« La bioéthique a oublié l’éthique », déclare le président de la Fondation Lejeune (05/06/2025)

D'Edgar Beltran sur The Pillar :

« La bioéthique a oublié l’éthique », déclare le président de la Fondation Lejeune

« Nous avons des comités de bioéthique pour lesquels la seule question est : la loi le permettra-t-elle ? »

Jean-Marie Le Mene à la troisième Conférence internationale de bioéthique, le 31 mai 2025. Crédit : Iván W. Jaques/Fondation Jérôme Lejeune.

Le pape a appelé les participants à « privilégier des approches de la science toujours authentiquement plus humaines et respectueuses de l’intégrité de la personne » et à « persévérer dans l’étude et l’application des connaissances scientifiques au service de la vérité et du bien commun ».

Après la conférence, Le Pillar s'est entretenu avec le président de la Fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné, sur la bioéthique, le Vénérable Jérôme Lejeune et l'Académie Pontificale pour la Vie.

Le Méné est président de la Fondation Jérôme Lejeune depuis 1996 et est devenu membre de l'Académie pontificale pour la vie en 2009.

Pensez-vous que la bioéthique contemporaine reflète les vérités les plus profondes de l'existence humaine ? Quel devrait être le fondement anthropologique de la bioéthique 

La bioéthique est née après la Seconde Guerre mondiale d’une intuition juste à l’époque, visant à voir comment la morale pouvait s’appliquer à des situations découlant de nouvelles technologies, comme la bombe atomique.

Mais aujourd'hui la bioéthique a oublié que dans la bioéthique il y a « bio » et « éthique », on a surtout oublié l'éthique.

Au moins dans les pays développés, nous avons des comités de bioéthique où la seule question est : la loi le permettra-t-elle ou non ? Mais à aucun moment nous ne nous demandons vraiment si c’est bien ou mal. La bioéthique ne répond plus à cette question.

Il existe des comités d'éthique dans les hôpitaux, par exemple, pour évaluer si un traitement, un protocole ou une intervention chirurgicale est bénéfique ou néfaste pour le patient. C'est bien, mais au niveau macro, nous appliquons la loi et constatons simplement qu'une majorité de personnes souhaitent la procréation médicalement assistée ou l'euthanasie. Nous votons donc pour, et le comité d'éthique donne son accord.

Et en 1984, lorsque ces comités sont devenus à la mode, le docteur Lejeune a joué sur les mots en parlant d’« éthique étatique », signifiant que l’éthique était conduite par l’État et non par la conscience.

Cela fait longtemps depuis la promulgation de Humanae vitaeEvangelium vitae et Veritatis splendor.

Avons-nous besoin d’une nouvelle encyclique qui traite des questions bioéthiques contemporaines ?

Je pense que les éléments fondamentaux pour répondre à ces questions se trouvent déjà dans la plus courte et la plus ancienne encyclique que vous avez mentionnée, Humanae vitae . C'est un document toujours aussi puissant. Le pape saint Paul VI préfigure nombre des problèmes et des dilemmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Nous y trouvons déjà les raisons qui motivent l'opposition de l'Église à l'avortement et à la contraception.

Mais il y avait aussi la préfiguration du fait que si les gamètes, c'est-à-dire les spermatozoïdes et les ovules, étaient mis à la disposition des scientifiques, ils les prendraient et seraient capables de fabriquer des êtres et de les manipuler par la suite.

Jérôme Lejeune pensait que « les sources de vie », comme il appelait les gamètes, devaient bénéficier d'une protection bien plus grande que les cellules somatiques, qui sont fondamentalement tous les autres types de cellules. Les cellules sexuelles ne devraient pas être considérées comme des parties du corps pour lesquelles un don peut être demandé.

Ces cellules ne servent à rien d'autre qu'à créer un nouvel être humain. Dans ce contexte, ne devraient-elles pas bénéficier d'une protection particulière ?

Avons-nous le droit de donner ces gamètes ? Je ne le pense pas, mais sinon, dans tous les enseignements de l'Église que vous avez cités, nous avons pratiquement tout ce qu'il faut pour aborder ces questions.

En ce qui concerne les questions plus contemporaines, comme la maternité de substitution, l’Église s’est déjà exprimée clairement sur ces questions.

Ce qui sera compliqué et nécessitera une nouvelle réflexion bioéthique, c'est lorsque nous parviendrons au point où les scientifiques pourront fabriquer des êtres humains synthétiques. Des embryons fabriqués en laboratoire par des scientifiques existent déjà. Plusieurs techniques sont disponibles. Ces embryons sont destinés à être sacrifiés pour la recherche.

Le fait que ces structures embryonnaires ne soient pas destinées à vivre et ne soient viables que jusqu’à un certain point pour le moment n’est pas une raison pour dire que cette technique est moralement acceptable.

Quelle devrait être la priorité du pape Léon en matière de questions bioéthiques ?

Nous insistons toujours beaucoup sur la nécessité pour l'Église de répéter les choses, mais il n'est pas nécessaire de dire quelque chose de nouveau, car la position de l'Église est assez simple, en fait.

L’Église a déjà exprimé sa position, mais les gens, même les chrétiens, ont du mal à comprendre la moralité de la sexualité et de la reproduction, c’est-à-dire tout ce qui touche à la contraception, à la procréation assistée et à l’avortement.

Quand on parle de chimères, d'embryons fabriqués, tout le monde dit que c'est horrible. Mais là n'est pas le problème.

Le problème se situe en amont. Tout commence par la contraception, la mise à disposition des gamètes pour l'expérimentation et la création d'embryons en laboratoire. Ce qui est difficile à comprendre, c'est la cohérence. Il faut être cohérent. On ne peut pas rejeter le transhumanisme sans être cohérent dans sa propre vie.

Je pense donc qu’il y a du travail à faire en termes de sensibilisation et de soins pastoraux, en particulier dans les pays développés vieillissants.

Dans d'autres pays, les réactions ne sont pas les mêmes. Mais nous constatons clairement que l'enseignement de l'Église sur ces questions a eu beaucoup de mal à pénétrer l'Europe occidentale. C'est un problème énorme. Mais l'enseignement de l'Église est très simple.

Quel a été le plus grand héritage du Vénérable Jérôme Lejeune ?

Il a montré qu’il était possible d’être à la fois un grand scientifique et un grand chrétien, tout en étant un père de famille.

Il n’a jamais renoncé à sa foi et il était l’un des scientifiques les plus importants de son temps.

Il a montré qu'il y a des choses que les scientifiques ne comprennent pas. Mais ils peuvent se permettre de voir qu'il y a un Dieu derrière tout cela et s'en émerveiller.

Jérôme Lejeune disait que [Dieu] était l’hypothèse la plus simple.

Quel devrait être le rôle de l'Académie pontificale pour la vie dans ce pontificat ? Comment devrait-elle aborder les questions de vie et de bioéthique ?

Doit-il s’agir d’un espace de dialogue entre différentes perspectives éthiques ou doit-il être plus ouvertement pro-vie ?

L’Académie pour la Vie a beaucoup évolué au cours des 30 dernières années.

Il y a donc des ajustements à faire, car l'académie a évolué au cours de ces 30 années, il y a eu aussi beaucoup de développements et de transgressions en matière de bioéthique et de technologie.

Le pape François a été le premier à parler d'une écologie intégrale, où l'homme a sa place et se trouve au centre. Il y a donc une plus grande ouverture au dialogue avec la société sur ces questions.

Mais la dimension pro-vie doit rester intrinsèque à l’académie.

Il nous faut trouver un équilibre entre les développements techniques complexes et les préoccupations de l’Église, puis la nécessité de poursuivre sa mission en tant qu’institution pro-vie.

Mais je pense que tout cela fait partie d’un très long continuum, donc on ne peut pas prendre un instantané de l’académie à un moment donné, puis s’en tenir à cet instantané et dire que « ceci » est l’académie.

Presque tous les membres fondateurs de l'académie, fondée en 1994, sont aujourd'hui décédés ou très âgés. Tous ont été nommés sur proposition de Lejeune. L'académie est une création du Vénérable Jérôme Lejeune et de saint Jean-Paul II.

Lejeune est décédé quelques mois après la fondation de l'académie. On peut néanmoins dire qu'il en est la pierre angulaire.

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