L'équivoque interreligieuse des "Enfants d'Abraham" (07/03/2021)

De Stefano Fontana sur la Nuova Bussola Quotidiana :

L'équivoque interreligieuse des "Enfants d'Abraham"

07-03-2021

Il est bien beau d'inviter les trois religions à collaborer pour le développement et la paix, mais "les Fils d'Abraham" ne peuvent pas devenir une nouvelle religion. C'est pourtant précisément le risque encouru par l'approche du pape François hier, à Ur. 

On savait, et on sait, que le voyage du pape François en Irak serait, et est, plein de dangers. Il y a beaucoup de questions controversées, beaucoup de déchirements encore actuels, beaucoup d'intérêts politiques et religieux en jeu. On savait, et on sait donc, que ses interventions auraient dû tenir compte d'une situation délicate, avec des nerfs exposés et des explosifs. Sur certains sujets, il aurait été préférable de se taire, sur d'autres d'utiliser les mots les plus appropriés, sur d'autres encore de ne faire qu'une allusion et, enfin, de parler clairement ou même très clairement des autres. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un voyage très "politique". Il n'est donc pas surprenant que, de l'avis de certains, de meilleures choses auraient pu être dites sur certains sujets et que, de l'avis d'autres, le pape ait plutôt bien fait de parler comme il l'a fait.

Après avoir précisé que les attentes de cette visite doivent, pour les raisons qui viennent d'être évoquées, être adaptées de manière réaliste à la situation concrète, un problème reste ouvert, lié oui à la visite en Irak mais doté d'une importance beaucoup plus grande. Une question sur laquelle cette visite aura une grande influence à l'avenir. Je veux parler du dialogue interreligieux.

Dans une situation complexe comme celle de l'Irak, on comprend la nécessité de parler de collaboration et, surtout, de collaboration entre les religions, en particulier entre les chrétiens, les juifs et les musulmans. Dans un climat explosif comme celui de l'Irak, il faut asperger d'eau, pas allumer de nouvelles flammes. On comprend alors que le pape se soit présenté comme un messager de paix et de coexistence fraternelle, en cherchant à éteindre les tensions et la haine et en semant l'espoir.

Mais il faut aussi se demander si un tel discours de paix et de collaboration devait aller jusqu'à éliminer la distinction entre les trois religions et indiquer la voie du dialogue interreligieux de manière discutable. Si la situation en Irak nécessite la collaboration sur le plan humain et social des trois religions les plus représentatives, cela n'a rien à voir avec une présentation uniforme des trois religions comme si elles n'en formaient qu'une : "la religion des enfants d'Abraham".

En ces jours de visite en Irak, et surtout hier dans la plaine d'Ur, ce passage s'est produit au contraire, donnant l'impression d'avoir voulu forcer les choses en pressant l'accélérateur sur un thème, celui de l'unité des religions abrahamiques, alors que le pays n'avait besoin que d'une collaboration sur le plan humain pour sa reconstruction.

En termes plus synthétiques : ceux qui vivent en Irak - et surtout les fidèles des trois religions chrétienne, juive et musulmane - peuvent collaborer pour la paix, l'ordre, le développement même sans prier ensemble comme "enfants d'Abraham" auprès du même Dieu. Mais c'est précisément cela que le pape François a proposé à la fin de son discours dans la plaine d'Ur, une prière à dire ensemble comme étant tous enfants d'Abraham. Ce saut non sollicité va au-delà de la nécessité d'une coexistence pacifique et de la situation irakienne, semblant saisir l'occasion pour viser autre chose.

L'expression "Enfants d'Abraham", comme d'ailleurs celle des "religions du Livre", sont dépourvues de contenu, ce ne sont que des figures rhétoriques. Les trois religions en question ont trois visions très différentes d'Abraham, comme elles en ont du "Livre". Et cela se produit parce que ce sont trois religions profondément différentes, et pas uniquement dans les détails. Le pape François a loué à juste titre la coexistence en Irak des trois religions avant les récents événements tragiques, mais cette coexistence se faisait précisément entre différentes religions qui, pour coexister, n'ont pas besoin de devenir une seule religion, comme le suggèrent l'expression "Enfants d'Abraham" et la prière écrite par le pape.

Dans son discours dans la plaine d'Ur, François a dit que "si nous voulons préserver la fraternité, nous ne pouvons pas perdre de vue le ciel". Il est vrai que "l'homme n'est pas omnipotent", que "seul il ne peut pas le faire" et que "s'il exclut Dieu, il finit par adorer les choses terrestres", mais cette référence au ciel, exprimée de telle manière qu'elle est valable pour tous, est vide, sans visage, générique et donc insignifiante. La vision de qui habite au Ciel est très différente pour les trois confessions et les préceptes d'amour et de fraternité, que François attribue à la "vraie religiosité" des Enfants d'Abraham, diffèrent aussi quelque peu entre eux.

La collaboration au niveau humain et social entre les différentes religions est déjà assez difficile. En effet, les questions de paix ou de justice ne sont pas neutres par rapport aux références ultimes de type religieux. Mais étant donné la situation difficile en Irak, ne serait-ce pas de l'improvisation de mettre l'accent sur ces aspects ? Benoît XVI l'a déjà fait à Ratisbonne et a dû s'en repentir. On peut donc accepter une proposition d'accueil, de respect et de collaboration contre la violence et l'injustice en Irak. C'est plus que suffisant.

Pourquoi, au contraire, pousser vers une unité religieuse abrahamique inexistante si ce n'est pour des raisons qui ont peu à voir avec les difficultés de l'Irak aujourd'hui et qui concernent peut-être plus l'intérieur de l'Église catholique que l'extérieur et qui ont peu de chance d'être vraiment accueillies par les autres ?

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