Le soixantième anniversaire de la déclaration conciliaire « Nostra aetate » sur les relations avec les autres religions, et principalement avec le judaïsme, promulguée le 28 octobre 1964, n’est pas resté sans effet. Il a marqué la reprise du dialogue entre l’Église et les juifs, qui à cette époque avait souffert de « malentendus, de difficultés et de conflits », aggravés par « les circonstances politiques et les injustices de certains », comme l’a reconnu le pape Léon XIV lors des célébrations de cet événement.
Et en effet, la déclaration « Nostra aetate » a constitué un tournant dans l’histoire millénaire des relations entre chrétiens et juifs. L’Église catholique a reconnu que « les Juifs restent encore très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance », irrévocables et que, par conséquent, l’Église aussi « se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage », où l’olivier franc représente les juifs et l’olivier sauvage les autres nations qui reconnaissent en Jésus le messie, comme le dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains.
Mais ces dernières années, le dialogue entre les deux « oliviers » s’était quelque peu asséché, et les deux parties l’avaient d’ailleurs admis à plusieurs reprises, et notamment le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, dans un livre récent présenté par Settimo Cielo.
Pour repartir du bon pied, le pape Léon a voulu au moins nettoyer l’Église de l’aversion majeure dont beaucoup font encore preuve envers les juifs. Il a cité « Nostra aetate » qui dit que l’Église, « ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs. » Et il a ajouté « Depuis lors, tous mes prédécesseurs ont condamné l’antisémitisme en des termes clairs. C’est pourquoi je confirme moi aussi que l’Église ne tolère pas l’antisémitisme et qu’elle le combat, à cause de l’Évangile lui-même ».
Et on a également constaté des signaux d’une volonté de renouer le dialogue du côté juif. Il suffit de constater la participation de nombreuses personnalités juives aux événements organisés à Rome en mémoire de « Nostra aetate », avec la présence active du pape en personne.
L’un de ces événements, organisé par la Communauté de Sant’Egidio, s’est tenu le 28 octobre au Colisée, où l’on a pu assister à un chaleureux échange de salutations entre le pape Léon et le rabbin Di Segni, puis le rabbin David Rosen, directeur du département des affaires interreligieuses de l’American Jewish Committee, et avec le rabbin Pinchas Goldschmidt (voir photo), président des rabbins européens et ancien grand rabbin de Moscou, qui avait choisi de s’exiler volontairement de Russie en 2022 en raison de l’agression contre l’Ukraine.
Certes, l’une des principales difficultés du dialogue entre l’Église et les juifs tient aux divergences sur l’interprétation des Écritures, où pour les chrétiens, c’est le messie Jésus qui est au cœur de tout, alors que pour les juifs le thème central est la promesse de la terre à la descendance des patriarches. À la suite de « Nostra aetate », les choses ont changé mais pendant des siècles, la conviction des chrétiens a été que les juifs ne pourraient retourner sur leur terre qu’après avoir reconnu comme messie Jésus, qu’ils avaient tué.
D’où réticence dont l’Église a longtemps fait preuve envers le sionisme et la naissance de l’État d’Israël, qu’elle n’a acceptée qu’en 1994 avec l’ouverture de relations diplomatiques avec le Saint-Siège, toujours dans une optique n’ayant rien de religieux et reposant sur les principes communs du droit international.
Même le grand rabbin de Milan, Alfonso Arbib, s’exprimant le 31 octobre à l’occasion d’une manifestation à Rome contre la haine antisémite, a reconnu que « le nœud le plus complexe » dans le dialogue entre l’Église et le judaïsme restait « le rapport avec Israël et avec la terre d’Israël ». Si « les relations avec le Vatican ont longtemps été à ce point problématiques, ce qu’elles sont encore en partie », c’est justement parce qu’« on ne reconnaît pas pleinement le lien indissoluble entre le peuple juif et sa terre ».
Aujourd’hui, personne ne s’attend à ce que les deux parties ne tombent d’accord sur l’interprétation des Écritures, mais les juifs s’attendent certainement à ce que l’Église reconnaisse leur lien essentiel, y compris religieux, avec la terre que Dieu a offerte à Israël.
Et c’est précisément ce lien que décrit le texte que nous reproduisons ci-dessous.
Il est extrait de l’une des « Seize fiches pour connaître le judaïsme », publiées cette année en italien et en anglais sur initiative conjointe de la Conférence épiscopale italienne et de l’Union des communautés juives italiennes.
Ce livre qui contient ces seize fiches – et dont le texte intégral est accessible gratuitement sur le web – est principalement destiné aux écoles, dans le but de promouvoir « la culture et la connaissance comme antidote à toute forme d’antisémitisme ». Et il tombe à point nommé l’époque actuelle où la guerre de Gaza à la suite du pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 a échauffé les esprits de nombreux jeunes contre les juifs.
Le 5 novembre, l’ambassade d’Italie près le Saint-Siège accueillera une présentation du libre assortie de discours, tant du président de Conférence épiscopale, le cardinal Matteo Zuppi, que du président de l’Union des communautés juives italiennes, Noemi Di Segni.
Voici les intitulés de chacune des fiches :
1. La Bible hébraïque
2. La Torah écrite et la Torah orale
3. Le nom de Dieu
4. L’élection d’Israël
5. Justice et miséricorde
6. Préceptes et valeurs
7. Le calendrier juif et le cycle des fêtes
8. Le cycle de la vie
9. Prêtres, rabbins et… prêtres cohanims
10. Les femmes dans la culture juive
11. Le peuple d’Israël et la terre d’Israël
12. Jésus/Yeshua juif
13. Paul/Shaul juif
14. Aperçu de l’histoire des Juifs italiens
15. Le dialogue judéo-chrétien du Concile Vatican II à nos jours
16. Description de la signification correcte de certains termes
Et voici donc ce que dit la onzième fiche.
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Peuple d’Israël et Terre d’Israël
« Eretz Israël », la terre d’Israël, a été le point central des rêves et des aspirations des juifs depuis les temps bibliques. Le Seigneur dit à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté, la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai » (Gn 12, 1) et c’est là qu’Abraham partit, creusa des puits, prit soin de ses troupeaux, se comportant avec droiture envers tous. Et c’est aussi la terre que Dieu a promise aux descendants d’Abraham, qui allaient y retourner après une longue période d’exil et d’esclavage.
Dans la Torah, la terre d’Israël est appelée terre de Canaan, avec une référence particulière à la terre située à l’Ouest du Jourdain. Le territoire situé à l’Est du Jourdain étant le plus souvent appelé terre de Galaad dans la Torah.
La terre de Canaan est l’objet de la promesse que le Seigneur a faite aux patriarches : « À toi et à ta descendance après toi je donnerai le pays où tu résides, tout le pays de Canaan en propriété perpétuelle, et je serai leur Dieu. » (Gn 17, 8). Ailleurs dans la Torah, la terre d’Israël est appelée « la terre », sans autre qualification, étant entendu qu’il s’agit d’une terre spéciale.
Les livres prophétiques utilisent, en plus de la terre de Canaan, le terme « terre d’Israël », qui sera par la suite utilisé de panière prédominante, avec le terme « terre », par les maîtres de la tradition rabbinique, par opposition aux autres terres, appelées « hus la-hares » (hors de la terre ») ou « eretz ha-ammim » (terre des peuples). Parfois, la voix divine l’appelle « ma terre ».
Un autre nom traditionnellement attribué à Israël est « Eretz ḥemdah » (terre du désir), pour indiquer qu’Abraham, Isaac et Jacob y aspiraient, à un point tel qu’Abraham acheta la grotte de Makpéla pour enterrer sa femme Sarah, que le Seigneur empêcha Isaac de quitter Israël et que Jacob demanda à ne pas être enterré en Égypte, mais bien en terre d’Israël.
On ne rencontre que très rarement l’expression « terre sainte » dans la Bible, mais néanmoins, la terre est considérée comme un don divin à Israël. Dieu veille de manière spéciale sur cette terre et sur ce qui s’y passe (Dt 11, 12). Elle est, en fait, la propriété exclusive de l’Éternel, et son usage est conditionné au respect de ses lois. Le don fait à Israël n’est pas gratuit. Le Seigneur a fait trois bons dons à Israël : la Torah, la terre d’Israël et le monde à venir, et aucun d’entre eux n’a été donné autrement qu’à travers bien des souffrances (Berakhot 5a).
Le caractère central d’« Eretz Yisrael » a toujours été au centre du culte et de la conscience juive. Lorsque nous prions, nous nous tournons vers la terre d’Israël, en particulier vers Jérusalem et le lieu où se trouvait le sanctuaire, et la relation avec cette dernière perdure à travers l’observance des fêtes religieuses, qui sont presque toutes liées aux saisons agricoles de la terre d’Israël, et par l’étude des lois concernant l’usage sacré du territoire.
Ce puissant lien spirituel, mais également physique, est devenu la composante d’une identité collective idéale. L’espérance d’un retour à la terre fait quotidiennement l’objet de nos prières et a suscité le développement d’une immense littérature liturgique et mystique en plus de la prescription de divers préceptes, qui ne sont pas liés exclusivement à la vie agricole. L’application du droit pénal, par exemple, ne peut pas être pratiqué en dehors d’Israël, et même en Israël, certains préceptes requièrent des conditions préalables telles que la souveraineté de l’ensemble du peuple juif sur sa propre terre.
Au cours de l’histoire, le rapport entre terre, peuple et Torah a exercé une influence décisive dans toutes les communautés juives, et la nostalgie de la patrie perdue a poussé les juifs sur la route du retour. À l’époque où le sionisme politique envoie en Palestine les premières vagues d’immigration, une communauté juive existait déjà dans les antiques villes saintes de Jérusalem, Tibériade, Safed et Chevron, depuis l’Antiquité.
Le sionisme est le mouvement pour l’autodétermination politique du peuple juif, qui a abouti en 1948 à la naissance de l’État d’Israël. Est-ce que critiquer une décision du gouvernement israélien revient à être sioniste ? Bien sûr que non. En revanche, c’est le cas si on ne reconnaît pas le droit du peuple juif à avoir sa propre existence nationale.
Avant la naissance de l’État d’Israël, il y avait des juifs sionistes et des juifs antisionistes, il s’agissait d’options légitimes. Être antisioniste aujourd’hui revient à souhaiter la destruction d’un État, certes imparfait, mais démocratique, comptant neuf millions de citoyens.
Les autorités ecclésiastiques étaient pour la plupart opposées au sionisme et à la naissance de l’État d’Israël, d’abord pour des raisons religieuses liées à la non-reconnaissance de la nature messianique de Jésus, mais depuis 1994, des relations diplomatiques régulières ont été établies entre Israël et le Saint-Siège, avec l’ouverture d’une nonciature en Israël et d’une ambassade israélienne à Rome.
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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l'hebdomadaire L'Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur diakonos.be en langue française.
Ainsi que l'index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.

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Commentaires
Encore des hérésies en tout genre.
Il est temps que les hommes soient fameusrment secoués. A l'intérieur comme à l'extérieur !
Écrit par : Pisa | 04/11/2025