Il y a trente ans paraissait l’encyclique Evangelium vitae, un texte véritablement prophétique (25/03/2025)

Du Père Paul-Marie Cathelinais, op sur le site de La Nef :

Evangelium vitae, 30 ans après

Publiée le 25 mars 1995, l’encyclique Evangelium vitae, de saint Jean-Paul II, « sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine », demeure un texte prophétique plus pertinent que jamais.

L’encyclique Evangelium Vitae a trente ans ! Quels enseignements peut-on retenir au-delà de ce pour quoi nous combattons déjà depuis tant d’années ? D’abord arrêtons-nous sur la formule. Elle est étonnante. On parle habituellement d’Évangile de saint Matthieu ou de saint Jean, c’est-à-dire de son auteur inspiré ou de celui-là même qui en est l’objet, Jésus-Christ. Mais ici, la vie temporelle semble elle-même un évangile… A-t-on suffisamment compris cette étonnante extension du mot ? Jean-Paul II a voulu proclamer au monde entier cet évangile comme un héraut sur les remparts. C’est à la fois un appel à l’émerveillement et un cri d’alarme. Un seul message porté par deux mouvements contraires qui agitaient son cœur de pasteur.

Publiée le 25 mars 1995, cette bonne nouvelle de la vie nous rappelle d’abord la visite de l’ange, il y a 2025 ans. Un anniversaire qui donne à l’Église de jubiler et de rendre grâce pour les bienfaits reçus du Verbe de Vie, « venu pour nous donner la Vie et la vie en abondance ». Dans le même temps, en France, cette année 2025 est l’année du sombre anniversaire des cinquante ans de la promulgation de la loi Veil et la triste année, sans doute, des premières lois sur l’euthanasie. C’est là tout le drame de l’histoire du salut. Aux différents appels de Moïse, le cœur de Pharaon s’endurcit. Les plaies de l’Égypte ne font alors qu’augmenter. Ainsi en France, le bilan du nombre d’avortement en cinquante ans dépasse le nombre de morts pendant la Grande Guerre. Le taux de natalité n’a jamais été aussi bas (1,59 enfant par femme). Beaucoup de familles explosent. Le nombre de femmes seules avec enfants continue d’augmenter. Les centres de soins palliatifs manquent dans plus de vingt-sept départements et le sens de la dignité humaine est de moins en moins respecté, au nom du bien-être et de la wellness. La sexualité est dissociée de l’amour et de la fécondité. Un enfant en Europe a perdu le droit inaliénable de naître et de grandir dans l’amour d’un père et d’une mère. Pour finir, le wokisme veut détruire l’amitié naturelle que l’homme entretient avec sa propre identité sexuelle.

Pourtant, et c’est là tout le mouvement même de la geste divine, les initiatives pour la vie, l’amour et la famille se sont multipliées, grâce à des fils de lumière courageux, persévérants, inventifs et compétents. Le forum « Viva », par exemple, en ce mois de mars, rassemblera pour la première fois tous les mouvements pro-vie pour un grand festival destiné à soulever une jeunesse enthousiaste et pleine d’espérance (1). Cette jeunesse, chère à Jean-Paul II, qui est celle de Dieu, quel que soit son nombre, continue donc de se lever, comme le petit peuple d’esclaves le fit au temps de Moïse. L’histoire n’est pas condamnée à n’être qu’une tragédie, aurait dit Benoît XVI, mais peut-être, au contraire, une « divine comédie ». L’histoire du salut est donc faite d’un double mouvement : « plus Dieu se donne, plus fort est le refus de l’homme » d’une part, et d’autre part « plus l’homme refuse, plus Dieu se donne ». Le tragique de notre histoire doit inviter les chrétiens non à l’optimisme (n’ajoutons pas aux mensonges, un autre mensonge !) mais à l’espérance, au « désespoir surmonté ». L’étoile sur le front de Caïn donné par Dieu pour le protéger de la mort est un signe éloquent de l’entêtement divin à promouvoir la vie ! Sans doute, la relecture de l’encyclique trouvera en nous un renouvellement de cette puissance divine qui nous tire : « sur le chemin sablonneux, mal aisé, la petite Espérance avance. »

Le salut des âmes

Reste que le cri d’alarme du Saint-Père est beaucoup plus grave qu’il n’y paraît. On a un peu oublié que l’enjeu définitif de cette encyclique est non seulement le combat pour la dignité humaine, mais aussi une parole forte adressée aux consciences pour le salut de leur âme. Ce thème est peu souligné dans les combats pour la vie. Peut-être parce que ce combat fut surtout envisagé dans un monde laïc pour et par des laïcs. Au passage, il faut souligner que ces chrétiens laïcs qui se consacrent à ces questions le font avec une générosité et un professionnalisme dignes des saints de notre histoire. Cela dit, quand on relit l’encyclique, on est frappé dès le départ par la visée surnaturelle du texte. Parler d’« Évangile » n’est pas neutre. Il dit tout à la fois une heureuse nouvelle et la parole du salut. D’ailleurs, pour saint Jean-Paul II, il est clair que l’Évangile de la vie est d’abord notre Seigneur lui-même, en personne, de sorte qu’accueillir ce plus petit menacé par la culture de mort, c’est l’accueillir Lui. Devant l’appel à s’émerveiller de ce don qu’est la vie humaine (à commencer par la nôtre propre) et à se donner généreusement pour elle, il y a la promesse qu’accueillir cette vie nous donnera et la vraie liberté et la vie éternelle ! A contrario, la refuser dans un acte intrinsèquement mauvais quelle qu’en soit l’intention, c’est commettre un acte d’une extrême gravité, qui nous rend esclave d’une logique de mort.

L’obscurcissement de la conscience

Moralement, il s’agit de l’évaluer selon deux points de vue. D’une part, cette culture de masse qui présente ces lois comme des progrès, diminue sans aucun doute la responsabilité personnelle. Mais d’autre part, l’obscurcissement de la conscience individuelle, loin d’excuser l’acte, aggrave au contraire la participation personnelle à la culture de mort en soi et autour de soi. L’éclipse de la dignité de toute vie humaine produit alors dans l’âme l’éclipse de Dieu, c’est-à-dire de Celui-là même qui peut nous sauver et nous pardonner ! « Plus la conscience humaine, succombant à la sécularisation, oublie la signification même du mot de “miséricorde” ; plus, en s’éloignant de Dieu, elle s’éloigne du mystère de la miséricorde, plus aussi l’Église a le droit et le devoir de faire appel au Dieu de la miséricorde “avec de grands cris” » (Dives in Misericordia, n. 15). Les initiatives auprès des mères qui ont perdu ainsi leurs enfants se sont d’ailleurs multipliées. Des « chemins de la consolation » comme celui qu’on trouve à la Sainte-Baume se propagent partout en France. Ces « mémoriaux » où les noms des enfants sont inscrits sur des murs, permettent non seulement de sortir du déni, du mensonge et du deuil caché, mais aussi d’inviter chaque maman à vivre autre chose que cette logique de mort qui ronge les consciences et les cœurs.

Les papes qui ont suivi Jean-Paul II n’ont cessé de dénoncer avec force cette culture qui obscurcit la conscience et la met en danger. Sans aucun doute le pape François est à ce sujet des plus explicites. « C’est un crime ! » a-t-il redit en Belgique où il a comparé les médecins qui pratiquent l’IVG à des « tueurs à gages ». Ses deux dernières encycliques Laudato si ou Frattelli tutti dénoncent clairement ces crimes contre la vie !

Mais depuis Benoît XVI et Caritas in Veritate, le combat pour la vie se situe dans un combat plus large pour la dignité humaine. Les enseignements pontificaux ne se développent pas selon un seul axe mais dans tous les lieux où la dignité humaine est mise à mal. Il est possible d’ailleurs que cette évolution dans la présentation de l’enseignement du Magistère (qu’on trouve déjà dans Gaudium et spes) veuille montrer que l’engagement des chrétiens pour la vie n’exclut pas d’autres combats sociaux. « Tout est lié », nous a redit le pape François en évoquant l’« écologie intégrale ». Mère Teresa, parce qu’elle s’occupait des plus démunis, avait sans doute une parole plus forte que d’autres quand elle dénonçait les lois qui menaçaient la dignité des plus petits. Son engagement auprès des mourants donnait de l’autorité à sa parole. Bien entendu, il y a une hiérarchie dans les combats et le droit à la vie fonde les autres droits ! Néanmoins, défendre l’intégralité de ces droits fait partie de la catholicité de l’Église, de celle qui s’occupe de tous les hommes comme de tout l’homme. Il est donc du devoir d’un pape comme d’un chrétien de parler aux consciences selon toutes les voies possibles. Ainsi, aurait dit saint Paul, « je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns ! »

(1) Forum VIVA les 22 et 23 mars à Paris.

Cependant, sur la NBQ Stefano Fontana se demande si, 30 ans après, il y a encore quelque chose à célébrer :

Evangelium vitae, 30 ans plus tard, il n'y a rien à célébrer

Il y a trente ans, le 25 mars, Jean-Paul II publiait son encyclique Evangelium vitae « sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine ». Aujourd'hui, il n'y a rien à célébrer : la morale est soumise au compromis et au dialogue, il reste peu de choses des « gens de la vie ».

Il y a trente ans, le 25 mars, Jean-Paul II publiait son encyclique Evangelium vitae « sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine ». Le thème était la légalisation de l'avortement, mais l'encyclique ne traitait pas seulement de la bioéthique, mais étendait son enseignement à la morale, au droit et à la politique pour créer une image complète d'une « culture de la vie » qui devrait inspirer une « politique pour la vie ». Evangelium vitae était étroitement lié à Veritatis splendor sur la morale et à Fides et ratio sur la relation entre la foi et la raison. Ensemble, ces trois encycliques de Jean-Paul II constituent une sorte de somme doctrinale et orientatrice de la pratique des catholiques et de tous les hommes de bonne volonté en politique. Le magistère papal a ainsi brillé par sa clarté, sa profondeur et sa cohérence ; il ne courait pas après les phénomènes existentiels du moment, il ne laissait pas les autres lui dicter ce qu'il disait, il n'avait pas peur que les vérités qu'il enseignait puissent être source de division. Il ne se souciait que de dire la vérité qui vous libère.

La relation avec les deux autres encycliques est fondamentale. S'il n'existe pas, comme le dit Veritatis Splendor , un bien moral connaissable par la raison et enseigné par la révélation, et s'il n'y a pas des actions qui sont toujours mauvaises quelles que soient les intentions et les circonstances, comme c'est précisément le cas de l'avortement, la volonté de la conscience devient incontestable. Si, comme le soutient Fides et ratio , la raison n’était pas capable de connaître l’ordre naturel et finaliste de l’être que la foi dans la révélation considère alors comme créé par un Dieu providentiel et comme sa Fin ultime, alors la liberté serait une faculté inutile et nuisible. Aujourd’hui, l’enseignement d’ Evangelium vitae ne peut être récupéré sans récupérer toute la triade de ces encycliques. Toute blessure infligée à autrui est une cause de négligence envers la vie.

Le paragraphe 20 constitue le cœur d' Evangelium vitae . Il suffirait de le relire pour en avoir une vision complète. La société – vous dit-on – n’est pas un ensemble d’individus placés les uns à côté des autres, mais une communauté ordonnée et unifiée par la poursuite de ses objectifs naturels. Dans la société considérée comme une somme d'individus, tout est conventionnel et négociable , dans la société considérée comme une communauté ordonnée vers ses propres fins naturelles et surnaturelles, cependant, les liens fondateurs ne sont pas accessibles aux citoyens et les fins ne sont pas choisies mais nous sont données par notre nature même. Dans le premier cas, la morale est considérée comme satisfaite par le compromis, le droit qui peut être nié par un vote parlementaire disparaît , la démocratie , « malgré ses règles, marche sur le chemin d'un totalitarisme substantiel », tandis que l'État se transforme en tyran. Comme on peut le voir, le tableau est organique : de l’ordre naturel, on passe à la morale, puis au droit et enfin à la politique.

L'enseignement d' Evangelium vitae sur les fondements d'une culture de la vie ne s'arrête pas à ce niveau naturel, mais s'approfondit dans la critique de la laïcité , qui implique l'éclipse de Dieu. Il n'y a pas de place pour un humanisme sans Dieu, car « lorsque le sens de Dieu fait défaut, le sens de l'homme est également menacé et pollué ». Le processus est circulaire. En perdant le sens du Dieu véritable et unique, la vision de la loi morale naturelle, incapable de se suffire à elle-même, est également obscurcie. La violation systématique de cette loi, par la lutte contre la dignité de sa vie naissante, conduit à la perte du sens de Dieu. Face aux puissantes attaques de lois inhumaines, menées par des puissances terrestres bien équipées à cet effet, la question de la vie exige un peuple qui annonce la vie en annonçant l'Évangile. Il ne sera donc jamais possible de trahir la vérité sur la vie humaine en exposant des idées contraires à l’Évangile et en coopérant avec des actions personnelles et politiques.

Après trente ans, on se demande ce qu’est devenu ce « peuple de la vie » et combien d’enseignements d’ Evangelium vitae il conserve encore dans sa conscience. À cette époque, le lien entre les trois encycliques susmentionnées semble s’être relâché. Plutôt que de parler d’une société unifiée par ses fins naturelles, nous préférons nous référer à une situation existentielle de rencontre sur le même bateau qui nous rendrait tous frères. Ainsi les conflits autour de la vie disparaissent, remplacés par le dialogue et l’accompagnement mutuel. En morale, les normes absolument négatives sont remplacées par des processus de discernement qui, par leur nature même, excluent la condamnation des comportements sans appel. Même les projets de lois et de politiques ne semblent plus exiger de cohérence avec la loi morale naturelle et divine, considérant que de telles attitudes sont contraires à la charité, entendue comme l’accueil de tous ceux qui sont différents parce qu’ils sont différents. Dans l’ensemble, le tableau s’est fragmenté au cas par cas et a perdu de sa profondeur, tandis qu’au drame de l’avortement, qui n’a pas diminué entre-temps, se sont ajoutés d’autres drames liés à la vie. En particulier, la relation entre l’engagement social et politique dans la vie et l’évangélisation semble s’être considérablement affaiblie.

Ce trentième anniversaire n’est pas très festif.

09:23 | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer |