n’apporte aucun gain apparent, compromet le mandat donné à Pierre par le Christ lui-même et trahit le témoignage des martyrs. Une évaluation aussi cinglante vient de nulle autre que Nancy Pelosi, qui a conclu son mandat de présidente de la Chambre des représentants des USA en se rendant à Taiwan au mépris du PCC.
« Je ne suis pas très contente [de cet accord], et je ne sais pas ce qu’ils ont accompli », a déclaré Nancy Pelosi au National Catholic Reporter dans une interview où elle semblait « furieuse » à propos de l’accord du Vatican avec la Chine. « Connaissez-vous des succès ? Nous avons vu pendant des décennies la souffrance des catholiques en Chine. J’ai un point de vue complètement différent [de l’approche du pape François]. Pourquoi le gouvernement chinois devrait-il avoir son mot à dire dans la nomination des évêques ? »
« Permettez-moi de le dire ainsi : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. » Chaque évêque est né de cette pierre. Et maintenant, le gouvernement chinois ? », a déclaré Nancy Pelosi. « Nous avons montré [au nonce à Washington] quelles étaient nos préoccupations, ce qui avait été dit et écrit par les démocrates et les républicains, la Chambre et le Sénat. Cela nous rassemble beaucoup, car au fil du temps, même des évêques ont été tués. Je veux dire, il s’agit de martyrs. »
Nancy Pelosi ressemble plus à Consalvi qu’à ses successeurs dans la diplomatie du Vatican. Et Nancy Pelosi sait qu’une Église qui ne garde pas la foi en ses propres martyrs fait plus pour se détruire elle-même que n’importe quel pouvoir civil ne peut le faire.
Le pape François a préféré aller à la messe sous le regard de Napoléon plutôt que de se rendre à Notre-Dame sous son toit reconstruit. Peut-être qu'une nouvelle sagesse viendra en Corse sur la façon de traiter les tyrans.