La transmission de la foi dans l’Église cachée au Japon : un miracle (18/03/2025)

De Solveig Parent sur "1000 raisons de croire" :

Japon

De 1587 à 1853

Le miracle de la transmission de la foi dans l’Église cachée japonaise

Au Japon, une politique de fermeture du pays débute en 1587 avec l’expulsion des missionnaires chrétiens, puis avec l’interdiction pour les Japonais de sortir du territoire – ou d’y revenir s’ils s’étaient installés outre-mer – et l’expulsion de tous les étrangers illégaux. Un isolement complet vis-à-vis de l’Occident (sakoku) est mis en place, coupant de l’Église les Japonais chrétiens convertis quelques années plus tôt. Les chrétiens sont ensuite violemment persécutés pendant plus de deux cents ans : certains d’entre eux meurent martyrs lors d’exécutions publiques, d’autres continuent de pratiquer leur foi en secret. Il est véritablement exceptionnel que, dans ces circonstances, la foi en Christ ait pu se transmettre sur dix générations jusqu'à ce que le pay mette fin à l'isolement.

Statue de la Vierge Marie, ressemblant au Kannon bouddhiste (collection Nantoyōsō, Japon) / © CC0, wikimedia.
Statue de la Vierge Marie, ressemblant au Kannon bouddhiste (collection Nantoyōsō, Japon) / © CC0, wikimedia.

Les raisons d'y croire :

  • Le christianisme a été introduit au Japon en 1549 par saint François-Xavier et s’est développé rapidement. Bien qu’il s’agisse d’une religion étrangère très différente du bouddhisme et du shintoïsme pratiqués jusqu’alors, on compte jusqu’à 30 000 chrétiens en 1570 et 150 000 dix ans plus tard. Si bien qu’une cinquantaine d’années seulement après le débarquement des premiers missionnaires, ils sont déjà 300 000 chrétiens japonais.
  • Mais le christianisme est interdit en 1614. Les shoguns s’ingénient à éradiquer cette religion : organisation d’un système de surveillance du voisinage, prime à la délation, torture pour pousser à l’apostasie, utilisation régulière de la méthode du fumi-e pour repérer les chrétiens qui refusent de piétiner les images de Jésus et de la Vierge Marie... Malgré la répression violente et durable, le christianisme ne s’éteint pas : des Japonais parviennent à demeurer chrétiens en secret et forment de petites communautés clandestines.
  • Les prières qui leur avaient été apprises sont en latin et, à cause des persécutions, il n’est pas possible de conserver d’écrits. Les communautés chrétiennes sont donc coupées du reste de l’Église, sans prêtres, sans catéchisme, sans bibles, sans livre de prières… Dans de telles conditions, il aurait été logique que le christianisme japonais disparaisse en l’espace de quelques dizaines d'années. Les exemples dont nous disposons ailleurs, dans des circonstances similaires, montrent qu’habituellement, la langue et la religion se perdent au bout de trois générations.
  • Le Japon ne s’ouvre à nouveau aux échanges avec les nations étrangères que deux cent vingt années plus tard, en 1853, mais le christianisme est alors toujours interdit aux Japonais. Un jeune prêtre des Missions étrangères de Paris, le père Bernard Thaddée Petitjean (1829 – 1884) débarque à Nagasaki. Le 17 mars 1865, il voit un groupe de femmes s’approcher, et l’une d’elles lui demande : « Où est la statue de la Vierge ? » À la grande surprise du prêtre, le groupe récite ensuite l’Ave Maria en latin. La femme explique au prêtre : « Notre cœur est semblable au vôtre », et elle ajoute qu’il y en a beaucoup comme eux derrière les collines. Ni le père Petitjean ni aucun autre occidental n’aurait osé espérer que des chrétiens soient encore présents sur la terre nipponne.

  • En effet, dans plusieurs villages de la région de Nagasaki, les Kakure kirishitan (« chrétiens cachés ») ont miraculeusement réussi à transmettre leur foi au Christ au fil des générations. Certes, leur façon de pratiquer comprend plusieurs éléments d’acculturation, les influences shintoïste et bouddhiste ayant permis de camoufler leur foi illicite. Cependant, un bon nombre de rites et de prières ont été fidèlement conservés : des psalmodies, le calendrier liturgique, la dévotion à la Vierge Marie, le dogme de la vie après la mort, la vénération des martyrs… et surtout, le sacrement du baptême.
  • Les premiers missionnaires chrétiens n’ont eu le droit de rester sur le sol japonais que quarante ans. Puis pendant deux siècles, le christianisme est violemment réprimé. L’existence de plusieurs dizaines de milliers de chrétiens japonais au début du XIXe siècle est donc plus qu’improbable : cela semble impossible. Le pape de l’époque, Pie IX, apprenant ces faits, déclare que ce qui s’est produit autour de Nagasaki est « le miracle de l’Orient », un miracle que l’on peut attribuer à la grâce de leur baptême et à la Vierge Marie. En effet, dans certaines communautés, le chapelet a été prié quotidiennement.

  • En 2018, douze sites des chrétiens cachés de la région de Nagasaki ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO sous ce motif : « Ces sites apportent un témoignage unique sur la tradition culturelle particulière nourrie par les chrétiens cachés de la région de Nagasaki, qui transmirent secrètement leur foi chrétienne pendant la période d’interdiction, du XVIIe au XIXe siècle. »

Synthèse :

Le christianisme est introduit au Japon en 1549 par saint François-Xavier, un prêtre jésuite arrivé six ans après les premiers marchands portugais. Avec Nagasaki comme centre religieux, il parcourt la région pour enseigner le catéchisme et baptiser les Japonais qui souhaitent se convertir. D’autres missionnaires poursuivent l’évangélisation de l’archipel nippon. Ils se rendent vite compte de la richesse de la culture japonaise et inventent une approche inculturée de la foi et une terminologie chrétienne adaptée à la culture japonaise.

Mais, en 1587, un nouveau pouvoir central à tendance totalitariste s’installe, en la personne de Toyotomi Hideyoshi. Le daimyo se méfie des chrétiens, voyant dans la propagation de leur religion une menace pour son pouvoir. Une période de persécutions débute : les missionnaires étrangers sont expulsés et le samouraï chrétien Takayama Ukon est condamné à l’exil. En 1597, vingt-six chrétiens japonais et occidentaux sont mis à mort à Nagasaki. La colline Nishizaka, où ils furent crucifiés, est désormais un sanctuaire national.

Le successeur de Hideyoshi, le shogun Tokugawa Ieyasu, interdit le christianisme sur le sol japonais en 1612. Une série de mesures prises entre 1629 et 1639 restreint les échanges avec l’étranger. Le nombre de partenaires commerciaux et de lieux d’échanges autorisés, ainsi que le volume des échanges, sont progressivement réduits. En 1639, il ne reste plus qu’un seul port ouvert, Nagasaki, uniquement aux Hollandais et aux Chinois et pour un nombre limité de bateaux. Même en étant prêts à vivre dans la clandestinité, il est dès lors matériellement impossible pour les missionnaires et les prêtres de poser pied sur le sol japonais. Les chrétiens japonais sont donc spirituellement livrés à eux-mêmes et n’ont d’autre choix que de pratiquer et de perpétuer leur foi dans la clandestinité.

Les mesures prises pour étouffer le christianisme sont de grande envergure. Il s’agit d’identifier les Kakure kirishitan (« chrétiens cachés ») et de les forcer à renier leur religion, l’alternative étant une mise à mort publique. Au cours de ces persécutions, un grand nombre de communautés chrétiennes sont décimées, comme à Kyoto en 1619, à Nagasaki en 1622 et à Edo en 1623. Seules certaines communautés ne se laissent pas éteindre, notamment au nord de Kyushu. Bien que disposant de très peu de moyens, ces communautés parviennent à maintenir vivantes les pratiques et la foi chrétiennes.

Les rites chrétiens sont pratiqués dans des pièces secrètes ou dans des grottes. Les statues de la Vierge Marie sont faites de manière à ressembler à la déesse bouddhiste Kannon afin de cacher leur signification chrétienne. Les prières sont adaptées pour avoir les mêmes intonations que des chants bouddhistes. Privés de bibles et de catéchisme écrit, l’oral et la mémoire sont au cœur de la transmission. Les familles d’une même communauté s’organisent pour transmettre chacune, de parents à enfants, une partie du dépôt de la foi chrétienne.

L’année 1854 marque la fin du sakoku (littéralement « fermeture du pays »). Les traités commerciaux signés avec les puissances occidentales entraînent l’ouverture des ports. Le droit de construire des lieux de culte chrétiens est aussi octroyé, mais pour y accueillir uniquement les étrangers. En effet, il est toujours interdit pour un Japonais d’être chrétien. Les missionnaires chrétiens reviennent à Nagasaki et, bien que les risques de persécution demeurent, plusieurs milliers de chrétiens cachés se manifestent alors auprès des prêtres et font connaître publiquement leur foi.

Après une dernière vague de violentes persécutions, le gouvernement de Meiji libère les prisonniers chrétiens en 1873 et lève l’interdiction qui pesait sur le christianisme. La liberté de culte est officiellement établie en 1889 ; on compte alors plus de 50 000 chrétiens japonais. La majorité d’entre eux choisissent de rejoindre l’Église catholique. Seuls des petits groupes préfèrent continuer à pratiquer leur culte comme jadis ; c’est notamment le cas sur les îles d’Ikitsuki et d’Hirado.

Solveig Parent


Aller plus loin :

Le film Silence, de Martin Scorsese, paru en 2026 et tiré du roman historique Silenceécrit en 1966 par Shusaku Endo. Les Jésuites de la Province de France proposent un dossier sur le film et une notice historique.


En savoir plus :

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