Le laïcisme à la française n'est pas un hymne à la tolérance, mais un projet destructeur visant l'identité catholique de la France (11/12/2025)
D'Hélène de Lauzun sur The European Conservative :
120 ans de laïcité française

Expulsion de la communauté de la Grande Chartreuse par la force militaire le 29 avril 1903; Auteur inconnu — domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=63328902
Le laïcisme à la française n'est pas un hymne à la tolérance, mais un projet destructeur visant l'identité catholique de la France.
10 décembre 2025
Il y a cent vingt ans, le 9 décembre 1905, l'Assemblée nationale française votait en faveur de la séparation de l'Église et de l'État, établissant le principe de « laïcité » qui est encore aujourd'hui considéré comme l'un des principes intangibles de l'État républicain français.
La laïcité à la française , à laquelle nul ne saurait s'opposer, est devenue intouchable – défendue aujourd'hui même par ceux contre qui elle fut initialement utilisée comme une arme. Mais si elle est désormais présentée sous un jour idéalisé et pacifique, la « laïcité », telle qu'elle fut conçue en 1905, n'a jamais été cette merveilleuse ouverture républicaine à toutes les pratiques religieuses qu'on nous vend aujourd'hui. Conçue dans le cadre d'un projet militant et ouvertement anti-catholique, plutôt que comme un hymne à la tolérance, elle montre aujourd'hui ses limites face à la place grandissante de l'islam dans la société française.
La loi séparant l'Église et l'État n'est pas apparue comme par magie un beau matin de décembre 1905. Elle était plutôt l'aboutissement d'un long processus entamé 116 ans plus tôt avec la Révolution française et la Constitution civile du clergé. Promulguée en 1790, elle a radicalement transformé le rapport de la France au catholicisme, rapport qui, jusque-là, avait été direct et incontestable. Pour la première fois, l'institution religieuse se trouvait radicalement subordonnée à l'institution étatique, alors que cette dernière était conçue, en principe, comme la servante d'un ordre divin supérieur à lui, dont l'Église était la représentante suprême.
Profondément enraciné en France, le catholicisme a résisté. Tout au long du XIXe siècle, la France a connu un lent mais inéluctable processus de sécularisation, visant à effacer l'Église d'une société et d'un peuple avec lesquels elle avait tissé des liens privilégiés au fil des siècles. Ce processus, non linéaire, s'est accompagné d'un profond renouveau religieux après les bouleversements de la Révolution. L'éducation fut le principal champ de bataille entre les partisans d'une Église catholique publique, soucieuse de maintenir son influence visible sur une société qu'elle avait façonnée, et ses opposants de tous bords, des plus farouches antireligieux aux plus modérés anticléricaux.
La Troisième République se développa dans ses premières années avec une population majoritairement monarchiste. D'abord, sous l' Ordre Moral , les dirigeants tentèrent maladroitement de regagner le soutien populaire en promouvant la place de l'Église dans la vie publique. Mais ils échouèrent. Lorsque les républicains triomphèrent de l'Ordre Moral en 1879, l'anticléricalisme devint définitivement et durablement synonyme de l'idéal républicain. Le « nouveau » régime se fixa l'objectif quasi officiel d'éradiquer de la vie publique toute trace de l'influence de l'Église catholique en France.
Il était difficile pour les catholiques français de s'identifier à ce régime, et de ce fait, ils se retrouvèrent politiquement exclus dans leur propre pays. Au début des années 1890, l'Église tenta de combler ce fossé en prônant le Ralliement des catholiques, qui ne pouvaient être indéfiniment exclus de la vie politique, mais le profond désaccord persista.
C’est dans ce contexte que fut adoptée la loi sur la liberté d’association en 1901. Cette mesure, que les dirigeants actuels aiment à célébrer comme une étape importante du « vivre-ensemble », puisqu’elle accorde le statut légal à toutes les associations sportives et culturelles de France, fut conçue dans un esprit résolument anticlérical. Le message était clair : toutes les associations étaient les bienvenues dans la vie publique, à l’exception des congrégations religieuses.
Ce fut un choix politique désastreux, étant donné que ces mêmes congrégations étaient alors responsables de la quasi-totalité du secteur social, y compris de la protection sociale et de la santé. Au nom de cette prétendue liberté d'association, tous ceux qui ne correspondaient pas aux cadres associatifs établis par la loi, à savoir les religieux et religieuses, délibérément privés de tout statut légal, furent condamnés à la dislocation et à l'expulsion.
La population protesta et se révolta. Des figures religieuses furent traquées et exilées. Des officiers préférèrent comparaître devant la cour martiale et ruiner leur carrière plutôt que d'exécuter des ordres contraires à leurs convictions chrétiennes. Des images marquantes subsistent, comme l'expulsion des moines chartreux dans la neige : vingt vieillards, bienfaiteurs du département de l'Isère, furent emmenés par la police et l'armée.
La loi de 1901 fut suivie d'une seconde salve : la loi de juillet 1904, qui prévoyait le retrait définitif de tout enseignement des congrégations religieuses. Pas moins de 14 000 écoles fermèrent leurs portes en deux ans. Le gouvernement mura les chapelles, fit démolir les calvaires et interdire au clergé de passer les examens d'enseignement. En termes contemporains, des citoyens furent attaqués et exclus, bafouant ainsi certains des droits humains les plus fondamentaux, à savoir la liberté de conscience et la liberté de culte. Cette loi créa des citoyens de seconde zone, privés de certains de leurs droits. La laïcité fut perçue comme une attaque contre la religion. Pourtant, aujourd'hui, alors que nous commémorons cette loi, nous restons curieusement silencieux face à ces attaques très graves, indignes d'une société prétendument démocratique.
Lorsque la loi de 1905 est entrée en vigueur, les dégâts causés étaient déjà considérables.
La loi affirmait la liberté de conscience et garantissait le libre exercice du culte. Elle précisait également que l'État ne reconnaissait ni ne subventionnait aucune religion. Une dernière disposition, essentielle, stipulait que les lieux de culte et les logements du clergé seraient déclarés propriété de l'État et mis à la disposition des associations religieuses. Il s'agissait d'une spoliation massive, venant s'ajouter à celle déjà perpétrée lors de la Révolution.
La loi de 1905 ne reconnaissait donc plus l'Église comme une entité juridique, la soustrayant ainsi au champ d'application de la common law. Fidèle aux principes libéraux, elle consacrait la séparation entre sphère privée et sphère publique. Elle refusait de reconnaître le rôle social des croyances, les réduisant au statut d'opinions individuelles ne devant jamais interférer avec le monde politique au sens plein du terme. Bien qu'elle reconnaisse le fait collectif du « culte », qui conférait néanmoins une dimension sociale à la croyance religieuse, elle ne savait quel statut juridique lui attribuer : la messe demeura longtemps une émanation hybride du droit de réunion. La laïcité n'était pas la liberté d'expression, telle qu'on l'entend aujourd'hui. Elle fut prônée à une époque où prévalait le mythe de l'unité républicaine, mythe sapé par la religion catholique, en désaccord avec son idéal.
Il ne faut pas oublier que l'Église de l'époque a fermement condamné cette loi. La papauté n'a pas été consultée lors de sa rédaction, ce qui a rompu le Concordat, accord bilatéral antérieur. Les tentatives de réconciliation ont échoué. Les encycliques condamnant la loi se sont multipliées, envenimant encore davantage les relations déjà tendues entre le Saint-Siège et l'État français : on ne pouvait rien attendre d'un gouvernement qui avait fait de l'Église son ennemi public numéro un.
La Première Guerre mondiale a apaisé ces fortes tensions. Après le conflit, l'anticléricalisme du début du XXe siècle n'était plus une force politique majeure. Au début des années 1920, la situation se stabilisa progressivement, tant dans les faits que dans le droit. Les relations avec Rome furent rétablies et les associations diocésaines, conciliant contrôle étatique et hiérarchie ecclésiastique, permirent d'envisager une gestion plus sereine des biens de l'Église. Les Français vivent encore aujourd'hui selon le modus vivendi qui prévalait alors.
Malheureusement, le retour au calme a eu pour effet d'endormir la confiance dans la nature du projet laïque, tel qu'il a été conçu à l'origine et tel qu'il existe encore aujourd'hui. Peu à peu, un mythe séduisant s'est développé autour de la laïcité. Sa définition est simple : il suffirait que chacun mette de côté son identité religieuse en société pour que nous vivions dans le meilleur des mondes. On entend de fortes voix réclamer un retour à un hypothétique « esprit de 1905 » qui n'a jamais existé (s'il a existé, il s'agirait plutôt d'une forme rare d'intolérance), sous l'illusion qu'un tel retour résoudra tous les problèmes épineux qui surgissent. Le voile à l'école et le voile dans la rue ? Retournons en 1905, et le voile disparaîtra. Comme si la laïcité de 1905 pouvait en quoi que ce soit s'accommoder de l'islamisme militant d'aujourd'hui.
L'esprit de la loi de 1905 reposait sur l'idée, héritée de l'Évangile – rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu –, qu'il existe une distinction entre sphère publique et sphère privée. Or, cette idée s'est muée en un culte de la neutralité paralysant et destructeur. Au nom de la laïcité, toute possibilité de recourir à des principes moraux, quels qu'ils soient, est désormais rejetée, car soupçonnée d'être « religieuse ». Le débat sur l'avortement et l'euthanasie, par exemple, en subit cruellement les conséquences dans l'espace public.
De plus, le paradoxe de la loi de 1905 réside dans le fait qu'elle a été conçue contre le catholicisme, mais dans une société catholique, pour une société catholique. En excluant l'Église de la société française, elle se révèle aujourd'hui inadaptée pour gérer la question de l'islam, qui ne reconnaît pas la séparation des sphères publique et privée. Le remède à l'islam n'est pas la laïcité, mais la reconnaissance de l'identité catholique de la France.
Les catholiques français, qui devraient pourtant savoir que l'idée de laïcité dissimule de profondes atteintes à leur existence, ferment souvent les yeux sur cette illusion, qui sent l'hypocrisie historique. La laïcité ne défend pas leurs intérêts, loin de là. La générosité qui pousse nombre d'entre eux à défendre la loi de 1905 leur fait oublier que le monde politique auquel ils espèrent s'intégrer en affichant une neutralité de façade ne leur est pas favorable. Aujourd'hui, les catholiques sont les bienvenus, pourvu qu'on ne les écoute pas. Tandis que la République française poursuit son règlement de comptes avec l'Église du Christ – mais cela sera-t-il jamais terminé ? – en s'attaquant aux calvaires, aux clochers et aux crèches, l'islam continue de prospérer.
Hélène de Lauzun est la correspondante parisienne du European Conservative . Elle a étudié à l'École normale supérieure de Paris, où elle a enseigné la littérature et la civilisation françaises à Harvard. Docteure en histoire de la Sorbonne, elle est l'auteure de * Histoire de l'Autriche* (Perrin, 2021).
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