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Quelle est la portée de la rencontre entre le pape et le patriarche de Moscou ?

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D'Antoine Pasquier sur le site de l'excellent hebdomadaire "Famille Chrétienne" :

Rencontre entre le pape et le patriarche Cyrille – «L’unité se fait par le martyre»

Pour le Père Patrice Mahieu, moine à l’abbaye de Solesmes et auteur de plusieurs ouvrages sur l’orthodoxie (1), la rencontre entre le pape François et le chef de l’Église russe le 12 février à Cuba constitue une étape décisive vers la pleine communion.

Pourquoi cette rencontre entre François et Cyrille est jugée historique ?

Il s’agit d’un long mûrissement, d’un don de Dieu et d’un point de départ. Cette rencontre était très nécessaire. En Occident, on croit facilement que le patriarche de Constantinople est l’équivalent du pape pour les orthodoxes. Il n’en est rien. Les Églises orthodoxes sont autocéphales, et il importe que le pape ait des relations personnelles avec chacun des patriarches. De plus, ce n’est pas une simple rencontre fraternelle. Le patriarcat l’envisage bien comme une étape décisive dans les relations entre les Églises de Rome et de Moscou.

Quel est l’enjeu spirituel de cette rencontre ?

L’enjeu spirituel est un accroissement, un approfondissement du dialogue de la charité. Sous le pontificat de Paul VI, les relations entre Rome et Moscou ont connu des moments de grande proximité, sous l’impulsion du métropolite Nicodème Rotov. En décembre 1969, le Saint-Synode de l’Église russe avait décidé d’admettre aux sacrements les fidèles catholiques. Bien sûr, c’était dans le contexte de la persécution soviétique. Mais, dans l’esprit du métropolite Nicodème, c’était un pas décisif vers la pleine communion. Cette rencontre peut être comprise comme un engagement dans ce sens. Mais les circonstances ont également changé, et l’Église russe est traversée par des courants très opposés à l’œcuménisme. Le pape François, par son style d’exercice du ministère pétrinien – il est avant tout évêque de Rome –, et ses orientations théologiques – l’importance qu’il donne à la synodalité – ne peut que rencontrer l’adhésion des orthodoxes.

En quoi est-ce la fin symbolique du schisme de 1054 ?

Je ne pense pas que l’on puisse le dire. Il faudrait d’ailleurs relire ce qu’a écrit le Père Congar sur cette date de 1054 qui marque une brouille, mais absolument pas un schisme. Ce n’est que deux siècles plus tard, avec la croisade, le sac de Constantinople, la nomination d’évêques latins… qu’il y eut réellement schisme. Et 1054 ne concerne que Rome et Constantinople ; c’est pour cela que les anathèmes ont été levés à Rome et Constantinople en décembre 1965. C’était d’ailleurs la position du métropolite Nicodème : cela ne regarde que ces deux sièges.

Pourquoi y a-t-il eu de nombreux rendez-vous ratés entre Jean-Paul II et Alexis II ?

En œcuménisme, vous avez beaucoup de facteurs non dogmatiques. Jean-Paul II avait la malchance, pour les Russes, d’être polonais. Dom Lanne, moine de Chevetogne, m’a rapporté les réactions de son ami le Père Borovoy, observateur de l’Église russe au concile, au moment de l’élection du cardinal Wojtyla : « Les cardinaux auraient pu élire un Africain, ou un Asiatique, mais pas un Polonais. Vous aviez quand même l’embarras du choix. » Puis, à partir de 1988, il y eut la sortie des catacombes des Églises catholiques orientales, ukrainienne, roumaine, en particulier. Ce qui attisa les tensions. Mais l’absence de rencontre n’est pas heureuse. Quand surgissent des difficultés, il importe encore plus de se parler.

Benoît XVI a réussi à tisser davantage de liens, notamment avec Cyrille. Comment l’expliquer ?

Benoît XVI fut avant tout un pape théologien, un mystagogue, très apprécié par les orthodoxes, fin connaisseur des traditions théologiques, canoniques, liturgiques de l’Orient. Le métropolite Hilarion avait déclaré que ce serait ce pape-ci qui rencontrerait le patriarche du Moscou. Pourquoi cela ne s’est pas fait reste un mystère. Un ami œcuméniste m’a dit une fois que si le cardinal Ratzinger avait été élu dix ans plus tôt, il aurait eu l’énergie pour prendre des décisions audacieuses. C’est bien vu.

L’Ukraine reste-t-elle toujours la principale pierre d’achoppement pour une réconciliation véritable ?

Pour l’Église russe, c’est un point très sensible. L’Ukraine est le berceau de l’Église russe, qui y a actuellement un quart de ses paroisses, des monastères prestigieux… Mais la situation touche tant d’aspects ecclésiastiques, géopolitiques, stratégiques ! En orthodoxie, l’Église est nationale. À longue échéance, pourra-t-on éviter la constitution d’une Église orthodoxe canonique ukrainienne ? Il faut remarquer que, sur ce dossier, le Saint-Siège s’est montré très prudent, car il s’agit surtout d’un face-à-face Moscou-Constantinople. Le fait que le pape François soit un pape non-européen lui donne encore plus de crédibilité.

En quoi l’actualité des chrétiens d’Orient persécutés en Syrie et en Irak favorise-t-elle cette rencontre ?

Le Saint-Père l’a redit de nombreuses fois. Il l’a répété à Saint-Paul-hors-les-murs le 25 janvier dernier : l’unité se fait par le martyre, par le don de la vie pour le Christ. Nos frères orientaux ne sont pas persécutés par ce qu’ils sont orthodoxes ou catholiques, mais parce qu’ils sont chrétiens. Les raisons historiques, théologiques, ou ecclésiastiques que nous invoquons, de bonne ou de mauvaise foi, pour demeurer séparés, ne tiennent pas devant le sang versé en confession du Christ. L’Église du martyre est une. Il faut que les théologiens en tirent les conséquences. Joseph Ratzinger écrivait en 1976 : « L’unité est une vérité chrétienne qui appartient à l’essence du christianisme, et elle occupe dans la hiérarchie des valeurs une place si éminente qu’elle ne peut être sacrifiée que pour quelque chose de tout à fait fondamental ». Et nous savons que, avec la grâce de Dieu, il n’y a rien de fondamental qui empêche la pleine communion entre catholiques et orthodoxes.

Cette rencontre intervient aussi en raison d’un climat de détente entre les différents patriarcats orthodoxes.

La situation est bien complexe. On peut se réjouir de la tenue prochaine du grand et saint synode panorthodoxe. Sa célébration constitue déjà un acte fort. Mais quelles seront les décisions pratiques qui y seront prises, quelle place y sera faite aux délégués des autres Églises ? C’est pour cela que l’Église catholique doit continuer à tisser des liens d’amitié, de fraternité, avec toutes les Églises orthodoxes et affirmer que, de son côté, les conditions sont réunies pour reprendre une vie de communion sacramentelle avec elles. Ce fut le message du pape François au patriarche de Constantinople en novembre dernier.

Antoine Pasquier

1. Auteur de Paul VI et les orthodoxes (Éditions du Cerf, 2012) et Se préparer au don de l’unité. La commission internationale catholique-orthodoxe 1975-2000 (Éditions du Cerf, 2014).

Commentaires

  • Sur ce sujet du rapprochement entre catholiques et orthodoxes, Peter Seewald avait interrogé Benoît XVI, dans son dernier livre d’entretiens avec ce pape (« Lumière du monde », paru chez Bayard en 2010). Je résume :

    - Question :
    Selon l’évêque en charge de l’œcuménisme, Gerhard Müller, 97% de l’unité religieuse entre orthodoxes et catholiques sont déjà réalisés et les 3% restant sont, selon lui, la question de la primauté et de la juridiction du pape.
    Vous-même, lorsque vous étiez cardinal, avez déjà déclaré qu’il existe d’authentiques Eglises particulières, malgré l’absence de pleine communion de celles-ci avec l’Eglise catholique, provoquée par leur refus de la doctrine catholique de la primauté. Premier parmi les égaux, Benoît XVI va-t-il réaménager la papauté en faveur de l’unité du christianisme ?

    - Réponse :
    « Premier parmi les égaux » n’est pas la formule exacte. Le pape est premier –et il a aussi des fonctions et des missions spécifiques. Dans ce sens, tous ne sont pas des égaux. « Premier parmi les égaux «,l’orthodoxie l’accepterait sans difficulté. Elle reconnait que l’évêque de Rome est le « Protos », est le premier : c’est déjà acté dans le concile de Nicée. Mais la question est justement de savoir s’il a ou non des missions spécifiques…

    - Question :
    Cela signifie-t-il que le pape Ratzinger contredit l’ancien cardinal et gardien de la foi Ratzinger ?

    - Réponse :
    Non. Les Eglises orientales sont d’authentiques Eglises particulières, bien qu’elles ne soient pas en relation avec le pape. Dans ce sens, l’unité avec le pape n’est pas constitutive de l’Eglise particulière. Mais le manque d’unité est sans doute aussi un manque interne au sein de l’Eglise particulière. Car l’Eglise particulière est conçue dans le but de faire partie d’un tout. Dans cette mesure, la non communion avec le pape est en quelque sorte une lacune dans cette cellule de vie. Elle demeure une cellule, elle peut porter le nom d’Eglise, mais il manque un point à l’intérieur de la cellule : le lien avec l’organisme global.
    Je n’aurais pas non plus l’entrain dont fait preuve l’évêque Müller en disant qu’il ne nous manque plus que 3%. Il existe avant tout d’immenses différences, historiques et culturelles. Au-delà des questions de doctrine, il reste encore beaucoup de pas à faire dans notre cœur. Sur ce plan, Dieu a encore du travail avec nous. C’est la raison pour laquelle, je n’oserais pas non plus énoncer je ne sais quelles prophéties sur les temps qui nous attendent.

    - Question :
    Le métropolite orthodoxe grec Augustinos considère qu’une primauté d’honneur du pape est déjà possible. Allez-vous dans ce sens ?

    - Réponse :
    De facto, lorsque le pape prend position sur de grands problèmes éthiques, le monde considère ses propos comme la voix de la chrétienté et compte tenu de la position qui est devenue la sienne, au fil de l’histoire, l’évêque de Rome peut, jusqu’à un certain degré, s’exprimer au nom des chrétiens dans leur ensemble. Cela constitue un facteur œcuménique important mais on ne doit pas le surestimer : il reste suffisamment de points de conflit.

    - Question :

    Pensez-vous qu’une rencontre entre le pape et le patriarche de Moscou puisse encore survenir au cours de votre pontificat ?

    - Réponse :
    Il existe de multiples contacts. Cela étant dit, il faut préparer l’opinion publique orthodoxe en Russie à quelque chose de ce genre. On y ressent toujours une certaine peur de l’Eglise catholique. Il faut attendre patiemment, sans rien brusquer. Mais la volonté est là, des deux côtés.

    - Question :
    Une rencontre entre Rome et Moscou est-elle du domaine du possible dans un délai pas trop lointain ?

    - Réponse :
    Je dirais que oui.

  • Ah ! les lives d'entretiens de Peter Seewald et Benoît XVI ! Il y a aussi "Le Sel de la terre " . Est ce au terme du " Sel de la Terre " que Peter Seewald a retrouvé la foi catholique de son enfance ? Lui qui écrivait autrefois pour " Links Radikaal " ? Ces livres sont une fête du coeur et de l'intelligence ! Pour " Lumière du monde " ,5 jours d'entretiens ont suffit. C'est dire la spontanéité de Benoît.....

  • C'est Benoît XVI qui a lui-même fait la réflexion, si je me souviens bien, qu' après les entretiens dont on a tiré "Le sel de la terre", les questions posées par Peter Seewald sont devenues beaucoup plus profondes...Il n'en a pas dit plus, je crois.

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