Entretien avec le cardinal Burke sur la liturgie, Noël et le conclave (26/12/2025)

Du Catholic Herald :

 
25 décembre 2025

Entretien avec le cardinal Burke sur la liturgie, Noël et le conclave

Ancien préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique et figure centrale de certains des débats les plus houleux de la vie catholique récente, le cardinal Burke est devenu, pour de nombreux catholiques, un symbole, parfois controversé et souvent mal compris, de continuité, de clarté et de résistance à la dérive théologique. Alors que l'Église entre dans un nouveau pontificat sous le pape Léon XIV et que les questions relatives à la liturgie, à l'autorité, à la jeunesse et à la tradition se font plus pressantes que jamais, les paroles de Burke revêtent une importance particulière.

Dans cet entretien du jour de Noël, enregistré pour The Catholic Herald , le cardinal Burke parle du mystère de la Nativité, de son expérience du conclave, de ses espoirs pour l'Église et de la surprenante réapparition de jeunes catholiques attirés par la tradition plutôt que par la nouveauté et le spectacle.

CH : Votre Éminence, Noël approche, et en son cœur se trouve le mystère du Verbe fait chair. Alors que l’Église s’apprête à célébrer la Nativité dans un contexte marqué par l’anxiété culturelle et les tensions ecclésiales, selon vous, à quoi les catholiques sont-ils particulièrement appelés aujourd’hui à se souvenir, ou peut-être à redécouvrir ?

Cardinal Burke : Je crois que nous sommes appelés avant tout à nous souvenir de cette vérité simple et fondamentale : Dieu le Fils s’est fait homme. Par l’Incarnation, il a uni notre nature humaine à sa nature divine. Il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il est monté à la droite du Père, et il est vivant avec nous aujourd’hui, présent dans l’Église et actif dans le monde.

C’est pourquoi les catholiques doivent être remplis d’espérance. Dans le même temps, nous devons résister à la tentation du découragement, voire à celle d’abandonner notre foi catholique et la vie chrétienne. Le monde d’aujourd’hui est confronté à de nombreuses épreuves, guerres et conflits civils, ainsi qu’à de très graves problèmes moraux. Dans de telles circonstances, même les bons chrétiens peuvent se décourager ou être tentés de se retirer complètement du monde.

Mais nous savons que le Seigneur est avec nous. Nous sommes dans le monde et nous sommes appelés, avec espérance et courage, à persévérer. Comme nous y exhorte saint Paul, nous devons « combattre le bon combat », rester fermes sur le bon chemin et être des hérauts de la vérité de Noël dans tout ce que nous disons et faisons : que le Christ est venu, qu’il demeure avec nous et qu’il sera avec nous jusqu’à son retour glorieux au dernier jour.

CH : Si je peux passer un instant du général au personnel : quand vous repensez à votre enfance, y a-t-il une tradition ou un souvenir particulier de Noël qui vous a marqué, quelque chose qui influence encore aujourd'hui votre façon de vivre cette fête ?

CB : Quand je repense à mon enfance, un souvenir me revient très clairement : aller à la messe de minuit. Il y avait toujours beaucoup d'excitation à la maison. J'étais le plus jeune de six enfants et, grâce à Dieu, nous avons été élevés par des parents catholiques fervents.

Nous ouvrions toujours nos cadeaux la veille de Noël avant d'aller à la messe, comme vous pouvez l'imaginer, ce qui occupait beaucoup les pensées des enfants [rires]. Puis nous allions tous ensemble à la messe de minuit. C'était toujours très beau, même dans notre communauté rurale. L'église locale, la musique, la cérémonie, tout cela m'a profondément marqué. Ces célébrations de la messe de minuit restent mes souvenirs de Noël les plus chers.

CH : Sans violer la confidentialité du conclave, pourriez-vous nous parler de votre expérience de la participation à l'élection du pape Léon XIV ? Qu'est-ce qui vous a le plus frappé dans l'atmosphère spirituelle de ce moment, et comment cela a-t-il façonné votre sens des responsabilités en tant que cardinal électeur ?

CB : Comme vous le savez, le conclave est fondamentalement un acte liturgique. Les cardinaux revêtent une tenue liturgique complète, comme il se doit, et tout le processus est encadré par la prière. Nous commençons par célébrer ensemble la Sainte Messe, puis, pendant le conclave lui-même, dans la chapelle Sixtine, nous prions les heures de l'Office divin.

Au tout début du conclave, il y a également une exhortation formelle. À cette occasion, elle a été prononcée par l'ancien prédicateur de la Maison pontificale, le père Raniero Cantalamessa. Ce qui m'a le plus frappé, c'est la gravité de la responsabilité qui nous était confiée : la tâche de choisir un successeur de saint Pierre.

Cette gravité était d'autant plus ressentie en raison des circonstances particulières de ce conclave. Le Collège des cardinaux était devenu très important, avec treize membres de plus que la norme de 120, dont le pape François avait fait dispense afin de créer des cardinaux supplémentaires. En même temps, nous n'avions pas tenu de consistoire extraordinaire depuis plus de dix ans. Ces consistoires sont normalement l'occasion pour les cardinaux de mieux se connaître et d'exercer leur rôle de conseillers du pape, parfois décrit comme une sorte de « sénat papal ».

En conséquence, beaucoup d'entre nous ne se connaissaient pas bien. Cela a renforcé notre sens des responsabilités, et c'est quelque chose que beaucoup de cardinaux ont remarqué. Je l'ai moi-même ressenti très fortement. Néanmoins, nous avions confiance, et nous continuons à avoir confiance, en la présence du Saint-Esprit dans le conclave. Et, bien sûr, comme nous le disons souvent, c'est une chose que le Saint-Esprit soit présent, c'en est une autre que les cardinaux lui obéissent. Nous avons confiance que cette obéissance a été accordée.

CH : Lorsque Benoît XVI a été élu, je me souviens m'être senti particulièrement proche de lui, non seulement parce qu'il était allemand, mais aussi parce que nous le suivions depuis des années et qu'il n'était pas un nouveau nom pour nous. Ressentez-vous une proximité similaire avec le pape Léon XIV parce qu'il est américain ?

CB : Vous savez, certaines rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux, suggérant que nous nous rencontrions fréquemment ou que j'étais particulièrement proche du pape Léon. Ce n'était tout simplement pas le cas. Je l'avais rencontré une fois brièvement après qu'il eut terminé son mandat de prieur général des Augustins, puis une autre fois ici à Rome après qu'il fut devenu préfet du Dicastère pour les évêques.

Cela dit, je ressens une affinité naturelle avec lui. Il a grandi dans le sud de Chicago, dans le Midwest, d'où je suis moi-même originaire, même si je viens d'un milieu agricole et lui d'un milieu urbain, et il est plus jeune que moi de plusieurs années. Néanmoins, nous partageons en partie le même bagage culturel et ecclésial.

Il est également important de rappeler que, bien que le pape Léon soit né et ait grandi aux États-Unis et y ait reçu sa première formation au séminaire, il a passé environ trente ans au Pérou, d'abord comme missionnaire, puis comme évêque. En ce sens, il est également profondément marqué par la vie ecclésiale sud-américaine. Je pense que de nombreux cardinaux sud-américains le considèrent comme l'un des leurs, tout comme moi, en tant que Nord-Américain. Son expérience fait le pont entre les deux mondes.

CH : De nombreux catholiques, et notamment beaucoup de jeunes catholiques, restent préoccupés par la place de la messe traditionnelle en latin dans la vie de l'Église aujourd'hui. Comment évaluez-vous son rôle, et quelle approche pastorale considérez-vous comme la plus fidèle à la tradition et à l'unité ecclésiale ?

CB : Je pense que le pape Benoît XVI a fourni l'orientation et la législation les plus appropriées pour la relation entre l'usage plus ancien du rite romain et l'usage plus récent, souvent appelé forme ordinaire du rite romain. Son principe directeur était que les deux formes devaient être célébrées dans leur intégrité et selon leur nature même de culte divin.

Comme le pape Benoît XVI l'a clairement indiqué dans Summorum Pontificum, la forme la plus ancienne du rite romain, qui a été utilisée pendant environ quinze siècles, depuis l'époque du pape Grégoire le Grand et même avant, a nourri la vie spirituelle d'innombrables saints, confesseurs, martyrs, grands théologiens, grands écrivains spirituels et tous les fidèles. Cet héritage ne doit jamais être perdu. Dans toute sa beauté et sa bonté, c'est un trésor que l'Église doit toujours conserver et promouvoir.

Ce que nous voyons aujourd'hui est très révélateur. Beaucoup de jeunes, qui n'ont pas grandi avec cet usage plus ancien, le découvrent plus tard dans leur vie et le trouvent profondément nourrissant sur le plan spirituel, tant pour eux-mêmes que pour leurs familles. J'espère donc que la sagesse du pape Benoît XVI sera, pour ainsi dire, retrouvée et qu'il y aura à nouveau un usage plus large des deux formes du rite romain, toujours célébrées avec révérence, toujours comprises comme l'action du Christ lui-même, qui renouvelle sacramentellement son sacrifice au Calvaire. Je suis convaincu que cela apportera de grandes bénédictions à l'Église.

CH : Sous Benoît XVI, de nombreux catholiques ont eu le sentiment qu'il y avait une sorte de période de « paix liturgique ». Peut-on espérer que cela se reproduise ?

CB : Oui, tout à fait. Cette paix a été vécue dans de nombreux endroits, et elle peut être rétablie.

CH : Des études récentes suggèrent que la « génération Z », c'est-à-dire les personnes nées entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2010, est plus conservatrice sur le plan religieux et moral que les générations précédentes. Cela se traduit par une fréquentation croissante des églises, non seulement aux États-Unis, mais aussi à l'échelle internationale. En Angleterre, par exemple, les catholiques pratiquants sont désormais plus nombreux que les anglicans pratiquants. Il a fallu cinq cents ans, mais nous sommes de retour. Comment interprétez-vous ce phénomène ? Cela vous surprend-il ?

CB : Cela ne me surprend pas du tout. Cette génération a grandi dans une société en faillite morale et spirituelle. Elle a vu les fruits d'une vie où Dieu n'existe pas, d'une vie où, comme le disait saint Jean-Paul II, on fait ce qui nous plaît à un moment donné plutôt que ce que Dieu nous demande.

Les jeunes ont fait l'expérience du vide de ce mode de vie. Ils sont donc à la recherche de quelque chose de solide, de vérité, de beauté et de bonté. Naturellement, ils sont attirés par la tradition vivante de l'Église : la foi transmise par les apôtres, le culte divin de l'Église et son enseignement moral.

Ma propre génération a eu la chance de grandir à une époque où ces domaines étaient plus stables. Ce n'était pas une époque parfaite, il n'y en a jamais, mais le culte divin, l'enseignement moral et la clarté doctrinale étaient largement considérés comme acquis. Au fil du temps, beaucoup de ces trésors ont été négligés ou abandonnés, appauvrissant les générations suivantes.

Aujourd'hui, les jeunes veulent retrouver ce qui a été perdu. Je vois cela comme une expression de la grâce baptismale, l'œuvre du Saint-Esprit qui touche le cœur qui aspire à connaître Dieu, à l'aimer et à le servir. Comme saint Augustin l'a prié dans ses Confessions, « nos cœurs sont inquiets tant qu'ils ne trouvent pas le repos en Toi ».

CH : Ce qui me frappe, c'est que cette redécouverte chez les jeunes crée également une sorte de responsabilité qui remonte vers le passé. Les parents et les grands-parents réalisent soudain qu'ils possèdent quelque chose de précieux, quelque chose que la jeune génération désire, et qu'ils ont le devoir de transmettre.

CB : Absolument.

CH : Beaucoup de gens lisent des interviews comme celle-ci dans un esprit polémique, surtout lorsque des questions relatives à l'Église et à la politique sont abordées. Comment l'Église peut-elle répondre au mieux aux jeunes catholiques d'aujourd'hui sans réduire la foi à des catégories politiques ou sociologiques ? En même temps, les chrétiens doivent vivre dans la société, s'engager dans la vie publique et être, comme le dit Notre Seigneur, le sel de la terre. Comment trouver cet équilibre ?

CB : L'Église doit toujours partir de ce qu'elle est : l'instrument de l'œuvre salvifique du Christ. La foi ne peut jamais être réduite à un programme politique ou à un mouvement sociologique. En même temps, la foi façonne nécessairement notre façon de vivre dans le monde, d'agir dans la société, de rechercher la justice, de défendre la dignité humaine.

L'équilibre est atteint lorsque la politique est comprise comme découlant de la foi, et non comme la remplaçant. Lorsque la foi est réduite à une idéologie, elle est vidée de son pouvoir. Mais lorsque la foi est pleinement vécue, dans le culte, dans la vie morale et dans la charité, elle devient naturellement un levain dans la société. C'est ainsi que les chrétiens transforment véritablement le monde : non pas en politisant l'Évangile, mais en le vivant.

CH : D'une part, nous ne devons pas transformer la foi en politique ; d'autre part, les chrétiens vivent dans la société, s'engagent dans la vie publique et sont appelés à être le levain et le sel de la terre. Comment cet équilibre peut-il être atteint aujourd'hui ? Comment l'Église peut-elle répondre au mieux aux jeunes catholiques sans réduire la foi à des catégories politiques ou sociologiques ? En d'autres termes, comment l'Église trouve-t-elle le juste équilibre ? Y a-t-il un élément que vous trouvez particulièrement important ou frappant d'après votre propre expérience ?

CB : Je crois que la tâche la plus importante qui nous attend est d'approfondir notre compréhension des vérités de la foi telles qu'elles ont été enseignées, sans interruption, tout au long des siècles chrétiens. Aujourd'hui, beaucoup de gens sont très mal catéchisés. Depuis des décennies, la catéchèse est souvent réduite à ce que l'on pourrait appeler une approche « feel-good », mais sans substance. Pourquoi devrais-je me sentir bien ? Je devrais me sentir bien parce que je connais la loi de Dieu et que je m'efforce de vivre en accord avec elle.

En même temps, nous disposons désormais d'un outil puissant : les réseaux sociaux. Ils peuvent être utilisés à des fins très néfastes, pour répandre des mensonges et semer la confusion, mais ils peuvent aussi être utilisés de manière très positive : pour aider les gens à approfondir leur compréhension de l'enseignement de l'Église et à appliquer cet enseignement aux circonstances concrètes de la vie.

Il ne s'agit pas ici de sentimentalisme, ni de s'aligner émotionnellement sur tel ou tel parti ou mouvement politique. Notre allégeance va au Christ-Roi. Nous nous efforçons donc d'être des sujets fidèles du Christ dans les circonstances concrètes dans lesquelles nous vivons.

Pourtant, au lieu de s'inspirer de cet enseignement riche, le débat public dégénère souvent en explosions émotionnelles ou en diatribes contre tel ou tel homme politique. Si nous appliquons véritablement l'enseignement de l'Église, nous parviendrons à des solutions justes pour toutes les personnes concernées.

CH : Je dois vous poser une question polémique pour finir : quel est votre chant de Noël préféré ?

CB : [rires] C'est une très bonne question. J'aime particulièrement le Coventry Carol. Bien sûr, il y en a beaucoup d'autres que nous chantons depuis des années, Silent Night, Joy to the World, etc., mais la musique de Noël est extraordinairement riche. Néanmoins, je pense que je choisirais le Coventry Carol, qui devrait plaire ici en Angleterre.

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