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Après le pape François, le pape Egidio ?

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De l'abbé Claude Barthe sur Res Novae :

L’hypothèse Zuppi, ou vers le pape Egidio
 
Compte tenu de la situation catastrophique de l’Église cinquante ans après Vatican II et de l’impuissance des courants que l’on qualifie de conservateurs à redresser la barre, et même à la prendre en main, fusse seulement en certains secteurs, quelques-uns parmi les anti-conciliaires imaginent d’autres scénarios. Il s’agirait, non plus de rêver à un futur pontificat néo-ratzinguérien, mais de se préparer, pour un avenir à moyen terme, celui du futur changement de pontificat, à des situations d’attente conçues comme des bases de départ. L’état de l’Église ne pouvant que continuer à se dégrader de plus en plus vite, ils estiment que, pour préparer l’avenir, la situation qu’il faut aujourd’hui rechercher serait celle où la critique théorique et pratique (liturgique notamment) du Concile aurait un libre espace de développement.

De telles prospectives sur le thème : mieux vaut un pontificat de « centre-gauche » qui nous laisse la liberté plutôt qu’un « centre-droit » qui nous stérilise, peuvent paraître particulièrement risquées. On sort en tout cas des chemins balisés de la bien-pensance « restaurationiste ». Mais ces chemins-là ne se sont-ils pas révélés hier des voies de garage, et ne deviennent-ils pas aujourd’hui des chimères ? Nous donnons ici un exemple du type de prélats sur lesquels s’échafaudent de tels scénarios, en posant la question : et si le prochain pape se nommait Egidio, le Pape Egidio ?

Matteo Zuppi, un « progressiste » ?

On parle actuellement beaucoup du cardinal Matteo Zuppi. Un « progressiste » ? C’est ainsi que le classe Edward Pentin dans son livre The Next Pope : The Leading Cardinal Candidates (...). En fait, il est très difficile d’étiqueter les cardinaux selon des critères quasi-politiques. Dans Confessions d’un cardinal (JC Lattès, 2007) Olivier Le Gendre rapportait que son cardinal anonyme lui disait : « Il est trompeur de parler de camps aux frontières définies comme ceux qui s’affrontent dans le parlement d’une république ou au sein des partis qui entretiennent des courants rivaux. Nous sommes entre cardinaux dans un monde aux frontières mouvantes ». On s’aperçoit en effet, notamment au moment des conclaves, que les frontières entre groupes sont très fluentes. D’autant que Matteo Maria Zuppi entend être du genre homme libre : s’il est pour l’accueil des immigrés (orientation qui semble confirmée pour Il Giornale du 1er juillet dernier par sa rencontre programmée avec les leaders du Parti démocrate, le PD, en congrès dans sa ville de Bologne), il est aussi pour l’accueil des traditionnels.

Il aura 65 ans en octobre. Il pourrait succéder au cardinal Bassetti, archevêque de Pérouse, à la présidence de la Conférence épiscopale italienne. Il aura environ 70 ans – mais cela peut advenir avant – lorsque, par la force des choses et la faiblesse de l’âge, l’actuel pontificat devra laisser la place à un suivant. Matteo Zuppi est le petit-neveu du cardinal Carlo Confalonieri, qui fut secrétaire de Pie XI et bien plus tard cardinal-évêque de Palestrina, évêché suburbicaire, donc proche de Rome. En fait Matteo Zuppi est un Romain d’origine comme le pape Pacelli, un Romano di Roma aiment à rappeler ses amis, dont le père a travaillé au Vatican. Plus ou moins dispensé de séminaire (comme jadis Jean-Baptiste Montini), Matteo Zuppi fut d’abord incardiné dans le diocèse de Palestrina.

Matteo Zuppi est surtout l’homme de la Communauté de Sant’Egidio. Devenu prêtre du diocèse de Rome en 1988, il fut nommé curé de la basilique Sainte-Marie-du-Transtevere en 2000, et il devint assistant ecclésiastique général de la Communauté de Sant’Egidio, créée non loin de cette paroisse en 1973, avec pour siège la petite église Sant'Egidio (saint Gilles, saint ermite du VIIe siècle).

Cette Communauté fondée principalement par Andrea Riccardi, vouée au service des plus pauvres, est montée en puissance dans les années 1980 en s’engageant dans le dialogue interreligieux et le travail pour la paix, jusqu’à exercer une action diplomatique internationale. Ainsi, don Zuppi, Andrea Riccardi et d’autres personnalités de la Communauté, ont joué un rôle efficace de médiation dans les négociations entre le gouvernement du Mozambique et le parti de la résistance armée qui menait contre le pouvoir une guerre civile, médiation qui a abouti, en 1992, à des accords de paix signés à Rome entre les deux parties en conflit.

Matteo Zuppi, un pragmatique, a continué à participer à cette « diplomatie parallèle » de la Communauté de Sant'Egidio, à côté et aux côtés de la diplomatie vaticane, et aussi à l’organisation de rencontres interreligieuses en suite d’Assise, à Lyon, Bukavu, Munich, etc., comme à l’aménagement de « corridors humanitaires » pour les immigrés d’Afrique et d’Asie vers l’Europe, etc. Si bien que Matteo Zuppi apparaît comme une sorte de cofondateur de la Communauté en tant qu’elle est devenue le « lobby » catholique le plus influent internationalement. L’importance de Sant'Egidio fait qu’Andrea Riccardi a été ministre de la Coopération internationale dans le « gouvernement de techniciens » européo-mondialiste de Mario Monti en 2011.

En 2012, Mgr Zuppi fut nommé évêque auxiliaire de Rome par Benoît XVI, dont il considère, dit-on, que le pontificat a été saboté par son Secrétaire d’État, le cardinal Bertone. La Communauté de Sant-Egidio s’est conformée aux gouvernements successifs de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Mais, avec le Pape François, elle a donné l’impression d’avoir trouvé le pontifie selon son cœur. Il semble que la Communauté a mis son influence au service de l’accession au trône de Pierre de Jorge Bergoglio, après la démission de Benoît XVI. Zuppi et Riccardi feraient ainsi partie des « faiseurs » du Pape Bergoglio, avec un certain nombre d’autres.

Le 27 octobre 2015, le pape François nomma Matteo Zuppi archevêque de Bologne, après la renonciation du cardinal Carlo Caffarra, l’un des signataires des dubia contestant l’orthodoxie d’Amoris lætitia. Et le 5 octobre 2019, il fut créé cardinal par le Pape François qui, pour lui et pour Sant'Egidio, créa un nouveau titre cardinalice, celui de l’église Sant-Egidio au Transtevere, et le lui attribua. Avec d’autres membres de la Communauté, comme Matteo Bruni, directeur de la Salle de Presse vaticane depuis 2019, il se trouve désormais dans les avenues du pouvoir.

S’il est un évêque qui sait être populaire (lors de sa réception de la pourpre, un train avait été spécialement affrété pour conduire avec lui les Bolonais à Rome), il est loin de faire l’unanimité dans le peuple catholique. Son livre sur le thème de la question des migrants, écrit avec Lorenzo Fazzini, journaliste à Avvenire, le quotidien de l’épiscopat, n’a pas eu un succès considérable : Odierai il prossimo. Perché abbiamo dimenticato la fraternità. Riflessioni sulle paure del tempo presente (Piemme, 2019) – Tu haïras ton prochain. Pourquoi nous avons oublié la Fraternité. Réflexion sur la peur dans le temps présent. Le chapitre le plus « franciscain » du livre est peut-être celui intitulé « Anche nella Chiesa ci si odia » – Même dans l’Église on se hait – : au lieu d’une vraie ferveur évangélique, on trouve « le plaisir fallacieux d'une complaisance égocentrique », dans une Église « impitoyable, qui condamne les autres mais absout ses propres comportements ».

L’archevêque de Bologne a aussi préfacé l’édition italienne du livre du Père James Martin, sj, rédacteur en chef de la revue jésuite America, Un ponte da costruire. Una relazione nuova tra Chiesa e persone LGBT (Marcianum Press, 2018) [1], – Un pont à construire. Une nouvelle relation entre l’Église et les personnes LGBT –, livre louangé par le cardinal Farrell, Préfet du Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie. Très fâcheux, du point de vue anthropologique et social, est le fait que le livre du Père Martin consacre ainsi du point de vue catholique l’existence d’une « communauté LGBT » au sein de la société. Mais le problème principal de ce type de littérature est qu’elle ne dit jamais clairement que celui qui demande les sacrements ne doit plus être installé dans une situation de péché, tel celui qui continue de vivre en « couple » homosexuel. Ainsi, la préface propose-t-elle, à la lumière d’Amoris lætitia, un « accompagnement » des personnes homosexuelles qui viennent vers l’Église, avec « une savante pédagogie de la gradualité ».

On remarque cependant que l’édition italienne, celle préfacée par Mgr Zuppi, sous-titre sur les personnes LGTB, alors que l’édition américaine parle de LGBT Community. Par ailleurs, Mgr Zuppi parle de « l’ensemble varié et complexe des personnes homosexuelles ».
 
Un homme pas tout d’une pièce
 
Le cardinal Zuppi est assurément au cœur de multiples réseaux religieux et politiques. Il est par exemple très lié au Bolonais Romano Prodi, catholique pratiquant, ancien président du Conseil de Centre gauche, ancien président de la Commission européenne.

Un DVD, signé Emilio Marrese, est désormais consacré à Matteo Zuppi, Il Vangelo secondo Matteo Z. Professione Vescovo, – L’Évangile selon Matthieu Z. Profession évêque. La Repubblica en fait la promotion et qualifie Zuppi « d’évêque de la rue », pour expliquer que son « activité profondément réformatrice et innovante » suit le sillon tracé par le Pape François (1er décembre 2019). Voire…

En fait, Matteo Zuppi a bien des raisons de ne pas s’identifier et à ne pas être identifié à un pur et simple « progressiste ».

D’abord, parce qu’après un pontificat bergoglien que, même ses laudateurs, estiment brouillon au maximum, intellectuellement faible dans la qualité de son enseignement, déstabilisant et sans attrait charismatique au sein du catholicisme, le conclave – quelle que soit la tendance générale qui sera la sienne – portera son choix vers un « homme nouveau ». On prétend que l’archevêque de Bologne ne se gêne pas pour dire que la maison a un besoin urgent de remise en ordre.

À quoi il faut ajouter que le « progressisme » prend davantage de rides chaque jour dans l’Église. Ses intellectuels sont âgés. Ses troupes fondent, car elles ne se reproduisent pas : les fils, petits-fils ou petits-neveux de ceux qui ont fait Vatican II ne vont plus à l’église et ne se sentent plus catholiques depuis longtemps. En Occident, du point de vue du nombre des fidèles et des prêtres – sans parler des finances –, partout ailleurs du point de vue de l’orthodoxie la plus élémentaire et souvent de la morale chez les prêtres, on peut parler de faillite.

Si donc Matteo Zuppi marque déjà discrètement et pragmatiquement sa différence, tout porte à croire que le phénomène ira s’accentuant.

Ainsi sur un point très sensible : à l’occasion d’une visite pastorale comme évêque auxiliaire de Rome, il a célébré pontificalement une messe tridentine, le 30 mars 2014, à la Trinité-des-Pèlerin, tenue par la Fraternité Saint-Pierre, église de la paroisse personnelle vouée à la célébration de la messe traditionnelle. Puis, le 8 juin de la même année, pour la fête de la Pentecôte, il fit de même dans l'église Gesù et Maria, pour l'Institut du Christ Roi. Le 8 décembre 2014, pour la fête de l’Immaculée Conception, il a présidé une procession dans la rue avec ce même Institut (au récent chapitre duquel, le 26 août dernier, il est venu faire une conférence et présider les vêpres pontificales). En toutes ces occasions il semblait comme un poisson dans l’eau. Et lorsqu’il est arrivé à Bologne, il a immédiatement confirmé ses bonnes intentions à cet égard dans le Corriere di Bologna du 28 octobre 2015 : « Si on me le demande, je célébrerai en latin. Pour les groupes romains qui m’ont fait cette demande, j’ai considéré qu’il était juste d’accomplir un geste de communion et de proximité. Je suis favorable au fait de sortir de tout enfermement ».

2020 est le 1300ème anniversaire de la mort de saint Gilles, survenue, selon une tradition, en 720, près du delta du Rhône, et dont un monastère portait le nom, devenu depuis l’époque carolingienne un lieu de pèlerinage depuis toute l'Europe. Le 1er septembre, jour de la saint Gilles, la Communauté a célébré cet événement par une messe présidée par le cardinal Matteo Zuppi et retransmise en continu par les sites de la Communauté.

Abbé Claude Barthe
 
1. Building a Bridge: How the Catholic Church and the LGBT Community Can Enter Into a Relationship of Respect, Compassion, and Sensitivity (Hardcover, 2017), Construire un pont : Comment l’Église catholique et la communauté LGBT peuvent entrer dans une relation de respect, compassion et sensibilité.

Commentaires

  • Cet article commence par cette phrase : "Compte tenu de la situation catastrophique de l’Église cinquante ans après Vatican II et de l’impuissance des courants que l’on qualifie de conservateurs à redresser la barre..,".

    Cette introduction très politique fait penser à ce passage de l'évangile : "Luc 5, 4 Quand il eut cessé de parler, Jésus dit à Simon : "Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche." Simon répondit : "Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets." Et l'ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient".

    Et en effet, Nous aurons beau nous agiter à pécher en changeant le capitaine de la barque, c'est le Seigneur seul qui décide du moment où viennent les fruits.
    Qu'on se souvienne du Concile de Nicée qui proclame la divinité du Christ. Il est aussitôt suivi de la pire crise de l'Eglise : Tout se vide, le peuple fuit et se tourne en masse vers l'arianisme "qui est tellement plus réaliste". Et puis un jour, alors qu'il ne reste plus qu'un capitaine fidèle (saint Athanase) tout se remet à vivre. Personne ne comprend pourquoi.

    Il en sera de même ici : Le jour où notre nouvel Elie (la Vierge Marie) fera cesser la crise actuelle, tout refleurira et aucun sociologue n'arrivera à expliquer, selon ce passage de l'Ecriture : "1 Rois 18, 44 A la septième fois, le serviteur dit : "Voici un nuage, petit comme une main d'homme, qui monte de la mer." Alors Elie dit : "Monte dire au roi : Attelle ton char et descends vite, sinon la force de la pluie t'empêchera de rentrer."

  • Même si le cardinal Zuppi prend habilement ses distances par rapport à un pontificat dont les insuffisances sont patentes, il n'empêche que cet article montre très bien les sujets qui font battre son coeur : action politique et sociale, immigration, diplomatie, rencontres interreligieuses, remise en cause de la position de l'Eglise sur les questions LGBT etc. Donc pas l'ombre d'un souffle nouveau.
    On nous dit qu'il laissera une marge de manoeuvre aux courants conservateurs ou traditionnels ? la belle affaire! Ce ne sont pas quelques messes tridentines qui y changeront quoi que ce soit : avec un pape pareil, il semble écrit d'avance que l'Eglise poursuivra sa plongée aux enfers ...

    Les supputations d'esprits (un peu trop) machiavéliques répercutées par l'abbé Barthe semblent donc plus que risquées : à ces petits jeux, c'est la survie de l'Eglise qui peut se jouer.

  • Juste un petit mot concernant l'article de ce prêtre, l'abbé Claude Barthe.

    Chacun est libre de ses opinions. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il manque quand même de nuances.
    Qu'il déteste le pape actuel, c'est son problème, de là à faire des plans sur la comète.
    Personnellement, je veux respecter tout le monde. Dieu me les donne comme frères. Les accepter comme tels (même si c'est difficile) alors je suis dans l'Eglise, faire le tri alors je suis probablement à côté de la plaque
    Disons simplement que vivre la fraternité est plus facile avec certains plus ouverts. Pourquoi ne voir l'Eglise que sous le prisme du latin, de la soutane, de la liturgie d'avant Vatican II, etc. etc. Nous sommes le corps du Christ, c'est notre foi. Tous les sarments bien que différents s'ils sont bien rattachés au cep, le Christ, vivent de la même vie des enfants de Dieu. L'Eglise a besoin de tous, et arrêtons de nous tirer dans les pattes, il y va de notre crédibilité. Je suppose que ce brave prêtre en a conscience. A le lire, ce n'est pas si évident.
    Le prochain pape sera le fruit de l'Esprit saint, comme l'actuel ou les précédents, et ce n'est certainement pas le fruit de pressions politiques, internes à l'Eglise, entre cardinaux, ou extérieures avec Sant'Egidio, Andrea Riccardi, ou je ne sais qui d'autres. L'Eglise est sainte, certainement pas par ses membres, mais certainement par le Christ.
    Excusez mon énervement passager. Je ne suis pas intéressé par la polémique. Si mon frère tient à exprimer son opinion, qu'il le fasse. Je revendique ce même droit. Encore une fois, je voudrais aimer tout le monde, tel qu'il est, puissent les autres m'aimer comme je suis, et je suis loin d'être le seul à penser ce que j'exprime. Mon projet ce n'est pas la nostalgie du passé, même si je reste ô combien fidèle à la tradition, mais c'est la vie éternelle, dès maintenant, comme Jésus l'a promis.

  • Vous écrivez que le prochain pape sera le fruit de l'Esprit saint. Je l'espère, mais je n'en suis pas aussi sûr que vous car je ne crois pas que le conclave choisisse toujours, en quelque sorte mécaniquement, le candidat voulu par l'Esprit. Pour "entendre" l'Esprit, il y a lieu d'être en mesure de "capter" son message, en clair d'être au moins en état de grâce. On peut espérer qu'une majorité des cardinaux électeurs soient dans une telle disposition, mais nous n'en avons aucune assurance. L'histoire mouvementée de l'élection des papes semble d'ailleurs montrer que ce ne fut pas toujours le cas.

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