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Non, le célibat sacerdotal ne remonte pas à une loi édictée 900 ans après le Christ

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brandmueller_dw_wis_756616z.jpgHistorien de l'Eglise, le cardinal allemand Walter Brandmüller met les choses au point à ce sujet dans Il Foglio du 13 juillet (nous reprenons la traduction parue sur chiesa.espresso):

NOUS PRÊTRES, CÉLIBATAIRES COMME LE CHRIST

Cher Monsieur Scalfari,

Bien que n’ayant pas le privilège de vous connaître personnellement, je voudrais revenir sur ce que vous affirmez à propos du célibat dans le compte-rendu de votre entretien avec le pape François, affirmations qui ont été publiées le 13 juillet 2014 et immédiatement démenties, quant à leur authenticité, par le directeur du bureau de presse du Vatican. En tant que “vieux professeur” qui ai enseigné l’histoire de l’Église pendant trente ans à l’université, je souhaite porter à votre connaissance l’état  actuel de la recherche dans ce domaine.

En particulier, il est nécessaire de souligner en premier lieu que le célibat ne remonte pas du tout à une loi inventée neuf cents ans après la mort du Christ. Ce sont plutôt les Évangiles selon Matthieu, Marc et Luc qui rapportent ce que Jésus a dit à ce propos.

Matthieu écrit (19,29) : “Quiconque aura quitté maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs à cause de mon nom, recevra le centuple et aura en partage la vie éternelle”.

Ce qu’écrit Marc est très semblable (10,29) : “En vérité, je vous le dis : nul n’aura quitté maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi qu’il ne reçoive le centuple”.

Luc se montre encore plus précis (18, 29 et suiv.) : “En vérité, je vous le dis : nul n’aura quitté maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive bien davantage en ce temps-ci et, dans le temps à venir, la vie éternelle”.

Ce n’est pas à de grandes foules que Jésus s’adresse lorsqu’il dit cela, mais bien à ceux qu’il envoie répandre son Évangile et annoncer l’avènement du Royaume de Dieu.

Pour accomplir cette mission, il est nécessaire qu’ils se libèrent de tous les liens terrestres et humains. Et, étant donné que cette séparation signifie la perte de ce à quoi l’on peut normalement s’attendre, Jésus promet une “récompense” plus qu’appropriée.

À ce point de la réflexion, on fait souvent remarquer que le “tout abandonner” faisait référence uniquement à la durée du voyage au cours duquel son Évangile serait annoncé et que, une fois qu’ils auraient accompli leur mission, les disciples reviendraient dans leurs familles. Mais il n’y a aucune trace de cela. Par ailleurs le texte des Évangiles, lorsqu’il fait allusion à la vie éternelle, parle de quelque chose de définitif.

Par ailleurs, étant donné que les Évangiles ont été écrits entre l’an 40 et l’an 70 de l’ère chrétienne, ceux qui en furent les rédacteurs auraient donné une mauvaise image d’eux-mêmes s’ils avaient fait tenir à Jésus des propos avec lesquels leur propre comportement dans la vie n’aurait pas été en conformité. En effet Jésus demande à ce que ceux qui participent à sa mission adoptent également sa manière de vivre.

Mais alors que veut dire Paul lorsque, dans sa première épître aux Corinthiens (9, 5), il écrit : “Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N’avons-nous pas le droit de manger et de boire ? N’avons-nous pas le droit de nous faire accompagner par une femme croyante, exactement comme les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas ? Ou bien devrions-nous être les seuls, Barnabé et moi, à devoir renoncer au droit de ne pas travailler ?”. Ces questions et ces affirmations ne présentent-elles pas comme acquis le fait que les apôtres aient été accompagnés par leurs épouses respectives ?

Sur ce point, il faut procéder de manière prudente. Les questions rhétoriques que pose l’apôtre font référence au droit que celui qui annonce l’Évangile a de vivre aux frais de la communauté et cela s’applique également à la personne qui l’accompagne.

Une question se pose alors, bien évidemment, celle de savoir qui est cette personne qui accompagne. L’expression grecque “adelphèn gynaïka” nécessite une explication. “Adelphè” signifie sœur. Et dans ce texte on entend, par sœur dans la foi, une chrétienne, tandis que “gynè” indique – de manière plus générale – une femme, que celle-ci soit vierge, fiancée, ou épouse. En somme, un être féminin. Toutefois cela fait qu’il est impossible de démontrer que les apôtres étaient accompagnés par leurs épouses. Parce que, si au contraire il en était ainsi, on ne comprendrait pas pourquoi on parlerait clairement d’une "adelphè" en tant que sœur, donc chrétienne. En ce qui concerne l’épouse, il faut savoir que l’apôtre l’a quittée au moment où il a commencé à faire partie du groupe des disciples.

Le chapitre 8 de l’Évangile de Luc aide à y voir plus clair. On y lit : “Jésus vint, accompagné par les douze et par quelques femmes qu’il avait guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée la Magdaléenne, de qui étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne, ainsi que beaucoup d’autres. Elles servaient toutes Jésus et les disciples avec ce qu’elles possédaient”. Il paraît logique de déduire de cette description que les apôtres auraient suivi l’exemple de Jésus.

Par ailleurs il faut attirer l’attention sur l’appel empathique au célibat ou à l’abstinence conjugale qui est lancé par l’apôtre Paul (1 Corinthiens 7, 29 et suiv.) : “Je vous le dis, frères : le temps se fait court. Par conséquent, que ceux qui ont une femme vivent à l’avenir comme s’ils n’en avaient pas”. Et encore : “L’homme qui n’est pas marié a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur. Celui qui est marié a souci des affaires du monde, il veut plaire à son épouse, et le voilà partagé”. Il est clair que Paul, lorsqu’il dit cela, s’adresse en premier lieu à des évêques et à des prêtres. Et lui-même s’en serait tenu à cet idéal.

Dans le but de prouver que Paul ou l’Église des temps apostoliques ne connaissaient pas le célibat, on fait quelquefois appel aux épîtres adressées à Timothée et à Tite, celles que l’on appelle les épîtres pastorales. Et en effet, dans la première épître à Timothée (3, 2), il est question d’un évêque marié. Et, de manière répétée, on traduit le texte original grec de la façon suivante : “Que l’évêque soit le mari d’une femme”, ce qui est considéré comme un précepte. Mais il suffirait d’une connaissance rudimentaire du grec pour traduire correctement : “Voilà pourquoi il faut que l’évêque soit irréprochable, qu’il n’ait été marié qu’une fois (et il doit être le mari d’une femme !), qu’il soit sobre et pondéré”. On lit aussi, dans l’épître à Tite : “Un ancien (c’est-à-dire un prêtre, un évêque) doit être irréprochable et n’avoir été marié qu’une seule fois”.

Il s’agit là d’indications qui tendent à exclure la possibilité qu’un homme qui, après la mort de son épouse, se serait remarié (bigamie “successive”) soit ordonné prêtre-évêque. En effet non seulement, à cette époque-là, un veuf qui se remariait n’était pas vu d’un bon œil, mais l’Église ajoutait à cela une autre considération : un tel homme ne pouvait donner aucune garantie qu’il respecterait l’abstinence, à laquelle un évêque ou un prêtre devait se vouer.

LA PRATIQUE DE L’ÉGLISE POST-APOSTOLIQUE

La forme originelle du célibat prévoyait donc que le prêtre ou l’évêque continuent leur vie familiale, mais pas leur vie conjugale. C’est également pour cette raison que l’on préférait ordonner des hommes d’âge plus avancé.

Les œuvres d’auteurs ecclésiastiques tels que Clément d’Alexandrie ou Tertullien, originaire d’Afrique du Nord, qui vivaient aux IIe et IIIe siècles de l’ère chrétienne, témoignent du fait que tout cela peut être rattaché à des traditions apostoliques anciennes et consacrées. De plus, une série de récits édifiants concernant les apôtres – ce que l’on appelle les Actes des apôtres apocryphes, qui furent composés au IIe siècle et firent l’objet d’une large diffusion – témoignent du fait que l’abstinence était tenue en haute considération parmi les chrétiens.

Par la suite, au IIIe siècle, les documents littéraires qui traitent de l’abstinence des clercs se multiplient et ils deviennent de plus en plus explicites, surtout en Orient. Voici, par exemple, un passage tiré de ce que l’on appelle la “Didascalie syriaque” : “L’évêque, avant d’être ordonné, doit être mis à l’épreuve, pour que l’on sache s’il est chaste et s’il a élevé ses enfants dans la crainte de Dieu”. De même le grand théologien Origène d’Alexandrie (IIIe siècle) connaît un célibat d’abstinence contraignant ; un célibat qu’il explique et approfondit au point de vue théologique dans plusieurs de ses ouvrages. Et il y aurait bien entendu d’autres documents que l’on pourrait citer pour soutenir cette thèse, ce qu’il n’est évidemment pas possible de faire ici.

LA PREMIÈRE LOI RELATIVE AU CÉLIBAT

C’est le concile d’Elvire, en 305-306, qui a donné la forme d’une loi à cette pratique d’origine apostolique. Dans son canon 33, ce concile interdit aux évêques, aux prêtres, aux diacres et à tous les autres clercs d’avoir des rapports conjugaux avec leur épouse ; il leur interdit également d’avoir des enfants. Par conséquent, à cette époque-là, on considérait que l’abstinence conjugale et la vie familiale pouvaient être conciliées. C’est ainsi que même le saint pape Léon Ier, dit Léon le Grand, écrivait vers 450 que les hommes consacrés ne devaient pas répudier leur femme. Ils devaient continuer à vivre avec elles, mais comme s’ils “n’en avaient pas”, pour reprendre l’expression utilisée par Paul dans sa première épître aux Corinthiens (7,29).

Au fil du temps, on aura de plus en plus tendance à accorder les sacrements de l’ordination uniquement à des hommes célibataires. La codification surviendra au Moyen Âge, époque à laquelle on considérait comme évident que le prêtre et l’évêque soient célibataires. Il est de fait que la discipline canonique n’était pas toujours respectée à la lettre, mais cela ne doit pas étonner. Et, comme il est naturel, l’observance du célibat a également connu des hauts et des bas au cours des siècles.

On peut en citer un exemple célèbre : la controverse très vive qui eut lieu au XIe siècle, à l’époque de ce qu’on appelle la réforme grégorienne. À cette occasion il se produisit dans l’Église – surtout en Allemagne et en France – un désaccord tellement marqué que des prélats allemands qui étaient opposés au célibat en arrivèrent à chasser de son diocèse, par la force, Altmann, l’évêque de Passau,. En France, les émissaires du pape qui avaient été chargés d’insister sur la discipline du célibat furent menacés de mort et, pendant un synode qui eut lieu à Paris, Gauthier, le saint abbé de Pontoise, fut frappé par des évêques qui étaient opposés au célibat et jeté en prison. Cependant la réforme réussit à s’imposer et on assista à un nouveau printemps religieux.

Il est intéressant de constater que la contestation du précepte établissant le célibat s’est toujours manifestée dans les moments où apparaissaient des signes de décadence au sein de l’Église, tandis que l’observance du célibat se renforçait dans les périodes où la foi connaissait un regain de vigueur et où la culture était florissante.

Et il n’est certes pas difficile d’établir des parallèles entre ces observations historiques et la crise actuelle.

LES PROBLÈMES DE L’ÉGLISE D'ORIENT

Deux questions qui sont fréquemment posées restent encore ouvertes. Il y a celle qui concerne la pratique du célibat dans l’Église catholique de l’empire byzantin et du rite oriental, qui n’admet pas le mariage pour les évêques et les moines, mais le permet aux prêtres, à condition que le mariage de ceux-ci ait eu lieu avant leur ordination. Et il y a des gens qui, prenant justement cette pratique comme exemple, se demandent si elle ne pourrait pas être adoptée également par l’occident latin.

À ce sujet, il faut souligner avant tout que c’est précisément en Orient que la pratique du célibat abstinent a été considérée comme contraignante. Et c’est seulement pendant le concile de 691, appelé "Quinisexte" ou "in Trullo", à une époque où la décadence religieuse et culturelle de l’empire byzantin apparaissait évidente, que s’est produite la rupture avec l’héritage apostolique. Ce concile fut influencé en très grande partie par l’empereur, qui voulait remettre de l’ordre dans les relations au moyen d’une nouvelle législation, mais il ne fut jamais reconnu par les papes. C’est justement à cette période que remonte la pratique adoptée par l’Église d’Orient. Lorsque par la suite, à partir des XVIe et XVIIe siècles et ultérieurement, plusieurs Églises orthodoxes rejoignirent l’Église d’Occident, le problème s’est posé à Rome de savoir comment il fallait se comporter à l’égard des membres du clergé de ces Églises qui étaient mariés. Les papes qui se succédèrent décidèrent, pour le bien et l’unité de l’Église, de ne demander aux prêtres revenus à l’Église mère aucune modification de leur manière de vivre.

L'EXCEPTION DE NOTRE TEMPS

C’est sur une motivation semblable qu’est fondée la dispense de célibat qui est concédée par le pape – à partir de Pie XII – aux pasteurs protestants lorsqu’ils se convertissent au catholicisme et désirent être ordonnés prêtres. Cette règle a également été appliquée par Benoît XVI, récemment, aux nombreux prélats anglicans qui désiraient s’unir à l’Église mère catholique, conformément à la constitution apostolique "Anglicanorum cœtibus". Par cette concession extraordinaire, l’Église reconnaît le long et parfois douloureux cheminement religieux de ces hommes de foi, parvenus à leur but grâce à leur conversion. Un but qui, au nom de la vérité, conduit les intéressés à renoncer également aux ressources économiques perçues jusqu’alors. C’est l’unité de l’Église, bien d’une immense valeur, qui justifie ces exceptions.

HÉRITAGE CONTRAIGNANT ?

Mais, ces exceptions mises à part, l’autre question fondamentale qui se pose est : l’Église peut-elle être autorisée à renoncer à ce qui est évidemment un héritage apostolique ?

C’est une option qui est continuellement prise en considération. Il y a des gens qui considèrent que ce n’est pas seulement par une partie de l’Église mais par un concile général que cette décision peut être prise. De cette manière, on pense que, même si tous les milieux ecclésiastiques n’étaient pas impliqués, on pourrait assouplir l’obligation du célibat au moins pour certains, sinon l’abolir purement et simplement. Et ce qui apparaît encore aujourd’hui comme inopportun pourrait être la réalité de demain. Mais si l’on voulait agir de cette manière, il faudrait replacer au premier plan l’élément contraignant des traditions apostoliques. Et l’on pourrait aussi se demander si, par une décision prise dans le cadre d’un concile, il serait possible d’abolir la fête du dimanche qui, si l’on veut être pointilleux, a moins de fondements bibliques que le célibat.?

Enfin permettez-moi de me livrer, en guise de conclusion, à une considération tournée vers l’avenir : si la constatation que toute réforme ecclésiastique digne de ce nom doit avoir pour fondement une connaissance profonde de la foi ecclésiastique continue à être valable, alors la controverse actuelle à propos du célibat sera, elle aussi, dépassée grâce à une connaissance approfondie de ce que signifie le fait d’être prêtre. Et si l’on comprend et enseigne que le sacerdoce n’est pas une fonction de service, exercée au nom de la communauté, mais que le prêtre – en vertu des sacrements qu’il a reçus – enseigne, guide et sanctifie "in persona Christi", alors on comprendra d’autant mieux que, justement pour cette raison, il adopte aussi la forme de vie du Christ. Et un sacerdoce compris et vécu de cette façon recommencera à exercer son pouvoir d’attraction sur l’élite des jeunes.

Pour le reste, il faut prendre acte du fait que le célibat, ainsi que la virginité au nom du Royaume des Cieux, resteront toujours, pour les gens qui ont une conception sécularisée de la vie, quelque chose d’irritant. Mais Jésus disait déjà à ce propos : “Que celui qui peut comprendre, comprenne”.

Commentaires

  • A propos de l'interprétation donnée ici du passage de Corinth.1,9,5 réduisant la femme mentionnée à propos de Pierre et des frères du Seigneur à une sorte de servante ou de gouvernante, il faut rappeler qu'il y a un recoupement à la situation de Pierre en Matthieu 8,14, où l'évangéliste mentionne la guérison de sa belle-mère, τὴν πενθερὰν (mother-in-law in Liddell&Scott). Ce passage indique clairement que le premier chef de l'Eglise était marié au moment où il accompagnait le Christ. Il semble donc qu'il n'est nullement déraisonnable de voir en Corinth. une allusion à la même femme. Il n'est nulle part indiqué que Pierre abandonna définitivement sa femme, comme le suggère l'auteur. Après la résurrection, on voit que les disciples revinrent en Galilée et reprirent même leurs activités de pêcheurs. Où vécurent-ils sinon dans leur propre famille ?

    La lecture du texte grec de Corinth. (μὴ οὐκ ἔχομεν ἐξουσίαν ἀδελφὴν γυναῖκα περιάγειν) me semble tout à fait sujette à caution. En effet, s'il s'agissait de dire "N'avons-nous pas le droit d'avoir une sœur à nos côtés ?" l'attribut γυναῖκα serait totalement superflu. Il va de soi qu'une sœur est du genre féminin ! Pourquoi dire "N'avons-nous pas le droit d'avoir une sœur comme personne du sexe féminin à nos côtés ?" γυναῖκα interprété comme "femme, épouse" relève du bon sens, comme tous les traducteurs que je connais l'ont admis.

    Pour le fond, serait-ce vraiment un acte de sainteté que d'abandonner sa femme ? Les paroles si dures du Christ sur la renonciation à la famille lui étaient certainement inspirées par sa propre situation. Il n'est que trop clair dans les Evangiles que la famille de Jésus l'avait renié au point de prétendre qu'il avait perdu la tête (Marc, 3,20)C'est à Lui-même qu'il pense amèrement sans doute quand il constate comment il a dû se séparer des siens.

    Armel Job, écrivain, lic-agrég. en philologie classique, chrétien de base

  • LE CELIBAT SACERDOTAL DANS LA TRADITION PRIMITIVE DE L'EGLISE

    par Christian Cochini S.J.
    http://www.clerus.org/clerus/dati/2002-04/05-6/Celib_sac.htm

    Il n'est peut-être pas de meilleure introduction au problème des origines du célibat sacerdotal que d'évoquer les nombreux hommes mariés devenus clercs dont les noms illustrent l'histoire des premiers siècles de l'Eglise. Plusieurs eurent un fils qui monta sur le trône de saint Pierre. Ainsi l'évêque Antonius, d'un diocèse suburbicaire de Rome, qui fut le père du pape Damase (366-384) ; le prêtre Jocundus, père de Boniface I (416-419) ; le prêtre Félix, père de Félix III (483-492) ; le prêtre Pierre, père d'Anastase II (496-498) ; le prêtre Gordianus, père d'Agapet I (535-536) ; le sous-diacre Etienne, père d'Adéodat I (615-618); et l’évêque Theodorus, originaire de Jérusalem, père de Théodore I (642-649). Nous voyons même le pape Horsmidas, au 6ème siècle, avoir pour successeur son propre fils Silvère (536-538), et saint Grégoire le Grand nous apprenne que son trisaïeul n'était autre que le pape Félix III, lui-même fils d'un prêtre.
    Ces exemples célèbres sont loin d'être des exceptions. Pour la période des sept premiers siècles, nous disposons actuellement d'une liste bien établie qui compte plus de 120 évêques, tous mariés et pour la plupart pères de famille. Quelques noms seulement : Demetrius, patriarche d'Alexandrie (l'évêque d'Origène) ; Grégoire l'Illuminateur, premier catholicos arménien, et ses successeurs de la dynastie grégoride : les catholicos Verthanès, Nersès le Grand et Sahaq le Grand ; Grégoire de Nysse ; Grégoire de Nazianze, dit l'Ancien ; Synésius de Cyrène ; Hilaire de Poitiers ; Pacien de Barcelone ; Sévère de Ravenne ; Victor de Numidie ; Eucher de Lyon ; Julien d’Eclane ; Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont ; et bien d'autres.
    Outre ces personnages bien identifiés, les sources contemporaines nous apprennent qu'il était alors fréquent d'admettre au sacerdoce des hommes engagés dans les liens du mariage. Cela ressort très nettement de l'examen des documents dont nous allons bientôt parler.

    Un deuxième fait qui s'impose à l'attention est l'existence d'une législation écrite qui, à partir du 4ème siècle, se rapporte au célibat des clercs. On y distingue deux types de documents :
    1- Les textes interdisant le mariage après l'ordination aux degrés supérieurs de la cléricature. L'un des tout premiers règlements qui nous aient été conservés est le canon 1 d'un concile tenu à Néocésarée, en Cappadoce, entre 314 et 315 :
    "Si un prêtre se marie, i1 sera exclu des rangs du clergé : s'il commet une fornication ou un adultère, il sera de plus excommunié et soumis à la pénitence".
    2- Les textes interdisant l'usage du mariage aux membres du clergé supérieur déjà mariés avant l'ordination. Le premier en date est le canon 33 du concile d'Elvire, vers 305 :
    "Il a paru bon d’interdire absolument aux évêques, aux prêtres et aux diacres, soit (encore) à tous les clercs employés au ministère, d'avoir des relations (sexuelles) avec leurs épouses et d'engendrer des enfants ; si quelqu'un le fait, qu'il soit exclu de l'honneur de la c1éricature".

    Un troisième fait à souligner, enfin, est l'existence de plusieurs documents publics qui, dès le 4eme siècle, font remonter aux temps apostoliques la discipline exigeant du clergé supérieur l'abstention du commerce conjugal. Ce sont, dans l'ordre chronologique :
    1- La décrétale Directa, du 10 février 385, envoyée par le pape Sirice à l'évêque espagnol Himère, métropolitain de la Tarraconaise.
    2- La décrétale Cum in unum, envoyée par Sirice aux épiscopats de diverses provinces pour leur communiquer les décisions prises en janvier 386 à Rome par un concile de 80 évêques.
    3- La décrétale Dominus inter, en réponse à des questions posées par des évêques des Gaules.
    4- Le canon 2 du concile tenu à Carthage en juin 390.

    Tout ceci demande que l'on garde présent à i'esprit deux données essentielles :

    - La première est qu'il n'existait pas, aux premiers siècles de l'Eglise, de loi faisant de l'état de célibataire une condition préalable à l'admission aux ordres. Si i'on trouve, à partir au 4ème siècle, de nombreux textes visant à interdire le mariage après l'ordination, il n'existe pas, en revanche, de document législatif écartant des ordres les hommes mariés. Habitués comme nous le sommes aujourd'hui à parler du célibat ecclésiastique comme d'une loi non seulement prohibant le mariage après l'ordination, mais limitant l'accès aux ordres, sauf exception rare, aux seuls candidats non mariés, nous avons à faire un effort de réajustement conceptuel pour aborder l'étude des premiers siècles de l'Eglise sans risque de confusion.
    La discipline de l'époque se caractérise, comme on vient de le voir, par une double obligation : le devoir de garder le célibat après l'ordination aux ordres majeurs, si l'on n'était pas marié auparavant ; et le devoir de garder la continence avec son épouse, si on l'était. On peut parler de « loi du célibat au sens strict » pour la première de ces obligations, et de « loi au célibat-continence » pour la seconde.

    - Une deuxième donnée qu'il importe d'avoir présente à l'esprit est l'absence totale de document écrit attestant l'existence soit d'une loi du célibat au sens strict, soit d'une loi du célibat-continence tout au long des trois premiers siècles. Mais il n'existe pas non plus, au cours de la même période, de document écrit infirmant l'existence d'une telle obligation. Aussi est-il légitime de prendre en considération les premiers documents publics qui, au 4ème siècle, revendiquent pour la loi du célibat-continence une origine apostolique. Ces documents fournissent une clé de recherche sérieuse, et peuvent projeter sur l'histoire des origines une lumière décisive.

    ***

    Il faut le reconnaître. Jusqu'à une époque encore récente, l'opinion était peu préparée à accueillir l'idée d'une origine apostolique au célibat sacerdotal. Nombreux sont encore ceux chez qui elle suscite l'étonnement, quand ce n'est pas une fin de non recevoir, sans autre forme d'examen. Une telle discipline n'a été introduite qu'à une date tardive dans l'Eglise latine, pense-t-on, et, ajoute-t-on parfois, pour des motivations étrangères à l'Evangile. Seule la tradition des Eglises orientales remonterait au temps des apôtres. Certains théologiens ou exégètes expriment une position plus nuancée, faisant ressortir à juste titre les fondements scripturaires de la loi, mais ils n'en écartent pas moins l'idée d'une éventuelle « tradition apostolique », et ne conçoivent la discipline attestée au 4ème siècle que comme le fruit d'une lente évolution, due à l'action progressive du ferment évangélique dans la société chrétienne de l'époque.

    Il n'en a pas toujours été ainsi. Dans les siècles passés, plus d'un historien et d'un théologien catholique ont admis l'origine apostolique du célibat, et soutenu dans leurs écrits ce qu'ils considéraient non comme une hypothèse, mais comme une certitude historique. Citons seulement quelques noms : au 16ème siècle, le jésuite Robert Bellarmin, dans une étude intitulée Coelibatum iure Apostolico rectissime annexum ordinibus sacris ; César Baronius, l'auteur des Annales ecclesiastici ; et le cardinal Stanislas Hosius, au chapitre 56 de sa Confessio catholicae fidei christiana. Au 17ème, l'oratorien Louis Thomassin, dans son Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise catholique touchant les bénéfices et les bénéficiers, et le bollandiste Jean Stiltinck, avec deux dissertations critiques parues dans les Acta Sanctorum. Au 18ème, le jésuite François-Antoine Zaccaria, avec deux volumes de polémique d'une haute tenue scientifique. Au 19ème siècle enfin, la monumentale compilation d'Augustino de Roskovany, qui reste, malgré ses limites, un précieux ouvrage de référence ; et les deux articles de l'orientaliste allemand Gustav Bickell qui s'opposa à François-Xavier Funk dans une controverse célèbre. J'aimerais joindre à ces études ex professo le témoignage de Newman, dans son Apologia pro vita sua : « Il y avait aussi le zèle avec lequel l'Eglise romaine maintenait la doctrine et la règle du célibat, que je reconnaissais comme apostolique, et sa fidélité à bien d'autres coutumes de l'Eglise primitive qui m'étaient chères : tout ceci plaidait en faveur de la grande Eglise romaine ».

    ***

    Tous ces travaux étaient comme tombés dans l'oubli à la suite de la controverse qui, à la fin du 19ème siècle, s'engagea entre les deux érudits allemands dont je viens de parler. En raison de son influence sur l'opinion contemporaine, il convient de nous y arrêter un instant.
    Gustave Bickell, professeur a Innsbruck, et spécialiste des littératures syriaque et hébraïque, commença par publier dans le Zeitschrift fur Katholische Theologie un article intitulé Der Cölibat eine apostolische Anordnung. Il s'y appliquait a démontrer deux thèses complémentaires : 1. En Occident, l'obligation à la continence, y compris pour les prêtres et les diacres, ne date pas de Sirice : elle remonte aux apôtres. 2. En Orient, la même obligation existait également dès les temps apostoliques, mais dans ces régions elle a été peu a peu négligée à partir du 4ème siècle.
    Dès l'année suivante, en 1879, il était combattu par François-Xavier Funk, professeur d'histoire et de théologie à Tübingen, dans un article de la Theologische Quartalschrift : Der Cölibat keine apostolische Anordnung. Déclarant partir des conclusions auxquelles seraient parvenus les théologiens allemands les plus éminents à l'époque moderne, Funk rejette l'idée d'une origine apostolique : si le célibat a été, de fait, observé par un assez grand nombre de clercs dès les premiers siècles de l'Eglise, ce ne fut jamais qu'en vertu d'un choix tout à fait libre et personnel. Il fallut attendre le 4ème siècle pour voir apparaître, en Occident, une législation transformant en droit la coutume. En Orient, par contre, on est resté « fermement fidèle aux origines ».
    Funk ne fit pas l'unanimité dans les milieux scientifiques allemands, mais ses conclusions finirent néanmoins par prévaloir grâce à deux savants français qui les vulgarisèrent dans le grand public. Le premier fut Elphège-Florent Vacandard, dans un volume des Etudes de critique et d'histoire religieuse, en 1905 ; le second, Dom Henri Leclercq, au 2ème tome de sa traduction française de l'Histoire des Conciles d'Hefele, avec une étude intitulée : « La législation conciliaire relative au célibat ecclésiastique ».
    Ces articles renforcèrent la position de Funk, mais sans apporter des raisons nouvelles et plus approfondies. Ils accréditèrent l'opinion selon laquelle ses conclusions étaient définitives, un point de vue partagé encore de nos jours par des auteurs comme Roger Gryson et Georg Denzler.

    Pour qui se donne le temps de relire les longs articles de Bickell et de Funk, il apparaît cependant que la question ne peut être tenue pour tranchée. Comme l'a fait pertinemment remarquer le cardinal Alfons Stickler, Funk fait preuve à plusieurs reprises d'un manque d'esprit critique surprenant, notamment à propos de la prétendue intervention de Paphnuce au concile de Nicée, et d'une confusion entre droit et loi écrite.

    ***

    La question de l'apostolicité des origines du célibat-continence des clercs est donc légitimement redevenue une question d'actualité. Non un problème du passé, mais une interrogation pouvant contribuer de façon utile au progrès de la réflexion de l'Eglise sur un sujet complexe. Dans son encyclique sur le célibat, Paul VI souhaitait « promouvoir les études par lesquelles la virginité et le célibat voient confirmer leur vrai sens spirituel et leur valeur morale ». Entre toutes les disciplines susceptibles d'apporter leur pierre à ce renouveau, l'histoire occupe une place qui n'est pas négligeable. En travaillant a ses ouvrages, le jésuite Zaccaria se disait animé par la conviction que d'une juste connaissance de l'histoire des origines et du développement de la loi sur le célibat des clercs dépendait d'une certaine manière l'avenir de celle-ci. C'est aussi la conviction d'un nombre aujourd'hui de plus en plus grand de personnes que chercher à savoir si oui ou non la discipline du célibat remonte aux apôtres est non seulement un devoir scientifique mais déjà une sorte de collaboration avec les générations futures.
    Qu'on me permette de signaler par priorité l'ouvrage de Roman Cholij, Clerical celibacy in East and West (1988), et celui, tout récent, du cardinal Alfons Maria Stickler, Der Kleriker Zölibat, Seine Entwicklungsgeschichte und seine theologischen Grundlagen, (1993), l'un et l'autre fondamentaux, et orientés dans cette perspective.

    ***

    Dans les limites du temps dont nous disposons, il n'est évidemment pas possible de passer en revue la totalité des documents qui forment le volumineux dossier du célibat aux premiers siècles de l’Eglise. Je me bornerai à relire avec vous quelques-uns des plus importants :

    I- Tout d'abord, la décrétale Directa du pape Sirice (10 fév. 385). En réponse à une consultation de l’évêque espagnol Himere, le successeur de Damase aborde la sujet de la continence des clercs :
    "Venons-en maintenant aux très saints ordres des clercs. Comme nous l'apprend ta Charité, nous voyons que dans vos provinces ils sont foulés aux pieds et plongés dans la confusion, au grand détriment de l'honneur dû à la religion. C'en est à un tel point qu'il nous faut dire avec Jérémie : "Qui changera ma tête en fontaine, ou mes yeux en source de larmes, que je pleure ce peuple jour et nuit ?"... Qu'on me le dise a présent : pourquoi (la Seigneur) avertit-il en ces termes ceux à qui étaient confiées les choses saintes entre toutes : Soyez saints, parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu (Lv 20, 7) ? Et aussi pourquoi était-il ordonne aux prêtres, pendant l'année où revenait leur tour de service, d'habiter dans le Temple, loin de leur domicile ? (sinon) de toute évidence afin qu'ils ne puissent avoir de commerce charnel même avec leur épouse, en sorte qu'avec une conscience resplendissante d'intégrité ils présentent à Dieu ces offrandes dignes d'être acceptées. A ces hommes, une fois accompli le temps de leur service, l'usage des rapports conjugaux avait été concédé dans l'unique but de s'assurer une descendance, étant donné que personne ne pouvait être admis au ministère divin en dehors (des membres) de la tribu de Lévi.
    C'est pourquoi, après nous avoir illuminés par son avènement, le Seigneur Jésus attesta formellement dans l'Evangile qu'il n'était pas venu abolir la Loi, mais la parfaire ; et c'est aussi pourquoi il voulut que la beauté de l'Eglise, dont il est l'époux, resplendisse de l'éclat de la chasteté, afin qu'à son retour, au jour du Jugement, il puisse la trouver sans tache ni ride, ainsi que son Apôtre (nous) l'a enseigné. C'est par la loi indissoluble de ces décisions que nous tous, prêtres et diacres, nous nous trouvons liés à partir du jour de notre ordination, (et tenus) a mettre nos cœurs et nos corps au service de la sobriété et de la pureté ; puissions-nous être agréables a notre Dieu en toutes choses, dans les sacrifices que nous offrent quotidiennement."

    - Un an plus tard, en janvier 286, un concile de 80 évêques tenu à Rome prit un ensemble de décisions que Sirice communiqua à divers épiscopats par la décrétale In unum. L'introduction insiste sur la fidélité aux traditions venues des apôtres, car « il ne s'agit pas d'ordonner des préceptes nouveaux, mais de faire observer ceux qui, par suite de l'apathie ou de la paresse de certains, ont été négligés ». Parmi ces choses « établies par une constitution apostolique et par une constitution des Pères » se trouve l'obligation à la continence pour les clercs supérieurs :
    "En outre, comme il est digne, chaste et honnête de le faire, nous conseillons ceci : que les prêtres et les lévites n'aient pas de relation avec leur épouse, étant donne qu'ils sont absorbés par les devoirs quotidiens de leur ministère... C'est pourquoi j'exhorte, j'avertis, je supplie : qu'on fasse disparaître cet opprobre, dont même le paganisme peut à bon droit nous faire un reproche. Peut-être croit-on que cela (est permis) parce qu'il est écrit : ”le mari d'une seule femme ?" Mais Paul n'a pas parlé d'un homme qui persisterait sans la désir d'engendrer ; il a parlé en vue de la continence qu'il lui faudrait pratiquer (propter continentiam futuram)".

    - Je passe sur la décrétale Dominus inter, qui est une réponse du pape (Damase, ou Sirice ?) à une série ce questions posées par des évêques des Gaules. Elle développa la même argumentation.

    Ce que nous disent ces trois décrétales est d'une importance primordiale pour l'histoire de la loi du célibat-continence. Elles présupposent d’abord, comme une chose normale et légitime, de nombreuses situations matrimoniales dans les rangs au clergé. C'est en tout bien tout honneur que des hommes, mariés avant l'ordination, exerçaient alors les fonctions sacerdotales, et accédaient même à l’épiscopat. Une fois ordonnés, ces époux devaient vivre dans la continence parfaite, une obligation qui concerne a la fois les évêques, les prêtres et les diacres. Les infractions à cette discipline étaient fréquentes en cette fin au 4ème siècle, tant en Espagne que nans les Gaules. En outre, plusieurs la contestent ouvertement en essayant de se justifier par des arguments scripturaires, notamment par l'exemple des prêtres de l'Ancien Testament, et par la consigne paulinienne recommandant à Timothée de choisir pour l'épiscopat et le diaconat « le mari d'une seule femme ». La réponse de Sirice et des évêques romains est que la discipline contestée n'est pas une innovation, mais se rattache à la tradition apostolique. Elle trouve aussi son fondement dans l’Ecriture, en particulier dans les textes mêmes que certains veulent utiliser pour la combattre : les lévites de l'Ancienne Alliance pouvaient avoir des enfants, mais ils étaient tenus à la continence temporaire lors de leur service au Temple ; à plus forte raison, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont-ils tenus à la continence perpétuelle. Quant à la consigne paulinienne de l’unius uxoris virum, elle a été édictée propter continentiam futuram ; si saint Paul a fait de la monogamie une condition d'accès aux ordres, c'est parce que la fidélité à une seule femme est à ses yeux une garantie prouvant que le candidat sera capable de pratiquer la continence parfaite après son ordination.

    Est-il besoin de souligner l'autorité de ces textes ? Tous trois émanent au pontife romain : la réponse à Himère de Tarragone est du pape Sirice ; la décrétale Cum in unum, qui promulgue les décisions d'un concile de 80 évêques, est entièrement assumée par Sirice ; quant à la décrétale Directa, elle est aussi l'œuvre d'un synode romain, que le pape prend à son compte. Nous sommes par conséquent en présence de prises de position de celui qui, successeur de Pierre sur le siège de Rome, est non seulement l'héritier des fonctions de l'Apôtre, mais la voix par qui Pierre lui-même continue de diriger l'Eglise : « Nous portons les fardeaux de tous ceux qui sont chargés, écrit Sirice, ou, bien plutôt, il les porte en nous le bienheureux apôtre Pierre... » Comme le dira plus tard le pape Sixte III dans une formule précise : « Le bienheureux apôtre Pierre reçoit, dans ses successeurs, ce qu'il a lui-même transmis » (Beatus Petrus apostolus in successoribus suis quod tradidit hoc accepit).

    Cette permanence de la présence et de l'action de Pierre sur le siège de Rome en la personne de ses successeurs explique la position absolument unique de l'Eglise de Rome comme témoin de la Tradition venue des apôtres. Telle était bien la conviction commune, dont saint Irénée s'était fait deux siècles plus tôt le meilleur porte-parole : « Avec cette Eglise, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout, elle en qui, toujours, au bénéfice de cas gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres ». Il ne saurait donc faire de doute que ces documents se donnent comme l'expression la plus autorisée de la Tradition vivante de l'Eglise, et que les pontifes romains de cette fin du 4ème siècle ont engagé toute leur crédibilité dans l'attestation de l'origine apostolique de la discipline du célibat-continence pour les évêques, les prêtres et les diacres.

    ***

    II- A côté des Documents pontificaux, les nombreuses assemblées conciliaires, à partir au 4ème siècle, apportent également des renseignements de premier ordre. J'en retiendrai deux : le concile d'Elvire et le 2ème concile de Carthage.

    1 – Le concile d’Elvire. On peut vraisemblablement le situer vers l'année 305, lorsque l'empereur Constance Chlore, favorable aux Chrétiens, devint le maître de l'Espagne. Il est donc ainsi sans doute le premier en date des conciles espagnols, et le premier dans toute l'Eglise dont il reste des canons disciplinaires. Relisons le 33ème canon, célèbre dans l'histoire de la discipline du célibat-continence :
    "Il a paru bon d'interdire absolument aux évêques, aux prêtres et aux diacres, soit (encore) à tous les clercs employés au ministère, d'avoir des relations (conjugales) avec leur épouse et d'engendrer des enfants ; si quelqu'un le fait, qu'il soit exclu de la cléricature".
    Cette loi du concile d’Elvire étant le premier document canonique sur la continence des clercs que nous connaissions, plusieurs en ont conclu qu'elle inaugurait une discipline nouvelle. Funk n'hésite pas : « Le synode d’Elvire de l’an 300 marque un tournant. Le canon 33 de ce synode impose en effet aux clercs supérieurs... une continence absolue, tandis qu'il avait été jusqu'alors permis de poursuivre la vie matrimoniale même après l'ordination si le mariage avait été contracté avant cette dernière ». A sa suite, nombreux sont ceux qui ont pensé de même. Or, l'examen attentif du document et du contexte historique est loin ce corroborer ce jugement.
    Il faut d'abord rappeler que les archives des églises ont été souvent détruites au cours des persécutions, et que par là s'explique en grande partie la rareté des documents pour les premiers siècles de l'Eglise. En 303, l'édit de Dioclétien ordonna de « raser au sol les églises et de jeter au feu les Livres sacrés ». A Rome, le dépôt déjà considérable des archives et de la bibliothèque pontificales disparut dans les flammes. Des scènes analogues se produisirent dans toutes les provinces de l'empire, et l'Espagne ne fut pas épargnée. Dans ces conditions, on peut seulement se contenter de dire que le canon d'Elvire sur le célibat-continence est le premier de ce genre « qui nous ait été conservé ». Il n’est pas exclu, et il est même fort possible qu'un ou d'autres canons semblables se trouvaient dans les archives incendiées durant les persécutions.
    La supposition est d’autant moins gratuite que les Pères du concile d’Elvire ne donnent nullement l’impression d’innover. Rien n'est dit de la liberté d’user du mariage qu’auraient eu jusqu’alors les clercs mariés, alors qu'une mesure de cette importance eût nécessité qu’on s’y réfère, pour expliquer pourquoi on y mettait fin. Quand on réfléchit à la nature des exigences posées, le silence des législateurs sur ce point se comprend plus facilement dans le cas où ils réitèrent et confirment une pratique déjà en vigueur, que dans le cas contraire. On n’impose pas brusquement à des époux la rude ascèse de la continence parfaite, sans dire pourquoi ce qui était jusqu’alors permis devient tout à coup défendu. Surtout, si comme c’est le cas, on prévoit des peines canoniques sévères pour les contrevenants. En revanche, il s’agissait de remédier à des infractions à une règle déjà ancienne. On voit mieux que les évêques espagnols n'aient pas éprouvé le besoin de justifier une mesure aussi exigeante. En supposant même que même le décret d'Elvire soit le premier, chronologiquement parlant, cela ne signifie pas que la pratique antérieure ce l'Eglise ait été différente. Un assez grand nombre de points touchant à la doctrine et à la discipline n'ont pas fait à l'origine l'objet d'une exploitation. Ce n'est qu'avec le temps, et sous la pression de circonstances inédites, que ces vérités de foi d'abord admises par tous firent l'objet de définitions dogmatiques et que des traditions observées depuis les origines de l'Eglise revêtirent une forme canonique. Ce principe bien connu de méthodologie générale sur la formation des normes juridiques de l'Eglise peut éclairer de façon juste la préhistoire du concile d'Elvire.
    Il est d'autre part remarquable que personne, à l'époque, ne semble avoir accusé le concile de nouveauté. Or, s'il s'était agi d’une nouveauté, la lourde obligation de la continence parfaite aurait paru odieuse à plus d'un, et les Pères d'Elvire n'auraient pu l'introduire sans soulever un tollé de protestations et s'attirer des démentis au nom de la tradition authentique. C'est sans heurt que le 33eme canon d'Elvire fait son entrée dans l'histoire, et ceci confirme encore l'impression que, loin d'être un « tournant » à partir duquel on aurait commence à imposer aux clercs la continence parfaite, le concile d'Elvire est au contraire un témoin privilégie de la fidélité de l'Eglise d'Espagne à une antique tradition.

    2- Le 2ème concile de Carthage. Le 16 juin 330, quelques évêques africains réunis à Carthage votaient un canon dont voici le texte :
    "Epigone, évêque de Bulle la Royale, dit : Dans un concile antérieur, on discuta de la règle de continence et de chasteté. Qu'on instruise donc (maintenant) avec plus de force les trois degrés qui, en vertu de leur consécration, sont tenus par la même obligation de chasteté, je veux dire l'évêque, le prêtre et le diacre, et qu'on leur enseigne à garder la pureté.
    L'évêque Genethlius dit : Comme on l'a ait précédemment, il convient que les saints évêques et prêtres de Dieu, ainsi que les lévites, c'est-à-dire ceux qui sont au service des sacrements divins, observent une continence parfaite, afin de pouvoir obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent a Dieu ; ce qu'enseignèrent les apôtres, et ce que 1'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder.
    A l’unanimité, les évêques déclarèrent : Il nous plaît à tous que l'évêque, le prêtre et le diacre, gardiens de la pureté, s'abstiennent de leur épouse, afin qu'ils gardent une chasteté parfaite ceux qui sont au service de l'autel".

    Ce canon confirme indirectement, à son tour, l'existence de nombreux hommes mariés dans les rangs du clergé. Les sujets de la loi sont les diacres, les prêtres et les évêques, c'est-à-dire les membres des trois degrés supérieurs de la cléricature auxquels on accède par des consecrationes. Celles-ci mettent l'homme à part, pour l'accomplissement de fonctions qui touchent au divin. Le service de l'Eucharistie est ici le fondement spécifique de la continence demandée aux ministres. A cela s'ajoute un second motif qui souligne la finalité de l'obligation : « afin qu'ils puissent obtenir en toute simplicité ce qu'ils demandent à Dieu » (quo possint simpliciter quod a Deo postulant impetrare). Celui qui est au service des mystères chrétiens est un médiateur entre Dieu et les hommes, et à ce titre doit s'assurer les conditions requises pour une prière d'intercession efficace. Sans la chasteté, le ministre manquerait d'une pureté essentielle quand il présente à Dieu les requêtes de ses frères humains et se priverait en quelque sorte de la liberté de parole. Avec elle, en revanche, il entre avec le Seigneur dans des rapports très « simples » qui sont une garantie d'exaucement. Il n'y a peut-être pas de meilleur commentaire a ce canon de Carthage que celui au grand canoniste byzantin du 12ème siècle, Jean Zonaras :
    "Ceux-ci sont en effet intercesseurs entre Dieu et les hommes, qui, établissant un lien entre la divinité et le reste ces fidèles, demandent pour le monde entier le salut et la paix. S'ils s'exercent donc, comme le dit le canon, à la pratique de toutes les vertus et dialoguent ainsi en toute confiance avec Dieu, ils obtiendront tout de go ce qu'ils auront demandé. Mais si ces mêmes hommes se privent par leur faute de la liberté de parole, de quelle manière pourront-ils s'acquitter de leur tâche d'intercesseurs au profit d'autrui ?"

    Le canon africain de 390 est d'un grand poids pour l'histoire des origines du célibat sacerdotal, car il se porte garant d'une tradition remontant aux apôtres : « ce qu'enseignèrent les apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé, faisons en sorte, nous aussi, de le garder » (ut quod apostoIi docuerunt, et ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiamus). Compte tenu du fait que les décrétales ce Sirice sont antérieures de quelques années à ce concile, on se demandera peut-être si les évêques de Carthage ne se sont pas contentés de répéter de confiance ce qu'avait dit le pontife romain, sans autre forme ce vérification. Mais c'est mal connaître l'Eglise d'Afrique, très attachés à la Tradition, au point de s'opposer fermement à l'évêque de Rome quand celui-ci paraissait s'en écarter. Un exemple célèbre est la controverse baptismale qui mit saint Cyprien aux prises avec le Pape Etienne. Un autre conflit entre Rome et Carthage éclata en 419, à propos d'Aplarius de Sicca, un prêtre de la province proconsulaire qui avait été excommunié par son évêque, et que le pape Zosime, auprès de qui il avait fait appel, avait réhabilité. Zosime ayant fait valoir des canons de Nicée sur le droit d'appel a Rome, les africains firent une enquête car ils ne trouvaient pas ces canons dans l'exemplaire grec des actes du premier concile œcuménique conservé a Carthage. Ils n’eurent de cesse que toute la lumière soit faite, et demandèrent aux évêques des principaux sièges d'Orient de leur envoyer les verissima exemplaria du concile de Nicée, ce que firent Cyrille d'Alexandrie et Atticus de Constantinople. Les canons litigieux invoqués par Rome ne s'y trouvaient pas ! Il s'avéra finalement qu'il s'agissait de deux canons du concile de Sardique, et le pape Boniface, successeur de Zosime, dut donner raison aux Africains. Toute cette affaire prouve à quel point l'Eglise d'Afrique se voulait fidèle à la Tradition, Dont le concile de Nicée était une expression privilégiée.
    Nous pouvons par conséquent affirmer deux choses : 1- Quand ils déclarent vouloir garder « ce qu'enseignèrent les apôtres, et ce que l'antiquité elle-même a observé », les Pères de Carthage ne répètent pas passivement les décrétales de Sirice ; ils se portent eux-mêmes garants, au nom de l'Eglise d'Afrique, d'un « enseignement » des apôtres sur le célibat-continence des évêques, prêtres et diacres. Leur témoignage, indépendant de celui de l'évêque de Rome, en est une confirmation supplémentaire. 2- Les Africains n'auraient jamais prononcé une telle affirmation si elle avait été contraire à ce qu'on pouvait lire dans les actes authentiques du concile de Nicée conservés à Carthage. Ceci implique que, de leur point de vue, la loi du célibat-continence était en harmonie avec le 3ème canon de Nicée, et que rien, dans les actes du premier concile œcuménique, ne témoignait d'une incompatibilité quelconque de cette loi avec la tradition venue des apôtres.
    A l'instar de l'Espagne, et de façon plus explicite, l'Eglise d'Afrique reste pour l’histoire un témoin de première importance sur l’origine apostolique du célibat sacerdotal. C’est ce que les Orientaux eux-mêmes ont toujours reconnu, puisque le concile byzantin Quinisexte de 691, dont nous allons parler, s'y réfère comme à un jalon sûr vers les origines.

    ***

    III- Les témoignages des écrivains patristiques corroborent maintes fois les documents publics émanant des souverains pontifes ou des assemblées conciliaires. Je ne retiendrai ici que celui de saint Jérôme, comme plus représentatif, non sans avoir toutefois cité les noms d'Epiphane, de l’Ambrosiaster et de saint Ambroise parmi les plus marquants.

    C'est avant tout la polémique contre les détracteurs de la chasteté sacerdotale qu'étaient Jovinien et Vigilance, qui nous vaut de la part de Jérôme des réflexions particulièrement intéressantes pour notre sujet. Dans l’Adversus Jovinianum, il commente l'unius uxoris vir de la première épître à Timothée dans le même sens que Sirice. Il s'agit d'un nomme qui a pu avoir des enfants avant son ordination, non de quelqu'un qui continuerait ensuite à engendrer. La Lettre à Pammachius, pour sa part, souligne le lien ce dépendance entre la continence des clercs et celle du Christ et de sa Mère vierges :
    "Le Christ vierge, la Vierge Marie ont pour chaque sexe consacré les débuts de la virginité ; les apôtres furent ou vierges, ou continents après le mariage. Evêques, prêtres et diacres sont choisis vierges ou veufs; en tout cas, une fois reçu le sacerdoce, ils observent la chasteté parfaite".
    L’Adversus Vigilantium, enfin, est justement célèbre par la référence à de vastes régions de l'empire :
    "Que feraient les Eglises d'Orient ? Que feraient celles d'Egypte et du Siège apostolique, elles qui n’acceptent les clercs que si ils sont vierges ou continents, ou (s’ils ont eu) une épouse, que s'ils ont renoncé a la vie matrimoniale".

    ***

    Je voudrais maintenant, faisant un saut de trois siècles, m'arrêter un instant avec vous sur un dernier document capital pour l’histoire du célibat premiers siècles de l’Eglise : le concile Quinisexte, dit in-Trullo, de 691.

    Qu'on me permette tout d'abord un bref rappel du contexte historique de la société byzantine du 7ème siècle.
    Un événement majeur est l'apparition de l'Islam et son expansion foudroyante. Apres l'Afrique chrétienne, la Syrie, la Palestine, la Mésopotamie et l'Egypte tombent l'une après l'autre, de 635 à 642, aux mains des chefs musulmans. Des quatre patriarcats orientaux, seul Constantinople reste encore debout, mais doit faire face, sur les frontières du nord, aux invasions slaves et bulgares, qui eurent une profonde influence sur la civilisation hellénique. Siècle de bouleversements, qui faillit mener Byzance à la ruine. L'ébranlement politique se répercute sur la vie intellectuelle et morale, qui traverse une crise comparable à celle qui, au 5ème siècle, avait accompagné la chute de l'empire romain. Les historiens l'ont noté : cette période troublée « marque une décadence intellectuelle profonde... il semble que le monde chrétien soit à la veille de succomber, emporté par la formidable tempête de l'Islam ».
    Dans le même temps, Byzance connaît des difficultés croissantes avec Rome. Le point de départ en avait été l'affaire du 28ème canon du concile de Chalcédoine, en 451, qui avait conféré à la « nouvelle Rome » une autorité patriarcale sur les métropolitains des diocèses du Pont, de l'Asie proconsulaire et de la Thrace, et avait été pour cette raison rejeté par le pape saint Léon comme étant « en opposition avec les canons de Nicée » et « contre les droits des églises particulières ». La mésentente couvait depuis lors, et l'habile politique de Justinien, au 6ème siècle, avait réussi à maintenir un statu quo sans pour autant supprimer les causes de division.
    Ces pages d'histoire nous aident a mieux comprendre pourquoi le concile Quinisexte s'ouvrit dans une certaine atmosphère d'hostilité vis-à-vis de Rome. S'il se propose de réformer les abus et les erreurs de son temps, le synode byzantin entend le faire à sa manière, prenant ses distances par rapport à l'Occident et affichant son désaccord avec certaines traditions latines. L'orthodoxie resta sauve, mais sur les questions de discipline cléricale et liturgique les 215 Pères grecs, orientaux ou arméniens réunis « sous la Coupole » du Palais impérial (in Trullo) s'opposèrent sur plus d'un point à Rome. Le pape Serge (687-701), syrien d'origine, déclara « préférer la mort » à la reconnaissance de « certains canons (qui) étaient contre l'ordre de l'Eglise ».

    Ce document de la fin du 7ème siècle est, comme on l'a justement souligné, « le dernier mot de la discipline ecclésiastique pour l'Eglise grecque ». L'examen des sept canons qui, sur les 200 votés par le concile, ont trait au mariage et à la continence des clercs montre d'abord que l'Orient byzantin a conservé dans ce domaine plus d'un usage conforme à ceux de l'Eglise latine.
    Relevons pour commencer deux canons relatifs aux évêques : les canons 12 et 48.
    Can. 12 : Qu'aucun évêque ne doit cohabiter avec son ex-épouse. Il est venu à notre connaissance qu'en Afrique, en Lybie et en d'autres lieux les pasteurs aimés de Dieu de ces territoires ne laissent pas que de cohabiter avec leurs épouses, même après que le sacre leur fût conféré, offrant ainsi aux peuple une pierre d'achoppement et un scandale. Ayant donc le grand souci que tout se fasse pour 1'édification des peuples que nous avons à régir, nous avons décidé qu'une telle manière d'agir n'ait plus lieu.
    Can. 48 : Que l'épouse de l'évêque, qui s'est séparée de lui d'un commun accord, doit entrer après le sacre dans un monastère. L'épouse de celui qui est promu à l'épiscopat, s'étant séparée d'un commun accord d'avec son mari, entrera après le sacre de celui-ci dans un monastère, situé loin de la résidence épiscopale et jouira de l'aide matérielle de l'évêque ; même, si elle en était digne, qu'elle soit promue à la dignité de diaconesse.

    Remarquons que les byzantins ne reprochent pas aux « pasteurs bien aimés de Dieu » d'avoir des relations conjugales, mais de cohabiter sous le même toit avec leurs compagnes. Nous savons que la tradition latine, en particulier depuis saint Léon, autorisa longtemps les clercs mariés à garder auprès d'eux leur conjointe, tout en observant une stricte continence. Mais à partir du 6ème siècle, dans l'ensemble des provinces ecclésiastiques du monde occidental, les conciles avaient peu à peu demandé la séparation d'avec l'épouse. La convergence mérite d'être soulignée : pour l'évêque, loi de continence parfaite est la même à Rome qu'à Byzance.

    Les canons 3 et 6, de leur côté, précisent diverses obligations de chasteté qui manifestent également un accord total avec la tradition latine. Résumons-les : Il est interdit aux clercs, à quelque rang qu'ils appartiennent, de contracter un second mariage, ne peuvent être admis à la cléricature, et à plus forte raison promus au sous-diaconat, que les monogames. Encore faut-il que leur épouse ait été vierge, de condition libre, et n'ait pas exercé de profession considérée comme déshonnête. En d'autres termes, sont exclus : les hommes mariés plus d'une fois, les concubinaires, ceux qui ont épouse une veuve, une femme renvoyée par son mari, une courtisane, une esclave, ou une comédienne. Ces règlements sont conformes à ceux qui ont été observés de tout temps dans la primitive Eglise, y compris en Occident, et témoignent d'un profond souci de fidélité à la tradition apostolique. Rome et Byzance sont d'accord pour le fond : les exigences de chasteté réclamées des ministres de l'Eglise n'ont d'autre fondement que l'impulsion donnée aux origines du christianisme par ses fondateurs eux-mêmes.

    Outre ces canons, le concile Quinisexte vota un long décret qui, tranchant cette fois avec la discipline préconisée par Rome, limite à une continence seulement temporaire le devoir de chasteté des diacres et des prêtres mariés. Voici ce texte :
    Can. 13: "Des prêtres et des diacres, qu’ils peuvent garder leurs épouses. Comme nous avons appris que dans l'Eglise de Rome il s'est établi comme règle qu'avant de recevoir l'ordination de diacre ou de prêtre, les candidats promettent publiquement de ne plus avoir de rapports avec leurs épouses : nous, nous conformant à l'antique règle de la stricte observation et de la discipline apostolique, nous voulons que les mariages légitimes des hommes consacrés à Dieu restent en vigueur même à l'avenir, sans dissoudre le lien qui les unit à leurs épouses, ni les priver des rapports mutuels dans les temps convenables. De la sorte, si quelqu'un est jugé digne d'être ordonné sous-diacre ou diacre ou prêtre, que celui-là ne soit pas empêché d'avancer dans cette dignité, parce qu'il a une épouse légitime, ni qu'on exige de lui de promettre au moment de son ordination, qu'il s'abstiendra des rapports légitimes avec sa propre épouse ; car sans cela nous insulterions par là au mariage institué par la loi de Dieu et béni par sa présence, alors que la voix de l'Evangile nous crie: "Que l'homme ne sépare pas ceux que Dieu a unis", et l'apôtre enseigne: "Que le mariage soit respecté par tous et le lit conjugal sans souillure" ; et encore : "Es-tu lié à une femme par les liens du mariage ? ne cherche pas à les rompre".
    Nous savons d'autre part que les Pères réunis a Carthage, par mesure de prévoyance pour la gravité des mœurs des ministres de l'autel, ont décidé "que les sous-diacres, qui touchent aux saints mystères, les diacres et les prêtres aussi, s'abstiennent de leurs femmes pendant les périodes qui leurs sont particulièrement (assignées)", "ainsi nous garderons, nous aussi, ce qui fut transmis par les apôtres et observé de toute antiquité, sachant qu'il y a un temps pour toute chose, surtout pour le jeûne et la prière : il faut en effet que ceux qui s'approchent de 1'autel, dans le temps ou ils touchent aux choses saintes soient continents en toute chose, afin qu'ils puissent obtenir ce qu'ils demandent en toute simplicité a Dieu. Si donc quelqu'un, agissant contre les canons apostoliques, ose priver un clerc des ordres sacrés, c'est-à-dire un prêtre ou un diacre ou un sous-diacre, des rapports conjugaux et de la société de sa femme légitime, qu'il soit déposé : de même, "si un prêtre ou un diacre renvoie sa femme sous prétexte de piété, qu’il soit excommunié, et s’il persiste, déposé".

    Le canon trullien est dirigé ouvertement contre la règle qui s'est établie dans l’Eglise latine d’exiger des hommes mariés une profession de continence parfaite avant le sous-diaconat, le diaconat ou la prêtrise. On sait que la législation occidentale ne faisait pas au mariage un empêchement d'accès aux Ordres : le lien conjugal, indissoluble, conservait toute sa force après la consécration, et justifiait aux yeux d'un saint Léon la cohabitation des époux tenus désormais à vivre comme frère et sœur. En réclamant des clercs mariés la chasteté parfaite l'Eglise latine n'entendait pas « séparer ce que Dieu a uni », mais élever leur mode de vie au niveau qu'elle estimait convenir aux exigences eu ministère. Mariage et sacerdoce étaient jugés tout à fait compatibles. Il semble que les Orientaux de 691 n'aient pas remarqué cet aspect essentiel. Sur le problème précis du degré de continence, en revanche, ils se séparent nettement. Là est le véritable et, il importe de le souligner, l’unique point de différence entre les deux Eglises en matière de mariage et ce célibat des clercs.
    La revendication des évêques de Byzance fait appel à l'antique règle de la stricte observation et de la discipline apostolique, formule explicitée par le recours à deux autorités traditionnelles : le concile de Carthage et le 6ème des canons dits « apostoliques » (une collection aujourd'hui connue comme apocryphe).
    La référence au concile de Carthage de 390 (par le biais de citations empruntées au Codex canonum Ecclesiae Africanae de 419), est du plus grand intérêt. En l'utilisant comme un jalon pour remonter au temps des apôtres, les Pères de 691 montrent l'intérêt de ce document comme témoin de la discipline primitive. Le prenant à leur compte, ils confirment à leur tour son rôle exceptionnel dans l'histoire de la loi sur la continence des clercs.
    Deux points fondamentaux constituent toutefois l'originalité du décret byzantin par rapport à sa source africaine : la mention des évêques a disparu, et la continence demandée aux clercs n'est plus que temporaire, limitée aux seules périodes de leur service liturgique. Là où les Pères de Carthage disaient : « Il convient que les saints évêques et les prêtres de Dieu, ainsi que les lévites... observent une continence parfaite, comme il convient à leur état » (secundum propria statuta), les Byzantins décident que « les sous-diacres,... les diacres et les prêtres aussi, s'abstiennent de leurs femmes pendant les périodes qui leur sont particulièrement (assignées) » (kata tous idious orous). Le principal responsable de cette interprétation sera sans doute l'auteur inconnu de la traduction grecque du Codex canonum Ecclesiae Africanae, qui a rendu l'expression latine « secundum propria statuta » par « kata tous idious orous », une tournure grecque qui peut se comprendre comme ont voulu la comprendre les Pères du concile Quinisexte.
    Compte tenu de cette différence, il est assez remarquable que les traditions de Byzance et de Rome concordent sur le fond : l'origine apostolique du devoir de la continence (temporaire ou perpétuelle) pour les ministres de l'autel, d'une part ; le fondement théologico-scripturaire de cette obligation, de l'autre. C'est en tant que « serviteurs des mystères divins » et médiateurs du peuple par la prière que les clercs des Ordres majeurs sont tenus à s'abstenir des relations sexuelles.
    Cette identité de vues sur des questions aussi fondamentales mérite d'être remarquée. Elle atteste qu'en dépit de certaines divergences, l'Orient byzantin et l'Occident n'ont jamais cru pouvoir justifier la difficile discipline de la chasteté sacerdotale autrement que par une volonté positive des apôtres, sans l'expliquer par une évolution qui aurait entraîné progressivement la transformation d’un conseil évangélique en précepte. Rome et Byzance montrent aussi, par leur accord, la force de la motivation qu'elles reconnaissent l'une et l'autre aux principes scripturaire. Ici encore, ce n'est pas sur un autre fondement que la Parole de Dieu qu'elles acceptent d'assurer le lien entre pureté sexuelle et ministère liturgique. Celui-ci n'est pas mis en question par la législation trullane, mais, d'une certaine manière, encore souligné par le caractère périodique de l'obligation de continence. C'est parce qu'ils approchent, - et lorsqu’ils approchent - des mystères sacrés, que les lévites de la Nouvelle Alliance doivent se garder des relations avec leur épouse. On peut supposer que, si l'usage de la célébration quotidienne s’était établi dans les Eglises d'Orient, l'argument a fortiori développé par Sirice eût sans doute déployé des effets similaires dans la législation byzantine du 7ème siècle. Ou inversement, qu’il eut été difficile aux Latins de maintenir le principe d’une continence journalière si, d'une manière ou d'une autre, la prière des intercesseurs du peuple de Dieu n'avait pas été conçue de leur part comme une mission ininterrompue.
    Ce fond commun à deux traditions qu'on a trop souvent tendance à imaginer indépendantes l’une de l’autre est d'autant plus remarquable qu’il s'alimente du témoignage d'un même patrimoine, le concile tenu à Carthage en 390, considéré comme un chaînon essentiel sur la voie qui relie la conscience vivante de l'Eglise à l’âge apostolique. On peut espérer qu'une prise de conscience plus vive de cet héritage commun aidera au rapprochement souhaité entre les deux Eglises.

    ***

    Au terme de ce rapide exposé, demandons-nous comment déterminer si une tradition qui se réclame des apôtres a pour elle l’authenticité.
    Nul n'a mieux éclairé cette question, je pense, que saint Augustin. Lors de la controverse avec les Donatistes, il énonça un principe devenu fondamental en théologie historique :
    "Ce qui est gardé par toute l'Eglise et a toujours été maintenu, sans avoir été établi par les conciles, est regardé à très juste titre comme n'ayant pu être transmis que par l’autorité apostolique".

    La mise en oeuvre de ce principe dans le cas qui occupe appelle de longs développements mais peut être résumée de la façon suivante :
    1- La tradition du célibat-continence des clercs a-t-elle été gardée par toute l’Eglise ? Nous pouvons avec le maximum de certitude historique répondre par l’affirmative, car nous voyons des hommes jouissant d’une autorité morale et intellectuelle se porter garants pour toute l'Eglise de leur temps : non seulement un Sirice et un Jérôme, mais bien d'autres avec eux : Eusèbe de Césarée, Cyrille de Jérusalem, Ephrem, Epiphane, Ambroise, l'Ambrosiaster, les évêques de Carthage. En sens contraire, aucune voix autorisée ne leur oppose de démenti certain. Plus net encore, nous avons le témoignage des Eglises apostoliques, et par priorité celui de l'Eglise de Rome, qui, par les trois décrétales que nous connaissons, est d'un poids décisif. Mais il y a aussi les Eglises d'Orient et d'Egypte, dont parle Jérôme, et les Eglises d'Afrique, d'Espagne et des Gaules, toutes témoignant dans le même sens. Ici également, aucun concile en communion avec Rome n'atteste de tradition différente.

    2- Gardée par toute l'Eglise des premiers siècles, la tradition du célibat-continence des clercs a-t-elle toujours été maintenue ? Notons d'abord qu'entre les origines de l'Eglise et la période où nous voyons la discipline « gardée par toute l'Eglise », aucune décision émanant d'une instance hiérarchique autorisée ne vient prouver l'existence d'une pratique contraire. En effet, les documents authentiques du concile oecuménique de Nicée, contrairement à ce que la légende de Paphnuce a souvent fait croire, ne renferment aucune décision permettant de supposer que la loi du célibat-continence n'existait pas avant 325. Par ailleurs, aucune Eglise apostolique, ni en Orient ni en Occident, pendant les premiers siècles de l'Eglise, ne met en avant une tradition différente pour contester les décrétales de Sirice (alors que la question de la date de Pâques, par exemple, donna lieu à un affrontement célèbre). Enfin, il convient de vérifier si la discipline du célibat-continence n'est pas contredite par les textes de l'Ecriture, auquel cas il serait vain de prétendre qu'elle ait toujours été maintenue. Or, non seulement les textes scripturaires exhortant à la continence « pour le Royaume des cieux » manifestent une réelle connexion entre célibat et sacerdoce ministériel, mais la consigne paulienne de l’Unius uxoris virum, interprétée de façon claire par le magistère de l'Eglise en la personne de Sirice et de ses successeurs comme une norme apostolique destinée à garantir la continence future des évêques et diacres (propter continentiam futuram) signale, dès les origines de l’Eglise, l’apparition de la discipline.

    L'ensemble des conditions me paraissent par conséquent se trouver réunies, qui permettent d'affirmer raisonnablement que la discipline du célibat-continence pour les membres du clergé supérieur était, aux premiers siècles, « gardée par toute l'Eglise » et avait « toujours été maintenue ». Le principe augustinien permettant de reconnaître si une tradition est vraiment d'origine apostolique trouve ici, c'est ma conviction, une application adéquate et justifiée.



    ANNEXE

    Note sur la prétendue intervention de l'évêque Paphnuce au concile de Nicée

    L'historien grec Socrate rapporte un épisode qui se serait déroulé au concile de Nicée : les évêques auraient voulu interdire aux évêques, prêtres et diacres d'avoir des relations avec leur épouse ; sur quoi, un Père du nom de Paphnuce, évêque de la Haute-Thébaïde, serait intervenu avec chaleur pour dissuader l'assemblée de voter une pareille loi, nouvelle assurait-il, et qui ferait tort à l'Eglise. Le concile aurait donc abandonné le projet et laissé chacun libre d'agir comme il le voudrait.
    La première question que se pose l'historien moderne au sujet de cet épisode est celle de sa provenance. « D'où vient-il ? quel en est l'auteur ? quelle en est la date ? » A aucune de ces questions, il n'est possible de trouver une réponse satisfaisante. Socrate, qui achève son Histoire ecclésiastique vers l'an 440, soit plus de cent ans après le premier concile oecuménique, est le premier (et pratiquement le seul) à mentionner cette anecdote ; lui, d'ordinaire soucieux de références, ne cite ici aucune source, alors qu'il s'agit d'un fait extrêmement important. Il en faut bien moins, en général, pour susciter la méfiance légitime des critiques.
    Ce récit tardif a d'autre part contre lui le témoignage de nombreux représentants de l'époque postnicéenne. Pour toute la période allant de 325 à 440, on cherche en vain, dans l’immense littérature patristique, une allusion à l'intervention de Paphnuce. Les gens qui auraient dû savoir et qui auraient eu tout intérêt à parler ne manquaient cependant pas. Qui plus est, nous voyons ces personnalités bien informées sur le concile de Nicée et sur la vie de l'Eglise, et dont la sincérité ne peut être a priori mise en doute, non seulement ignorer le fameux épisode, mais attester la haute antiquité de la discipline du célibat-continence. C'est notamment le cas pour Ambroise, Epiphane, Jérôme, Sirice et Innocent I. C'est aussi et surtout le cas pour l'épiscopat africain, au temps même de saint Augustin : avec la volonté d’agir en pleine conformité avec les décisions du premier concile oecuménique, comme nous l'avons vu, il vote et reconduit de synode en synode un décret sur la continence parfaite des clercs en affirmant qu'il s'agit là d'une tradition venue des apôtres. On ne peut imaginer de démenti plus net à l’encontre de la véracité de l'histoire de Paphnuce.
    Un autre important argument de critique externe a été développe récemment, tendant à démontrer de façon assez décisive que le personnage de Paphnuce mis en vedette dans le récit de Socrate est « le produit d'une affabulation hagiographie progressive ». Il a été exposé en 1963 par le professeur F. Winkelmann, partant de la constatation que le nom de Paphnuce ne figure pas parmi les évêques signataires du concile de Nicée sur les meilleures listes de souscriptions qui nous sont parvenues. Ces conclusions du professeur Winkelmann sont aujourd'hui généralement bien accueillies dans les milieux scientifiques.
    Il faut en outre remarquer que, contrairement à ce qu'on a parfois soutenu, l'anecdote de Socrate n'est nullement en harmonie avec la pratique de l'Eglise grecque au sujet du mariage des clercs. Premièrement, aucun concile antérieur à Nicée n'a jamais autorisé les évêques et les prêtres à contracter mariage, ni à user du mariage qu'ils pouvaient avoir contracté avant leur ordination. Le concile Quinisexte qui, quant à lui, fixera de façon définitive la législation byzantine, maintiendra strictement la loi de continence parfaite pour l'évêque, tandis que les autres membres du clergé supérieur, autorisés à vivre avec leur femme, seront tenus à la continence temporaire. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que le concile de 691, tout en citant par ailleurs le 3ème canon de Nicée, ne fasse aucune allusion à la décision que les Pères de 325 auraient prise sur la proposition de Paphnuce, car cette décision laissait les évêques libres d'user du mariage, au même titre que les prêtres et les diacres, et ne réclamait d'aucun d'entre eux une continence temporaire. L'histoire de Paphnuce est si peu en harmonie avec la discipline orientale que les Byzantins ont continué à l'ignorer, - ou à l'écarter comme légendaire -, longtemps encore après la fin du 7ème siècle. Dans la polémique qui, au 11ème siècle, opposa le moine Nicetas Pectoratus et les Latins, la question du célibat occupe une place importante. Néanmoins, Paphnuce n'est pas mentionné. Même silence, plus remarquable encore, dans les grands commentaires du Syntagma canonum (composé à Byzance au 12ème siècle) par les canonistes Aristène, Zonaras et Balsamon, « dont les décisions ont fait loi pendant longtemps et continuent à être prises en considération ». Même lorsqu'ils commentent le 13ème canon du concile in-Trullo par lequel, disent-ils, on a voulu corriger « quod ea de causa fit in Romana Ecclesia », les trois érudits byzantins se taisent sur l'histoire de Paphnuce. Tout ceci ajoute au nombre des arguments qui réfutent l'authenticité de la prétendue intervention de Paphnuce au concile de Nicée.
    Les critiques sont quasi unanimes aujourd'hui pour rejeter comme un faux, dans la forme où nous le connaissons, l'épisode rapporté par Socrate, et il faut se féliciter de ce progrès de la science historique.

  • La question de l’origine et du fondement du célibat sacerdotal a été abondamment disputée de tous temps et en particulier de nos jours, où l’identité du prêtre et la nature sacramentelle du sacerdoce paraissent de plus en plus confuses dans la mentalité des catholiques « postconciliaires » .

    Aux abondantes références citées à bon droit j’ajouterais la thèse de Monseigneur Roger Gryson.

    Selon cet ancien doyen de la faculté de théologie de l’Université Catholique de Louvain (U.C.L.), la règle du célibat ecclésiastique s’est imposée pour une raison de pureté rituelle, car certaines traditions religieuses interdisent l’exercice du culte lorsque l’officiant a eu des relations sexuelles la nuit précédente : quand les prêtres ont commencé à célébrer l’eucharistie chaque jour, leur mariage a fait problème. Aucune de ces considérations n’est fondée sur l’expérience proprement chrétienne et, si Jésus est vraisemblablement resté célibataire, il n’a jamais lié l’animation de la communauté chrétienne ou la présidence de l’eucharistie à cet état de vie. Cependant, une fois le célibat du prêtre entré dans l’usage, puis dans le droit (à partir de 1139), il a reçu de nouvelles justifications : c’est le signe d’une consécration entière à Dieu, au Christ et à son Église, et il permet une grande disponibilité pour le service pastoral. Bientôt il a été revendiqué comme une marque propre du catholicisme (occidental) face aux autres Églises.

    Cette thèse « ritualiste » n’est-elle pas un peu étroite ?
    Quoi qu’il en soit, ceux qui voient dans le célibat des prêtres une invention médiévale, en se référant -comme le pape François et/ou son porte-plume Scalfari- au 2ème concile du Latran de 1139, sont de moins en moins nombreux, car l’argument ne résiste pas à une simple lecture du texte conciliaire : le document du Latran n’établit pas l’obligation du célibat, mais frappe de nullité tout mariage contracté par un clerc déjà ordonné.

    En revanche, la critique basée sur le concile d’Elvire des années 300, le premier en date des synodes faisant état d’une obligation de continence parfaite pour les membres du clergé supérieur, ainsi que sur l’existence de nombreux évêques, prêtres et diacres mariés au cours des premiers siècles de l’Eglise, est certainement à prendre en compte.

  • A propos du long article de Christian Cochini, deux remarques.
    1. La thèse de l'auteur est que la documentation historique semble indiquer que la règle de chasteté ou continence pour les prêtres remonte aux apôtres. Le problème est que cette hypothèse ne s'appuie sur aucun texte de l'époque des apôtres, mais seulement sur une supposée tradition. Le seul texte apostolique est Thimothée I,3,2 qui précisément recommande que l'évêque soit l'homme d'une seule femme (μιᾶς γυναικὸς ἄνδρα). L'argument de Sirice qui dit qu'il faut sous-entendre "propter continentiam futuram" (pour faciliter l'observance de sa continence future maintenant qu'il est évêque) est inacceptable en saine critique historique. En supposant des sous-entendus, on peut faire dire n'importe quoi à n'importe quel texte. L'explication de Walter Brandmüller dans l'article plus haut est de la même eau. Le texte selon lui signifie que l'évêque doit AVOIR ETE l'homme d'une seule femme, qu'il est maintenant veuf et peut assumer la charge. Pure supposition qui aurait appelé une précision de la part de l'auteur d'autant que l'infinitif présent εἶναι est utilisé avec la première recommandation(l'évêque doit être irréprochable)et reste dans l'esprit du lecteur pour la recommandation qui suit directement (être l'homme d'une seule femme). Comment par ailleurs, passer sous silence que dans la même lettre à Timothée, quelques lignes plus loin, l'auteur condamne vertement ceux qui tromperont les chrétiens dans les derniers temps en interdisant le mariage ( κωλυόντων γαμεῖν) et certains aliments ? Faut-il croire qu'il y a lieu de sous-entendre : ceci ne concerne pas les prêtres ?
    2. Sur le fond, je me réjouis des remarques de Tchantchès ci-dessus. L'interdiction faite aux prêtres est d'ordre rituel. Si on se réfère au Christ lui-même, ses propos concernant la chasteté n'ont strictement rien à voir avec la pureté rituelle. "Il y a ceux qui se sont faits eunuques pour le royaume des cieux "(Matthieu, 19,12)se réfère sans doute à la situation du Christ lui-même qui mène une vie errante pour annoncer le royaume et ne peut donc s'occuper d'une femme, comme il conviendrait. Le passage suit tout juste celui où Jésus rappelle que l'homme et la femme ne forment plus qu'une seule chair quand ils sont unis. A aucun moment, le Christ ne jette l'opprobre sur la sexualité. La sexualité incompatible avec la pureté rituelle appartient à l'ancien testament. L'interdit frappant la sexualité chez les prêtres, qu'on le veuille ou non, jette le discrédit sur l'activité sexuelle, laquelle a été voulue par Dieu. La chasteté des clercs s'inscrit dans un regrettable avilissement de la sexualité.

    Armel Job

  • @ armel job ... Sans entrer dans ce débat byzantin sur les textes anciens et leur interprétation, je ne comprends pas les deux phrases qui concluent votre commentaire : "L'interdit frappant la sexualité chez les prêtres, qu'on le veuille ou non, jette le discrédit sur l'activité sexuelle, laquelle a été voulue par Dieu. La chasteté des clercs s'inscrit dans un regrettable avilissement de la sexualité."
    .
    Ne confondez-vous pas "sexualité" et "activité sexuelle" ? En effet, la "sexualité voulue par Dieu" est ordonnée à la transmission de la vie. Mais la simple "activité sexuelle" n'a aucun sens, si elle n'est pas destinée à cette transmission de la vie.
    .
    Or, depuis 2000 ans, les catholiques ont toujours été très fidèles à la transmission de la vie, à cette "sexualité voulue par Dieu". Par contre, les adversaires actuels des catholiques sont de farouches partisans de la seule "activité sexuelle" et de tout autant farouches opposants à la "sexualité voulue par Dieu".
    .
    La chasteté de leurs prêtres n'a donc jamais freiné chez les catholiques la "sexualité voulue par Dieu". Ce sont au contraire leurs adversaires qui veulent administrer aux jeunes filles ou aux femmes toutes sortes de moyens pour lutter contre la conception d'enfant, en opposition à la transmission de la vie, à la "sexualité voulue par Dieu". Et lorsque ces moyens échouent, ce sont eux aussi qui veulent forcer les femmes à avorter, à assassiner la vie, en opposition encore plus brutale à la "sexualité voulue par Dieu". Et ne parlons même pas des "activités sexuelles" déviantes dont ils font la propagande, et qui ne sont pas du tout conformes à la "sexualité voulue par Dieu".

  • Les arguments historiques ou disciplinaires ne sont jamais décisifs, si l’on veut mettre fin à la contestation née dans l’ambiance séculariste postconciliaire.

    C’est pourquoi, dans l’époque précédant le règne du pape François, la réflexion s’est surtout portée sur le développement théologique de la doctrine du célibat ecclésiastique. La prêtrise est un état avant d’être une fonction et si -selon l’adage- le prêtre devient un autre Christ, par le sacrement qui l’ordonne à son Seigneur, il doit lui être configuré en tout.
    Ceci explique que le prêtre ne puisse être une femme et demeure célibataire. Le clergé marié des églises orientales a donc un aspect théologiquement inabouti et c’est Benoît XVI, sauf erreur, qui a clairement regretté le développement systématique d’un tel clergé « de seconde zone » dans les églises orientales.

    Le cardinal Alfons Stickler, très apprécié par l’ancien pape, conclut d’ailleurs son étude « Le célibat des clercs, Histoire de son évolution et fondements théologiques » comme suit : « Le sacerdoce de l’Église catholique est un mystère en lui-même qui, de son côté, s’incorpore au mystère de l’Église du Christ. Tout problème suscité par ce sacerdoce - et avant tout le grand problème toujours actuel de la continence -ne peut et ne doit pas être résolu à l’aide de réflexions et de justifications anthropologiques, psychologiques, sociologiques ou, en général, profanes et propres au monde. On ne peut pas non plus satisfaire au problème de la continence à l’aide de catégories purement disciplinaires. Toute manifestation de la vie et de l’activité du prêtre, sa nature et son identité, exigent d’abord une justification théologique ».

    C’est également ce que pensait le cardinal Mauro Piacenza, démis de ses fonctions de Préfet de la congrégation du clergé par le pape actuel, qui s’apprête sans doute à ouvrir, dans ce domaine aussi, une de ces boîtes de Pandore impossibles à refermer ensuite.

  • Réponse à Pauvre Job
    La règle de la continence-chasteté imposée aux clercs implique manifestement que la sexualité, fût-ce dans la stricte optique de la transmission de la vie, entraînerait une impureté rituelle. La distinction que vous établissez relève d'un tout autre débat.
    Armel Job

    Remarque générale sur le site : le modérateur ne pourrait-il exiger que les intervenants se nomment clairement. Pourquoi utiliser des pseudonymes si on exprime des opinions respectables, ce qui me semble tout à fait le cas ?

  • @ armel job ... Le catholicisme n'a jamais eu de problèmes de "pureté" ou "impureté" avec la "sexualité humaine naturelle". C'est plutôt le protestantisme qui a introduit des notions "puritaines" extrêmes dans sa conception de la sexualité. Au point de faire la chasse aux représentations de la nudité dans les œuvres d'art catholiques, qu'ils ont vandalisées par milliers. La nudité dans les œuvres d'art catholiques, y compris au Vatican, était pour eux une "preuve" de la décadence de l'Église catholique et donc de la nécessité de leurs "réformes".
    .
    Notez qu'ils ont aussi appliqué ce "puritanisme" extrême dans le domaine de la gastronomie, dans le boire et le manger. On peut même tirer une frontière "gastronomique" nette en Europe entre les régions protestantes et catholiques. Les plaisirs du lit et de la table étaient mal vus par les protestants, et ils reprochaient par contre aux catholiques de n'y pas voir malice.
    .
    Je ne comprends donc pas des critiques de "puritanisme" formulées à l'encontre des catholiques.
    .
    Ce qui est très préoccupant, je trouve, c'est qu'après des siècles de "puritanisme" extrême, les régions protestantes aient basculé aujourd'hui dans un "libéralisme" extrême. C'est dans ces pays qu'est née toute la vague de la pornographie et des "activités sexuelles" les plus déviantes par rapport à la "sexualité voulue par Dieu". Alors que les catholiques ont toujours cherché à se prémunir de ces deux comportement extrêmes. Je pense donc que le protestantisme est juste un ensemble de théocraties, qui suivent la mode dictée par les lois de leur César. Alors que le catholicisme essaie d'éviter de succomber à la mode des lois temporaires du César, et de rester attentif aux lois immuables de Dieu.

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