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Quand l'Islam est aux portes du pouvoir

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deux-glaives_129957899962448700.gif"En Tunisie, en Libye et en Egypte, les islamistes sont les grands gagnants du printemps arabe. Faut-il s'en inquiéter? Décryptage avec Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse.

Dimanche dernier fut une belle journée pour les islamistes. À Tunis, le parti Ennahda triomphe : 41,47% des voix, 90 des 217 sièges au sein de l’Assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de désigner ou d’élire un nouveau président de la République. À Tripoli, tandis que le cadavre de Kadhafi repose toujours dans une chambre froide, Moustapha Abdeljalil, le chef du CNT, proclame la "libération". Et annonçait l’instauration de la charia.

Comme le précise le chercheur Mathieu Guidère*, il y a charia et charia, mais il n’empêche : à Paris, Londres et Washington, la phrase a jeté un froid parmi les principaux contributeurs à l’effort de guerre. Dans un mois, en Égypte, les Frères musulmans tenteront de prendre le pouvoir par les urnes lors des premières législatives de l’après- Moubarak. La Confrérie part largement favorite du scrutin.

Dans les trois pays, le printemps arabe débouche sur une arrivée en force des islamistes. Chacun possède ses spécificités, son interprétation de l’islam en politique, sa vision de la société. Mais, à entendre Mathieu Guidère, une constante se détache : l’émergence, de Tunis au Caire, d’une « révolution conservatrice », les islamistes incarnant d’abord, aux yeux des populations, le nouveau parti de l’ordre." L'islam aux portes du pouvoir

*Mathieu Guidère est professeur d'islamologie à l'université de Toulouse. Ancien directeur de recherches à Saint-Cyr, il est l'auteur du Choc des révolutions arabes, aux éditions Autrement, paru en 2011.

Le problème de l’Islam, ajouterions nous en commentaire, est que, contrairement au Christianisme il ne fait aucune distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Que, par exemple, la constitution irlandaise invoque la Sainte Trinité ou que le préambule de la nouvelle constitution de la Hongrie fasse référence à Dieu et au Christianisme comme rassemblant la nation, n’ a pas du tout le même sens que la proclamation de la Charia comme loi suprême de l’Etat par le Conseil National de Transition de la Lybie.

La « théorie des deux glaives » (photo), c’est à dire l'idée de la distinction  entre l'Eglise ou le pouvoir religieux et celui de l'Etat (même s’ils sont appelés à coopérer) n'est entrée dans le monde que grâce au christianisme.

Jusque là, il y avait seulement identité entre la constitution politique et la religion.  Pour toutes les cultures, commente le pape Benoît XVI dans l’un de ses entretiens avec le journaliste Peter Seewald, "il était évident que l'Etat portait en soi un caractère sacré et était le véritable et suprême gardien de l'univers sacral. Cela valait aussi pour les racines préchrétiennes du nouveau testament. En Israël, les deux  ont d'abord fusionné. C'est seulement lorsque la foi d'Israël sort de ce peuple et devient la foi de tous les peuples qu'elle se détache de son identification politique et représente un élément supérieur aux divisions et différences politiques. C'est aussi le point de confrontation proprement dit entre le christianisme et l'Empire romain: L'Etat tolérait parfaitement les religions privées, à la condition toutefois qu'elles reconnaissent le culte de l'Etat lui-même, la cohésion du ciel des dieux sous l'égide de Rome, et la religion officielle comme accolade placée au-dessus de toutes les religions privées »..

Comme l’explique justement Benoît XVI « Le christianisme n'a pas accepté cela, il a ôté à l'Etat l'exclusivité de l'univers sacral et a mis ainsi en question la conception fondamentale de l'Empire romain, voire du monde antique en général. Cette distinction est donc, en fin de compte, un legs de l'origine du christianisme et aussi un facteur décisif de liberté. Ainsi l'Etat n'est pas lui-même la puissance sacrale, mais il est seulement un ordre qui trouve ses limites dans une foi qui adore non pas l'Etat, mais un Dieu qui lui fait face et le juge. C'est cela la nouveauté. Cela peut naturellement prendre des formes différentes selon les constitutions des sociétés. » (cfr. "Le sel de la terre". Entretiens du Cardinal Ratzinger avec Peter Seewald. Flammarion/Cerf, 1997.)

Commentaires

  • Benoît XVI-Joseph Ratzinger fait remarquer que la philosophie issue des Lumières en renvoyant la religion à la seule sphère privée et subjective a laissé le champ libre à l'absolu de l'Etat. Une version sécularisée de l'Empire romain, ou du césaropapisme en somme...

  • @ jps ... C'est toute la constante de l'idéologie des Lumières : le retour à une conception « pré chrétienne », en considérant que le judéo christianisme aurait été un épisode funeste de l'Histoire de l'Europe, par la faute initiale du peuple juif. Ce peuple avait en effet commis l'abomination, selon Voltaire, d'avoir conçu le monothéisme, d'avoir écrit la Bible et d'avoir donné naissance au Christ, et donc au christianisme. Il demandait d'ailleurs l'éradication d'un peuple aussi 'abominable' de la surface de la Terre.

    On retrouve notamment ce retour au « pré christianisme » dans leur conception du mariage. Ils ont aussi rejeté la notion d'égalité homme-femme du couple chrétien, pour en revenir au concept de pater familias romain, où l'homme est le maître, et la femme et les enfants lui sont soumis. D'où l'exclusion des femmes et des enfants des Loges (comme tout le peuple d'ailleurs). D'où aussi le combat des francs maçons, d'abord contre le vote du peuple, ensuite contre le vote des femmes.

    Bref, leur conception est : « Comme tout le judéo christianisme est mauvais (depuis ses fondements judaïques), en faisant simplement l'inverse de tout ce qu'il dit, on reviendra dans le bon ». Pour eux, même le polythéisme ou le druidisme pré chrétien, valent mieux que le christianisme. N'importe quoi, sauf le christianisme, dont la dangerosité s'incarne dans sa composante principale, l'Église catholique (l'infâme à abattre, comme disait Voltaire).

  • Si on considère l'Islam comme un ancien schisme du judéo-christianisme, on peut voir qu'il a certaines similitudes avec le schisme protestant, qui aura lieu quelques siècles plus tard.

    Ils introduisent tous les deux la notion peu chrétienne de théocratie, le chef spirituel est aussi le chef temporel. Et la notion donc de religion d'État (ou religion du chef de l'État), où les autres religions sont interdites, ou tolérées si elles se soumettent, et si leurs fidèles acceptent d'avoir moins de droits civils et politiques, et pratiquent leur foi en privé.

    Ils privilégient tous les deux le recours à un livre comme étant l'unique Parole de Dieu, comme s'il avait été écrit par Dieu lui-même. Ils sacralisent donc un livre, œuvre humaine, en en faisant une quasi idole. C'est comme s'ils avaient réussi à enfermer Dieu dans ce livre, comme on enferme un génie dans une lampe magique.

    Je me demande parfois si les fondateurs des différentes églises protestantes n'ont pas été influencés ou impressionnés par la réussite matérielle et terrestre de l'Islam à l'époque, et n'en ont pas déduit que les chrétiens devaient les imiter en quelque sorte. N'oublions pas que l'apogée de l'empire ottoman date du XVè siècle, et qu'au XVIè siècle ils poussaient leurs colonisations européennes jusque Vienne.

    Notons en passant que les régimes athées ont les mêmes caractéristiques qu'un régime théocratique. La religion athéiste du chef de l'État est imposée à tous ses sujets, et les autres religions sont interdites, ou seulement tolérées. Et ils utilisent simplement l’œuvre d'un homme comme parole sacrée, que ce soit Voltaire, Nietzsche ou Marx. Un régime athéocratique n'est donc pas plus valable qu'un régime théocratique. La liberté religieuse n'est pas meilleurs en Corée du Nord qu'en Arabie saoudite.

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