Visite du pape, situation de l'Eglise belge, nominations d'évêques... : le regard du Nonce apostolique, Mgr Coppola (03/01/2025)

De Christian Laporte sur 21News :

Mgr Coppola : « Nous avons tous été marqués par cette volonté permanente du Pape d’aller à la rencontre des Belges »

La venue du Pape en Belgique, un temps fort pour l’Église catholique d’ici mais aussi pour Rome… Au terme de cette période de Noël et de cette année 2024, nous avons rencontré Mgr Franco Coppola, nonce apostolique.

21News : 2024 a été une année particulière pour l’Eglise catholique de Belgique. Avec en point d’orgue, la venue du pape François à la fin septembre… Quel est votre bilan personnel de cette visite qui a fait l’objet d’un certain nombre de critiques qu’en tant qu’observateur attentif de l’information religieuse depuis quelque quatre décennies, je ne partage pas vraiment… ?

Mgr Franco Coppola : La visite du Pape en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg a été un moment crucial de cette année. Je suis personnellement très satisfait de la manière dont elle s’est déroulée. Ce fut d’abord un très bon exercice.

Déjà sur le plan de la préparation par les nombreux contacts avec, d’une part, l’équipe du Vatican qui est habituée à préparer les déplacements du Saint-Père et d’autre part, la Conférence épiscopale de Belgique qui connaît l’opinion publique et qui est bien au fait de toutes les sensibilités et des besoins du pays. Ce fut un très beau et très bon exercice de collaboration entre les uns et les autres. Qui plus est, le Pape François a aussi marqué cette coopération de son empreinte personnelle en ajoutant à son programme déjà bien fourni plusieurs initiatives qui n’étaient pas prévues. Je suis d’autant plus satisfait de ces ajouts car le Saint-Père a montré de la sorte ce qui lui tient à cœur et en même temps ce qui le préoccupe. Pour moi ce fut aussi une seconde occasion de l’accueillir comme nonce apostolique car je l’ai aussi reçu en 2015 lorsque j’étais en fonction en Centrafrique pour l’ouverture de la Porte sainte dans le cadre de l’Année sainte de la miséricorde.

Cette année en Belgique et au Luxembourg, comme il y a neuf ans sur le continent africain, ce fut pour moi très important de vivre directement aux côtés de cet homme de foi. C’est ainsi que je le définirais si on me le demandait ! Un homme qui est simplement porté par  sa foi. Sans nulle autre considération, c’est la foi dans le Seigneur qui le porte, qui l’anime… Et pour cette raison, il a eu envie de passer aussi un bon moment chez les Sœurs des Pauvres et aller à la rencontre des personnes âgées qu’elles accueillent au cœur d’un des plus importants quartiers populaires de Bruxelles ! C’est une dimension sociale importante d’accueillir et de soutenir les aînés dans la société contemporaine.

Le processus de béatification du roi Baudouin est lancé

Une autre initiative personnelle du Pape fut sa volonté d’aller prier sur le tombeau du roi Baudouin. Avec aussi – sinon surtout – la déclaration qu’il y a faite devant la famille royale belge, exprimant toute son admiration pour le geste de feu le souverain qui, au risque de perdre son poste, n’a pas voulu signer personnellement le texte de la loi dépénalisant partiellement l’avortement, estimant qu’il ne pouvait pas le faire pour un texte qui légalisait le meurtre des fœtus. Et dans la foulée de cela, le Pape a précisé qu’il voulait voir lancé le procès de béatification du roi Baudouin. Bien sûr, ce sera alors le moment de se pencher sur sa décision d’avril 1990 et d’étudier et d’apprécier soigneusement si ce fut un geste héroïque. On ne devient pas bienheureux et saint, simplement sur base d’un geste. L’objectif du procès est de se pencher sur toute la vie du roi Baudouin pour voir s’il a été cohérent et s’il peut être proposé comme un modèle à suivre. C’est pour cette raison que le processus a été suggéré par le Pape François, puis récemment lancé officiellement au Vatican.

Le Saint-Père voulait aussi marquer le fait que dans la société contemporaine partout dans le monde, et donc pas uniquement en Belgique, on était un peu orphelins de vrais leaders politiques. Vous comme moi en avons connu pendant notre jeunesse… Je pense par exemple aux pères fondateurs de l’Union européenne… les Schuman, Adenauer, de Gasperi… Voilà des responsables publics qui avaient des idéaux et qui savaient les transmettre à leurs peuples…

Le Pape a voulu souligner cette dimension du roi Baudouin d’avoir été un leader et un inspirateur qui avait le soutien de son peuple. En ce compris après son décès inopiné, puisqu’une immense majorité de Belges a participé au deuil au lendemain et dans les jours et les mois qui ont suivi sa mort inopinée en Espagne, le 31 juillet 1993… On n’est pas près d’oublier la présence de centaines de milliers de vos compatriotes devant le Palais royal pour aller le saluer une dernière fois avant ses funérailles. Pour moi, cela a été la démonstration que quand on est cohérents dans et avec sa foi chrétienne, on ne se sépare pas nécessairement des autres qui ne partagent pas les mêmes convictions. On n’en est pas moins apprécié pour sa cohérence. Selon moi, c’est aussi le sens du message que le Saint-Père a voulu donner lors de sa présence en Belgique. À l’intention sans doute des Belges mais aussi à l’ensemble des citoyens en Europe occidentale et bien-au-delà, quand on voit l’évolution politique et sociétale de la planète. Quand on est fidèle et cohérent avec ses valeurs, je constate que les valeurs évangéliques ne divisent pas, ne suscitent pas d’autres séparations. En réalité, même s’ils ne les partagent pas, les citoyens savent apprécier la cohérence à ses idées et à ses valeurs d’un haut responsable mû par ses convictions profondes.

21News : Pour en revenir au programme, il y a eu d’autres surprises comme la visite à Saint-Gilles aux sans-abris et aux réfugiés…

Mgr Franco Coppola : Cela faisait en fait partie de ce qui avait été préparé… Mais comme il s’agissait d’une initiative particulière préparée par la paroisse à destination des de personnes précarisées qui allaient recevoir un petit déjeuner, nous n’avions pas voulu médiatiser davantage ce point du programme par respect pour les personnes concernées. Tout comme n’était pas prévu, non plus, le passage du Pape au Festival of Hope Happening à Brussels Expo, où s’étaient réunis de nombreux jeunes le samedi en fin de journée…

En fait, cette activité visait surtout à préparer la célébration eucharistique finale du dimanche matin au stade Roi Baudouin. Le Pape avait été informé de cela et avait exprimé son vif désir d’aller les saluer avant de prendre quelques heures de repos.

Oui, nous avons évidemment tous été marqués par cette volonté permanente d’aller à la rencontre des Belges. Quelle énergie, quelle volonté permanente en un minimum de temps. Cela tenait de l’exploit et surtout de sa foi au service de toutes et de tous pour un homme de son âge qui n’a pas été épargné par la succession de problèmes de santé…

« Tous les évêques en fonction vont pratiquement atteindre en même temps l’âge de la retraite » (Nonce apostolique)

Seconde partie de notre entretien avec Mgr Franco Coppola, nonce apostolique en Belgique. Il est question de la visite du pape en Belgique, des dossiers de pédophilie mis au jour récemment et de la succession des évêques belges, qui s’annonce difficile.

21News : Pour la visite du pape François, il y avait quand même un contraste entre les ambiances de Leuven et de Louvain-la-Neuve…

Mgr Franco Coppola : Pour moi, la rencontre de Louvain-la-Neuve s’est passée dans un moment de transition. Mme Smets, la nouvelle rectrice, venait de prendre le relais de M. Blondel qui avait accepté la visite du Pape. Elle n’était donc pas vraiment la responsable de ce qui se préparait. Il y a peut-être eu certaines difficultés comme, par exemple, la lettre ouverte au Saint-Père. Cette lettre a été rédigée par des professeurs et des étudiants de l’université, mais elle a vu le jour – m’a-t-on rapporté – sans la participation ou l’implication des professeurs et des étudiants de la Faculté de théologie. Vous concèderez que cette démarche est un peu  étrange… Pourquoi exclure la Faculté de théologie ? Avec la conséquence que ce qui était dit dans cette lettre se caractérisait par un manque d’éclairage théologique. Le minimum était certainement de tenir aussi compte du message de l’Église. Il y a donc eu là une confrontation entre une mentalité aujourd’hui médiatiquement très répandue dans le monde sécularisé, qui considère que la différenciation entre les hommes et les femmes relève exclusivement de la culture et du choix individuel de chacun. Et qu’il ne faut dès lors plus parler de caractéristiques originelles parce qu’il y aurait une égalité totale entre hommes et femmes. Au contraire, la vision chrétienne reconnaît dans les corps la spécificité d’être un homme ou une femme. Mais aussi la vocation particulière d’être l’un ou l’autre. Avec une égale dignité entre eux mais aussi en tenant compte de la complémentarité des vocations respectives. Ce qui est de l’homme n’est pas tout nécessairement de la femme et inversement…

Visite du Pape : « On a eu le triple de demandes par rapport aux places disponibles »

21News : Cela a quand même jeté un certain trouble, aussi bien sur la manière dont la lettre avait été rédigée en ignorant certains acteurs de l’Alma Mater que sur sa présentation spectaculaire et polémique et puis aussi sur le fait qu’en quittant l’Aula Magna, les journalistes accrédités ont reçu immédiatement un communiqué de presse auquel ils ne s’attendaient pas… Cela a jeté un trouble, y compris chez nous, émanant de la part d’une université qui a tenu à conserver le C de catholique dans sa dénomination… et qui reste une référence… J’ai l’habitude de dire à des amis laïques ou francs-maçons que j’ai fait mon libre examen, non pas à l’ULB mais pendant mes études secondaires au Collège Saint-Pierre à Uccle et universitaires, d’abord aux facultés Saint-Louis puis à l’UCL… Mais revenons-en à la visite du Pape. J’ose penser que, pour vous, cela restera un temps fort de votre présence à Bruxelles ?

Mais revenons-en à la visite du Pape. J’ose penser que, pour vous, cela restera un temps fort de votre présence à Bruxelles ?

Mgr Franco Coppola : Oui, l’ensemble de la visite mais au-delà de toutes les rencontres qu’on a évoquées, on peut considérer que la célébration finale au stade Roi Baudouin fut une belle conclusion… L’eucharistie finale a été un grand moment de fête et de joie pour les milliers de Belges, de toutes origines et de toutes provenances qui se sont rassemblés autour du Saint-Père. À la fois pour célébrer leur foi, mais aussi pour exprimer leur joie de l’avoir compté à leurs côtés, dans nos murs, si j’ose m’exprimer ainsi… Ce fut vraiment un grand moment de fête… Je dois dire que dans les tous premiers moments de l’annonce de la venue du pape François, on a pu penser que c’était presque audacieux de faire cette messe au Heysel. De fait, si le stade n’est pas plein, on le voit évidemment tout de suite… Ici, il faut le reconnaître, les fidèles se sont inscrits massivement et jusqu’à la dernière minute, on a vu augmenter le nombre de personnes désireuses de vivre ce moment de communion final… On a eu le triple de demandes par rapport aux places disponibles… Un chiffre à ne pas prendre à la légère !

« On vient d’un monde où les baptêmes étaient presque généralisés »

21News : On vous rétorquera sans doute que ce succès tient aussi à la personnalité du pape François qui, depuis son accession au trône de Pierre en mars 2013, a pu (re)mobiliser un certain nombre de chrétiens…

Mgr Franco Coppola : C’est tout aussi positif… Le Seigneur nous a donné ce Saint-Père comme modèle de référence pour notre foi… tout comme ce fut le cas pour ses prédécesseurs. J’ai personnellement eu déjà six papes ; chacun d’entre eux a été sans nul doute le Pape qu’il fallait à ce moment-là… Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul Ier, Jean Paul II, Benoît XVI et enfin le Pape François…

21News : Revenons-en encore à l’Église de Belgique… L’institution a récemment publié les résultats de l’enquête interne auquel elle se soumet régulièrement. Certains chiffres pourraient être interprétés comme très négatifs – de la fréquentation dominicale aux vocations en baisse, etc – mais ce pourrait aussi être le coup d’envoi d’une relance, d’initiatives diverses qui ne demandent qu’à germer dans un environnement largement décléricalisé…

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