Le concile Vatican II a-t-il trahi le christianisme romain ? Ou bien l'Esprit Saint a-t-il inspiré les pères conciliaires à oser une refonte radicale de l'Église ? Peu d'événements ecclésiastiques du XXe siècle ont suscité autant de controverses que le concile Vatican II. Plus de soixante ans après sa conclusion, Vatican II continue de diviser catholiques, théologiens et observateurs du destin de la civilisation occidentale. Pour certains, il représente un aggiornamento nécessaire, une ouverture courageuse de l'Église à la modernité, qui a permis au christianisme de survivre dans un monde en pleine mutation et de prospérer dans certaines régions d'Afrique et d'Asie, même après la fin du colonialisme, alors que toute trace de la présence traditionnelle occidentale semblait vouée à disparaître. Pour d'autres, il marque le début d'une perte dramatique de substance, d'autorité et de forme, accélérant l'effondrement de la pratique et de la croyance religieuses en Europe, berceau historique de la foi catholique.
Pour comprendre Vatican II, il faut d'abord se remémorer le climat intellectuel et émotionnel du début des années 1960, si différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. La Seconde Guerre mondiale, avec sa dévastation morale et la discréditation qu'elle a engendrée pour les élites traditionnelles européennes, était encore loin derrière nous, quinze ans à peine, et les ruines étaient toujours visibles, notamment en Allemagne et en Europe de l'Est. L'avenir semblait appartenir à la grande confrontation idéologique entre le matérialisme libéral et le matérialisme socialiste, tous deux animés par une foi quasi obsessionnelle dans le progrès et la toute-puissance humaine, et peu enclins à la sympathie pour les croyances rétrogrades. Par ailleurs, une immense révolte générationnelle était en cours, remettant en cause l'autorité, la tradition et les normes héritées, tandis que les mouvements de décolonisation en Asie et en Afrique faisaient voler en éclats les vestiges de la suprématie civilisationnelle européenne et suscitaient une fierté renouvelée pour les cultures non européennes et leurs traditions religieuses. Dans ce contexte, nombreux étaient ceux, au sein de l'Église, qui estimaient que le christianisme occidental lui-même était historiquement compromis, associé au nationalisme, au colonialisme, à la morale bourgeoise et à un vieux monde qui paraissait irrémédiablement condamné.
Il n’est donc pas surprenant que de nombreux ecclésiastiques aient cherché à répondre à la déstabilisation de l’Occident par une reconstruction tout aussi radicale de l’Église, une reconstruction qui visait non seulement l’Église catholique, mais aussi les confessions protestantes, même si, dans le cas de ces dernières, la réforme s’est déroulée de manière plus organique. À l’ère de l’architecture brutaliste, des gratte-ciel, des goulags et de la conquête spatiale, tous ont cherché le renouveau non pas dans l’imagerie traditionnelle de l’ecclesia triumphans, que beaucoup associaient à un XIXe siècle de plus en plus incompréhensible, mais dans le béton brut de la modernité, la rhétorique de l’autojustification constante et la chaleur émotionnelle des guitares scoutes, du pastoralisme social et de la liturgie participative.
C’est précisément dans cette attitude envers l’histoire que l’erreur fondamentale et, il faut bien le dire, étonnante, du concile Vatican II apparaît au grand jour. Car le péché originel du concile ne résidait pas dans un manque fondamental de foi, mais dans une profonde méconnaissance de l’histoire, sans doute l’une des dernières choses auxquelles on aurait pu s’attendre de la part d’une institution si imprégnée d’histoire, de tradition et de continuité que sa capacité à penser et à appréhender le temps non pas en années, mais en générations, voire en siècles, était devenue proverbiale. Le concile de Trente, convoqué en réponse à la Réforme, mit dix-huit années, un laps de temps impressionnant, à formuler une réponse réfléchie et cohérente, tandis qu’autour de lui, l’Europe semblait se désagréger et que l’urgence était – ou aurait dû être – la priorité absolue. Et surtout, il ne répondit pas à ces défis en imitant le protestantisme, mais en clarifiant, en affirmant et en sublimant précisément les aspects qui avaient été attaqués. Le rite romain fut standardisé au lieu d’être fragmenté en variantes nationales ; l’art sacré fut consciemment cultivé comme un cadre digne et splendide pour la contemplation de Dieu, au lieu d’être remplacé par une austérité iconoclaste. La doctrine fut renforcée, non relativisée ; la mission visait à reconvertir les brebis égarées plutôt qu'à affirmer que chacun pouvait être sauvé « à sa manière » ; la liturgie atteignit une pleine richesse symbolique au lieu d'être réduite à une essence supposée ; les ordres religieux furent renouvelés, non dissous ; le clergé fut soumis à une discipline plus stricte plutôt qu'émancipé de l'autorité.

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