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Le pape en Irak : Abraham, notre père commun ?

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De Riccardo Cascioli sur le site de la Nuova Bussola Quotidiana :

Le pape en Irak, l'enjeu d'Abraham

05-03-2021

Le pape François arrive aujourd'hui en Irak pour un pèlerinage "sous le signe du père Abraham". Dans un pays dévasté par la guerre et la haine religieuse, c'est un appel à la coexistence pacifique dans la reconnaissance d'une fraternité commune entre chrétiens et musulmans. Mais le pape doit surmonter le double risque d'un appel qui ignore la situation politico-militaire réelle et d'un syncrétisme qui censure la diversité de la conception de Dieu, à commencer par la figure d'Abraham lui-même.

En attendant l'arrivée du Pape

Un pèlerinage "sous le signe du père Abraham, qui unit musulmans, juifs et chrétiens en une seule famille" : c'est ainsi que le pape François a défini le voyage historique en Irak qui commence aujourd'hui. Et le rendez-vous le plus symboliquement important de ce voyage est certainement celui de demain à Ur des Chaldéens, lieu de la vocation d'Abraham, point de départ d'un voyage qui devait conduire à la Terre promise. Le Pape indique un chemin de réconciliation, la reconnaissance d'une fraternité qui passe avant toutes les divisions et les différences, dans une terre dévastée par une guerre dont les chrétiens sont les premières victimes (...).

Mais la référence au père Abraham, aussi suggestive soit-elle, risque d'être tragiquement simpliste et contre-productive si elle ne s'accompagne pas d'une double prise de conscience de la situation concrète en Irak et des conceptions différentes que les chrétiens et les musulmans ont d'Abraham lui-même, pour ne pas parler de Dieu.

Quant à la situation sur le terrain, il est clair que la paix et la coexistence ne pourront jamais être fondées sur la dénonciation générique de la violence entre différents groupes ethniques et religieux. Les choses doivent être appelées par leur nom, les persécutés et les persécuteurs, les milices et les armées d'occupation et les personnes sans défense contraintes de fuir ne peuvent être mis sur le même plan. C'est pourquoi la semaine dernière, le père Rebwar Basa a invoqué comme modèle souhaitable le discours que Jean-Paul II a prononcé en Sicile contre la mafia, invitant les assassins à se convertir.

Après la défaite d'Isis en 2017, ce sont les milices chiites qui ont empêché les chrétiens de retourner chez eux dans la plaine de Ninive. Dans la NBQ du 26 février, Don Aisen Elia Barbar a mis en garde à juste titre contre une probable exploitation par les dirigeants chiites et le risque que l'enthousiasme pour la visite du Pape fasse oublier la situation réelle des chrétiens irakiens, qui n'a jamais été aussi proche de l'extinction sur cette terre qu'ils ont habitée depuis l'époque de l'Eglise apostolique et où ils parlent encore la langue de Jésus.

Rappeler la vocation commune de la famille d'Abraham n'est que le début d'un chemin souhaitable qui mène à la fin de la violence et à la reprise d'une coexistence pacifique. Mais il est nécessaire de poser comme condition préalable le retour des chrétiens dans leurs foyers, un retour en toute sécurité et avec la garantie de pouvoir concrètement recommencer sa vie.

La référence à Abraham remet donc en cause la question religieuse qui, compte tenu de l'époque, apparaît encore plus insidieuse que la question politico-militaire. Il y a en fait une tendance naïve à simplifier cet héritage abrahamique commun comme s'il y avait une véritable unité originelle à reconnaître et à laquelle revenir. Et dans cette perspective, on recherche une sorte de syncrétisme dans lequel les trois religions qui reconnaissent Abraham comme père seraient comme trois enfants appelés à partager équitablement et pacifiquement l'héritage paternel. C'est une position, d'ailleurs, que seule une certaine chrétienté soutient et qui ne pourrait jamais, jamais être acceptée par les musulmans (et même pas par les juifs).

Même le récit d'Abraham dans le Coran est très différent de ce que l'on trouve dans la Genèse. Dans le Coran, Abraham est "l'ami de Dieu" et l'ancêtre de tous les prophètes, y compris Mohammed. On raconte qu'il a pour épouse Hagar et qu'avec son fils Ismaël, il a reconstruit la Kaba (le bâtiment du centre de la Mecque qui est l'endroit le plus saint de l'Islam) qui avait été emportée par le déluge. Et plusieurs rites islamiques sont inspirés d'épisodes de la vie d'Abraham et de Hagar. L'Abraham de la Bible est au contraire l'homme avec lequel Dieu a scellé la première alliance, dont l'héritage n'est passé qu'à Isaac, le fils qu'il a eu tardivement avec sa femme Sarah. Alors qu'à Ismaël, Dieu n'accorde que la bénédiction et la promesse d'une descendance illimitée.

La promesse de Dieu à Ismaël qui, comme nous le savons, est expulsé avec sa mère Agar de la maison d'Abraham, ne concerne que le peuple qui naîtra de lui. Avec Isaac, en revanche, la promesse éternelle d'une alliance entre Dieu et l'homme est renouvelée, une alliance qui est aussi universelle.

On comprend également à partir de là l'ambiguïté de l'affirmation souvent répétée selon laquelle les chrétiens et les musulmans "croient au Dieu unique". Le Dieu auquel nous croyons est très différent, comme Benoît XVI l'a magistralement expliqué dans son célèbre discours de Ratisbonne, et le dialogue religieux prend un mauvais départ et ne mène à rien s'il censure et déforme la réalité au nom du "regard sur ce qui nous unit".

Aucune construction de la paix ne peut naître du mensonge : le grand défi du Pape François dans cette visite historique en Irak est précisément de jeter les bases d'une rencontre et d'un dialogue fondés sur la Vérité.

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