Retour sur la réponse du pape aux doutes des cinq cardinaux conservateurs (04/10/2023)

De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro via Il Sismografo :

Bénédiction des couples homosexuels, ordination des femmes... La réponse du pape aux doutes des cinq cardinaux conservateurs

Des cardinaux ont partagé leurs « doutes » sur les évolutions voulues par le synode sur l'avenir de l'Église, qui débute ce mercredi. Le pape leur a répondu. -- Le synode sur l'avenir de l'Église, qui débute ce mercredi pour un mois à Rome, devait mettre au premier plan le silence et la prière. Une polémique théologique vient de rompre cette sérénité avec fracas. Cinq cardinaux se sont opposés frontalement aux évolutions souhaitées par ce synode et l'ont fait savoir publiquement. Ils récusent notamment la perspective d'une bénédiction de couples homosexuels et l'ordination de femmes à la prêtrise. Ils rappellent aussi qu'un synode n'a qu'un pouvoir consultatif, pas celui de changer la doctrine.

Ce synode - le terme signifie « marcher ensemble » - voulu par François est un rassemblement de 365 délégués chargés de faire des propositions au pape pour une gouvernance plus démocratique et plus décentralisée de l'Église. D'abord baptisé « synode sur la synodalité », puis « synode sur l'avenir de l'Église », il se réunit au Vatican en deux sessions, aux mois d'octobre 2023 et 2024. Beaucoup voient en cette initiative le couronnement du pontificat réformateur de François, 86 ans, élu il y a dix ans sur le siège de Pierre.

Tout avait pourtant bien commencé. Samedi soir, à la lumière du soleil couchant sur la place Saint-Pierre, le pape introduisait ce rassemblement par une prière œcuménique, organisée par la communauté de Taizé, en présence d'une douzaine de hauts responsables chrétiens non catholiques. Le pape avait expliqué : « À travers cette prière commune, nous demandons d'apprendre à nouveau à faire silence pour écouter la voix du Père. Nous demandons que le synode soit une manifestation, un moment décisif de fraternité, un lieu où l'Esprit saint purifie l'Église de commérages, des idéologies, des polarisations. »

« La prudence pastorale »

C'est l'exact contraire qui s'est produit lundi. Le site diakonos.be, du journaliste italien Sandro Magister, rendait public la requête que ces cinq cardinaux avaient envoyée au pape au cours de l'été, sous la forme de « dubia » (« doutes », en latin). Cette formule juridique existe dans le droit de l'Église pour permettre à des prélats de faire part de leurs « doutes » au pape sur des matières graves.

Les cardinaux posent ainsi cinq questions, dont deux très concrètes - sur la bénédiction des couples homosexuels et l'ordination des femmes - et des interrogations touchant à la source de l'autorité doctrinale dans l'Église. Voici leur « doute » sur la bénédiction de couples homosexuels, effectivement prévue dans la réflexion du synode : « Est-il possible qu'un pasteur puisse bénir des unions entre personnes homosexuelles, laissant ainsi entendre que le comportement homosexuel en tant que tel ne serait pas contraire à la loi de Dieu (…) ? L'enseignement constant du Magistère ordinaire universel, selon lequel tout acte sexuel en dehors du mariage, et en particulier les actes homosexuels, constitue un péché objectivement grave contre la loi de Dieu (…) est-il toujours valable ? »

Dans sa réponse aux cardinaux, le pape François ne ferme pas la porte à ces bénédictions. Il rétorque que « seule » une « union exclusive, stable et indissoluble, entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la procréation d'enfants » peut s'appeler un « mariage ». « Cependant, ajoute-t-il, nous ne pouvons pas être des juges qui ne font que nier, rejeter, exclure. » Ainsi, « la prudence pastorale doit discerner correctement s'il existe des formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne véhiculent pas une conception erronée du mariage. » Par conséquent, même si « des situations ne sont pas moralement acceptables d'un point de vue objectif, la même charité pastorale nous demande de ne pas traiter simplement comme “pécheurs” d'autres personnes dont la culpabilité ou la responsabilité peuvent être atténuées. »

Certes, la décision de bénir des couples homosexuels - que François ne nomme pas comme tels - « peut faire partie de la prudence pastorale dans certaines circonstances, mais ne doit pas nécessairement devenir une norme ». Le pape refuse qu'une conférence épiscopale ou un diocèse, par exemple, s'arroge cette décision, comme le souhaiterait l'Église allemande.

Sur la question de l'ordination sacerdotale pour les femmes, envisagée dans le synode, les cardinaux écrivent : « La faculté de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes contredit le fait que la réservation exclusive de ce sacrement à des hommes baptisés appartient à la substance même du sacrement de l'ordre, ce que l'Église ne peut pas changer ? »

François rappelle tout d'abord que si Jean-Paul II avait décidé « de façon définitive » que jamais les femmes ne pourraient recevoir d'ordination sacerdotale, ce n'était pas pour les « dénigrer » et encore moins pour exprimer une « supériorité » ou une « domination », mais en considérant les femmes comme « totalement ordonnées à la sainteté des membres du Christ ».

François prévient : « Si l'on ne comprend pas cela, il sera difficile d'accepter que le sacerdoce soit réservé aux seuls hommes et l'on ne pourra pas reconnaître les droits des femmes ni la nécessité pour elles de participer, de diverses manières, à la conduite de l'Église. » Mais il ajoute, pour ne fermer aucune porte : « Nous reconnaissons, pour être rigoureux, qu'une doctrine claire et faisant autorité sur la nature exacte d'une “déclaration définitive” n'a pas encore été élaborée de manière exhaustive. Il ne s'agit pas d'une définition dogmatique ; cependant, elle doit être acceptée par tous. Personne ne peut la contredire publiquement, et pourtant elle peut faire l'objet d'études, comme dans le cas de la validité des ordinations dans la communion anglicane », qui ordonne effectivement des femmes prêtres depuis 1992.

« Différentes manières d'exposer la même doctrine »

Quant aux autres questions, l'une porte sur l'orthodoxie catholique des enseignements du pape François : « Est-il possible que l'Église enseigne aujourd'hui des doctrines contraires à celles qu'elle enseignait auparavant en matière de foi et de morale (…) ? », lancent les cardinaux. Réponse de François : les évolutions de la société peuvent conduire l'Église à trouver « différentes manières d'exposer la même doctrine ». « Pour ceux qui rêvent d'une doctrine monolithique défendue par tous sans nuance, cela peut sembler une dispersion imparfaite. Mais, en réalité, cette variété aide à mieux manifester et à développer les différents aspects de l'inépuisable richesse de l'Évangile. » Le pape conclut : « Tout courant théologique comporte des risques, mais aussi des opportunités. »

Quant à la question sur l'autorité même d'un synode, les cardinaux observent : « Le synode des évêques, qui se tiendra à Rome et qui ne comprendra qu'une sélection choisie de pasteurs et de fidèles, exercera-t-il, au sujet des questions doctrinales ou pastorales sur lesquelles il sera appelé à s'exprimer, l'autorité suprême de l'Église, qui appartient exclusivement au pontife romain et au collège des évêques ? » Réponse du pape : il ne faut pas « sacraliser ou imposer » la « méthodologie synodale » pour en faire « une norme et un chemin obligatoire pour tous », ce qui conduirait à « geler le chemin synodal » et à ignorer « la richesse bigarrée de l'Église universelle ».

Qui sont ces cinq francs-tireurs ? Il s'agit des cardinaux Walter Brandmüller, 94 ans, allemand, historien de l'Église, ancien président du Comité pontifical des sciences historiques ; Raymond Burke, 75 ans, américain, spécialiste du droit canon réputé, ancien préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, une sorte de haute cour de justice de l'Église ; Juan Sandoval Iñiguez, 90 ans, archevêque mexicain ; Robert Sarah, 78 ans, guinéen, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements ; Joseph Zen, 91 ans, ancien archevêque de Hongkong, courageux et grand résistant au pouvoir de Pékin.

Fébrilité du pape

Certes âgés, ils bénéficient pour la plupart d'une forte autorité morale et sont bien connus dans l'Église, ce qui explique que leur intervention a fait l'effet d'une bombe. Contre toute attente, le Vatican a publié dans la soirée de lundi une réponse officielle à leurs questions, ce qui n'avait pas été le cas quand certains d'entre eux avaient envoyé des « dubia » au pape lors du synode sur la famille et l'ouverture à la communion pour les divorcés-remariés en 2014 et 2015. Jamais le pape ne leur avait alors répondu.

Le retour papal quasi immédiat d'hier démontre que la fébrilité du pape, qui serait « inquiet », comme on l'entendait dire à Rome la semaine dernière, face à la tournure de ce synode décisif, n'était pas qu'une rumeur. François n'avait-il pas rappelé, samedi matin, aux 21 nouveaux cardinaux, que c'était lui « le chef d'orchestre » et qu'il n'était pas question pour « une partie de l'orchestre » de se comporter « comme si elle était le tout » ?

Pour justifier leur démarche, les cinq cardinaux ont affirmé dans une lettre ouverte : « Nous estimons qu'il est de notre devoir de vous informer, vous les fidèles, afin que vous ne soyez pas sujets à la confusion, à l'erreur et au découragement. »

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