A propos d’une vérité qui fait mal (23/05/2012)

Se référant à l’enquête parue dans « Le Point » (catholiques-de-l-allier-l-operation-verite-qui-fait-mal) et dont nous avons rendu compte ici:  Un diocèse sinistré qui ressemble à tant d'autres, malheureusement, le journaliste Patrice de Plunkett commente sur son blog  (extraits) :

« Cinq cent mille euros de déficit en 2015, diminution des fidèles de 40 à 50 % dans les 15 ans à venir et seulement 2,2 % de la population qui fréquente l'Église... » Résultats d'une enquête réalisée les 1er et 2 octobre 2011 dans le diocèse de Moulins (Allier), à l'initiative de l'évêque, Mgr Pascal Roland.

Le constat est le même que dans de nombreuses autres régions : les fidèles vieillissent, les prêtres se raréfient, etc. Pourquoi ? et que doit faire l'Eglise catholique ?

« Le renouvellement de l'Église vit une rupture dans la transmission », constate Mgr Roland. (…)» ? Selon certains, transmission et tradition étant synonymes, la désertification catholique dans l'Hexagone ne s'expliquerait que par la crise des années 1970-1980 : c'est-à-dire, 1. la nouvelle liturgie, 2. le coma de la catéchèse. L'explication 1 est une illusion des « tradis ». Mais la cause 2 a joué (cf. les deux admonestations du cardinal Ratzinger en 1983 au sujet de la catéchèse française) : aligner l'enseignement de la foi sur les utopies de la pédagogie spontanéiste, c'était fabriquer une génération de catholiques ignorant le christianisme. Une grande partie de cette génération fait défaut aujourd'hui.

Cependant il y a autre chose. La situation actuelle s'explique aussi par un phénomène de société.

Ce phénomène est l'allergie au judéo-christianisme, dans une société européenne dont les comportements sont formatés en profondeur par la « vision de la vie » matérialiste mercantile : une vision produite par notre système économique. (…)Mais ce matérialisme mercantile imprègne aussi les masses : et c'est le problème de la « nouvelle évangélisation ». Comment intéresser à la foi chrétienne des interlocuteurs nourris dans l'idée que « les monothéismes » (surtout le christianisme) ne sont que des tue-l'amour professés par des peine-à-jouir ? Comment ouvrir à l'idée du Salut des gens certains de n'en avoir aucun besoin ?

Là est l'obstacle. (…) Pour s'engager dans cette voie, encore faut-il que les catholiques français ne prennent pas de faux-fuyants. Le « remède à la crise » serait dans « une meilleure formation des fidèles », lit-on ici et là. C'est exact. Mais « formation » à quoi ? Quand les journaux et les blogs traditionalistes (imités de plus en plus par les « classiques ») parlent de « formation », ça ne débouche que sur le rabâchage des fausses vérités poussiéreuses de la Cité catholique des années 1960. Ou sur de laborieuses dissertations où l'on justifie le néolibéralisme par la scolastique médiévale... Mais ça débouche rarement sur l'étude des documents pontificaux récents ; et ça ne débouche jamais sur celle des documents épiscopaux français (…) Oui, la formation est une priorité. Mais une formation véritablement chrétienne, c'est-à-dire spirituelle (l'Evangile) et tirant de l'Evangile les leçons qui s'imposent quant à la dignité de la personne et à la justice sociale : donc au changement de société. Donc à la mise en cause du système économique... Benoît XVI et les évêques français y appellent ; trop de catholiques français restent sourds à ces appels, ou font semblant de comprendre autre chose1; cette surdité est un scandale et une entrave à l'évangélisation.(…). 

_________
1. En 2012 on annonce encore des réunions (à la mode d'il y a dix ans) où de pieux néolibéraux viendront « donner des enseignements »... comme si les cruautés économiques et sociales étaient solubles dans le vocabulaire. Organisateurs : des congrégations ou des mouvements de laïcs, visiblement branchés sur autre chose que le Magistère.

-------------------------------------------------------------

Toute la note se trouve ici : « Réflexions autour de l'enquête du Point ». Sa lecture nous laisse un peu sur notre faim.

Le défi que la modernité « post-industrielle » pose au catholicisme contemporain est évidemment plus fondamental que celui de la définition d’un modèle économique et il affecte surtout les pays libéraux d’Europe et d’Amérique du Nord.

Certains catholiques sociaux cherchent, depuis la fin du XIXe siècle, à théoriser un modèle d’économie évangélique « ni-ni », dénonçant tour à tour les systèmes hérités de la pensée des Lumières et  certaines insuffisances de l’écologisme à la mode, mais ont-ils jamais su, à cet égard, définir et populariser un système doctrinal spécifique et est-ce d'ailleurs opportun ? Sans doute pas plus qu'une politique tirée de l'écriture sainte.

La récente encyclique « Caritas in Veritate » elle-même donne parfois l’impression (en dehors des passages directement écrits par Benoît XVI, qui parle rarement pour ne rien dire) d’un vaste catalogue à l’écriture duquel ont participé beaucoup (trop ?) de mains réputées expertes.

En réalité, lors du siècle dernier, le catholicisme social a réussi (dans les faits et sans dogmatiser un modèle) là où l’avènement de  l’économie industrielle moderne a été assumé par un tissu sociétal foncièrement chrétien que les fils de Voltaire, de Rousseau et de Kant n’avaient pas encore réussi à corrompre. Tel fut, pour une part, le cas de la Belgique. Mais nous sommes aujourd’hui à l’ère post-industrielle, celle des nouvelles technologies qui, en démultipliant les possibles en tous domaines, posent à la liberté humaine de redoutables questions morales : derrière les fruits défendus de l’arbre de la connaissance se profilent à présent ceux de l’arbre de vie.

Dans quel état le catholicisme les aborde-t-il ?

Le concile Vatican II (1962-1965) n’a pas vraiment traité de ces questions alors naissantes. Son « aggiornamento » concernait surtout l’ecclésiologie et son discours d’ouverture optimiste sur le monde  a été largement interprété comme une parole de libération interne : c’est le fameux « esprit de Vatican II », suivi dans la foulée par  celui de «  mai 1968 ». Cinquante ans après, une sorte de religion séculière est née sur le terrain nivelé par le relativisme. Ce qui est désormais en jeu c’est la foi révélée et l’idée même de Dieu, comme de l’homme créé à son image.

C’est une Eglise affaiblie, sinon implosée, qui doit  affronter cet enjeu fondamental.

Les papes contemporains, de Paul VI à Benoît XVI, l’ont presque toujours fait avec clarté et un certain courage. Peut-on en dire autant de tous les évêques, de leur clergé et, a fortiori, des communautés dont ils avaient la guidance ? Pour paraphraser le titre d’un livre récent de Mgr Léonard, quel est encore aujourd’hui l’idéal de l’agir du chrétien dans sa propre vie et dans le monde ? Faudra-t-il un nouveau concile universel pour que les Eglises des pays « occidentaux »  se ressaisissent et que soient tranchés, au niveau de toute l’Eglise, des problèmes autrement vitaux que ceux posés voici cinquante ans ?

Mais, comme à l’époque de la Contre-Réforme, pour prendre un point de comparaison, l’Eglise de notre siècle a aussi besoin de grandes figures charismatiques rallumant la ferveur perdue. C’est la sainteté qui convertit le monde bien plus que les assemblées, fussent-elles conciliaires.

21:43 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |