Karl Leisner devenu prêtre au cœur de l’enfer de Dachau (12/08/2025)

De Thomas Belleil sur 1000 raisons de croire :

Karl Leisner devient prêtre au cœur de l’enfer de Dachau

Jeune diacre allemand depuis 1939, Karl Leisner est radicalement opposé au nazisme. En 1940, pour cette raison, il est arrêté et envoyé au camp de concentration de Dachau. Karl, tuberculeux, sera connu de ses codétenus comme étant l’ange du réconfort, en rayonnant de l’amour du Christ auprès des prisonniers, au cœur de l’enfer. À l’insu des nazis et au sein même de ce camp de la mort, Karl est ordonné prêtre, dans des conditions extraordinaires. Il meurt peu de temps après sa libération par les Américains, le 12 août 1945. Il est aujourd’hui reconnu martyr et bienheureux par l’Église catholique.


Les raisons d'y croire

  • Jeune séminariste allemand, Karl Leisner est aussi radical dans sa foi chrétienne que dans son opposition au nazisme. Totalement à contre-courant de nombre de ses compatriotes, Karl perçoit précocement le caractère antichrétien du national-socialisme. Sa résistance au nazisme, fondée sur sa foi, révèle que le christianisme peut donner une vraie liberté intérieure. Répondant aux partisans du Führer, qui scandent « Heil Hitler », Karl écrit dans son journal intime : « Le Christ est ma passion, Heil. »
  • Les conditions de vie terribles de Dachau aggravent l’état de santé fragile du jeune diacre, qui garde malgré tout une foi ardente et une confiance absolue en Dieu. Son espérance, au cœur de la souffrance, témoigne d’une force qui ne vient pas de la psychologie ou du tempérament, mais d’une relation vivante avec Dieu. Humainement, rien ne justifie une telle paix intérieure dans l’enfer des camps, face à la mort, à la maladie, à l’injustice.
  • Cantonné à l’infirmerie, Karl se fait tout de même missionnaire dans ce camp de la mort. Encourageant et consolant les malades sur leur lit de souffrance, Karl est appelé « l’ange du réconfort ». Il puise dans sa foi une joie qui rayonne, au point que les autres la perçoivent. Il ne s’agit pas seulement d’endurer, mais de rayonner du Christ. Son journal spirituel, tenu jusqu’à la fin, montre effectivement une vie intérieure riche, centrée sur le Christ.
  • L’idée folle d’ordonner Karl Leisner prêtre dans le camp germe lorsque arrive à Dachau un évêque français, Mgr Gabriel Piguet. Chose complètement inédite, l’ordination clandestine du jeune diacre peut finalement avoir lieu, à l’insu des nazis, tout en respectant scrupuleusement le rituel catholique. Ce projet compliqué et périlleux est soutenu par de nombreux détenus ainsi que par des personnes à l’extérieur de Dachau, ce qui montre à quel point la messe et le sacerdoce sont considérés comme essentiels. Cela souligne aussi la puissance spirituelle de l’eucharistie, présence réelle du Christ, plus forte que la mort.
  • Karl prie pour ses bourreaux et garde jusqu’à la fin une attitude de pardon et d’amour. Dans les toutes dernières lignes de son journal spirituel, on lit : « Bénis aussi, ô Très-Haut, mes ennemis ! » Le 12 août 1945, il rejoint le Père. Un tel comportement, sans haine ni désir de vengeance, va à contre-courant de l’instinct naturel et manifeste une grâce surnaturelle conforme à l’Évangile : aimer ses ennemis.

En savoir plus

Le 9 novembre 1939, la nouvelle d’une tentative d’attentat contre Hitler atteint les oreilles de Karl Leisner. Ce dernier est dans sa chambre, au sanatorium où il est soigné pour une tuberculose, lorsqu’un ami, qui ne cache pas son enthousiasme pour le Troisième Reich, lui annonce que Hitler est sorti indemne de l’attentat. À cela, Karl réplique, sans la moindre hésitation : « Dommage qu’il n’y soit pas resté. » C’est peu dire que ce diacre catholique d’à peine vingt-cinq ans, né le 28 février 1915 en Westphalie, est un fervent opposant au nazisme. Fervent, Karl Leisner l’est d’abord dans la foi chrétienne dont il est, depuis l’adolescence, un apôtre et un missionnaire auprès des jeunes ; ce qui le conduira à entrer au séminaire, après avoir longuement hésité entre la vie sacerdotale et la vocation au mariage.

Jeune adulte, Karl assiste à la montée du national-socialisme, arrivé au pouvoir en Allemagne en janvier 1933 – régime totalitaire qui ferme les locaux des organisations catholiques et confisque leurs biens. « À l’école, les affrontements sont de plus en plus durs... On nous fustige comme activistes catholiques, ennemis de l’État... Nous n’en sommes que plus fiers. En dépit de maints instants sombres qui suscitent la peur, nous maintenons très haut la bannière catholique du mouvement de jeunesse. » À la différence de nombre de ses coreligionnaires, Karl perçoit précocement le caractère antichrétien du parti nazi au pouvoir. La Gestapo commence alors à repérer, ficher et surveiller ce jeune militant catholique, qui ne cache pas son aversion pour le régime nazi. Dans le numéro de juin 1934 d’un mensuel catholique pour jeunes, le séminariste écrit : « Nous brûlons d’amour pour le Christ et pour tout être humain, à plus forte raison pour chaque frère et sœur de notre peuple allemand ! Nous jetons au feu toute haine... Que monte des flammes de l’amour, l’éternelle nostalgie du cœur allemand : un grand et puissant peuple uni chrétiennement par l’amour et le respect mutuel. » Ordonné diacre par Mgr von Galen le 25 mars 1939, Karl tombe gravement malade : atteint d’une tuberculose, il est envoyé se reposer dans un sanatorium en Forêt-Noire. Si sa santé s’améliore progressivement, l’état du monde occidental, quant à lui, se détériore : la Seconde Guerre mondiale éclate.

Lorsque, dans sa chambre de convalescence, Karl fait part de sa déception que le Führer n’ait pas été mis hors d’état de nuire, cette position à contre-courant est ébruitée bien au-delà de la chambre de Leisner par un ami, qui, pris de remords, avouera son geste dix ans plus tard. Aussitôt, Karl est dénoncé à la police et, le jour même, il est enfermé à la prison de Fribourg, avant d’être interné au camp de concentration de Sachsenhausen le 16 mars 1940. Là, Karl Leisner est dépouillé de ses droits, de ses vêtements, de ses cheveux, et même de son nom, puisqu’il est désormais appelé par son matricule : 17520. Livré à la faim et aux corvées, le malade convalescent est en souffrance, voué à une mort inéluctable. Cependant, Karl puise dans sa foi la force d’accepter sa situation ; rayonnant d’une joie intérieure auprès de ceux qui le côtoient, le jeune diacre semble habité par une mystérieuse espérance qui ne le quittera pas.

En décembre, cédant à la pression de l’épiscopat allemand, Himmler, le chef des SS, regroupe les ecclésiastiques dans un seul camp, à Dachau. Initialement prévu pour 8 000 détenus, le camp de concentration de Dachau en comptera jusqu’à 50 000, dont 15 000 mourront chaque année. Parmi les prisonniers, plus de 2 600 prêtres, dont un millier décédera sur place. S’ils ont l’inestimable consolation de pouvoir assister à la messe tous les jours, les détenus souffrent cruellement des conditions de vie, notamment du froid glacial de l’hiver 1942. La santé fragile de Karl ne résiste pas : dans la nuit du 15 mars, un vaisseau sanguin pulmonaire se rompt, provoquant une hémorragie.

Le voilà cantonné à l’infirmerie, devenue un mouroir, où les hommes désespérés se préparent à affronter la mort. Puisant sa paix et sa force de sourire dans la prière et la sainte communion, qu’on lui apporte régulièrement en cachette, Karl se fait missionnaire dans ce camp de la mort. Encourageant et consolant les malades sur leur lit de souffrance, Karl est appelé « l’ange du réconfort ». N’oubliant pas son ministère de diacre, il cache sous son oreiller une boîte contenant des hosties consacrées qu’il donne à ceux qui le désirent.

Compté parmi les « bouches inutiles », puisque malade, Karl figure en octobre 1942 sur la liste des déportés promis à l’extermination dans une chambre à gaz. Deux prêtres réussissent cependant à faire rayer son nom de la liste. « Chaque jour, je m’offre à la Sainte Vierge, ma Mère, écrit-il. Elle m’a merveilleusement conduit depuis trois ans de captivité. » Isolé du reste du camp avec les autres tuberculeux, Karl échappe de justesse à l’épidémie de typhus qui sévit à Dachau début 1943, faisant quelque 6 000 victimes. Le 4 juin, il écrit à un ami : « En regardant en arrière, je suis très reconnaissant au Seigneur et à sa Sainte Mère. Si j’écoute la petitesse du cœur humain, je voudrais espérer un prompt retour pour vous retrouver. Mais le Seigneur sait ce qui convient. » Dans l’absolue détresse de sa situation, Karl ira jusqu’à remercier Dieu de lui permettre, par ces épreuves, d’imiter la Passion de son Fils.

Le 6 septembre 1944 arrive à Dachau un convoi de déportés français, parmi lesquels se trouve l’évêque de Clermont, Mgr Gabriel Piguet. C’est alors que l’idée d’un projet fou germe parmi les détenus : « Pourquoi l’évêque n’ordonnerait-il pas Karl prêtre ? » Sur son lit de souffrance, Karl hésite : « Ordonné à Dachau ? Impensable ! Et puis, ma paroisse a droit à ma première messe ! » Mais, peu à peu, l’idée fait son chemin et, le 23 septembre, le malade demande par lettre à son propre évêque l’autorisation nécessaire. Une jeune fille de vingt ans assure, au péril de sa vie, la liaison entre les prisonniers et l’extérieur du camp, de sorte, que début décembre 1944, Karl reçoit en cachette une lettre signée de la main de Mgr von Galen, avec ces mots : « J’autorise les cérémonies demandées à condition qu’elles puissent être faites validement et qu’il en reste une preuve certaine. »

Dès lors, l’ordination clandestine du jeune diacre est préparée en grand secret, à l’insu des nazis. Grâce à la complicité de plusieurs détenus, les différents ornements liturgiques sont confectionnés. Sur la crosse de l’évêque, sculptée dans du bois de chêne et confectionnée à l’aide de barbelés, est gravée la formule « Victor in vinculis » (« Vainqueur dans les chaînes »). Le dimanche « Gaudete », 17 décembre, c’est le grand jour. Dévoré par la fièvre, le diacre d’une trentaine d’années est ordonné prêtre de Dieu, à 4 heures du matin, par l’évêque de Clermont, en présence de trois cents témoins, auxquels sont unis les 2 300 autres prêtres du camp.

Cet événement, inédit à Dachau, prend les airs d’une véritable fête au cœur de l’enfer, bien au-delà des cercles catholiques. En effet, une mystérieuse solidarité œcuménique et interreligieuse lie les détenus dans ce projet commun de permettre à Karl de devenir prêtre. Pendant la cérémonie, un déporté juif joue du violon, au-dehors, pour détourner l’attention des gardiens. À l’issue de la messe, un petit déjeuner est préparé par le groupe des pasteurs protestants, avec nappe blanche, service de porcelaine, café et gâteaux... Mgr Piguet témoignera plus tard que cette ordination fut le plus beau jour de sa vie, insistant aussi sur le fait que, malgré les conditions exceptionnelles, cette ordination célébrée dans la clandestinité respecta scrupuleusement le rituel catholique : « Aucun rite prévu, si petit soit-il, ne fut supprimé […]. Rien, absolument rien ne fit défaut dans la grandeur religieuse de cette ordination sacerdotale, qui est probablement unique dans les annales de l’histoire»

Au lendemain de Noël, le 26 décembre, jour du martyre de saint Étienne, Karl peut célébrer sa première messe… au milieu des tuberculeux. Il écrit : « Après plus de cinq années de prière et d’attente, des jours comblés d’un très grand bonheur... Que Dieu ait pu, par l’intercession de Notre Dame, nous exaucer de manière si gracieuse et unique, je ne puis encore le saisir. » Libéré par les Américains, avec les autres prisonniers de Dachau, le 29 avril 1945, le jeune prêtre subira à nouveau les assauts de la tuberculose. Abandonné à la divine providence, Karl reste joyeux et confiant, au cœur de ses souffrances intenses, qu’il offre pour le salut des hommes, uni au Christ en Croix. Le 25 juillet, Karl célèbre sa deuxième et dernière messe. Le même jour, il couche sur papier les derniers mots de son journal spirituel : « Bénis aussi, ô Très-Haut, mes ennemis. » Enfin, le 12 août, il entre en agonie, avant de rejoindre le Père.

Thomas Belleil, auteur de livres de spiritualité, diplômé en sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études et en théologie au Collège des Bernardins.


Au delà

Le 23 juin 1996, le pape Jean-Paul II proclame Karl Leisner bienheureux, ce dernier étant, désormais, en route vers la sainteté.

« La foi et l’enthousiasme de Karl pour le Christ doivent être un encouragement et un modèle, surtout pour les jeunes qui vivent dans un milieu caractérisé par l’incroyance et l’indifférence »dira de lui Jean-Paul II lors de son homélie pour la béatification de Karl Leisner. « Car les dictateurs politiques ne sont pas les seuls à restreindre la liberté. Il faut tout autant de courage et de force pour s’affirmer à contre-courant de l’esprit du temps, orienté vers la consommation et la jouissance égoïste de la vie, et qui penche occasionnellement vers l’antipathie vis-à-vis de l’Église, voire vers un athéisme militant… Karl Leisner nous encourage à rester sur ce chemin qui s’appelle le Christ. Nous ne devons jamais nous laisser aller à la fatigue, même si ce chemin nous paraît parfois obscur et s’il demande des sacrifices. Gardons-nous des faux prophètes qui veulent nous indiquer d’autres chemins. Le Christ est le chemin qui mène à la vie. Tous les autres chemins s’avéreront des détours ou des fausses pistes… Le Seigneur ne demande pas à ses disciples une compromission avec le monde, mais au contraire une confession de foi qui est prête à s’offrir même en sacrifice. Karl Leisner a donné ce témoignage non seulement par des paroles mais aussi par sa vie et sa mort. Dans un monde devenu inhumain, il a témoigné du Christ, qui est le seul à être le Chemin, la Vérité et la Vie. »

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