Naissance et frontières de l’État d’Israël : une histoire à reconstruire (09/01/2025)

De Sandro Magister sur Settimo Cielo (enfrançais sur Diakonos.be) :

Naissance et frontières de l’État d’Israël, une histoire à reconstruire

« Du fleuve à la mer », du Jourdain à la mer Méditerranée. Il est difficile de trouver une formule plus destructrice, vociférée par ceux qui veulent chasser les Juifs de cette terre qui est la leur.

Mais « du fleuve à la mer » pourrait aussi bien être une formule prophétique, une formule de paix véritable entre les deux peuples qui habitent cette même terre, les Juifs et les Arabes.

La solution à deux États, que de nombreux gouvernements ainsi que le Saint-Siège ne cessent d’appeler de leurs vœux, est en réalité impraticable. Alors que la solution d’un État unique pour Juifs et Palestiniens qui s’étendrait précisément « du fleuve à la mer », avec Jérusalem pour capitale, bien qu’elle soit ardue et lointaine, serait en fait plus sincère et mieux à même de résoudre le problème.

Dans le monde catholique, cette solution a été évoquée publiquement pour la première fois par les évêques de Terre Sainte – et au premier chef par le patriarche latin de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa – dans une déclaration du 20 mai 2019 :

« Dans la situation actuelle, on ne fait que parler d’une solution à des États, mais ce sont que de vains discours. Par le passé, nous avons vécu ensemble sur cette terre, pourquoi ne pourrions-nous pas y vivre ensemble à l’avenir également ? La condition fondamentale pour une paix juste et durable, c’est que tous les habitants de cette Terre Sainte jouissent de la pleine égalité. Voilà notre vision pour Jérusalem et pour tout le territoire appelé Israël et Palestine, qui se situe entre le Jourdain et la mer Méditerranée. »

Et c’est aussi la solution proposée à plusieurs reprises, ces dernières années, dans une revue faisant autorité, « La Civiltà Cattolica », par son principal spécialiste du judaïsme, le jésuite israélien David M. Neuhaus.

Cette solution souffre cependant d’une objection, à première vue incontournable, partagée universellement, et même par une grande partie du monde juif. C’est l’objection qui consiste à dire qu’Israël occupe illégalement des territoires qui n’ont jamais été les siens, à Jérusalem-Est, en Judée, en Samarie : les territoires que les Nations Unies avaient attribués aux Palestiniens dans le plan de partage de 1947 dont est issu l’actuel État d’Israël.

Mais est-ce vraiment le cas ? Ou bien la naissance réelle de l’État d’Israël devrait-elle être antidatée d’un quart de siècle ? Et si, depuis cette époque ses frontières légitimes, s’étendaient effectivement « du fleuve à la mer » ?

C’est précisément la thèse que David Elber, un spécialiste juif en géopolitique, soutient et détaille dans un livre à plusieurs voix – juives, chrétiennes, musulmanes – récemment sorti en Italie sous le titre : « Il nuovo rifiuto d’Israele ».

*

La reconstruction réalisée par M. Elber commence avec la Conférence de San Remo d’avril 1920, au cours de laquelle les puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale – la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Japon – forts de l’autorité qui leur avait conférée par la Société des Nations, décident de créer une patrie pour le peuple juif sur la terre de leurs pères, une terre qui n’était plus soumise à l’Empire ottoman qui venait d’être dissous, et confient à la Grande-Bretagne le « mandat international de catégorie A » pour la Palestine.

C’est sous ce nom de Palestine, remontant à l’Empire romain avant d’être supprimé aussi bien par les Arabes que Ottomans, que la puissance mandataire a commencé à désigner l’ensemble du territoire allant du Jourdain à la Méditerranée, jusqu’aux pentes du mont Hermon au Nord et jusqu’à l’embouchure de la mer Rouge au Sud : pratiquement l’actuel État d’Israël plus les territoires dits « occupés ». Tandis que les territoires situés à l’est du Jourdain, l’actuelle Jordanie, reçurent le nom de Transjordanie.

Selon l’article 5 du Mandat, approuvé le 16 septembre 1922 par la Société des Nations, c’est le peuple juif qui détenait la souveraineté sur le territoire appelé Palestine, tandis que la Grande-Bretagne devait se borner à l’administrer, le protéger et à défendre ses frontières. L’entrée en vigueur définitive du mandat est datée du 29 septembre 1923, soit deux mois après la signature du traité de paix avec la Turquie à Lausanne.

Les colonies de Juifs arrivés de l’étranger étaient autorisées sur l’ensemble du territoire appelé Palestine. À partir de 1939, cependant, la Grande-Bretagne, pour des raisons politiques d’« apaisement » avec les Arabes, rendit pratiquement impossible la construction de nouvelles colonies, sauf dans une petite partie du territoire, où les prix d’achat des terres grimpèrent en flèche.

« Cette décision », écrit Elber, « aura très lourdes répercussions sur l’immigration juive en Palestine et sera la cause de nombreux décès dans les camps d’extermination. »

En 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Société des Nations dissoute fut remplacée par l’Organisation des Nations Unies, dont l’article 80 de son statut – explique Elber – « renforça et rendit à nouveau contraignant ce qui avait été mis en œuvre avec le Mandat pour la Palestine » : autrement dit que « la Puissance mandataire n’avait pas la pleine souveraineté territoriale du Mandat, qui appartenait en dernière instance au peuple pour lequel il avait été institué ».

Mais entre-temps, une véritable guerre civile entre les populations juives et arabes locales déchirait la Palestine, ce qui a conduisit l’Assemblée générale de l’ONU à chercher une solution, qui ne pouvait certainement pas être celle d’abroger une disposition contraignante telle que celle de 1923 coulée dans un traité international.

En en effet, l’Assemblée générale, n’a pris aucune décision de ce genre, qui n’aurait d’ailleurs pas été de son ressort, mais le 29 novembre 1947, elle a approuvé la résolution 181, qui suggérait à la Grande-Bretagne, en tant que puissance mandataire, une manière de procéder pour diviser le territoire de la Palestine entre Juifs et Arabes, d’apaiser le conflit.

Voici ce qu’écrit M. Elber :

« Pour rendre cette recommandation impérative, les deux parties impliquées dans la partition, c’est-à-dire les Juifs et les Arabes, devaient donner leur consentement à rendre contraignant le principe juridique de la « pacta sunt servanda ». Les Juifs ont accepté, mais les Arabes refusèrent catégoriquement et décidèrent d’entrer en guerre. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas non plus pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la résolution elle-même. Il est donc évident que, dès le début, la résolution 181 n’a jamais eu les pouvoirs que beaucoup lui ont prêté par la suite.

Comme on le sait, la guerre s’est terminée par la victoire des Juifs, qui se sont installés à l’intérieur des frontières actuelles de l’État d’Israël, officiellement proclamé le 14 mai 1948, tandis que Jérusalem-Est, la Judée et la Samarie furent annexées à la Jordanie et la bande de Gaza à l’Égypte. Elber poursuit :

« Quand alors a‑t-on commencé à accuser Israël d’occuper illégalement la Cisjordanie et Gaza ? Cette accusation est née après la guerre des Six Jours de 1967, une guerre défensive dans laquelle, en réalité, Israël n’a rien fait d’autre que de reconquérir des terres qui lui appartenaient déjà légalement, même si elle n’en avait pas la possession effective. »

« Pendant dix-neuf ans, entre 1948 et 1967, ces terres ont été occupées illégalement par la Jordanie sans qu’Israël ne renonce jamais à sa pleine souveraineté. En 1967, la Jordanie a attaqué militairement Israël, qui a vaincu les Jordaniens avant de reconquérir les territoires en question. Quoi qu’il en soit, le différend territorial prit fin en 1994 avec la signature du traité de paix entre les deux pays, en vertu duquel la Jordanie renonçait à toute revendication territoriale sur la Judée, la Samarie et Jérusalem. »

« Pourtant, malgré cela, au fil des ans, la croyance qu’Israël occuperait illégalement les territoires de Judée et de Samarie s’est tellement enracinée que cette thèse est devenue une certitude dès que l’on parle d’Israël et au Moyen-Orient. Cette croyance est si profondément ancrée, y compris dans la diaspora juive et en Israël – en particulier dans les milieux de gauche – qu’elle est considérée comme une certitude factuelle, même si elle est tout simplement fausse ».

Et les Palestiniens ? Elber écrit encore ceci :

« En ce qui concerne les revendications des Palestiniens, on peut souligner qu’ils n’étaient pas un peuple reconnu en tant que tel par le droit international en 1948 ni en 1967. Ils n’ont été reconnus comme tels par la communauté internationale qu’en 1970 (Assemblée générale des Nations Unies, résolution 2.672 C du 8 décembre). »

« Pour cette raison, ces derniers ne peuvent faire valoir après coup des prérogatives sur ces terres. Avant cette date, ils étaient un peuple arabe impossible à distinguer des Jordaniens ou des Syriens (ce qui, l’est d’ailleurs encore aujourd’hui en matière de langue et de culture). Ils auraient pu revendiquer le droit à la terre s’ils avaient accepté les dispositions de la Résolution 181, qui – il faut le répéter une fois de plus – n’avait aucun pouvoir juridique en elle-même : ce n’est que si elle avait été acceptée à la fois par les Juifs et par les Arabes qu’elle aurait posé les bases juridiques à la division territoriale entre les deux peuples ».

Elber arrête ici sa reconstruction. Mais la suite ne change pas le fond de la question. Il y a eu la guerre du Kippour de 1973, puis la paix avec l’Égypte avec sa renonciation à Gaza en 1979, puis cette période – entre les accords d’Oslo de 1993 et les accords de Camp David de 2000 – pendant laquelle la solution à deux États a semblé être à portée de main avant d’échouer en raison du refus palestinien, jusqu’à la guerre actuelle déclenchée par le massacre des innocents le 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas en terre d’Israël, encore et toujours avec l’objectif déclaré – non seulement par le Hamas mais aussi par le Hezbollah libanais, les Houthis yéménites et surtout par l’Iran – d’anéantir la nation juive.

La guerre qui fait rage actuellement diminue la force de cet aspect d’inimité. Mais la paix véritable ne semble pas être pour demain. Dans les territoires soi-disant « occupés », la cohabitation entre Juifs et Arabes est tout sauf pacifique, que ce soit à cause des foyers de guérilla islamiste ou des abus de pouvoir imaginés et mis en pratique par une grande partie des 700 000 colons Juifs qui s’y sont installés année après année.

Et il faut également tenir compte des 2,1 millions d’Arabes qui sont citoyens de l’État d’Israël, soit plus d’un cinquième de la population totale, avec leurs représentants au parlement, dans les gouvernements, à la Cour suprême et à la tête de la première banque du pays, qui exercent des fonctions importantes dans les hôpitaux et les universités. Aucun d’entre eux ne montre une quelconque volonté d’émigrer vers les pays arabes voisins. Et l’acte fondateur d’Israël de 1948 affirme sans équivoque l’égalité de tous les citoyens sans distinction, une égalité qui ne saurait être remise en question, même par la loi très controversée adoptée en 2018 sur la nature juive de l’État.

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Pour en revenir au livre qui a inspiré cet article de Settimo Cielo, publié chez Belforte sous la direction de Massimo De Angelis, il est à noter qu’il porte ce sous-titre : « Réflexions sur le judaïsme, le christianisme, l’islam et la haine de soi de l’Occident ». Et qu’il entend aborder les questions les plus cruciales qui se sont posées après le pogrom du 7 octobre 2023, tout d’abord ce « nouveau rejet d’Israël » (titre du livre) allant même jusqu’à lui nier le droit d’exister.

Parmi les auteurs des différents chapitres, outre David Elber et Massimo De Angelis, on retrouve les Juifs Michael Ascoli, Marco Cassuto Morselli, Sergio Della Pergola, Ariel Di Porto, Alon Goshen-Gottstein, Shmuel Trigano, Ugo Volli ; les chrétiens Pier Francesco Fumagalli, Guido Innocenzo Gargano, Massimo Giuliani, Ilenya Goss, Paolo Sorbi ; le musulman Yahya Pallavicini et le laïc Vannino Chiti.

Tous animés par la conviction que « c’est peut-être seulement la redécouverte du chemin indiqué et préservé par les religions, qui au Moyen-Orient sont certes en conflit mais qui ont aussi un lien plus profond et originaire les unes avec les autres, qui peut éclairer un chemin de dialogue, vers la redécouverte de notre identité et la reconnaissance de l’autre ».

Il est également intéressant de mettre en parallèle les analyses contenues dans ce livre avec l’éditorial de l’historien Ernesto Galli della Loggia dans le « Corriere della Sera » du 30 décembre 2024, sur le « sentiment d’insupportabilité » qui grandit en Occident à l’égard du judaïsme, notamment en raison de l’utilisation sans entrave par Israël de l’instrument de la guerre, alors qu’il se voit menacé dans son existence même.

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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire L’Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur Diakonos.be en langue française.
Ainsi que l’index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.

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