Covid-19 : pourquoi ils ne vont plus à la messe du dimanche ? (27/09/2020)

Déjà en chute constante depuis la crise ouverte de la foi qui a suivi le Concile Vatican II, l’assistance aux messes dominicales a-t-elle reçu le coup de grâce avec les célébrations virtuelles organisées durant l’interdit lié au confinement radical puis aux contraintes sanitaires (toujours en vigueur) édictées pour lutter contre la pandémie persistante du covid 19 ? Lu sur le site web du périodique « famille chrétienne » cet article réalisé par Hugues  Lefèbvre avec Guilhelm Dargnies :

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« Avec la crise sanitaire, les catholiques iraient moins à la messe. Peur du virus ? Confort de la messe télévisée ? Découragement ou bien colère ? Enquête sur les raisons d’une désertion.

Dix ? Vingt ? Trente pour cent ? Impossible de dire précisément combien de catholiques ont cessé d’aller à la messe le dimanche depuis la crise du Covid-19. Dès le 15 août, Mgr Patrick Chauvet (*), recteur de la cathédrale de Paris, s’alarmait du fait que 30 % des fidèles n’étaient pas revenus sur les bancs des églises. Une situation propre à Paris et aux grandes métropoles françaises ? Peut-être. Certains citadins ont profité des possibilités de télétravail pour partir prendre l’air. « Chez nous, on observe une baisse d’affluence à la messe, mais c’est trompeur et temporaire », veut croire le Père Stanislas Lemerle, curé de la paroisse Saint-Ferdinand-des-Ternes, dans le 17e arrondissement de la capitale. « Beaucoup ne sont pas rentrés. Ils ont passé le confinement à la campagne, dans leur résidence secondaire. À partir du moment où les activités paroissiales reprendront, les gens reviendront. » Une baisse conjoncturelle donc, résultat d’un effet de vases communicants. À Vannes, par exemple, on n’a pas noté d’évolution particulière. « Il n’y a pas eu de moindre fréquentation. Les paroissiens étaient contents de revenir à l’église, las de regarder la messe à distance, sur leur écran», explique Léon Bridaux, diacre permanent à la paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes, Saint-Pie-X et l’Île d’Arz. 

Pourtant, en sondant plusieurs diocèses, ruraux notamment, beaucoup partagent le même constat. « Partout où je suis allé depuis le déconfinement, je note qu’un certain nombre de personnes, âgées surtout, ne sont pas revenues à la messe », s’inquiète Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban. « Les remontées de prêtres confirment cette impression. Les familles sont là, les jeunes aussi, mais une partie du public plus âgé est craintif à l’idée de se rendre à l’église à cause du virus. »

«Nous ne sortons pas tant que le virus se promène»

Même son de cloche dans le diocèse de Strasbourg. De nombreuses paroisses du doyenné de Masevaux connaissent par exemple une baisse de fréquentation des messes. Le Père Gérard Ballast évoque un certain état d’esprit : « Depuis le confinement, l’état physique de certaines personnes âgées s’est aggravé. Il y en a trois que je rencontre souvent, à qui j’ai proposé d’apporter la communion. Les deux dames m’ont dit : “Nous ne sortons pas tant que le virus se promène.” Animatrice en pastorale et bras droit du vicaire épiscopal du diocèse de Strasbourg, Véronique Lerch sillonne ce dernier depuis des années. « Dans la moitié des communautés de paroisses, il manque des fidèles. Il s’agit de personnes âgées mais, dans certaines communautés, les coopératrices de la pastorale m’indiquent qu’elles n’ont pas encore d’inscription pour la préparation des sacrements. C’est la première année qu’il en est ainsi. Il faut dire que nous n’avions pas pu lancer ces inscriptions au printemps, lors du confinement. On en subit aujourd’hui la conséquence. » Toujours dans ce diocèse de l’est de la France, région fortement touchée par la crise sanitaire, le Père Frédéric Flota confie que la moitié des enfants de chœur (sur une quinzaine) de la communauté de paroisses de la Haute-Doller n’est pas revenue servir la messe. « Ceux qui restent sont ceux dont les parents étaient pratiquants », explique-t-il. Que sont devenus les autres ?

Certains avancent le fait que des fidèles auraient pris goût à la messe retransmise à la télévision. « Il y a en effet eu une explosion d’offres de messes sur Internet au moment du confinement. Beaucoup se sont réjouis de ce flux impressionnant. Il suffisait de zapper pour choisir sa messe, son homélie, ses chanteurs, etc. ! », rappelle Mgr Ginoux. S’il souligne le très bel élan des catholiques pour s’adapter à la crise, il avertit toutefois. « Ce dispositif exceptionnel valait pour un état d’exception. Car l’écueil, c’est le “Jésus” à la carte, c’est le virtuel qui nous prive du sens profond de la messe où le Seigneur nous attend réellement dans l’eucharistie. » Et le prélat de prendre une image : « C’est sympathique de voir un proche sur Skype. Mais à terme, cela vous suffit ? Vous ne préférez pas serrer dans vos bras les personnes que vous aimez ? Le virtuel ne peut pas suffire à la vie du chrétien. On doit se laisser rejoindre physiquement par le Seigneur et rencontrer physiquement la communauté paroissiale, qui est aussi corps du Christ. Le christianisme, c’est l’Incarnation ! »

Mais pour d’autres pratiquants, ce n’est pas la peur du virus ni l’attrait de la messe télévisée qui les poussent désormais à ne plus se rendre le dimanche à la messe. Les raisons sont sans doute plus profondes. Au départ étonnés par l’attitude de l’institution aux prémices de la crise, certains ressentent désormais un malaise en voyant leur église devenir un lieu où l’hygiène aurait pris trop de place. « Je suis revenue avec joie à la messe après ces mois d’abstinence », raconte Marie (**), 50 ans. « Mais la joie n’a été que de courte durée », poursuit cette habitante de Haute-Garonne, avant de se lancer dans une longue litanie. « Nous avons reçu un mail avant la première messe avec une série de mesures, toutes plus absurdes les unes que les autres, juge-t-elle. Seuls trois bancs étaient réservés aux familles. Flèches, rubalise, sens interdits, “brigade” de triage et surveillance des règles à l’entrée, fermeture des portes une fois le nombre de personnes atteint, lavage des mains, et masques, évidemment. Comment se sentir accueilli et penser être dans sa maison ? », s’interroge-t-elle encore. Cette incompréhension et cette colère, Marie les a partagées à son curé. « Il est d’accord avec moi, mais il est sous la pression des équipes d’animation pastorale et des paroissiens anesthésiés par la peur... » Vivant seule, Marie confie n’avoir plus qu’un regard dans un miroir pour se souvenir à quoi ressemble un visage, un sourire, une expression. « Le port du masque me renvoie à ma blessure d’abandon et de rejet. Je me sens agressée par tous ces gens qui me cachent leur visage et ne veulent plus voir le mien. Ce masque me signifie : “Je ne suis plus ton frère car tu es un danger pour moi. Écarte-toi.” » C’est ainsi que Marie hésite désormais à retourner à son écran, « pour suivre une messe dans la paix du cœur et non la boule au ventre ».

« Quand allons-nous réagir ? »

 Ne plus se rendre à la messe dominicale, c’est avec une très grande tristesse que Madeleine (**), 39 ans, s’est résolue à cette fin. Avec son mari et ses cinq enfants, elle vit depuis un an dans un village de Saône-et-Loire. « Nous avons quitté une paroisse dynamique pour trouver une église vieillissante et pas du tout accueillante. Nous nous sommes accrochés. Puis est arrivé le confinement... », confie-t-elle avant de reprendre sa respiration. « L’église s’est retrouvée bouclée avant même que des directives sanitaires publiques soient prises ! Nous avons fait des pieds et des mains auprès de la paroisse et du diocèse. Rien. Le curé de paroisse a estimé que nous pouvions nous recueillir chez nous. »

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Elle et son mari, baptisé il y a un an – « qui a donc le feu du converti ! » –, sont abasourdis par cette attitude ecclésiale. « Nous ne nous sommes pas résignés. Mon mari a construit une belle et grande croix. Et nous avons construit notre église chez nous. Souvent, par le passé, nous priions pour les chrétiens qui ne peuvent pas célébrer librement leur foi. Cette fois-ci, c’était nous... », sourit-elle, amère. Le confinement se passe. « Nous avons vécu une merveilleuse veillée pascale éclairée aux cierges. Une soirée de cœur à cœur avec Jésus. La perspective de l’Église domestique a parlé à chacun de nous. Par la force des événements, nous sommes redevenus acteurs de notre foi et avons pris ce temps comme un cadeau du Ciel. » Au sortir du confinement, pressée de retrouver l’eucharistie, la famille déchante. « On avait l’impression de déranger. Comme si nos enfants en bas âge représentaient une menace en temps de pandémie... Et puis ces masques, l’impossibilité de se sentir accueillis, de faire un geste de paix... Nous n’avions pas l’impression d’être dans le plan de Dieu ! » Blessés par des regards, elle et son mari se résolvent à poursuivre leur liturgie domestique. Mais l’eucharistie ? « Oui, nous avons faim de recevoir le Christ. Alors nous allons à certaines messes, plus loin. Ces messes, on s’y prépare de tout notre cœur. » Si Madeleine conçoit bien que l’Église doit prendre certaines précautions avec l’épidémie, elle ne comprend pas son engourdissement « alors qu’en temps de crise, l’Église doit être en sortie ! ». « Nous sommes engagés dans les Parcours Alpha. Et nous y rencontrons des personnes qui ont abandonné la pratique. Vous savez comment ils dépeignent l’Église ? Comme une cave qui sent le renfermé. Et personne ne veut ouvrir la fenêtre... Quand allons-nous réagir ? », insiste-t-elle. 

Réagir : tel est aussi l’avis de Natalia Trouiller, essayiste et auteur de Sortir ! Manifeste à l’usage des premiers chrétiens (Éditions Première Partie, 2019). « Les crises ne provoquent pas les choses, elles les révèlent. Cet épisode du Covid-19 ne fait pas exception. Nous assistons à la révélation de ce que la messe signifie pour le peuple de Dieu depuis fort longtemps. À la fin du confinement, les gens se sont posé la question : “Finalement, est-ce que cela m’a manqué ?” Cela ne nous fait pas plaisir, mais les faits sont là... » Pour autant, l’ancienne responsable de la communication du diocèse de Lyon ne veut pas s’arrêter à ce triste constat. Alors qu’ici et là des voix s’élèvent pour dire que l’Église « a raté le coche » du Covid, l’auteur plaide pour qu’elle fasse son autocritique et prenne l’occasion de la crise sanitaire pour se ressaisir. « Nous venons de vivre un événement d’Église exceptionnel qui nous a tous ébranlés. S’il a été traumatisant pour certains, il a aussi révélé de belles choses, une inventivité extraordinaire, des familles qui se sont remises à prier ensemble, des chrétiens tièdes qui se sont repris en main, ont témoigné de leur foi, sont sortis en mission. Maintenant, il faut que nous répondions individuellement et collectivement à cette question : pourquoi allons-nous à la messe ? Je crois qu’un synode sur la messe serait le bienvenu. » (***)

Et la messe dans les EHPAD ?

« Quand on est très vieux, dans l’Église, qu’est-ce qui se passe ? Il n’y a plus de messe dans les maisons de retraite. Je considère que ce sont mes paroissiens. Or, on ne peut plus leur donner l’eucharistie ! » Tel était le cri d’alarme du Père Emmanuel Gil, vicaire à la paroisse de Wassy dans le diocèse de Langres, peu de temps avant que cette situation n’évolue localement, ce 4 septembre : au bout du compte, des deux Ehpad situés sur le territoire du doyenné, l’un serait sur le point d’accueillir de nouveau des célébrations eucharistiques. « Ça dépend de la direction de ces structures. L’une dira : “À condition de respecter les gestes barrière, vous êtes accueillis.” Et puis une autre structure, plus éprouvée, sera très restrictive. » Contacté par Famille Chrétienne, l’établissement de Wassy confirme le retour des messes ce mois-ci. Dans une paroisse voisine, elles ont même repris dès juillet. À l’aumônerie nationale, au service Famille et société de la Conférence des évêques de France, on souligne que la célébration des messes n’est qu’un aspect du travail de la pastorale des établissements de santé, le premier étant la visite aux personnes isolées. Or, d’après le Père Jean-Marie Onfray, les visites de membres de l’aumônerie subissent le sort dévolu aux visites dans les Ehpad : « La règle, c’est qu’il n’y a pas de visite. Même si dans la plupart des diocèses, on constate qu’il y a des exceptions. »

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(*) Une baisse de 30% ? «Au niveau national, il y a 30% de fidèles qui ne sont pas revenus», estimait Mgr Patrick Chauvet, recteur de Notre-Dame de Paris, au micro d’Europe 1 le 15 août. Qu’en est-il aujourd’hui? Difficile à dire avec des chiffres, mais les raisons de la désaffection pointées par Mgr Chauvet demeurent: «Certains ont peur du Covid», «dautres se sont habitués à regarder la messe à la maison».

(**) le prénom a été modifié

(***) 7 % des Français déclaraient aller à la messe dominicale en 2012. Un chiffre en baisse constante depuis les années soixante (Source : IFOP)

Ref. Covid-19 : pourquoi ils ne vont plus à la messe du dimanche ?

JPSC

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