Osons le débat : réponse à Thierry Peltier (30/05/2013)

A titre personnel, voici la réponse que j'adresse à Thierry Peltier (Lettre ouverte à l'abbé Grosjean et à ceux qui le suivent) :

Cher Monsieur,

Je me retrouve assez bien dans votre profil (père et grand-père, ancien enseignant - y compris de religion -) et nous partageons apparemment ce souci de vivre en cohérence avec la foi qui nous anime.

Vous interpellez l’abbé Grosjean et « ceux qui le suivent ». Je ne sais trop si je puis m’identifier à cette catégorie mais il est vrai que je suis généralement assez sensible aux arguments développés par ce prêtre dont j’apprécie le style franc et direct.  

Vous affirmez d’emblée que la question du mariage gay ne concerne pas l’Eglise. Voudriez-vous dire par là que l’Eglise n’est pas qualifiée pour intervenir dans les débats de société et que les catholiques, en tant que citoyens, n’ont pas à faire entendre leur voix lorsqu’il s’agit de définir quelles sont les règles et les lois qui doivent encadrer le vivre ensemble, définir les conditions du bien commun, protéger les individus en commençant par les plus faibles, etc. ?

Vous vous demandez de quel droit l’on pourrait empêcher deux personnes de même sexe de se marier. Il est assez simple de vous répondre que le mariage a été longtemps entendu comme un contrat unissant un homme et une femme pour constituer une nouvelle cellule familiale offrant aux enfants qui y naîtraient un cadre stable et durable. C’est au sein de ces unions que s’établissaient traditionnellement les liens de filiation et que se constituent progressivement les identités de ceux qui y naissent en référence à un père et à une mère. Je suis d’accord avec vous pour constater que ce « modèle » se trouve aujourd’hui mis à mal par une évolution des comportements qui conduit les individus à s’en éloigner pour y substituer des formules diverses à leur convenance ou par contrainte. Faut-il pour autant que la loi renonce à assurer ce qui contribue à la pérennité de la société et à procurer aux enfants le cadre le mieux adapté à leurs besoins ?

Cela ne veut évidemment pas dire que l’on refuse à des personnes homosexuelles le droit de vivre leur relation ni d’unir leurs destinées dans des formules contractuelles qui garantissent leurs droits respectifs.

Les millions de Français qui ont défilé contre le mariage gay ne sont pas homophobes même s’il s’en trouve à la lisière extrémiste de cette mobilisation mais qui ne sont absolument pas représentatifs de cet élan collectif. Ce qui a mobilisé ces foules, c’est la volonté de maintenir des repères sociétaux ressentis comme vitaux pour l’avenir des enfants, des familles, de la société toute entière.

Ne faites pas à l’abbé Grosjean le mauvais procès d’intention de feindre une attitude critique à l’égard de groupuscules extrémistes tout en s’accommodant très bien de leur présence censée assurer la publicité du mouvement. Le « chimiquement pur » n’existe pas dans l’action politique ni dans les mobilisations de masse et l’on n’empêchera jamais les brebis galeuses de se mêler au troupeau. Quant à l’attitude des forces de l’ordre et aux arrestations, il semble tout de même bien que le pouvoir en place n’y ait pas été avec le dos de la cuiller, ait multiplié les provocations, et que l’on ait cherché également à minimiser de façon outrancière l’importance de cette mobilisation.

Vous accusez très à la légère l’abbé Grosjean d’aspirer au retour d’une chrétienté révolue qui refuserait de reconnaître aux non-chrétiens leurs droits. N’est-ce pas caricatural ? En  tout cas, je n’ai rien lu de tel sous sa plume. Il s’agit d’ailleurs d’assurer les droits de tous, chrétiens ou non, en commençant par ceux des enfants qui ne doivent pas devenir les objets des projets arbitraires des adultes mais accueillis au sein de structures familiales respectueuses de leurs droits et de leurs besoins. Je suis d’accord avec vous sur l’importance de notre témoignage au sein de la société pour y annoncer l’évangile mais cela ne nous dispense pas de nous battre, en tant que citoyens, pour que notre société ne devienne pas un vaste n’importe quoi sur le plan éthique. Pouvons-nous, indépendamment de nos convictions religieuses, assister passivement à un bouleversement de la vision de l’homme et de la société qui nous conduit à entériner toutes les dérives possibles ? Et demain (mais c’est déjà aujourd’hui) reconnaîtra-t-on à ceux qui n’approuvent pas ces lois (avortement, euthanasie, mariage gay), qu’ils soient chrétiens ou non, le droit de s’exprimer et surtout d’agir en contradiction avec elles au nom d’une pourtant légitime objection de conscience ?

Vous mettez en avant ce qui se passe en Belgique pour rejeter, d’un simple revers de main, les craintes et les appréhensions que l’on peut avoir à l’égard d’une société qui légalise le mariage gay (entre autres choses). Trouvez-vous que le spectacle de la société belge, effectivement passive et anesthésiée, soit tellement séduisant ? Où en sont les statistiques du mariage et du divorce ? Où en est le taux de suicide des jeunes ? Que penser d’un pays où l’on ouvre le suicide assisté à des catégories de plus en plus larges y compris à des enfants ? Peut-on considérer qu’après seulement dix ans on peut déjà mesurer l’impact des lois qui font régner dans notre pays un libéralisme échevelé ? Votre carrière au sein de l’école vous a-t-elle fait constater une amélioration du climat familial et sociétal dont bénéficiaient vos élèves ?

Il ne s’agit pas de faire du mariage gay le bouc émissaire de quoi que ce soit mais d’y voir une nouvelle étape dans l’abolition des valeurs qui permettent à une société authentiquement humaine d’exister. Bien sûr, cette étape s’inscrit dans un contexte de délabrement des mœurs qui nous inquiète terriblement. Et ce n’est pas parce que nous nous faisons du souci au sujet de délabrement de l’institution matrimoniale que nous oublions les autres problèmes comme vous nous en faites le procès. Croyez-vous que nous soyons moins sensibles que vous « aux tonnes d’enfants malheureux » que vous évoquez ? Est-ce une raison d’ailleurs pour ouvrir la voie à des processus qui en ajouteront des milliers d’autres privés de père ou de mère, à l’identité incertaine, sans notion de leur réelle provenance, troublés dans leur filiation ?

Vous affirmez un peu facilement que la démarche d’un couple homosexuel en quête d’adoption est identique à celle d’un couple hétérosexuel faisant une démarche semblable. Vous devez savoir pourtant que tout est dans l’intention et qu’il ne revient pas au même de vouloir accueillir un enfant abandonné au sein de sa famille que de vouloir à tout prix (en recourant notamment à la PMA ou à la GPA) se procurer un enfant pour répondre au désir d’en « avoir » un.

Vous faites un mauvais procès à l’abbé quand vous lui reprochez de ne pas descendre dans la rue pour défendre les enfants du divorce. Les échecs de plus en plus nombreux des couples mariés (y en aura-t-il moins au sein des couples gays mariés avec enfants ?) nous interpellent tout autant que vous et nous ne nous y résignons pas. Mais ce n’est pas cela qui est aujourd’hui à l’ordre du jour. Une fois de plus, ce n’est pas parce qu’il y a déjà tant de malheureux qu’il faut se résigner à en produire encore d’autres.

Pour vous, nos arguments sont nuls et non avenus et relèvent de fantasmes infondés. Pourtant, on a vu militer et témoigner au sein de la Manif pour Tous des personnes homosexuelles qui en confirmaient la pertinence et témoignaient de leurs propres expériences. Que vaut votre démonstration par l’absurde en recourant à l’exemple d’enfants élevés en orphelinat ? Tout le monde sait que ce type de solution n’était qu’un pis-aller et que l’adoption au sein d’une famille représente une solution bien plus acceptable. Encore est-il évidemment souhaitable que la famille d’accueil offre des garanties sérieuses pour assurer l’épanouissement de l’enfant, dont celles de lui donner un père et une mère. Et il y a assez de couples hétérosexuels en attente d’enfants pour en assurer l’accueil.

Pourquoi, d’ailleurs, feignez-vous d’ignorer toutes ces dérives auxquelles donne lieu le désir d’enfants à tout prix ? N’avez-vous jamais entendu parler des cliniques de fécondité, en Inde notamment, où l’on procrée des embryons en laboratoire à tour de bras pour exploiter ensuite des femmes qui doivent se résigner à louer leur utérus, dans des conditions inacceptables, afin de satisfaire la demande de couples occidentaux ?

Vous vous faites volontiers donneur de leçons en conseillant notamment d’aller à la rencontre des gens réellement malheureux comme si l’on ne s’en souciait pas. Que savez-vous de l’apostolat réel de l’abbé Grosjean et des engagements concrets « de ceux qui le suivent » ? Faudrait-il que chacun d’eux vienne justifier devant vous des actions auxquelles ils participent à travers une multitude d’associations pour précisément venir en aide à leur prochain sans n’en exclure aucun ? Pour notre part, nous vous conseillerions volontiers de vous montrer plus prudent à l’égard de déclarations médiatiques, fussent-elles celles d’un professeur de l’UCL.

Ceci dit, je rejoins tout à fait votre souci d’aller à la rencontre des personnes. Si nous ne le partagions pas, pourrions-nous nous prétendre disciples du Christ qui nous a précédés sur les chemins de la rencontre. Toutefois, à travers ces multiples rencontres, il n’a jamais consenti à ce qui était mal ni laissé croire qu’on pouvait « construire son bonheur » au mépris de ce qui est bien.

Et c’est ainsi, croyons-nous, que nous suivons le conseil de Jean dans ce texte auquel vous avez la bonté de nous renvoyer : « Petits enfants, n'aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité. »

Yves Willemaers

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