Poutine s'entretient avec le pape américain; réouverture de la ligne Rome-Moscou (06/06/2025)
De Nico Spuntoni sur la NBQ :
Poutine s'entretient avec le pape américain, réouverture de la ligne Rome-Moscou
C'est le pontife originaire de Chicago lui-même qui débloque les canaux avec le président russe qui a défié l'Occident. Léon XIV demande un signe de paix et sait que sur le chemin du Kremlin se trouve aussi Kirill, qui n'a pas pardonné les paroles de François.
6_6_2025
Ligne ouverte entre Moscou et Rome. Léon XIV et Vladimir Poutine se sont parlés pour la première fois au téléphone. Et pour un pape qui a ouvert son pontificat en appelant à la paix, il était inévitable d'axer la conversation sur la situation en Ukraine. Le pape Prevost a demandé au président russe un signe de paix et a évoqué la situation humanitaire, en mentionnant également l'engagement du cardinal Matteo Zuppi à faciliter l'échange de prisonniers.
L'aspect le plus intéressant de cet appel téléphonique est qu'il est sans précédent depuis le début du conflit. Depuis le 24 février 2022, malgré les nombreux signaux publics d'ouverture envoyés par Santa Marta, François n'a pas parlé à Poutine. Moins d'un mois après l'élection, Léon XIV y est parvenu.
Encore plus pertinent si l'on considère les positions exprimées en 2022 par celui qui était alors Monseigneur Robert Prevost, selon lequel ce qui avait lieu en Ukraine était « une invasion impérialiste, dans laquelle la Russie veut conquérir un territoire pour des raisons de puissance, pour son propre bénéfice, pour sa position stratégique et sa grande valeur (...) culturelle, historique et productive ». Bref, pour Prévost, il n'y a pas d'« aboiements de l'OTAN » pour justifier - même partiellement - l'offensive de Moscou. Une opinion aussi tranchée n'est certainement pas inconnue du Kremlin, mais elle n'a pas été un motif d'obstruction. Après la conversation, Moscou s'est à nouveau efforcé de minimiser son poids en précisant, par la voix du porte-parole présidentiel Dmitri Peskov, que les deux hommes « n'ont pas discuté concrètement du rôle de médiation du Vatican dans la résolution du conflit ukrainien ».
Le souci russe de nier l'hypothèse de négociations au Vatican est compréhensible compte tenu de l'influence du Patriarcat de Moscou qui n'est pas enclin à accorder une telle scène au chef des catholiques. Le choix de « Vatican » au lieu de « Saint-Siège » dans la déclaration de M. Peskov n'est pas fortuit. Le Kremlin s'efforce de limiter le rôle du pape à celui de simple chef d'un petit État plutôt qu'à celui d'organe suprême de l'Église catholique. Poutine et les siens sont bien conscients qu'ils avancent sur un terrain miné pour la sensibilité de l'Église orthodoxe russe, un allié de plus en plus indispensable du pouvoir politique après le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Léon XIV, malgré la différence de mandat, a été cohérent avec le point de vue exprimé publiquement il y a trois ans. Dans sa demande, adressée à la seule Russie, de donner un signe de paix, on semble entrevoir sa volonté de ne pas paraître ambigu quant à la responsabilité du conflit. Est-il possible que le président russe qui a défié l'Occident préfère s'adresser au premier pape américain de l'histoire plutôt qu'à son prédécesseur tiers-mondiste et farouchement anti-américain ? Il faut dire que cet appel téléphonique doit être replacé dans le contexte du début d'un nouveau pontificat et ne pas être lié exclusivement à la question ukrainienne. Mais il s'agit certainement d'un signe de respect de la part de Poutine.
Il a été rapporté que le pape Prévost a souligné avec son interlocuteur « comment les valeurs chrétiennes partagées peuvent être une lumière qui aide à rechercher la paix, à défendre la vie et à poursuivre la véritable liberté religieuse ». Ces mots rappellent le travail effectué par Benoît XVI pour créer un canal privilégié avec le Patriarcat de Moscou dans la défense des principes dits non négociables, en particulier au sein des instances internationales où les instances laïques trouvaient de plus en plus d'espace. Ce n'est pas un hasard si cet engagement souterrain de Ratzinger a permis l'établissement de relations diplomatiques entre la Fédération de Russie et le Saint-Siège en 2009.
Dans l'axe Rome-Moscou, les aspects politiques et spirituels se rencontrent et s'entrecroisent continuellement, et il ne peut en être autrement si l'on tient compte de la « symphonie » qui existe entre le trône et l'autel en Russie.
François, premier pape à rencontrer un patriarche à Cuba, a été l'homme des grands gestes d'amitié, mais il s'est déplacé maladroitement sur un terrain délicat, comme cela a été évident lorsqu'il a qualifié Kirill d'« enfant de chœur » de Poutine. Des mots que les hiérarchies ecclésiastiques russes n'ont jamais oubliés et qui n'ont pas été pardonnés malgré les nombreuses déclarations de Bergoglio qui ont même été qualifiées de « pro-russes » en Occident.
Il en a donné un premier aperçu avant-hier lors de son appel téléphonique avec Poutine, remerciant le patriarche pour ses bons vœux au début de son pontificat. Le nouveau pape sait très bien que la création d'un canal utile avec le Kremlin passe nécessairement par le Patriarcat.
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