(archive 2011)
Chaque fête chrétienne rappelle un évènement heureux ou grave de la vie du Christ, de la Vierge, ou encore un mystère important de notre foi, mais le Mercredi des Cendres ? Un jour comme les autres, au milieu d'une semaine comme les autres, qui ne commémore rien, qui ressemble à une balise sèche comme une trique, où il faut jeûner parce qu’on est à 40 jours de Pâques et parce que c’est une manière de marquer le coup alors qu’on entre en carême… Pas de quoi, semble-t-il, déclencher des élans mystiques ni susciter la ferveur que peuvent stimuler la méditation de réalités où la foi s’exalte et trouve son compte de satisfactions spirituelles.
Quoi de plus à rebours de notre sensibilité qui recherche le confort, le bien-être, la satisfaction de nos envies, de nos désirs ? Tout cela ne ressemble-t-il pas à une sorte de mortification disciplinaire imposée par l’Eglise pour nous gâter le plaisir d’exister… et de jouir sereinement de ce congé du carnaval ?
Comme je tâche d’être un « bon chrétien », il va me falloir trouver des raisons d’assumer cette morne journée et non de la subir à contrecœur. Exercice bien difficile en ces temps où tout est mobilisé pour « me faire plaisir ».
C’est drôle, cette répulsion pour la privation alors que des milliers d’individus s'imposent une discipline stricte pour éviter l’embonpoint et paraissent considérer qu’aucune des privations qu’ils s’imposent n’est superflue pour empêcher le délabrement de leur apparence physique. Ils se condamnent à des renoncements alimentaires éprouvants, à l’aspartame, à des exercices physiques exigeants, etc. Tout cela est exposé à longueur de pages dans des livres, des magazines, des sites web où il est question de « bien-être » et semble pleinement justifié. On est évidemment un peu gêné de faire un monde des quelques rares conseils et obligations édictés par l’Eglise pour le temps du Carême alors que nos contemporains consentent tant d'efforts sur eux-mêmes pour garantir leur santé et optimaliser leur « look ».
« Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous ! » Terribles paroles que l’on trouve à l’entrée de l’Evangile. C’est tellement peu compatible avec notre sensibilité contemporaine, même religieuse, habituée à un discours qui nous parle de faire la fête, de rechercher le bonheur, de nous épanouir, etc. Il est vrai que, de son côté, le discours écologique nous incite à changer d’attitude, à abandonner le consumérisme pour adopter un genre de vie plus retenu qui romprait avec des habitudes peu soucieuses d’une gestion harmonieuse des ressources de la planète…
Peut-être y aurait-il une « écologie » spirituelle qui justifierait de consentir quelques efforts et de braver cette « horreur » du mercredi des cendres ? Peut-être dois-je accepter cette discipline qui me rappelle que je ne suis pas libre quand la recherche de la satisfaction et du plaisir immédiat me tient en otage ? Sans doute, car comment suivre celui qui a éprouvé l’horreur de l’agonie et de la mort, en suppliant son Père de voir ce calice s’éloigner de lui, si de mon côté je ne suis pas capable du plus petit renoncement ?
Je ne me sens guère porté à certains exercices de mortification pourtant recommandés par de nombreux maîtres spirituels (mais je n’accepterai pas qu’on jette sur eux le discrédit). Il me semble que l’acceptation des épreuves que la vie apporte est déjà tellement difficile que je perçois mal l’utilité « d’en rajouter ». Cependant, consacrer une journée à réfléchir sur notre condition passagère, sur l’issue de notre itinéraire terrestre, sur le rendez-vous qui nous attend et qui exige de nous un affranchissement intérieur à l’égard de tout ce qui nous emprisonne et nous asservit, n’est sans doute pas un exercice superflu. C’est le premier pas d’un chemin de conversion où nous attend la seule expérience qui mérite d’être vécue, celle de mourir à ce qui nous détruit et de nous réveiller à une vie en plénitude.
Cela n’empêche que du point de vue de notre humaine sensibilité, ce sera sans doute éprouvant de vivre ce nouveau mercredi des cendres, d’autant plus éprouvant que notre imagination, la « folle du logis », stimulée par un plus Malin que nous, aura soin de dépeindre sous des traits insurmontables ce qui se résume, somme toute, à bien peu de choses…