Exit the Pope ? (13/02/2024)

De Mgr Richard C. Antall sur Crisis Magazine :

Exit the Pope ?

Ce n'est pas manquer de respect au magistère papal que d'enregistrer des difficultés avec des recommandations prétendument pastorales sur la base de critères prudentiels.

Ma lecture de l'histoire papale m'a récemment convaincu que la papauté permet de contredire l'un des plus anciens axiomes de la philosophie : les parties sont parfois plus grandes que le tout. C'est particulièrement vrai à notre époque où la majeure partie du quatrième pouvoir a abandonné toute prétention à l'objectivité. On ne nous confie pas les nouvelles pour que nous nous fassions une opinion. On nous donne des récits encadrés par l'opinion, et la dissidence est censurée dans une mesure qui est à la fois anticonstitutionnelle et contraire à la vérité.

Pour ces éléments des "médias", le pape François est un nom à évoquer. Et la conjuration n'est pas seulement entre les mains des chrétiens, mais aussi entre celles de ceux qui s'opposent aux croyances chrétiennes et surtout aux prétentions de l'Église. L'imprudence du pape est amplifiée, tandis que le magistère ordinaire est ignoré. Le pape lui-même est très vulnérable à cette manipulation en raison de son imprudence.

Une imprudence telle que : après avoir trouvé le synode insuffisamment ouvert à la bénédiction des couples de même sexe, il décide de l'imposer à l'Église par ukase. (C'est ainsi que l'on désigne les décrets du tsar autocrate de toutes les Russies).

Imprudence comme celle de placer dans le dicastère de la doctrine un homme dont les écrits le rendraient sans aucun doute "non idoine" à être évêque, et encore moins cardinal chargé d'une fonction curiale essentielle. 

Imprudence du genre : prendre la riposte de Fiducia Supplicans comme une insulte personnelle à laquelle il prétend donner du profil par courage et prétendre souffrir pour la vérité. Ceci de la part d'une personne qui n'hésite pas à proférer des insultes.

Imprudence : faire savoir aux évêques qu'il ne tolérera pas la critique, comme il l'a montré dans son traitement scandaleux des dissidents les plus pieux (par exemple, l'évêque Strickland). Cela s'est produit avant Fiducia et a eu un effet sur notre propre conférence épiscopale (celle des USA ndB).

Imprudence comme : permettre qu'une bénédiction "spontanée, privée, de quinze secondes" devienne un article dans le New York Times et ne pas réagir à la glose du prêtre selon laquelle "il attendait depuis longtemps de pouvoir bénir" un couple. 

Imprudence comme : prétendre autoriser une "exception" à la non-acceptation de Fiducia en Afrique comme étant due à des questions "culturelles" et non à des principes "religieux" fondés sur la Bible et la Tradition.

Imprudence : utiliser toutes les opportunités médiatiques pour présenter le faux récit selon lequel l'opposition à la Fiducia est un déni du devoir de l'Église de sanctifier les fidèles. Il ne s'agit pas de refuser de prier pour (bénir) des individus mais de refuser de donner l'impression d'approuver ce qui est explicitement contraire à l'enseignement de la Bible, au catéchisme et à la pratique pastorale traditionnelle. Celui qui n'est pas avec le pape est donc contre la grâce et la miséricorde de Dieu. Il s'agit là d'une fausse dichotomie qui est profondément embarrassante.

L'infaillibilité papale n'a jamais été censée couvrir la faillibilité morale et intellectuelle personnelle des hommes qui ont exercé ce ministère. Ne pas voir comment les décrets papaux et les discussions de table peuvent être source de confusion pour les croyants ordinaires, c'est non seulement faire preuve de surdité, mais aussi de négligence. Permettre aux médias de contrôler le message est un désastre pour l'orthodoxie. Le pape ne se souvient-il pas de ce que saint Paul a dit (dans un contexte qui ne s'opposait pas à la moralité traditionnelle mais aux scrupules religieux) à propos de la nécessité de ne pas offenser les faibles ?

Ces derniers temps, j'ai beaucoup pensé à la pièce du théâtre de l'absurde Exit the King (Le Roi se meurt) de Ionesco, que j'ai vue dans une production d'une compagnie française itinérante à l'université. Le roi est en train de mourir, mais il le nie. Sa santé, comme son royaume, s'effondre. La pièce raconte l'histoire d'un homme qui accepte son déclin et sa mort. Les deux épouses du roi ont des stratégies diamétralement opposées à son égard. La première épouse, Marguerite, ainsi que le médecin du roi, font pression pour qu'il prenne conscience de son destin imminent et qu'il l'accepte. La seconde épouse, Marie, tente de le conforter dans son déni de la réalité.

Le palais lui-même s'écroule, la population a vieilli ou émigré, le personnel n'obéit plus aux ordres du roi, il n'y a plus d'armée pour résister aux invasions. Sa Majesté croit pouvoir commander aux forces de la nature mais ne peut rien faire pour empêcher le déclin de sa nation. Le conflit entre le déni et l'autosatisfaction, le réalisme et la peur est le moteur de l'intrigue. L'illusion du roi, son énorme ego et sa tromperie sur lui-même sont reflétés par la flagornerie de sa seconde épouse, en contrepoint de l'amertume de la première. La tragédie du roi est son manque de conscience, mais contrairement au Roi Lear de Shakespeare, ce drame est joué pour rire. 

La pièce a une multitude d'applications, mais je pense qu'elle dit quelque chose de particulier aux catholiques sur l'actualité de notre époque gérontocratique, où l'Église et l'État sont entre les mains de vieillards qui président à un grave déclin de la culture religieuse et de la civilisation en général. Il y a des questions sur le réalisme et sur l'acceptation de la réalité. L'orgueil et la frustration résonnent dans le chaos, et ce sont les événements qui contrôlent les hommes et non l'inverse. L'image qui me vient à l'esprit est celle de la fissure du dôme de Saint-Pierre. Notre Saint-Père semble sur une trajectoire de collision avec son propre prétendu héritage de fraternité et d'humilité.

Ceci est lié à ce que je considère comme la faible réponse de la hiérarchie américaine à Fiducia Supplicans. Même la Conférence épiscopale néerlandaise a hésité. Je connais un évêque qui a demandé à ses prêtres de lire la déclaration en présence du Saint-Sacrement et qui n'a pas commenté la soi disant "clarification". 

Un poème anonyme parle d'un pasteur anglican, "le vicaire de Bray", qui a changé de théologie avec chaque monarque, de Charles II à George I. "J'ai révoqué les vieux principes/ j'ai mis la conscience à distance/ l'obéissance passive était une plaisanterie/ la non-résistance était une plaisanterie". La hiérarchie des pays africains a eu beaucoup plus de courage que la nôtre, à quelques exceptions près. Le  silence embarrassé des évêques est assourdissant. Ont-ils oublié "qui tacet consentit" - "celui qui se tait consent" ? 

Ce n'est pas manquer de respect au magistère papal que d'enregistrer des difficultés avec des recommandations prétendument pastorales sur la base de critères prudentiels. Malgré l'attitude condescendante du nonce, les évêques continuent à se plier à tout ce qui vient avec l'imprimatur romain dans un yoga disgracieux qui ne les rend pas fiers. Est-ce trop demander que de montrer un certain inconfort face à une politique malavisée ?

Je ne m'attends pas à ce que beaucoup d'évêques signent la pétition contre Fiducia qui circule. Pourtant, ne serait-ce pas une façon de promouvoir la "voie synodale" et un dialogue ouvert ? Même si c'est trop demander, ne pouvons-nous pas les supplier de ne pas "mettre la conscience à distance", comme le Vicaire de Bray ?

Monseigneur Antall est curé de la paroisse Holy Name dans le diocèse de Cleveland. Il est l'auteur de The X-Mass Files (Atmosphere Press, 2021) et The Wedding (Lambing Press, 2019).

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