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La troisième demande du Pater: fiat voluntas tua

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Lorsqu’on observe la logorrhée des « prières » inondant les feuilles, les ondes ou la toile informatique des médias dits chrétiens, la nausée nous saisit parfois. Le bon remède est alors de se tourner vers la source, sobre et pure de toute oraison, indiquée par Jésus lui-même :

 JPS

« Quand vous priez », dit le Seigneur au moment d’enseigner à ses disciples le Notre Père, « ne multipliez pas les paroles, comme les païens : ils s’imaginent en effet que c’est par la multitude de leurs paroles qu’ils seront exaucés. Ne leur ressemblez donc pas ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » (Mt 6, 7-8).

Aussi les Pères de l’Eglise disent-ils avec raison que, dans sa brièveté sans emphase, l’Oraison dominicale contient en soi toutes les prières. Or la troisième de ses demandes elle-même, « que votre volonté soit faite », en est comme l’abrégé. Qui ne voit en effet que l’objet de chacune des autres demandes est bien aussi objet de la volonté du Père, et que souhaiter l’accomplissement de celle-ci, c’est souhaiter encore par le fait même tout ce que le Seigneur nous y fait demander par ailleurs. 

Ce n’est pas à dire, bien sûr, que les autres demandes ― et les autres prières ― soient à déprécier : mais leur but est au fond de nous expliciter, à nous, le vrai désir de notre être, non de le faire  connaître au Père : le Seigneur vient de le rappeler et c’est évident, il sait de quoi nous avons besoin, avant que nous le lui demandions. A travers elles, c’est donc toujours à la réalisation de la volonté du Père que nous aspirons, pour peu que notre prière soit ce qu’elle doit être.

Il apparaît mieux dès lors à quel point toute prière est puissante, et par quoi : le fiat de la troisième demande est l’écho du « Fiat » de la Genèse (1, 3) : il nous établit comme en son axe ; et dans la mesure où nous le prononçons de tout coeur, en lui attribuant la plénitude de sa signification, il participe de son efficacité.

On en aperçoit la suprême et exemplaire mise en oeuvre dans l’évangile de l’Annonciation : la Vierge en effet ne dit autre mot que fiat, et l’Incarnation du Fils de Dieu, le plus grand des mystères réservés à notre monde, s’accomplit.

La Passion aussi, qui va nous obtenir la rédemption, s’ouvre à Getsémani sur ce même mot fiat : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » (Mt 26, 42) On le voit, la prière que Jésus a enseignée à ses disciples est bien aussi la sienne, en ce moment décisif. En faut-il plus pour que nous la fassions nôtre ?

Mais si cette demande est si capitale, il importe d’en bien mesurer la portée. Les mots « fiat voluntas tua » résonnent souvent à nos oreilles en échos d’une résignation fort sombre : nous acceptons, soit ― puisque nous sommes chrétiens ―, mais comme un pis-aller, comme une épreuve, voire comme une punition, que cette volonté divine se réalise dans notre vie... N’est-ce pas grand aveuglement que d’envisager ainsi les choses ?

Résignation ? sans doute, mais résignation toute lumineuse, et dont nous ferions acte avec joie débordante, si nous pesions avec un minimum de foi les premiers mots par lesquels nous avons ouvert notre prière : « Notre Père » !

Il a bien piètre opinion de son père, celui qui craint que la volonté de ce père à son égard lui soit préjudiciable, encore qu’il se produise quelquefois, on peut en convenir, que nos pères de la terre fassent l’une ou l’autre erreur sur ce qui est vraiment bon pour nous. Ici, rien de tel : il s’agit de Dieu...

« Si l’un de vous demande du pain à son père, celui-ci lui donnera-t-il une pierre ? Ou, s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu du poisson ? Ou, s’il demande un oeuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous, qui êtes méchants, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans le Ciel... » (Lc 11, 11-13)

Ainsi, prononçons ces mots « fiat voluntas tua » en plongeant nos yeux dans le regard du Père, ce regard plein de bonté et qui nous crée : alors nous pourrons les dire avec totale confiance, sachant qu’il nous réserve infiniment mieux que ce que nous pourrions imaginer de meilleur, parce qu’il nous aime, et qu’il est notre Père.

Mais voilà, Sénèque l’avait déjà observé en dehors de toute Révélation : l’homme préfère « se dresser en avocat de son propre mal. » (De vita beata, 1, 5) Et de fait, nous avons si bien pris l’habitude de préférer notre sentiment propre à celui du prochain, que nous ne sommes plus capables de faire autrement : nous n’épargnons pas même la Sagesse tout aimante de notre Père du Ciel, le Bon Dieu !

Prenons plutôt conscience que cette parole de l’Oraison dominicale est une parole d’Evangile, c’est-à-dire qu’elle nous annonce quelque chose de bien et de bon. C’est une parole de résignation, certes, mais notre erreur consiste à l’entendre d’une résignation négative, alors qu’il s’agit de résignation toute positive, oui, toute lumineuse, toute de joie débordante.

Voilà pourquoi nous prononcerons ces mots de la troisième demande avec joie. « Hilarem datorem diligit Deus. » (2 Cor 9, 7)« Dieu aime celui qui donne avec le sourire. » Ce sourire est le reflet de sa propre bonté : il montre que nous sommes vraiment ses enfants, que nous le reconnaissons vraiment pour Père, et que notre confiance est donc sans conditions ni réserves.

Ce ne sera pourtant pas nier le caractère parfois éprouvant de cet abandon dans les bras du Père. Le fait est que nous passons tous, tôt ou tard, par l’épreuve. Mais un amour vrai désire cette épreuve, il en a besoin pour s’exprimer pleinement. Car enfin, il lui semblerait faire trop peu pour le Père, s’il n’avait qu’à le servir dans les aises d’une vie correspondant aux penchants de sa volonté propre.

Et puis, parce qu’il est amour précisément, il sait aussi qu’il a des fautes à réparer, et se souvient que les épreuves lui sont bonne occasion de faire amende honorable : « ... que tout ce que vous supporterez de pénible vous soit à rémission des péchés... » Il accepte donc généreusement les épreuves qui lui surviennent, les reconnaissant de grand coeur pour ses alliées.

La joie de Pâques suppose l’étape préalable du Carême : plus le Carême est fervent, plus il est austère, mais d’une austérité que cette joie irradie déjà, elle aussi, plus intensément. « Et eux, ils allaient, tout joyeux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus. » (Act 5, 41)

La souffrance, l’amour ne la désire pas pour elle-même : il y voit le moyen de témoigner du feu qui l’anime, voire de ranimer et d’alimenter en lui ce feu. Et comme le chrétien veut en tout se conformer au Christ, il considère comme une grande grâce― même s’il lui en coûte, et parfois beaucoup ― que la Croix vienne l’éprouver.

On en vient donc à ce paradoxe : « Heureux homme, celui qui supporte l’épreuve ! » (Jc 1, 12)

Mais le paradoxe n’est-il pas partout inscrit dans les splendeurs de la foi ? Verbe fait chair ; Vierge Mère ; qui perd sa vie la gagne ; mortuus regnat vivus ; felix culpa...

« Que votre volonté soit faite », la troisième demande, est la clef d’entrée dans le monde, plus vrai que vrai, des paradoxes de Dieu : tous impossibles pour nous, mais tous signature de la Sagesse divine. C’est par l’accomplissement de la volonté de Dieu en nous que nous sortons du cadre de nos apories pour accéder à la liberté des enfants de Dieu.

La volonté du Père est que nul ne se perde. (Cf. Mt 18, 14) Si ma prière, en tout et toujours, est que sa volonté se fasse, que pourra-t il bien m’importer qu’il m’arrive ceci ou cela ? En quoi craindrais-je pour ceux qui me sont chers ? pour le bien de l’Eglise ? pour la marche du monde ? Unam petii (Ps 26, 4), je n’ai qu’une chose à demander : que sa volonté s’accomplisse seulement, et tous nous habiterons dans la maison du Seigneur tous les jours de notre vie, à savourer les délices du Seigneur. (cf. ibidem)

Quand nous abandonnons notre volonté propre pour faire place à la volonté du Père, que ce ne soit donc pas, ainsi que le remarque plaisamment saint François de Sales « comme les malades font des melons, lesquels ils ne mangent pas parce que le médecin les menace de mort s’ils en mangent ; mais ils s’inquiètent de s’en abstenir, ils en parlent et marchandent s’il se pourrait faire, ils les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger. » (Vie Dévote, I, 7)

Alors qu’il n’est rien de plus savoureux que la volonté de notre Père...

J.-B. T.

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