Nicaragua: la réaction de l'Église face à la montée de la persécution religieuse (06/03/2025)
De Thibault van den Bossche sur le site de l'ECLJ :
Nicaragua: face à la montée de la persécution religieuse, la réaction de l'Église
Le 21 février 2023, Ortega a alors déclaré qu’une "mafia" au sein du Vatican décidait de l’élection du Pape et des hauts responsables religieux. Le 10 mars 2023, dans un entretien au quotidien argentin Infobae, le Pape fit référence au « déséquilibre » de Daniel Ortega. De plus, il compara la dictature d’Ortega à la dictature communiste de 1917 et à la dictature hitlérienne de 1935, les qualifiant toutes de dictatures grossières.
La réaction d’Ortega n’a pas tardé : le 17 mars 2023, Ortega fermait la nonciature et expulsait Mgr Marcel Diouf, qui assurait l’intérim du nonce apostolique Mgr Sommertag expulsé un an plus tôt.
Le 1er janvier 2024, lors de l'Angélus, le Pape a exprimé sa « vive préoccupation » concernant la situation au Nicaragua, où « des évêques et des prêtres ont été privés de la liberté ». Les 29 et 30 décembre 2023, au moins cinq prêtres avaient été arrêtés.
Le 19 août 2024, Ortega a décrété la fermeture de 1 500 associations, pour la plupart chrétiennes, ce qui porte alors à plus de 5 100 le nombre d’organisations civiles dissoutes depuis 2018. Le Pape encourage les Nicaraguayens face aux épreuves lors de l'Angélus du 25 août 2024.
Le 2 décembre 2024, dans une lettre adressée au peuple nicaraguayen, le Pape François a exprimé son affection et sa proximité, surtout pendant la neuvaine de l'Immaculée Conception. Il a encouragé les fidèles à renouveler leur confiance en Dieu et leur fidélité à l'Église, soulignant que « la foi et l'espérance font des miracles ».
2. Le rapport mentionne l’existence d’un «schéma d’abus systématiques» entre 2018 et 2024. Sur la base des nouvelles données en cours de traitement à l’ECLJ, diriez-vous que les abus systématiques du régime d’Ortega se sont intensifiés ces derniers mois?
La persécution contre l’Eglise catholique, seule voix critique et indépendante qui subsiste encore, s’est intensifiée ces derniers mois.
Le 5 octobre 2024, l’Espagne a annoncé qu’elle offrira sa nationalité à 135 opposants nicaraguayens déchus et expulsés de leur pays le 5 septembre 2024 et accueillis dans un premier temps au Guatemala. Parmi eux figurent des fidèles catholiques et treize membres d’une organisation missionnaire évangélique du Texas, Mountain Gateway.
Courant novembre 2024, il est révélé que le gouvernement de Daniel Ortega empêche désormais les prêtres de se rendre dans les hôpitaux et de donner aux patients le sacrement des malades.
Le 14 novembre 2024, Mgr Carlos Herrera Gutiérrez, évêque du diocèse de Jinotega et président de la conférence épiscopale du Nicaragua (CEN), a été expulsé par le gouvernement nicaraguayen vers le Guatemala. Mgr Herrera est le troisième évêque de la conférence épiscopale à être exilé par les autorités nicaraguayennes, après Mgr Rolando Álvarez et Mgr Isidoro del Carmen Mora Ortega, du diocèse de Siuna, en janvier 2024 vers le Vatican. En avril 2019, le Pape François a demandé à Mgr Silvio José Báez, évêque auxiliaire de Managua, de s’exiler après avoir reçu des menaces de mort.
Début décembre 2024, le gouvernement nicaraguayen a exigé que toutes les religieuses encore présentes dans le pays quittent le territoire avant la fin du mois. Cette nouvelle intervient quelques jours à peine après la publication d’une lettre pastorale du Pape François, le 2 décembre 2024, à destination du peuple nicaraguayen.
Le 16 janvier 2025, le gouvernement a ordonné la confiscation du grand séminaire San Luis Gonzaga situé au sud de Matagalpa, où sont formés 30 séminaristes, ainsi que le centre pastoral La Cartuja, appartenant au diocèse de Matagalpa. Son évêque, Mgr Rolando Alvarez, en exil à Rome depuis janvier 2024, avait été arrêté en août 2022 et condamné à 26 ans de prison pour « conspiration » et « propagation de fausses nouvelles ». Mgr Alvarez s’est exprimé pour la première fois dans une interview publiée le 12 janvier 2025 par le quotidien espagnol La Tribuna d’Albacete. Les représailles contre son diocèse n’ont donc pas tardé.
Dans la nuit du 28 janvier 2025, une trentaine de religieuses cloîtrées, appartenant à l’Ordre de sainte Claire, ont dû quitter leurs monastères de Managua et de Chinandega, sur ordre du gouvernement Ortega. Cette nouvelle expulsion, qui frappe par sa brutalité et sa soudaineté, s’inscrit dans un contexte d’intensification des persécutions du régime nicaraguayen à l’égard des chrétiens.
3. Quels ont été les plus grands défis lors de la validation des informations? Avez-vous des alliés sur le terrain pour pouvoir générer et vérifier les données générées depuis le Nicaragua?
Nous avons obtenu des témoignages de responsables religieux au Nicaragua. Mais leur identité doit rester secrète. Autrement, les informations sont très difficiles à obtenir, car les potentiels témoins ont peur des représailles, sur eux-mêmes ou leurs proches restés au Nicaragua. Nous avons pu compter sur le travail minutieux de Martha Patricia Molina, avocate et chercheuse nicaraguayenne, qui réside actuellement en exil aux États-Unis depuis 2021. Il faut croiser les informations et les analyses lues dans les différents articles de presse et rapports des institutions, comme le Groupe d’experts de droits de l’homme des Nations unies sur le Nicaragua.
4. Vous mentionnez que le régime Ortega cherche à interdire toute activité qu'il ne contrôle pas et citez la fermeture de 5.600 ONG, dont beaucoup sont chrétiennes. Cette manière d’agir désastreuse d’Ortega pourrait-elle s’inspirer d’un modèle de persécution religieuse déjà appliqué dans d’autres pays?
La stratégie du président Daniel Ortega au Nicaragua repose sur la fermeture massive des organisations de la société civile, y compris de nombreuses à caractère chrétien. Cette approche s'inscrit dans une tendance observée dans d'autres régimes autoritaires. Elle vise à contrôler strictement la société civile, à limiter l'influence des institutions religieuses indépendantes et à empêcher toute mobilisation sociale susceptible de remettre en question leur pouvoir. C’est le cas notamment de la Chine et de la Russie, qui sont d’ailleurs les deux grandes puissances que le Nicaragua a comme alliées. Mais on retrouve aussi cette forme de persécution des chrétiens, résultant de la limitation de la liberté d’association, en Algérie, sur laquelle travaille aussi l’ECLJ. En fait, c’est assez simple : les pays où les chrétiens sont le plus persécutés sont soit musulmans, soit communistes.
5. Au-delà des recommandations du rapport, quelle action vous paraît la plus efficace pour protéger les personnalités religieuses concernées: la condamnation publique ou l'action diplomatique?
La condamnation publique implique que des gouvernements, des organisations internationales ou des figures influentes dénoncent publiquement les violations des droits de l'homme au Nicaragua. Une telle condamnation peut attirer l'attention internationale sur les abus, exercer une pression sur le gouvernement concerné et mobiliser l'opinion publique mondiale. Cependant, elle peut également entraîner une réaction défensive du régime incriminé, voire une escalade des persécutions.
Il faut donc la coupler avec une action diplomatique, qui inclut des négociations, des médiations ou des pressions, mais aussi des sanctions individuelles ciblées, comme ce que pratiquent déjà, mais pas encore assez fermement, les Etats-Unis et l’Union européenne.
6. Quelles conclusions espérez-vous voir figurer dans l'Examen périodique universel sur la situation des droits de l'homme au Nicaragua, qui sera adopté en mars 2025 lors de la 58e session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies?
Le Nicaragua a reçu 16 recommandations appelant spécifiquement au respect de la liberté de religion, indiquées dans le Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel sur le Nicaragua (A/HRC/58/17) du 24 décembre 2024.
Spécifiquement, la Lituanie a déploré l’intensification, depuis le précédent cycle de l’EPU, des restrictions imposées à l’espace civique et de la répression contre les journalistes, les membres de l’Église catholique et d’autres groupes de la société. Le Royaume-Uni s’est dit préoccupé par la détérioration de la situation des droits de l’homme, citant les fermetures d’églises, les faits de harcèlement, les restrictions imposées à l’espace civique, la répression des médias et les actes d’intimidation visant les Nicaraguayens exilés.
Le Pérou a recommandé de mettre un terme aux actions qui restreignent l’espace civique et démocratique du pays, ainsi qu’aux actes de harcèlement et d’intimidation visant des personnes considérées comme des opposants politiques, notamment aux attaques contre les membres de l’Église catholique. Le Portugal a recommandé de rétablir la personnalité juridique des médias et des ONG qui ont été dissous, y compris ceux affiliés à l’Église catholique, leur restituer leurs biens et prendre des mesures concrètes pour protéger les droits à la liberté d’expression, d’association et de religion. La Slovaquie a recommandé de respecter pleinement la liberté de religion ou de croyance et mettre fin à la persécution de l’Église catholique et de ses membres.
Si la communauté internationale a pris conscience de la persécution des chrétiens au Nicaragua, il sera intéressant de voir la réponse du Nicaragua aux recommandations reçues. Il est donc crucial de bien suivre la 58e session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. L’ECLJ organisera un side event début mars à Genève pour continuer d’alerter sur la persécution des chrétiens au Nicaragua.
7. Que peut-on espérer pour 2025 en matière de liberté religieuse?
La situation de la liberté religieuse au Nicaragua en 2025 demeure préoccupante, avec peu de signes d'amélioration à court terme. Daniel Ortega s’accroche tellement à son pouvoir que depuis 2007 il a modifié une douzaine de fois la constitution de son pays. Aujourd’hui, depuis le 30 janvier 2025, Ortega et son épouse Rosario Murillo sont officiellement coprésidents, sans limite au nombre de mandats, et détiennent les pleins pouvoirs. Le couple a désormais sous sa coupe les organes législatif, judiciaire, et électoral mais aussi les régions et les municipalités.
Cette consolidation du pouvoir s'accompagne d'une intensification des persécutions contre les chrétiens. Depuis 2018, plus de 5 600 organisations non gouvernementales, dont de nombreuses chrétiennes, ont été dissoutes par le gouvernement. Plus de 5000 processions ont été annulées, plus de 5600 associations dissoutes, 22 médias chrétiens censurés, 250 membres du clergé exilés, dont 4 évêques.
L’année 2025 a commencé fort avec la fermeture d’un séminaire formant 30 séminaristes, et l’expulsion de 30 religieuses clarisses. Compte tenu de ces développements, les perspectives pour la liberté religieuse au Nicaragua en 2025 sont sombres. À moins d'une intervention internationale significative ou d'un changement interne majeur, tel Saul devenant saint Paul sur le chemin de Damas, il est peu probable que la situation s'améliore dans un avenir proche.
8. Que demanderiez-vous à Dieu cette année?
Face à la persécution des chrétiens au Nicaragua, cette année, je demanderais à Dieu :
- Force et courage pour les prêtres, les religieux et tous les fidèles persécutés, afin qu'ils tiennent bon dans l'épreuve et gardent leur foi intacte malgré la répression.
- Protection pour ceux qui sont emprisonnés, exilés ou menacés en raison de leur engagement religieux, afin qu'ils trouvent refuge et soutien.
- Sagesse et conversion pour les dirigeants oppresseurs, afin que leurs cœurs s'ouvrent à la justice et à la paix, et qu'ils mettent fin aux persécutions.
- Justice et vérité pour que le monde reconnaisse ces souffrances, et que la communauté internationale prenne des mesures concrètes pour défendre la liberté religieuse dans ce pays.
- Un réveil des chrétiens en Occident, afin qu’ils ne deviennent pas l'Église du silence par confort ou par peur, mais qu'ils osent alerter, témoigner et agir face aux persécutions au Nicaragua et ailleurs. Que leur liberté d'expression ne devienne pas un luxe égoïste, mais un outil de fraternité pour ceux qui n'ont plus de voix.
Que Dieu éclaire les consciences, réconforte les persécutés et transforme cette douleur en semence de renouveau et de foi encore plus forte !
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