Le pape François a accordé "une rare interview" à l'émission 60 Minutes (CBS) (20/05/2024)

De Norah O'Donnell sur CBS NEWS :

Le pape François a accordé une interview historique à Norah O'Donnell, présentatrice et rédactrice en chef du journal télévisé du soir de CBS, dans une émission spéciale d'une heure diffusée le lundi 20 mai à 22 heures (heure française) sur CBS et en streaming sur Paramount+. Au cours d'une vaste conversation, François parle des pays en guerre, de sa vision de l'Église catholique, de son héritage, de son espoir pour les enfants et de bien d'autres choses encore.

Le pape François accorde une rare interview à l'émission 60 Minutes : « la mondialisation de l'indifférence est une maladie très laide ».

19 mai 2024

François est le premier pape originaire des Amériques, le premier de son nom, et plus que tout autre pape de mémoire récente, il a consacré sa vie et son ministère aux pauvres, aux périphériques et aux oubliés. Tout en dirigeant l'Église catholique sur des questions difficiles, parfois controversées, qui ne font pas l'unanimité. Nous avons eu droit à une rare interview au Vatican et nous nous sommes entretenus avec lui, dans sa langue maternelle, l'espagnol, par l'intermédiaire d'un traducteur, pendant plus d'une heure. La chaleur, l'intelligence et la conviction de cet homme de 87 ans ne se sont pas perdues dans la traduction. Nous avons commencé par discuter de la première Journée mondiale de l'enfance de l'Église. Le week-end prochain, le pape François accueillera au Vatican des dizaines de milliers de jeunes, dont des réfugiés de guerre.

Norah O'Donnell : A l'occasion de la Journée mondiale de l'enfance, l'ONU annonce que plus d'un million de personnes seront confrontées à la famine à Gaza, dont de nombreux enfants. 

Pape François : Pas seulement à Gaza. Pensez à l'Ukraine. De nombreux enfants ukrainiens viennent ici. Vous savez quoi ? Que ces enfants ne savent pas sourire ? Je vais leur dire quelque chose (mime un sourire)... ils ont oublié comment sourire. Et c'est très douloureux.

Norah O'Donnell : Avez-vous un message pour Vladimir Poutine à propos de l'Ukraine ?

Pape François : S'il vous plaît, pays en guerre, tous, arrêtez. Arrêtez la guerre. Vous devez trouver un moyen de négocier la paix. Efforcez-vous de parvenir à la paix. Une paix négociée est toujours préférable à une guerre sans fin. 

Norah O'Donnell : Ce qui se passe en Israël et à Gaza a provoqué tant de divisions et de souffrances dans le monde entier. Je ne sais pas si vous avez vu aux États-Unis les grandes manifestations sur les campus universitaires et la montée de l'antisémitisme. Que diriez-vous pour changer cela ?

Pape François : Toute idéologie est mauvaise, et l'antisémitisme est une idéologie, et elle est mauvaise. Tout « anti » est toujours mauvais. Vous pouvez critiquer un gouvernement ou un autre, le gouvernement d'Israël, le gouvernement palestinien. On peut critiquer tout ce que l'on veut, mais pas « anti » un peuple. Ni anti-palestinien, ni antisémite. Non.

Norah O'Donnell : Je sais que vous appelez à la paix. Vous avez appelé à un cessez-le-feu dans nombre de vos sermons. Pouvez-vous aider à négocier la paix ?

Pape François : (soupir) Ce que je peux faire, c'est prier. Je prie beaucoup pour la paix. Et aussi suggérer : « S'il vous plaît, arrêtez. Négociez. »

La prière est au cœur de la vie du pape depuis qu'il est né Jorge Mario Bergoglio en Argentine, en 1936, dans une famille d'immigrés italiens. Avant d'entrer au séminaire, Bergoglio a travaillé comme chimiste.

Sa formule personnelle est la simplicité. Il porte toujours la simple croix en argent qu'il portait lorsqu'il était archevêque de Buenos Aires. Ce n'est pas tant ce que François porte que le lieu où il vit qui a donné le ton à son pontificat, il y a 11 ans.  

Au lieu d'un palais situé au-dessus de la place Saint-Pierre, il a choisi la Casa Santa Marta, une maison d'hôtes du Vatican, comme résidence. 

C'est là que nous l'avons rencontré, sous une peinture de la Vierge Marie. Entouré par le sacré, François n'a pas renoncé à son sens de l'humour, même lorsqu'il aborde des sujets sérieux, comme la crise des migrants.

Norah O'Donnell : Mes grands-parents étaient catholiques. Ils ont immigré d'Irlande du Nord dans les années 1930 vers les États-Unis, à la recherche d'une vie meilleure. Je sais que votre famille a également fui le fascisme. Vous avez parlé aux migrants, dont beaucoup sont des enfants, et vous encouragez les gouvernements à construire des ponts et non des murs.

Pape François : La migration est quelque chose qui fait grandir un pays. On dit que les Irlandais ont migré et apporté le whisky, et que les Italiens ont migré et apporté la mafia... (rires) C'est une plaisanterie. Ne le prenez pas mal. Mais les migrants souffrent parfois beaucoup. Ils souffrent beaucoup.

Norah O'Donnell : J'ai grandi au Texas, et je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais l'État du Texas tente de fermer une organisation caritative catholique à la frontière avec le Mexique qui offre une assistance humanitaire aux sans-papiers. Qu'en pensez-vous ?

Pape François : C'est de la folie. De la folie pure. Fermer la frontière et les laisser là, c'est de la folie. Le migrant doit être accueilli. Ensuite, vous verrez comment vous allez le traiter. Peut-être faut-il le renvoyer, je ne sais pas, mais chaque cas doit être examiné avec humanité. C'est vrai ? 

Quelques mois après être devenu pape, François s'est rendu sur une petite île italienne proche de l'Afrique pour rencontrer des migrants fuyant la pauvreté et la guerre.

Norah O'Donnell : Votre premier voyage en tant que pape a été l'île de Lampedusa, où vous avez parlé de la souffrance. Et j'ai été très frappée lorsque vous avez parlé de la mondialisation de l'indifférence. Que se passe-t-il ? 

Pape François : Voulez-vous que je le dise clairement ? Les gens se lavent les mains ! Il y a tant de Ponce Pilate en liberté... qui voient ce qui se passe, les guerres, les injustices, les crimes... « C'est bon, c'est bon » et qui se lavent les mains. C'est de l'indifférence. C'est ce qui arrive quand le cœur s'endurcit... et devient indifférent. S'il vous plaît, nous devons faire en sorte que nos cœurs ressentent à nouveau. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à de tels drames humains. La mondialisation de l'indifférence est une maladie très laide. Très laide.

Le pape François n'est pas resté indifférent au scandale le plus insidieux de l'Église, à savoir les abus sexuels endémiques dont ont été victimes des centaines de milliers d'enfants dans le monde entier, et ce pendant des décennies. 

Norah O'Donnell : Vous avez fait plus que quiconque pour tenter de réformer l'Église catholique et vous repentir des années d'abus sexuels inqualifiables commis sur des enfants par des membres du clergé. Mais l'Église en a-t-elle fait assez ?

Pape François : Elle doit continuer à faire plus. Malheureusement, la tragédie des abus est énorme. Et face à cela, une conscience droite et non seulement de ne pas le permettre mais de mettre en place les conditions pour que cela ne se produise pas.

Norah O'Donnell : Vous avez parlé de tolérance zéro.

Pape François : Cela ne peut pas être toléré. Lorsqu'il y a un cas d'abus de la part d'un religieux ou d'une religieuse, toute la force de la loi s'abat sur eux. Sur ce point, il y a eu beaucoup de progrès.

C'est la capacité de François à pardonner et à s'ouvrir qui a défini sa façon de diriger les quelque 1,4 milliard de catholiques de l'Église. Il les a mis en garde, ainsi que le monde entier, lors d'une conférence de presse improvisée dans un avion en 2013, lorsqu'il a abordé le sujet de l'homosexualité.

« Si quelqu'un est gay, a-t-il déclaré, et qu'il cherche le Seigneur et a une bonne volonté, qui suis-je pour juger ? 

... et il ne s'est pas arrêté là.

Norah O'Donnell : L'année dernière, vous avez décidé d'autoriser les prêtres catholiques à bénir les couples homosexuels. C'est un grand changement. Pourquoi ?

Pape François : Non, ce que j'ai permis n'était pas de bénir l'union. Cela ne peut pas être fait parce que ce n'est pas le sacrement. Je ne peux pas. Le Seigneur en a décidé ainsi. Mais bénir chaque personne, oui. La bénédiction est pour tout le monde. Pour tous. Mais bénir une union de type homosexuel, c'est aller contre le droit donné, contre la loi de l'Église. Mais bénir chaque personne, pourquoi pas ? La bénédiction est pour tous. Certains en ont été scandalisés. Mais pourquoi ? Tout le monde ! Tout le monde !

Norah O'Donnell : Vous avez dit : « Qui suis-je pour juger ? » « L'homosexualité n'est pas un crime. »

Pape François : Non. C'est un fait humain. 

Norah O'Donnell : Certains évêques conservateurs aux États-Unis s'opposent à vos nouveaux efforts pour revisiter les enseignements et les traditions. Comment répondez-vous à leurs critiques ?

Pape François : Vous avez utilisé un adjectif, « conservateur ». C'est-à-dire que le conservateur est celui qui s'accroche à quelque chose et ne veut pas voir au-delà. C'est une attitude suicidaire. Car une chose est de tenir compte de la tradition, de considérer les situations du passé, mais une autre est de s'enfermer dans une boîte dogmatique. 

Le pape François a placé plus de femmes à des postes de pouvoir que n'importe lequel de ses prédécesseurs, mais il nous a dit qu'il s'opposait à ce que des femmes soient ordonnées prêtres ou diacres.

L'attachement de François à la doctrine traditionnelle a conduit un journaliste du Vatican à noter qu'il a changé l'air de l'Église, mais que les paroles restent essentiellement les mêmes. Cela frustre ceux qui veulent le voir changer de politique sur le mariage des prêtres catholiques, la contraception et la gestation pour autrui.  

Norah O'Donnell : Je connais des femmes qui ont survécu à un cancer et qui ne peuvent pas avoir d'enfants. Cela va à l'encontre de la doctrine de l'Église.

Pape François : En ce qui concerne la gestation pour autrui, au sens le plus strict du terme, non, elle n'est pas autorisée. Parfois, la gestation pour autrui est devenue un commerce, et c'est très mauvais. C'est très mauvais.

Norah O'Donnell : Mais parfois, pour certaines femmes, c'est le seul espoir.

Pape François : C'est possible. L'autre espoir est l'adoption. Je dirais que dans chaque cas, la situation doit être soigneusement et clairement examinée, en consultant la médecine et la morale. Je pense qu'il y a une règle générale dans ces cas-là, mais il faut aller dans chaque cas en particulier pour évaluer la situation, tant que le principe moral n'est pas contourné. Mais vous avez raison. Je tiens à vous dire que j'ai beaucoup aimé votre expression lorsque vous m'avez dit : « Dans certains cas, c'est la seule chance ». Cela montre que vous ressentez ces choses très profondément. Je vous remercie. (sourires)

Norah O'Donnell : Je pense que c'est la raison pour laquelle tant de gens ont trouvé de l'espoir en vous, parce que vous avez été plus ouvert et plus tolérant peut-être que d'autres dirigeants précédents de l'Église.

Pape François : Il faut être ouvert à tout. L'Église est comme ça : Tout le monde, tout le monde, tout le monde. « Untel est un pécheur... ? » Moi aussi, je suis un pécheur. Tout le monde ! L'Évangile est pour tout le monde. Si l'Église met un douanier à la porte, ce n'est plus l'Église du Christ. Tout le monde.

Norah O'Donnell : Quand vous regardez le monde, qu'est-ce qui vous donne de l'espoir ?

Le pape François : Tout. Vous voyez des tragédies, mais vous voyez aussi tant de belles choses. Vous voyez des mères héroïques, des hommes héroïques, des hommes qui ont des espoirs et des rêves, des femmes qui regardent vers l'avenir. Cela me donne beaucoup d'espoir. Les gens veulent vivre. Les gens vont de l'avant. Et les gens sont fondamentalement bons. Nous sommes tous fondamentalement bons. Oui, il y a des voyous et des pécheurs, mais le cœur lui-même est bon.

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