Sur le site ami "Benoît-et-moi", à propos du prochain pèlerinage de Benoît XVI à Notre-Dame de Lorette, notre amie, sous le titre "Le piège d'une religion pure", met en ligne un large extrait d'une conférence faite le 20 septembre dernier, devant le Réseau marial européen, par le cardinal Antonio Maria Veglio à propos de la dévotion populaire et de ce qu'il en advint après le concile-dont-on-fête-cette-année-le-cinquantième-anniversaire; nous prenons la liberté de le reproduire ici :
"Dans l'évaluation négative de la religiosité populaire, on voit l'influence à la fois de causes internes et externes à la communauté ecclésiale.
Parmi les premières ressortent l'existence de lectures partielle et sélectives des textes conciliaires au cours de la période post-conciliaire, ainsi qu'une interprétation partiale et intéressée de sa doctrine.
Parmi les secondes, on doit recenser l'influence considérable qu'exercèrent les théories de la sécularisation. L'accueil (l'acceptation) que de nombreux cercles ecclésiaux réservèrent à la théologie de la sécularisation comportait le mépris d'un christianisme manifesté dans les formes extérieures, dont l'exemple le plus évident est, bien sûr, la religiosité populaire.
Celle-ci fut considérée comme un catholicisme superficiel, séparé de la vie et des engagements historiques.
L'un des résultats du Concile fut la définition de l'Église comme Peuple de Dieu, chose qui encouragea les associations laïques. Dans ce contexte, apparurent de petits groupes qui se considéraient comme plus engagés. Ces «catholique d'engagement» ou «catholiques progressistes» adoptèrent une attitude d'opposition aux chrétiens qui participaient aux manifestations de la piété populaire, les considérant comme simples, ritualistes, incapables de s'adapter aux temps nouveaux et appelées à se purifier.
Dans le même temps, ils accusèrent la piété populaire d'avoir des nuances de superstition, de s'éloigner de la réalité, de se détourner de l'engagement chrétien, d'être incapable de former des militants et de promouvoir des attitudes évangéliques qui favorisent le développement et la libération.
Un des fruits les plus évidents du Concile fut la réforme liturgique. Cependant, le développement de ce processus n'a pas toujours été aussi opportun qu'il aurait été souhaitable. Enumérons brièvement quelques caractéristiques qui ont eu des effets contraires aux pratiques de la piété populaire.
En premier lieu, et comme fruit de l'enthousiasme que le Concile souleva dans l'Église, on prétendit développer cette réforme à une vitesse vertigineuse, sans le temps suffisant pour assimiler les textes conciliaires et leur application consécutive à l'Église universelle. Par ailleurs, et dans certaines initiatives, on soumit des interprétations erronées, ou, de façon intéressée, partiales, des enseignements du Concile.
Il n'était pas rare que l'on fît la promotion d'une liturgie trop pragmatique, où abondaient les éléments pédagogiques et didactiques au détriment de son caractère de mystère, ce qui conduisit à négliger les chants, les silences et les gestes.
L'un des objectifs louables était de parvenir à une expérience religieuse purifiée, à la fois dans le milieu interne (les motivations), et externes (les formes). Le problème surgit de la manière concrète avec laquelle tout ceci se développa. On promeut une religiosité pure, déracinée et abstraite, qui supposait, entre autre, l'élimination des traditions religieuses auxquelles furent attribués des traits magiques, superstitieux ou utilitaristes.
L'affirmation conciliaire de la centralité de la liturgie et de l'Eucharistie impliqua qu'un nombre non négligeable de pasteurs supprimèrent de nombreuses pratiques populaires, du fait que la religiosité populaire se manifeste, en de multiples occasions, sous d'autres formes que celles prévues par les textes liturgiques officiels.
La réforme soulignait également la grande importance que devait avoir les Saintes Écritures dans les célébrations liturgiques. Et, par conséquent, on évalua de façon négative la présence biblique limitée dans les événements populaires, dont beaucoup sont pauvres en théologie et en citations bibliques, mais riche de sentimentalité.
La promulgation de la Constitution «Sacrosanctum Concilium», en 1963, coïncida avec l'un des moments où le mouvement de sécularisation eut la plus grande force, et cela influença l'application des réformes conciliaires. A partir de ce contexte, on assigna à la liturgie un engagement temporel fort, avec l'acquisition d'un ton prophétique, la dénonciation des situations sociales de péché et l'invitation à l'engagement. Pour cette raison, la piété populaire fut évaluée négativement, lui attribuant un effet anesthésiant face aux problèmes sociaux.
Tous ces éléments, qui ont été présents d'une manière ou d'une autre lors de la réforme liturgique post-conciliaire, se traduisirent par la suppression aveugle et arbitraire des pratiques de piété populaire.
Dans ce contexte, apparaissent éloquents les mots de Paul VI lors d'une audience publique en 1973:
« Des voix autorisées nous recommandent de conseiller la plus grande prudence dans le processus de réforme des coutumes traditionnelles religieux populaires, en prenant soin de ne pas éteindre le sentiment religieux, dans l'acte de le revêtir de nouvelles et plus authentiques expressions spirituelles: le goût du vrai, du beau, du simple, du communautaire, et même du traditionnel (là où il mérite d'être honoré), doit présider aux manifestations extérieures du culte, en essayant d'y maintenir l'affection du peuple»