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Le Pape François ou l'imprévisibilité comme critère

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D'Andrea Gagliarducci sur Monday Vatican :

Pape François, l'imprévisibilité comme critère

25 septembre 2023

La plus grande erreur commise dans l'interprétation du Pape François est probablement de chercher un critère standard pour ses décisions. Car, si l'on regarde les faits, le seul critère du Pape François est la réalisation des objectifs à court terme qu'il se fixe. Il n'y a pas de critère à long terme, ni de modus operandi défini. Il n'y a pas de véritable idée de contrôle. Il y a un plan, un désir d'amener l'Église à changer de mentalité, à être un "hôpital de campagne" et une Église tournée vers l'extérieur. Il n'y a pas d'idée maîtresse derrière ce plan.

Le pape François est difficile à comprendre simplement parce qu'il ne peut pas être placé dans les catégories du passé, mais aussi parce qu'il n'y aura guère de manières d'agir similaires à l'avenir. Les dernières décisions du pape François, ainsi que les choses que l'on pensait qu'il avait faites et qu'il n'a toujours pas faites, semblent confirmer cette image.

La dernière nomination surprenante du pape François est celle du cardinal Americo Aguiar en tant qu'évêque de Setubal. Aguiar était un auxiliaire de Lisbonne, et l'annonce de sa création en tant que cardinal est intervenue avant la démission pour limite d'âge du cardinal patriarche de Lisbonne Clemente. Le pape François a appelé l'ordinaire militaire Rui Manuel Sousa Valerio à succéder à Clemente à Lisbonne. Une situation similaire à celle du Salvador pourrait se produire, où l'auxiliaire, Gregorio Rosa Chavez, était cardinal et l'ordinaire ne l'était pas. Le pape François aurait pu appeler Aguiar à Rome, au Dicastère des laïcs, de la famille et de la vie, et limoger le cardinal Kevin Farrell, qui achève cette année les cinq premières années de son mandat.

Le pape a préféré envoyer Aguiar à Setubal, un jeune diocèse (fondé en 1975) qui n'a jamais été gouverné par un cardinal. Un choix qui témoigne de la volonté du pape de rompre avec toute logique antérieure concernant les créations cardinalices : le titre cardinalice reste sans rapport avec le rôle pastoral, et le pape François n'a pas de diocèses de classe A ou B. Le pape ne considère pas qu'un cardinal soit la voix du pape dans la nation - c'est pour cette raison que les archevêques des diocèses les plus importants ont souvent été créés cardinaux. Le pape semble considérer le cardinal comme son conseiller, ce qui n'a rien à voir avec le titre ou le rôle de cardinal et donc avec son impact institutionnel.

Le même jour que la nomination d'Aguair à Setubal, le pape François avait choisi un nouvel évêque pour un diocèse du sud de l'Italie, Oppido Mamertina-Palmi. Le choix ne s'est pas porté sur un évêque de la région, ni d'ailleurs d'une région voisine, mais sur un prêtre du nord de l'Italie, issu d'un contexte culturel complètement différent, mais qui a le mérite d'avoir été missionnaire fidei donum en Équateur pendant un certain temps.

Ce n'est pas la première nomination de ce type que le pape François effectue. Il suffit de rappeler que pour le diocèse de Rome, il a choisi Baldassarre Reina, originaire de Sicile, comme auxiliaire et vice-gérant, et Michele Di Tolve, originaire de Milan, comme auxiliaire et recteur du Séminaire. La réalité romaine est représentée par le cardinal Angelo de Donatis, vicaire du pape et de plus en plus à l'écart de tout processus décisionnel.

La semaine précédente, le pape François avait vu l'archevêque franciscain José Rodriguez Carballo achever son second mandat de cinq ans en tant que secrétaire du Dicastère pour les congrégations religieuses, et l'avait choisi comme archevêque coadjuteur de l'archidiocèse de Mérida-Badajoz en Espagne. La décision du Pape est apparue comme une défenestration. En effet, le pape François n'a pas hésité à remplacer qui il voulait à l'expiration de leur mandat de cinq ou dix ans, comme ce fut le cas avec le cardinal Gerhard Müller, mais aussi avec son secrétaire Yoannis Gaid. Dans certains cas, la norme du mandat de cinq ans a plutôt été utilisée comme une porte de sortie pour éviter les controverses, comme ce fut le cas pour le cardinal George Pell lorsqu'il a quitté le Conseil des cardinaux.

Ces exemples montrent qu'il n'y a pas eu de ligne cohérente dans la gestion de la question des mandats et des nominations papales. Cependant, l'envoi de Mgr Carballo en Espagne peut également signifier le désir du pape d'avoir l'un de ses plus fidèles au sein de la Conférence épiscopale espagnole dans un moment de transition et alors que de nouveaux évêques prennent leurs fonctions. En définitive, Mgr Carballo est celui qui a constamment appliqué la volonté papale, même lorsqu'il s'agissait d'appliquer une ligne dure à l'égard de certaines congrégations.

Enfin, le père Antonio Spadaro est nommé sous-secrétaire du dicastère de la culture et de l'éducation, une nomination qui a fait l'objet de nombreuses spéculations. En fin de compte, l'explication semble simple : après 12 ans, les Jésuites ont décidé de donner une nouvelle orientation à la Civiltà Cattolica. Le Père Spadaro, qui ces dernières années a été reconnu comme l'un des principaux interprètes de la pensée du Pape, a donc été coopté au Vatican, appelé à y apporter l'expérience de ces années.

Le problème est que chaque décision donne lieu à mille spéculations, et toutes ne sont pas correctes. Il est extrêmement difficile de lire dans l'esprit du pape François. Mais s'il n'y a pas de modus operandi, quel est le plan du pape François ?

Comme nous l'avons dit, le pape semble penser en termes d'objectifs à court terme, ce qui lui permet de prendre une décision puis de changer complètement d'approche. Cela s'est également produit dans plusieurs cas. Par exemple, le pape a d'abord défendu l'épiscopat chilien sur la question des abus au Chili. Ensuite, il a convoqué les évêques chiliens à deux reprises, ce qui a entraîné la démission en bloc de l'épiscopat chilien. Ou encore, concernant le responsum de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui niait la possibilité de bénir les couples homosexuels, le pape l'a d'abord approuvé, puis a laissé entendre qu'il aurait préféré une approche plus douce.

C'est l'idée de ce que l'on appelle la réforme en cours. L'objectif du pape n'est pas de changer la doctrine de manière formelle. En effet, la formalité ne fait pas partie du bagage culturel du pape François. Les documents les plus utilisés pour prendre des décisions sont les motu proprio, les plus populaires pour envoyer des messages sont les exhortations apostoliques, et les plus utilisés pour des décisions rapides sont les rescrits.

Le pape François écoute tout le monde, mais il n'y a pas de synodalité d'écoute dans sa prise de décision. Souvent, ses décisions sont dictées par l'instinct ; elles proviennent d'une conversation, mais souvent pas d'une pesée de tous les points de vue.

Cette situation peut être contre-productive. Les réformes restent au point mort jusqu'à ce que le pape prenne une décision, car il est difficile et risqué d'agir de manière indépendante. Il y a peu d'esprit d'initiative au Vatican, ce qui nuit à la vitalité de l'institution. Il y a aussi de la suspicion parce que le pape François compare souvent deux situations, utilise des canaux parallèles et met en concurrence différents interlocuteurs.

Bien qu'elle ait un certain sens, elle conduit certainement à un paysage imprévisible. Ceux qui manœuvrent dans les coulisses en profitent et n'ont aucun scrupule. Un jour, quand l'histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi le pape a voulu la procédure judiciaire en cours au Vatican sur la gestion des fonds de la Secrétairerie d'État, au sujet de laquelle de nombreuses contradictions sont déjà apparues. Un jour, quand l'histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi, dans l'affaire Rupnik, il n'y a pas eu de coordination entre les Jésuites, le vicariat et le Dicastère pour la doctrine de la foi dans la gestion non seulement de l'affaire mais aussi de la communication de l'affaire. Et un jour, quand l'histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi, malgré les avertissements du Pape lui-même, le Synode de l'Eglise en Allemagne avance sans changer une virgule, en visant directement son objectif.

Le pape François, cependant, suivra les situations au cas par cas, selon la logique du discernement, qu'il demande d'appliquer également dans la confession. Dans la confession, cependant, il s'agit de faire face à des personnes en chair et en os, souvent désorientées, qui veulent prendre un nouveau départ et laisser derrière elles leurs erreurs. Au contraire, lorsqu'il s'agit de gouverner, le principe de réalité appliqué alternativement risque de ne créer que de la confusion.

Beaucoup parlent d'une phase finale du pontificat, qui peut durer des années. Dans cette phase finale, le pape François accélère les réformes et la construction d'une équipe de fidèles. L'arrivée de Victor Fernandez à Rome comme préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi en est un exemple. Le pape François a besoin que ses réformes soient protégées, soutenues et expliquées. Le projet du pape semble cependant être de rompre avec le passé, en imposant un nouveau modèle d'Église moins institutionnelle, plus proche des gens, et surtout, avec un leader aimé. L'idée de changer le récit est née lors du conclave qui l'a élu. Mais le changement de récit suffira-t-il à aider l'Église à se réformer ? Que restera-t-il, au final, de ce pontificat quelque peu imprévisible ?

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