D'Andrea Gagliarducci sur acistampa :
Intelligence artificielle, Cardinal Eijk : "L'Église évangélise les chatbots".
L'archevêque d'Utrecht en est convaincu : il y a matière à réflexion sur les possibilités offertes par l'intelligence artificielle. Du risque de transhumanisme à la fin des relations...
Bucarest, jeudi 18 mai 2023 (ACI Press)
Il y aura beaucoup de réflexion à mener sur l'impact que l'intelligence artificielle aura sur nos vies. Et l'Église devra le faire avant tout, mais en même temps elle sera appelée à commencer à évangéliser ces lieux "virtuels" que sont les chatbots, car dans un monde où le virtuel est réel, beaucoup dépend maintenant de la réponse donnée dans ces nouveaux lieux d'interaction. Le cardinal Wilhelm Jacobus Eijk, archevêque d'Utrecht, en est convaincu. Un sujet qui a également été abordé lors du débat sur l'enseignement de l'Église en matière de morale sexuelle et matrimoniale, provoqué par un rapport du cardinal lors de la dernière rencontre des responsables de la famille et de la vie des Conférences épiscopales d'Europe, qui s'est tenue à Bucarest du 6 au 10 mai.
Quel impact l'intelligence artificielle peut-elle avoir sur nos vies ?
Il est difficile d'avoir une vue d'ensemble de tout ce que l'intelligence artificielle peut faire pour nous, car c'est un domaine encore peu connu. Cependant, je pense que les technologies d'intelligence artificielle telles que les chatbots ont également le potentiel de dire quelque chose sur les questions religieuses. Par exemple, lors d'un sermon, j'ai donné un exemple que j'avais lu dans un livre et j'ai fait référence à Thomas d'Aquin. Un diacre de notre archidiocèse, professeur de dogmatique à la faculté de théologie d'Utrecht, ne se souvenait pas d'avoir entendu ce récit sur Thomas d'Aquin. Un jeune prêtre a donc interrogé un chat bot, qui lui a répondu qu'il s'agissait de saint Albert le Grand, et non de saint Thomas d'Aquin. Quelle est donc la vérité ? La réponse du chat bot est le résultat d'un calcul d'intelligence artificielle. Cependant, cela implique également que si nous ajoutons beaucoup d'informations religieuses aux robots de conversation, nous pouvons avoir une influence sur les réponses. Nous devons donc essayer d'être présents dans le domaine de l'intelligence artificielle.
S'agit-il avant tout d'une tâche d'évangélisation ?
L'Église est toujours prudente lorsqu'elle aborde un nouveau domaine. Mais si nous attendons trop longtemps, d'autres personnes auront introduit d'autres informations, ce qui déterminera les réponses. Nous ne devons donc pas attendre trop longtemps pour être actifs dans ce domaine. Nous ne connaissons pas les conséquences de l'utilisation généralisée des logiciels de "chat bots", mais nous pouvons d'ores et déjà prévoir un certain scénario. Aujourd'hui, nous disons que ces logiciels font des erreurs, mais qu'en sera-t-il dans 10, 20 ou même 5 ans ? Il y aura d'autres types d'intelligence artificielle, des calculateurs beaucoup plus puissants, capables de donner des réponses beaucoup plus précises. C'est maintenant que nous pouvons influencer les réponses.
N'y a-t-il pas de crainte ?
Il est compréhensible d'avoir peur des évolutions, car l'intelligence artificielle peut aussi avoir des conséquences très négatives sur notre société. Par exemple, l'intelligence artificielle est un pas vers la robotisation de notre société, ce qui pourrait entraîner la perte de nombreux emplois, surtout pour les personnes qui n'ont pas fait d'études spécifiques. Le robot, en fin de compte, est un type de personnel qui ne demande pas d'augmentation de revenu, qui travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui ne se fatigue pas. Cela peut changer radicalement notre société, et j'ai l'impression que ni l'Église ni la société ne se rendent compte des changements très profonds qui nous attendent dans les années à venir.
Pensez-vous que l'intelligence artificielle comporte le risque d'un soi-disant transhumanisme 2.0 ?
C'est un risque possible. Nous avons déjà des maisons de retraite où des robots distribuent de la nourriture. La distribution de nourriture aux malades était aussi un moment de contact humain avec les patients, et c'est déjà perdu. Mais lorsque nous décidons non seulement de distribuer la nourriture avec un robot, mais aussi d'utiliser un robot pour déplacer un patient de son lit et le mettre sous la douche, il y a un risque de perdre complètement le contact humain. En outre, il se peut que le robot soit mal programmé au départ, qu'il prenne le patient à 3 heures du matin et lui donne une douche froide, mais avec un logiciel amélioré et des erreurs réduites au minimum, rien ne s'opposera à ce que cela soit fait au maximum. Ce sont des changements et des développements qui se produisent très rapidement. Ce n'est pas une coïncidence si même des personnalités du monde de la haute technologie comme Elon Musk ont appelé à un moratoire sur le développement de l'intelligence artificielle. Nous devons mieux étudier les répercussions futures de ces technologies sur la société.
On pourrait penser que même la décision d'une éventuelle euthanasie pourrait être plus facile à prendre si un robot évaluait les données. Car il n'y a plus d'humanité, et les êtres humains sont perçus comme des machines. S'il ne vaut pas la peine de les faire fonctionner, on les éteint.
Les soins sont très coûteux et les gouvernements dépensent la majeure partie de l'argent qu'ils perçoivent des impôts pour soigner les gens, mais à un moment donné, cette situation sera difficilement soutenable. À ce moment-là, il y aura une pression sociale pour introduire ces robots, des machines automatiques pilotées par des logiciels très sophistiqués et capables de prodiguer les soins nécessaires. De nombreuses questions doivent être abordées. Par exemple, les personnes seront soignées à domicile et vivront peut-être dans des maisons isolées, dans la solitude. Elles perdront ainsi tout contact humain, ce qui entraîne d'autres répercussions. Il s'agit également d'une question très importante. C'est pourquoi nous devons bien réfléchir avant d'introduire toutes ces machines dans nos vies. Bien que ces machines puissent avoir un impact très positif sur les soins, nous devons trouver un équilibre entre l'élément humain et l'élément mécanique.
Dans un tel monde, y a-t-il encore de la place pour la civilisation de l'amour prônée par le catholicisme ?
Oui, aussi parce que dans l'Eglise, il ne sera pas possible de tout automatiser. Par exemple, un prêtre doit toujours célébrer la liturgie, il doit toujours entendre les confessions. Ce sont des activités qui ne peuvent pas être remplacées par l'intelligence artificielle. On peut, il est vrai, imaginer une catéchèse donnée par un robot. Mais le verbe catechezein, en grec, implique un contact personnel dans la manière de transmettre la foi du Christ. La foi du Christ se partage avec d'autres et il n'y a pas d'autre moyen. Je crois que l'Église sera l'un des lieux où l'élément humain demeurera à l'avenir, malgré tout.
Vous avez demandé à plusieurs reprises une encyclique ou un document papal sur la question du genre. Pensez-vous qu'il faille également un document expliquant comment habiter ces nouveaux lieux de l'intelligence artificielle ?
Il faudra un document, mais il faut qu'il soit bien pensé. L'Eglise a toujours eu besoin d'un temps de réflexion sur les nouvelles techniques et leurs développements. Parfois, ce temps de réflexion a pris de nombreuses années. Par exemple, le premier enfant conçu par fécondation in vitro est né en 1978, l'instruction de la Congrégation de la doctrine de la foi à ce sujet, Fidei Donum, n'est venue qu'en 1987, soit neuf ans plus tard. Le magistère de l'Église disposait déjà des réponses de Pie XII sur la question de l'insémination artificielle dans les années 1950, mais le débat est resté ouvert. Il est donc trop tôt pour demander un tel document aujourd'hui.
Faut-il attendre et évangéliser ?
Evangéliser, mais aussi discuter entre théologiens sur cette question, sensibiliser les gens aux nouvelles techniques. Cela prendra du temps.