Journée de commémoration de l’Holocauste au Cambodge; comment Pol Pot a aboli la famille, tirant les leçons de la Révolution française (20/05/2025)
De Valter Lazzari sur la NBQ :
Comment Pol Pot a aboli la famille, tirant les leçons de la Révolution française
Cela fait cinquante ans. Le 20 mai est la Journée de commémoration de l’Holocauste chaque année au Cambodge. Car ce jour-là, l’Angkar a imposé l’obligation de la vie collective et a détruit la famille.
Les « libérateurs » avaient des idées claires : une société pure, une véritable égalité , non pas le socialisme mais le communisme. La République démocratique du Kampuchea est née . Il y avait avant tout l' Angkar , qui n'était pas une personne, il n'y avait pas de leader charismatique, pas de césarisme, pas de culte de la personnalité. L’Angkar était une entité collective, une Commission, on peut la traduire par « l’Organisation ». Oui, il y avait Kieu Sampam mais il n'était pas au sommet, c'était Pol Pot, qui n'apparaissait même pas en public. La dévotion était due à l'Angkar .
Une palingénésie, repartant de l'An Zéro, pour une Société nouvelle. Dans lequel il n'y avait de la place que pour deux grandes classes : Les paysans (collectivisés) sont le Peuple ancien ou simple Peuple des campagnes ou plutôt des territoires "libérés" dans les années et les mois précédant le 17 avril 1975. Ils devaient haïr tous les habitants des villes. Et ils l’ont bien enseigné aux enfants qui composaient leur armée (les enfants soldats n’ont pas été inventés en Afrique).
Il y avait ensuite le Nouveau Peuple ou Peuple du 17 avril, car ils avaient été « libérés » après le 17 avril. Et tous étaient des ennemis potentiels, car corrompus par les modes de vie occidentaux. Ils représentaient une menace : les personnes instruites, les professionnels, les enseignants, les médecins, les avocats, les locuteurs de langues étrangères, les personnes portant des lunettes, les personnes faibles et handicapées, les moines, les nonnes et, en bref, tous les habitants de la ville. « Les nouveaux venus sont une plante parasite : ils ont perdu la guerre et sont prisonniers de guerre . » « Il n'y a aucun avantage à vous garder ici, il n'y a aucun inconvénient à vous perdre . »
Il fallait les rééduquer : c'est pour cela qu'ils furent tous expulsés des villes. À la campagne, dans les fermes collectives, tout vêtement coloré était interdit, il fallait donc les teindre en noir, tout le monde s'habillait en noir. La religion est interdite, les origines et les croyances religieuses sont répudiées. Commerce interdit, éducation interdite, argent et propriété privée abolis. Les familles ont été divisées et les gens ont été déportés dans différentes parties du pays : hommes avec hommes, femmes avec femmes ; avec des mères seules ayant des enfants de moins de 6 ans. Résultat? Plus de 3 millions de Cambodgiens tués par les Cambodgiens eux-mêmes, soit un quart de la population : comme si 15 millions d'Italiens avaient été tués par d'autres Italiens.
Demandons-nous comment il a pu se faire que ce pays ait connu la terreur (même ceux qui cueillaient simplement des fruits sauvages étaient punis de mort) et soit tombé dans la famine, allant même jusqu’au cannibalisme ? Comment la tragédie de la soi-disant République démocratique du Kampuchea, 1975-79, a-t-elle pu se produire ?
Suong Sikoeun était un cadre de ce régime : il publia ses puissants mémoires en France ( Itinéraire d'un intellectuel khmer rouge éd. Cerf). Son apprentissage, comme celui de tous les autres, s'est déroulé à Paris, sanctuaire des étudiants cambodgiens, où une série de professeurs d'université les ont initiés aux concepts de la Révolution de 1789 combinés à l'expérience communiste. Suong confesse : « Mon processus a été lent et remonte aux années 1950, lorsque j’étais au lycée : je suis devenu passionné par la Révolution française. J'ai fait miens les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité. Et encore plus quand je suis venu en France pour l'université. Au fil des années, je me suis lancé à corps perdu dans des activités et des débats politiques, en arrivant peu à peu à la conclusion que seule une révolution violente, menée par une poignée de militants dévoués et résolus, intimement liés aux masses, sous la direction du Parti marxiste-léniniste, pourrait mettre fin aux maux dont souffraient mon pays et mon peuple : la domination étrangère, l’oppression féodale et l’injustice sociale. (…) Je lisais avidement tout ce qui concernait la Révolution française, avec une préférence pour les Jacobins et leur chef, Robespierre, qui était mon héros, mon idole. Et je me suis décidé à l'idée d'une transformation de la société par la méthode révolutionnaire et à la nécessité d'une dictature prolétarienne."
En bref, c'est ce que soutenait (bien que moqué) le cardinal archevêque de Paris Jean-Marie Lustiger, qui dans son livre-entretien (La Scelta di Dio, Longanesi) indiquait dans le mélange entre la Révolution de 1789 et le marxisme , dont était imprégnée une certaine culture française du XXe siècle, la responsabilité d'avoir « armé le canon » du génocide cambodgien.
C'est une histoire qui commence il y a longtemps, la rédemption par Dieu est remplacée par l'idée d'auto-rédemption par l'homme. L'histoire antique et médiévale est marquée par la présence de sectes professant des hérésies manichéennes et gnostiques : les Cathares (XIe-XIIIe siècles), les Frères du Libre Esprit (XIIe-XIVe siècles) (Adamites, Béghards, Hussites, Taborites, ...), les Frères Apostoliques (XIIIe-XIVe siècles), Fra Dolcino : l'avènement d'un renouveau radical du genre humain et l'instauration d'un état définitif de perfection. Puis, au sein de la révolte protestante, des chefs se sont investis en prophètes : T. Műnzer : « que tous étaient égaux, que toutes choses étaient communes à tous les hommes, que chacun recevait selon ses besoins, mais... un impie n'a pas le droit de vivre s'il entrave les pieux... l'épée est nécessaire pour les exterminer ». La « Nouvelle Jérusalem » est Münster : là, pour la première fois, la terreur systématique est appliquée comme moyen de réaliser le rêve messianique de « refaire la création ». L’enthousiasme de F. Engels et de l’historiographie marxiste pour ce « prophète du communisme » est bien connu, car son esprit égalitaire se combinait avec l’action révolutionnaire. Les constantes de ces phénomènes révolutionnaires sont : la création d’un monde nouveau et parfait n’est possible qu’en faisant table rase de l’ancien monde ; toujours la pratique de la Terreur ; la subordination coercitive de tout et de tous au plan politique aujourd'hui pour parvenir demain à la liberté absolue .
Démocratie totalitaire : son théoricien le plus éminent est Jean Jacques Rousseau . Il nie le péché originel, l'homme est intrinsèquement bon et a vécu heureux dans "l'état de nature" (le bon sauvage) mais l'évolution des rapports sociaux, la naissance de la propriété privée le corrompent. Il faut alors un contrat social : « Chacun de nous met en commun sa propre personne et toute sa propre puissance sous la direction suprême de la volonté générale . » Dans la douce contrainte de Rousseau, la guillotine et le Goulag apparaissent en filigrane . Car « Comment peut-on espérer qu'une multitude aveugle, souvent ignorante de ses propres désirs, exprime une volonté commune ? La sollicitude active d'un leader qui incarne la volonté générale jusqu'à ce que le peuple soit éduqué à la vouloir. »
D'où vient l'homo ideologicus ? Dans les sociétés de pensée (salons philosophiques, groupements politiques, loges maçonniques et, plus tard, partis idéologiques). Ils parlent de tout, ils se basent sur des mots, pas sur la réalité ; c'est le domaine de l'opinion : il faut briser les obstacles à la liberté, qui sont l'expérience, la tradition, la foi. « Dans les révolutions, l’abstraction tente de s’élever contre le concret. C'est pour cela que l'échec est inhérent aux révolutions" (J. Ortega y Gasset, Masse e aristocrazia , Volpe). Selon A. Cochin ( Mechanics of Revolution , Rusconi) nous avons trois phases.
Une première étape d'incubation idéologique (1750-1789) : où la Terreur domine déjà les lettres, une Terreur exsangue, dont l'Encyclopédie fut le Comité de Salut public et D'Alembert le Robespierre : avec l'instrument de la diffamation (infamie ) . Le réseau d'entreprises réparties sur toute la France adopte cette méthode.
Ensuite, deuxième étape, la philosophie devient action politique pour la réalisation de la volonté générale. Cochin fournit la preuve des manipulations par lesquelles les « sociétés » parvenaient à faire adopter des résolutions avant le vote dans les assemblées et, par le biais du réseau corporatif, à les faire converger rapidement vers Paris. Les institutions représentant le peuple de Paris, la Commune et les Sections, finirent par être dominées par une petite minorité de révolutionnaires professionnels , eux-mêmes dirigés par des tireurs de ficelles, les chefs jacobins. Il fallait créer un produit maniable, le citoyen , c’est-à-dire un individu sans protections sociales. Et ainsi affaiblir les liens familiaux « Les enfants appartiennent à la République, avant leurs parents » (GJ Danton).
Troisième phase (1793-94) : l'État révolutionnaire . Celui qui incarne la volonté générale a le devoir d'élargir le champ des ennemis du peuple et de « punir non seulement les traîtres mais aussi les indifférents » (Saint-Just, Terreur et liberté , Editori riuniti). Ennemis du peuple : le terme (sinistrement abondant dans le vocabulaire communiste) est né avec la Terreur jacobine. Elle est globale : par exemple, dans la loi du 22 prairial an II, la définition des « ennemis du peuple » est si vague que tout le monde peut y être inclus : puisqu'il suffit d'« inspirer le découragement », de chercher à « corrompre les mœurs » ou à « altérer la pureté et la puissance des principes révolutionnaires », rien n'étant défini sur ce que signifient ces termes très généraux. Le droit-devoir d’exercer la terreur : « La terreur n’est rien d’autre qu’une justice prompte, sévère, inflexible ; c'est donc une émanation de la vertu. » Et la machine de la Terreur se nourrit de dénonciation et se couvre de silence. Il faut alors trouver les « coupables » des échecs révolutionnaires (famine, effondrement de la production, défaites militaires, ...). Finalement, la Révolution dévore ses enfants.
Voici les étapes de la démocratie totalitaire et voici le Kampuchea démocratique : contrairement à l'Occident, où ce trouble-fête de l'Église vous empêche de faire les choses exactement comme elles devraient être faites, à l'Est les étudiants étaient assidus et savaient appliquer les théories avec le plus grand zèle.
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