Une salve de la revue « Catholica » salue déjà les 50 ans de Vatican II (01/05/2012)

 A lire ici :Nu­mé­ro 114 : Ou­ver­ture d’un cin­quan­te­naire . Voici quelques extraits en guise de synthèse (les intertitres sont de Belgicatho) :

 Surmonter un paradoxe

 (…) Placée dans une si­tua­tion de rejet de la part de ce que les papes du XIXe siècle ap­pe­laient « la  ci­vi­li­sa­tion mo­derne » (Pie IX) ou « le droit nou­veau » (Léon XIII), l’Eglise a long­temps réagi en op­po­sant la pé­ren­ni­té de son en­sei­gne­ment aux prin­cipes do­mi­nants de l’époque, cher­chant d’autre part par des voies di­verses, par­fois pa­ra­doxales, les moyens de main­te­nir sa pré­sence dans la so­cié­té.(…).

Va­ti­can II, pre­nant acte de l’in­ef­fi­ca­ci­té du­rable de ces voies, au­rait pu, et dû, être l’oc­ca­sion d’une ex­cep­tion­nelle ré­vi­sion des ana­lyses et des mé­thodes, et fa­vo­ri­ser l’émer­gence d’un ef­fort col­lec­tif pour re­pen­ser à neuf le rap­port de l’Eglise avec les formes so­ciales et cultu­relles contem­po­raines.

Une occasion manquée

Pour­quoi cela n’a-​t-​il pas eu lieu ? Il est im­pos­sible de sug­gé­rer une ré­ponse sans tenir compte de la pé­riode an­té­cé­dente, celle de l’entre deux-​guerres et des len­de­mains de la Deuxième Guerre mon­diale  D’une part, une cer­taine sclé­rose af­fecte les lieux ins­ti­tu­tion­nels d’éla­bo­ra­tion et de trans­mis­sion du sa­voir – uni­ver­si­tés pon­ti­fi­cales et autres centres de for­ma­tion su­pé­rieure ca­tho­lique –, no­tam­ment en rai­son des contre­coups des « ral­lie­ments » suc­ces­sifs.(…) .D’autre part on mène un jeu dan­ge­reux dans le cadre d’or­ga­nismes tels que l’Ac­tion ca­tho­lique, la presse et l’édi­tion re­li­gieuse, et bien sûr aussi les par­tis po­li­tiques et les syn­di­cats, pla­cés au contact im­mé­diat de la culture do­mi­nante, mar­xiste ou li­bé­rale.(…) . Cet état de ca­rence, non ab­so­lue mais ma­jo­ri­taire dans le ca­tho­li­cisme du XXe siècle, a per­mis aux plus ac­tifs des élé­ments « mo­der­ni­sa­teurs » d’ob­te­nir un bas­cu­le­ment dans leur sens, ve­nant sanc­tion­ner l’ac­cep­ta­tion des thèses dé­fi­nies dans la se­conde moi­tié du XIXe siècle au sein du cou­rant li­bé­ral-​ca­tho­lique. Ce fut donc le grand « tour­nant an­thro­po­lo­gique » (K. Rah­ner), avec toutes ses ap­pli­ca­tions, no­tam­ment en ma­tière de rap­ports entre spi­ri­tuel et tem­po­rel. (… ) .Dans la « Consti­tu­tion pas­to­rale sur l’Eglise dans le monde de ce temps », Gau­dium et Spes, le Concile prê­tait à l’Eglise le désir de se faire re­con­naître comme guide uni­ver­sel dans un monde en pleine trans­for­ma­tion (…). Si, il y a un de­mi-​siècle, cette au­da­cieuse pro­po­si­tion pou­vait en­core s’at­ti­rer des louanges bien am­bi­guës, dé­sor­mais son rejet est franc et bru­tal, à l’oc­ca­sion même in­sul­tant.

Constat d’échec

On ne sau­rait donc bien long­temps main­te­nir un dis­cours aussi cruel­le­ment dé­men­ti par les faits. A cin­quante ans de dis­tance, on constate que ni l’offre de ser­vice ni l’ac­quies­ce­ment aux va­leurs du temps n’ont reçu une ré­ponse pro­por­tion­née. Non seule­ment le chan­ge­ment de pa­ra­digme s’est avéré aussi in­opé­rant, sinon plus, que le pré­cé­dent, puisque la contre­par­tie de sym­pa­thie nou­velle que l’on en at­ten­dait ne s’est pas vé­ri­fiée, mais en outre il a pro­vo­qué de nom­breux pro­blèmes nou­veaux, ex­ternes et in­ternes ; on di­sait que l’Eglise s’était re­ti­rée hors du monde par ses condam­na­tions, mais au­jourd’hui, mal­gré tous les dia­logues et toutes les ou­ver­tures, elle en est plus ex­clue que ja­mais tan­dis qu’elle a subi une « mon­da­ni­sa­tion » in­té­rieure pro­fonde et sans pré­cé­dent, comme l’a consta­té Be­noît XVI dans son dis­cours au Bun­des­tag, le 22 sep­tembre 2011.Il se­rait donc bien­ve­nu et lé­gi­time de s’in­ter­ro­ger cette si­tua­tion.(…)

Diversion et atermoiement

Mis à part la né­ga­tion pure et simple de l’échec, de na­ture pro­pre­ment idéo­lo­gique, il existe pour le mo­ment deux ma­nières de dif­fé­rer l’ana­lyse.

La pre­mière consiste à en cher­cher la cause prin­ci­pale dans l’ag­gra­va­tion de l’état de la so­cié­té, concrè­te­ment dans mai 1968 et ses suites (…).Mais pour pres­sant que tout cela ait pu être, il ne s’est agi, après tout, que d’un en­semble de condi­tions nou­velles aux­quelles il était pos­sible de ré­pondre selon le degré de convic­tion et de force in­té­rieure dis­po­nibles dans le peuple chré­tien, et sin­gu­liè­re­ment dans le cler­gé. C’est sur ce point qu’il est im­pos­sible d’im­pu­ter la res­pon­sa­bi­li­té prin­ci­pale de l’ef­fon­dre­ment au monde ex­té­rieur. Et cela pour une rai­son de prin­cipe – l’épreuve for­ti­fie les forts, elle ba­laie les faibles – et une autre de fait, puisque dans une me­sure nette, ce sont les forces mêmes de la mo­der­ni­sa­tion in­terne de l’Eglise qui ont nour­ri les avant-​gardes pro­vo­quant les mu­ta­tions in­ter­ve­nues à par­tir de 1968. C’est éga­le­ment le cler­gé qui est entré en dé­com­po­si­tion, tout comme les ordres re­li­gieux, pen­dant le cours même du Concile et non pas seule­ment dans les an­nées 1970.(…). D’autre part, l’op­ti­misme qui était de mise au Concile re­po­sa soit sur une éton­nante igno­rance du cours réel du monde et de ses chan­ge­ments, soit sur un refus dé­li­bé­ré de les prendre en consi­dé­ra­tion par suite de choix pré­éta­blis. Un cas fla­grant fut celui de l’omis­sion du com­mu­nisme – mal­gré le scan­da­leux si­lence sur son épou­van­table mé­ca­nique de des­truc­tion hu­maine – mais peut-​être plus en­core celui du si­lence sur le sys­tème d’en­semble dont le com­mu­nisme n’est qu’un ra­meau (…) ».

Une autre ma­nière de re­tar­der l’ana­lyse d’en­semble des causes de l’échec de la ten­ta­tive conci­liaire de ré­con­ci­lia­tion avec le monde non chré­tien ou an­ti­chré­tien consiste à ima­gi­ner une sorte de « plan B », une in­ter­pré­ta­tion qui, sans re­mettre en cause les grandes orien­ta­tions de l’époque, ten­te­rait de né­go­cier, sur leur base ré­in­ter­pré­tée, un rap­port ac­cep­table avec les puis­sances ac­tuel­le­ment do­mi­nantes.(…) Le dis­cours pro­non­cé par Be­noît XVI le 22 dé­cembre 2005 a of­fi­cia­li­sé l’exis­tence du pro­blème et en même temps pré­ci­sé les mo­da­li­tés d’un ré­exa­men tem­pé­ré qui per­met­trait d’évi­ter les deux pôles op­po­sés de la ré­vi­sion dé­chi­rante et de la fuite en avant. La ten­ta­tive, par­fai­te­ment com­pré­hen­sible, est fra­gile car (…) pour l’heure, il y a peu d’exemples de ce que pour­rait être une « laïcité po­si­tive », puis­qu’il s’agit de cela, sauf peut-​être dans quelques pays afri­cains (…). En re­vanche, le seul fait de dé­cla­rer le Concile in­ter­pré­table consti­tue une pre­mière étape vers une ré­vi­sion d’en­semble, en met­tant en cause la ver­sion conci­liaire la plus conforme à l’es­prit de l’époque, la plus « pro­gres­siste », mais aussi en ve­nant heur­ter les ha­bi­tudes ac­quises ou même la peur de tout chan­ge­ment, de type « conser­va­teur » cette fois.

Intimidations

Il est in­dis­pen­sable que le bilan de ce de­mi-​siècle très par­ti­cu­lier puisse enfin s’ou­vrir dans des condi­tions nor­males, c’est-​à-​dire li­bre­ment, avec pru­dence, dans un cli­mat in­tel­lec­tuel­le­ment fa­vo­rable. Cela n’est  pas en­core le cas en rai­son de ces op­po­si­tions conju­guées et des ha­bi­tudes ac­quises.

Les mé­thodes idéo­lo­giques ont lar­ge­ment été adop­tées à l’in­té­rieur du corps ec­clé­sial, cha­cun en connaît la liste : in­ti­mi­da­tion, usage de termes éli­mi­na­toires, cam­pagnes de dé­non­cia­tions, étouf­fe­ment dans le si­lence.(…) L’in­ter­dic­tion de ques­tion­ner s’opère par jonc­tion entre ac­ti­visme de base (ces fa­meux co­mi­tés au­to-​ins­ti­tués sé­vis­sant dans beau­coup de dio­cèses et d’ordres re­li­gieux, exer­çant de fait un pou­voir ar­bi­traire) et in­ter­ven­tion du « bras sé­cu­lier » consti­tué par l’ap­pa­reil idéo­lo­gique fonc­tion­nant dans la so­cié­té, mé­dias, as­so­cia­tions, po­lices pri­vées et le cas échéant, ins­tances gou­ver­ne­men­tales ou in­ter­na­tio­nales. Il est in­utile de dé­tailler, il suf­fit de se rap­pe­ler la ma­nière dont cer­taines af­faires ré­centes se sont dé­rou­lées et ont été ré­per­cu­tées dans le monde en­tier :le dis­cours de Ra­tis­bonne, l’af­faire William­son, celle de l’ar­che­vêque d’Olin­da et Re­cife, etc..(…)

Un deuxième fac­teur, d’ordre ins­ti­tu­tion­nel, in­ter­vient pour ren­for­cer l’effet de ces me­sures ac­tives : la dis­so­lu­tion des struc­tures hié­rar­chiques ré­sul­tant de la col­lec­ti­vi­sa­tion de l’au­to­ri­té, au nom de la col­lé­gia­li­té. Peu im­porte que celle-​ci ait dé­pas­sé en pra­tique les normes conci­liaires, elle est un état de fait qui s’est gé­né­ra­li­sé, ren­dant psy­cho­lo­gi­que­ment obli­ga­toire la so­li­da­ri­té dans le res­pect de la norme qui s’est im­po­sée (…).

Enfin rien de tout cela n’au­rait d’im­pact dé­ter­mi­nant sans la su­per­dog­ma­ti­sa­tion du Concile, qui re­lève d’une dé­marche tou­jours plus ir­ra­tion­nelle au fur et à me­sure que le temps passe, qui mal­gré tout se main­tient en dépit de ce qu’en avait clai­re­ment dit en son temps (San­tia­go, 1988) le car­di­nal Rat­zin­ger, pour la ré­cu­ser (…) Ce­pen­dant cette su­per­struc­ture est main­te­nant en train de se lé­zar­der, ce dont on ne peut que se ré­jouir.

Evaluation inéluctable

(…) Le mythe conci­liaire a be­soin d’un sup­port hu­main actif. Ce fut long­temps le fait d’un nombre consé­quent de théo­lo­giens de va­leur, for­més dans la pre­mière par­tie du siècle passé. Or l’ac­tion sub­ver­sive qu’ils ont menée avec ap­pli­ca­tion a eu comme consé­quences, entre autres ef­fets, d’af­fai­blir la va­leur de l’en­sei­gne­ment théo­lo­gique, de sorte que leur pos­té­ri­té est loin d’at­teindre leur ni­veau de ca­pa­ci­té in­ven­tive.(…). Au­jourd’hui la re­lec­ture d’un texte comme Gau­dium et Spes, em­preint d’une cer­taine fas­ci­na­tion de­vant la conquête de l’es­pace, les autres pro­diges de la tech­nique et l’avè­ne­ment de l’abon­dance, té­moigne de ce dé­pé­ris­se­ment, dans la forme et dans le fond. L’en­thou­siasme a cédé le pas au désen­chan­te­ment.

Enfin, des dis­cus­sions ont été en­ta­mées entre la Fra­ter­ni­té sa­cer­do­tale Saint Pie X, fon­dée par Mgr Le­febvre, et le Va­ti­can, en vue de dé­ter­mi­ner un sta­tut ju­ri­dique par­ti­cu­lier. Or à ces trac­ta­tions ont été as­so­ciés des échanges por­tant sur l’in­ter­pré­ta­tion du Concile, et sur la pos­si­bi­li­té d’en dis­cu­ter tel ou tel texte. Quoi qu’il en soit de la réus­site ou de l’échec de ces échanges, le seul fait qu’ils aient pu avoir lieu a ren­for­cé l’idée qu’il est dé­sor­mais admis de dis­cu­ter du Concile. Et en marge des mi­lieux di­rec­te­ment concer­nés, d’autres échanges sur le même thème se sont mul­ti­pliés, ins­tau­rant de fait un débat, don­nant lieu, dans la dé­fense sou­vent mal­adroite de l’or­tho­doxie conci­liaire par ses avo­cats les plus conser­va­teurs, à des contre-​exemples ve­nant à leur tour nour­rir le « dis­cours à faire » sur l’en­semble de la ques­tion – selon le voeu, et le titre d’un des ou­vrages ty­piques de cette pé­riode nou­velle (B. Ghe­rar­di­ni, Va­ti­ca­no II. Un dis­cor­so da fare, 2009).

Ainsi la chape de plomb si long­temps im­po­sée est-​elle ap­pe­lée à s’al­lé­ger, avant, peut-​être, de dis­pa­raître to­ta­le­ment. Les an­nées qui viennent de­vraient être l’oc­ca­sion de voir s’élar­gir et se pré­ci­ser un cli­mat pro­gres­sif de li­ber­té en vue d’une ré­vi­sion mé­tho­dique des don­nées en cause. ».

Un diagnostic anti-moderne radical (qui a, lui aussi, sa mythologie),  une pièce à verser au dossier. Ce n’est sans doute pas la seule.

 

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