Quand l'Islam est aux portes du pouvoir (30/10/2011)

deux-glaives_129957899962448700.gif"En Tunisie, en Libye et en Egypte, les islamistes sont les grands gagnants du printemps arabe. Faut-il s'en inquiéter? Décryptage avec Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse.

Dimanche dernier fut une belle journée pour les islamistes. À Tunis, le parti Ennahda triomphe : 41,47% des voix, 90 des 217 sièges au sein de l’Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de désigner ou d’élire un nouveau président de la République. À Tripoli, tandis que le cadavre de Kadhafi repose toujours dans une chambre froide, Moustapha Abdeljalil, le chef du CNT, proclame la "libération". Et annonçait l’instauration de la charia.

Comme le précise le chercheur Mathieu Guidère*, il y a charia et charia, mais il n’empêche : à Paris, Londres et Washington, la phrase a jeté un froid parmi les principaux contributeurs à l’effort de guerre. Dans un mois, en Égypte, les Frères musulmans tenteront de prendre le pouvoir par les urnes lors des premières législatives de l’après- Moubarak. La Confrérie part largement favorite du scrutin.

Dans les trois pays, le printemps arabe débouche sur une arrivée en force des islamistes. Chacun possède ses spécificités, son interprétation de l’islam en politique, sa vision de la société. Mais, à entendre Mathieu Guidère, une constante se détache : l’émergence, de Tunis au Caire, d’une « révolution conservatrice », les islamistes incarnant d’abord, aux yeux des populations, le nouveau parti de l’ordre." L'islam aux portes du pouvoir

*Mathieu Guidère est professeur d'islamologie à l'université de Toulouse. Ancien directeur de recherches à Saint-Cyr, il est l'auteur du Choc des révolutions arabes, aux éditions Autrement, paru en 2011.

Le problème de l’Islam, ajouterions nous en commentaire, est que, contrairement au Christianisme il ne fait aucune distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Que, par exemple, la constitution irlandaise invoque la Sainte Trinité ou que le préambule de la nouvelle constitution de la Hongrie fasse référence à Dieu et au Christianisme comme rassemblant la nation, n’ a pas du tout le même sens que la proclamation de la Charia comme loi suprême de l’Etat par le Conseil National de Transition de la Lybie.

La « théorie des deux glaives » (photo), c’est à dire l'idée de la distinction  entre l'Eglise ou le pouvoir religieux et celui de l'Etat (même s’ils sont appelés à coopérer) n'est entrée dans le monde que grâce au christianisme.

Jusque là, il y avait seulement identité entre la constitution politique et la religion.  Pour toutes les cultures, commente le pape Benoît XVI dans l’un de ses entretiens avec le journaliste Peter Seewald, "il était évident que l'Etat portait en soi un caractère sacré et était le véritable et suprême gardien de l'univers sacral. Cela valait aussi pour les racines préchrétiennes du nouveau testament. En Israël, les deux  ont d'abord fusionné. C'est seulement lorsque la foi d'Israël sort de ce peuple et devient la foi de tous les peuples qu'elle se détache de son identification politique et représente un élément supérieur aux divisions et différences politiques. C'est aussi le point de confrontation proprement dit entre le christianisme et l'Empire romain: L'Etat tolérait parfaitement les religions privées, à la condition toutefois qu'elles reconnaissent le culte de l'Etat lui-même, la cohésion du ciel des dieux sous l'égide de Rome, et la religion officielle comme accolade placée au-dessus de toutes les religions privées »..

Comme l’explique justement Benoît XVI « Le christianisme n'a pas accepté cela, il a ôté à l'Etat l'exclusivité de l'univers sacral et a mis ainsi en question la conception fondamentale de l'Empire romain, voire du monde antique en général. Cette distinction est donc, en fin de compte, un legs de l'origine du christianisme et aussi un facteur décisif de liberté. Ainsi l'Etat n'est pas lui-même la puissance sacrale, mais il est seulement un ordre qui trouve ses limites dans une foi qui adore non pas l'Etat, mais un Dieu qui lui fait face et le juge. C'est cela la nouveauté. Cela peut naturellement prendre des formes différentes selon les constitutions des sociétés. » (cfr. "Le sel de la terre". Entretiens du Cardinal Ratzinger avec Peter Seewald. Flammarion/Cerf, 1997.)

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