
Jean-Paul Belmondo, en mai 1960. Le choix de l'allégresse comme règle de vie. Photo © BLONCOURT / BRIDGEMAN IMAGES
Quels points communs entre Cyrano et d’Artagnan ? La cape de mousquetaire, à l’évidence, le panache, assurément… et Jean-Paul Belmondo. Il avait incarné l’un sur les planches en 1989, l’autre à la télévision en 1959, et si ces performances ne restent pas parmi les plus marquantes de sa carrière, il fallait bien que “Bebel” les incarnât l’un et l’autre : le contraire eût été incompréhensible, voire scandaleux. Car s’il est une chose que le comédien emporte avec lui, au soir de sa vie, « sans un pli, sans une tache », c’est bien le panache, et cette part d’esprit français qu’incarnent si bien nos chers mousquetaires du roi : un esprit fait de gourmandise, de fantaisie, d’élégance funambule, de générosité, de virilité courtoise et de bravoure souriante, de mépris du danger et de dandysme sous la mitraille. Jean-Paul Belmondo, ce n’est pas seulement, en concurrence directe avec celle de Delon, l’une des plus belles filmographies d’après-guerre, c’est aussi une façon d’être au monde, une attitude devant la vie, un composé de fierté bravache, d’esprit d’aventure, d’indépendance insolente, de goût du vagabondage buissonnier, d’indécrottable sourire à la vie, de gaieté flamboyante.
Sous ses incarnations multiples, devant des caméras aussi diamétralement opposées que celles de Jean-Luc Godard et de Jacques Deray, de Jean-Pierre Melville et de Gérard Oury, de Vittorio De Sica et de Georges Lautner, Belmondo est resté tel qu’en lui-même : fier, blagueur, jaloux de sa liberté, chevaleresque, individualiste forcené mais toujours prêt à faire le coup de poing ou les 400 coups pour aider un ami dans le besoin, amoureux mais pas sentimental, dénué d’esprit de sérieux jusqu’à ne jamais hésiter à se couvrir de ridicule pour la bonne cause, sans jamais pour autant se départir de sa classe naturelle, excessif en toutes choses et d’abord en l’amour de la vie, en l’appétit de la croquer à belles dents, avec un entrain que rien ne semble pouvoir arrêter. Quand tant de comédiens semblent mettre la gloire de leur art à mettre à nu leurs tourments, et à expliquer que leur talent est directement proportionnel aux souffrances existentielles de leur moi profond, Belmondo, lui, n’a jamais eu honte — et pourquoi diable en aurait-il eu honte ? — de considérer son métier avant tout comme un jeu, et un jeu qu’il pratiquait avec un engagement physique impressionnant…
Une honorable carrière de cancre, jamais en retard d’une pitrerie
Quand tant d’autres se complaisaient dans le pot au noir de la “mise en danger” que constituerait le métier d’acteur, lui avait choisi de faire de sa vie un déjeuner de soleil, une fête perpétuelle d’amitié, de camaraderie rocambolesque, une bamboche féerique et cordiale : « J’ai cultivé très tôt la liberté et l’allégresse, peut-être parce que j’étais un enfant de la guerre, peut-être aussi parce que mes parents me les ont montrées et m’ont laissé les prendre, peut-être enfin parce que j’ai décidé que c’était de cela que ma vie serait faite. »
Il est vrai que le jeune Jean-Paul Belmondo n’avait pas été trop défavorisé par les fées. Au rebours de son ami et rival Alain Delon, à jamais frappé du sceau de la mélancolie par une enfance solitaire marquée par la déchirure de l’abandon, Jean-Paul grandit dans une famille heureuse et chaleureuse. Quand on naît à Neuilly, le 9 avril 1933, dans une famille à la fois bourgeoise et artiste, et surtout paisiblement aimante, la vie s’annonce sous les meilleurs auspices. Le père, Paul, est un sculpteur reconnu, même s’il sera souvent taxé d’académisme et si un certain voyage en Allemagne, durant la guerre, lui sera ensuite reproché : Jean-Paul aura toujours à cœur de célébrer son œuvre, jusqu’à lui consacrer un musée à Boulogne-Billancourt. Loin de la caricature de l’artiste égoïste, Paul fut un père « aimant, attentionné et doux », ainsi que le célébrera plus tard Jean-Paul : « Son premier geste du matin était de poser une pomme épluchée sur le poêle Godin afin qu’elle embaume l’atmosphère. » Quant à Madeleine, la mère, « j’aurais fait n’importe quoi pour lui faire plaisir, écrira Jean-Paul dans ses Mémoires, et, comme j’avais un certain talent pour le n’importe quoi, elle était souvent heureuse ». Elle avait rencontré Paul aux Beaux-Arts, et renoncé pour épauler son mari à une carrière de peintre.
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