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René Girard est mort

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Sur Metablog, l'abbé Guillaume de Tanoüarn rend hommage à René Girard :

J'attendais cette triste nouvelle depuis quelques mois déjà : René Girard est mort le 4 novembre à Stanford en Californie, à l'âge de 91 ans, et il faut bien dire que la nouvelle a tardé à venir en France. Elle est capitale, pourtant, cette nouvelle à deux titres :

René Girard a offert la dernière pensée globale du monde humain, qui ne soit pas seulement une déconstruction, qui ne se contente pas non plus de régner sur quelques détails de la condition de l'animal humain, mais qui soit véritablement une anthropologie. Il y avait eu Marx ; il y avait eu Freud ; il y avait eu Levi Strauss... Qui d'autre ? Michel Foucault ? Il faudra demander à François Bousquet ce qu'il en pense... Y a-t-il une vision de l'homme chez Foucault ? Oui, dit Paul Veyne, lorsque, à la fin de sa vie, dans ses Cours au Collège de France, il se rapproche du christianisme (cf. par ex. Subjectivité et vérité). Qui d'autre ? René Girard, lecteur aigu de ses prédécesseurs, auxquels il a opposé sa vision de l'homme et du désir.

René Girard a montré que le christianisme représentait le salut historique de l'humanité, en tant qu'il venait mettre fin aux constructions sociales archaïques, issues d'un désir obstinément mimétique et qui engendrait la montée aux extrêmes et la sanctification de la violence. Le christianisme représente une inversion de ces "valeurs" issues de démonstrations violentes. "Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu". Le Christ prêche cette paix n'est pas issue de la stabilité d'un rapport de force, mais d'une intention humaine. Dans le Christ et dans le nouveau système de valeurs qu'il offre à l'humanité, il devient possible de rechercher la paix pour elle-même.

Je me souviendrai toute ma vie de ce jour où mon ami François et moi, nous nous sommes annoncés chez lui dans le VIIème. Il avait la gentillesse de nous recevoir alors qu'il était au milieu de sa famille. Il nous parlait. O temps suspends ton vol. Le monde familier qui l'entourait n'existait plus pour lui. Cette longue conversation qui n'était pas la première, m'a beaucoup fait réfléchir sur le mal. François, passionné de Thomas d'Aquin, trouvait Girard pessimiste. Quant à moi, j'ai décidé ce jour-là de remonter, avec Girard, de saint Thomas à saint Augustin.

Girard est-il pessimiste ? Il le serait, il serait gnostique si l'on découvrait dans son oeuvre un refus quelconque de la chair et de la condition charnelle de l'homme. C'est tout le contraire. Le désir charnel n'intéresse pas Girard comme il intéresse Freud, parce que Girard le méridional sait très bien ce que Freud ne sait pas : le désir n'est pas une production physique de l'animal humain mais une construction psychique. C'est cette construction psychique qui est mauvaise. c'est la spirale rivalitaire que s'invente l'homme (ou la femme !) d'où vient tout le mal.

Je pense toujours à une anecdote lue dans Milan Kundera (qui lui-même a lu non seulement Lacan mais certainement Girard) : on te donne le choix entre sortir pendant 24 H avec la plus belle femme du monde à ton bras mais sans rien faire avec elle ou bien faire tout ce que tu veux pendant 24 H avec la plus belle femme du monde sans que jamais personne ne puisse rien en savoir... L'homme psychiquement construit choisit toujours la première solution. Voilà le désir selon René Girard : non pas un pessimisme ontologique sur la chair, mais une crainte devant la facilité avec laquelle se construisent des structures de péché, jusque dans notre psychisme, et souvent sans que nous en ayons clairement conscience.

Il se trouve que ce pessimisme bien tempéré est effectivement celui de l'Eglise romaine, au moins du temps où elle croyait au péché originel. Aujourd'hui où ses membres souvent n'y croienbt plus, cela reste son dogme, infaillible. Et je crois que l'oeuvre de René Girard est propre à nous le faire redécouvrir.

Oh ! Ce n'est là que mon témoignage de prêtre catholique... Beaucoup ont lu Girard sans aller jusque là. Je pense, entre beaucoup d'autres, au surprenant Christophe Donner et à son beau roman sur Louis XVII, Un roi sans lendemain (Grasset). Mais parmi ceux, tellement nombreux qui se dirigent vers le christianisme, combien doivent quelque chose à la lecture de Girard, à sa quête inlassable et tellement sincère, à ses lectures aigües qui ne vous laissaient pas indemnes (car Girard fut d'abord un critique littéraire et ensuite seulement un anthropologue).

Qui a pu lui résister frontalement ? Un M. Pommier qui porte bien son nom a tenté de le brocarder : il n'a trouvé pour cela qu'un jeu de mots vaseux, dont il a fait le titre d'un minable factum. Le problème ? L'oeuvre de Girard, portant sur ce qui est premier dans la vie humaine, est simplement irréfutable ; elle revêt aujourd'hui d'ailleurs une sorte d'évidence pour quiconque s'en saisit. Elle n'est ni une idéologie ni un dogme de substitution, pourtant. Mais elle offre une claire vision sur ce qu'est le mal, sur les raisons de son avènement. Que souhaiter de plus ?

René Girard n'a pas créé un système, il propose à Ariane un fil pour sortir du labyrinthe. Il est le Petit Poucet qui a semé des cailloux et qui parvient, à la stupéfaction de ses pairs, à sortir sans une égratignure de la Forêt profonde où, jeune Rastignac inconscient et critique littéraire atypique, il était parti jadis chercher le secret de la destinée humaine entre Proust et Dostoïevski.

René Girard était un grand Monsieur. Il nous laisse bien seuls...

Commentaires

  • j'ai perdu un père. j'ai découvert sa pensée il y a 15 ans et ce fut une vraie conversion au coeur de ma Conversion au Christ 20 as plus tôt. Il a changé ma vie, mon art, mon regard sur moi-même et sur la monde. je n'en finirais pas de le remercier. Plus rien ne sera comme avant. Il représente pour moi la seule et vraie nouvelle évangélisation...

  • tout ce que vous dites, mon père dans cet article me touche au plus profond. c'est une perte abyssale, mais l'oeuvre existe et c'est trop tard pour le monde...

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