Ci-dessous la traduction du discours de Mgr Robert Mutsaerts (évêque auxiliaire de Bois-le-Duc aux Pays-Bas), prononcé le 23 octobre 2025 lors de la Conférence sur l'identité catholique (C.I.C) qui se tient chaque année à Pittsburgh (source) :
Là où le Christ n'est pas roi, le chaos règne .
"On parle beaucoup des crises de notre époque : divisions politiques, incertitudes économiques, menace de guerre. Pourtant, sous ce tumulte se cache une crise plus profonde, souvent négligée : une crise spirituelle. Comme l'observait mon héros Chesterton, nous avons tendance à nous préoccuper des mauvais dangers. Nous craignons les guerres et les effondrements financiers, alors que la véritable menace est la corruption morale et spirituelle qui ronge l'âme.
À la base, notre monde moderne a négligé la dimension spirituelle. Ce n'est pas tant le chaos qui nous entoure que le vide intérieur qui déstabilise la société. Les gens se perdent car ils ne savent plus pourquoi ils sont là – un problème profondément spirituel. Nous avons besoin d'idéaux plus élevés et d'une boussole morale, et non de simples slogans politiques. Lorsque l'humanité détourne le regard de Dieu, un vide se crée, comblé par des substituts : idéologies, modes et obsessions qui masquent le malaise sans jamais le guérir.
À une époque où la foi était encore vivante, l'impossible se produisit : le christianisme conquit l'Empire romain, édifia des cathédrales, engendra l'art, la littérature et des systèmes juridiques. Mais le monde moderne, qui se prétend rationnel et éclairé, a abandonné les miracles et vit dans une pauvreté spirituelle. Il nie le surnaturel et se plaint ensuite de son absence. C'est là la tragédie du monde moderne. Il dit : « Montrez-moi un miracle, et alors je croirai. » Mais en réalité, c'est l'inverse : croyez, et alors vous verrez le miracle. Le miracle n'est pas que Dieu apparaisse dans toute Sa splendeur et Sa majesté ; le miracle, c'est qu'Il Se soit tenu dans un atelier, en train de scier des planches.
« L'idolâtrie ne se commet pas seulement en érigeant de faux dieux, mais aussi en érigeant de faux démons ; en faisant craindre aux hommes la guerre, l'alcool ou les lois économiques, alors qu'ils devraient craindre la corruption spirituelle et la lâcheté. » – G.K. Chesterton
Cette remarque spirituelle de 1909 résonne aujourd'hui comme une prophétie. Nous identifions toutes sortes d'ennemis terrestres – du changement climatique aux épidémies virales – et nous nous mobilisons contre eux, tout en ignorant les ennemis invisibles de l'âme : l'absurdité de la vie, la décadence morale et le désespoir. C'est comme si l'humanité s'affairait à éteindre un petit feu dans le jardin, tandis que les fondations de la maison – le socle spirituel – s'affaissent lentement.
L'un des aspects les plus remarquables et radicaux de l'envoi des apôtres par Jésus est son commandement : « Si quelqu'un ne vous reçoit pas et ne vous écoute pas, secouez la poussière de vos pieds en témoignage contre lui. » Nous voyons ici quelque chose de presque impensable de nos jours : la certitude absolue de la foi. C'est un point crucial : le catholicisme n'est pas une opinion parmi d'autres sur Dieu et le monde. Il est la vérité, toute la vérité et rien que la vérité (je connais cette réplique d'une série télévisée américaine). Et la vérité n'est pas sujette à débat, à synodalité ou à compromis. Les apôtres n'ont pas reçu l'ordre de débattre, de négocier indéfiniment ni de s'adapter aux désirs de leurs auditeurs. Si quelqu'un n'accepte pas ce que proclament les apôtres, il passe à autre chose.
C'est tout le contraire du christianisme moderne, qui s'excuse souvent lui-même et se contorsionne par tous les moyens pour rester acceptable et pertinent aux yeux du monde séculier. L'injonction de secouer la poussière de ses pieds n'est pas un appel au mépris, mais un signe de la vérité objective de la foi. Refuser le Christ n'est pas une question d'interprétation, mais un rejet tragique de la réalité elle-même. Un avertissement retentit ici pour l'Église occidentale : n'ayez pas peur d'être impopulaire. Les apôtres ne l'étaient pas non plus. Et pourtant, ils ont changé le monde.
Les apôtres appellent à la repentance, à la conversion. Non pas à une spiritualité vague, ni à un message général d'amour, de paix et de compréhension, mais à la conversion – l'appel à un mode de vie radicalement nouveau. La religion n'est pas une simple préférence personnelle sans conséquences. Le christianisme n'est pas un mode de vie spirituel optionnel. C'est le chemin du salut. Et c'est pourquoi la mission des apôtres est la mission de l'Église à travers les âges. L'Église n'est pas une institution neutre qui préserve le patrimoine culturel. Elle est une défenseure de la vérité, une Église qui ne se soumet pas aux caprices du temps mais accomplit sa mission sans compromis. L'Église qui prend sa mission au sérieux sera persécutée. L'Église qui cherche à plaire au monde sera ignorée.
Et puis, point culminant de l'aventure, les apôtres sortent et chassent les esprits impurs. C'est l'apogée du combat : la véritable bataille n'est pas contre les hommes, ni contre les cultures, ni contre les dirigeants. La véritable bataille est contre les puissances des ténèbres. La mission de Jésus est la défaite du mal. C'est donc aussi la mission de l'Église. Le christianisme n'est pas une théorie, ni une simple morale, ni une affaire purement humaine. C'est une guerre contre le mal lui-même. Le monde moderne a tendance à psychologiser le mal, à le réduire à des facteurs sociaux, à le traiter comme une abstraction. Mais le christianisme est bien plus réaliste : le mal est une réalité.
Puisque la racine de la crise est spirituelle, la solution doit l'être aussi. C'est, au fond, un combat pour l'âme. On peut voter des centaines de lois et inventer des merveilles technologiques, mais si l'âme est malade, les symptômes ne cesseront de réapparaître. Nous le constatons clairement : la prospérité et la science ont accompli beaucoup, mais le malaise intérieur et la confusion morale n'ont pas diminué. En réalité, à mesure que les gens font moins confiance à Dieu, ils font confiance à tout le reste. Chesterton a bien saisi ce paradoxe : quand les hommes cessent de croire en Dieu, ils ne croient pas en rien ; ils croient en n'importe quoi.
On le constate partout. Là où les bancs des églises se vident, les gourous du développement personnel, les sites d'horoscope et les « spiritualités » à la mode pullulent. La soif humaine de sens demeure, même quand on rejette le Christ. Mais les substituts – qu'il s'agisse d'une foi aveugle dans le marché, d'un culte de la science érigé en sauveur tout-puissant ou d'expériences ésotériques – ne peuvent remplacer le Christ. Ils sont comme du sel sans saveur.
Ainsi, quand on abandonne le Christ, la crise ne fait que s'aggraver. On le voit autour de nous : à mesure que la foi chrétienne disparaît, les normes morales s'estompent et les communautés se désagrègent. Une société qui perd son âme perd aussi sa solidarité et son cap. Au lieu de la charité de l'Évangile, nous héritons d'une culture froide d'affirmation de soi radicale, où chacun a sa propre « vérité » et où plus rien n'est sacré. Cela engendre la solitude, la polarisation et le désespoir – une crise spirituelle qui amplifie toutes les autres. Cela mène inévitablement à la décadence et, finalement, à la destruction. Consultez vos livres d'histoire.
Comment cela se fait-il ? Laissez-moi vous parler de mon voisin. J'aime aller chez lui. Pourquoi ? Parce qu'il fait du bon café : une machine à café italienne de type barista haut de gamme. J'étais justement là quand il a déballé cette machine. Et j'ai essayé de la faire fonctionner. Mais nous n'y sommes pas parvenus. Elle a d'abord produit de la vapeur, puis un bruit infernal, et enfin un café fade. Une expérience très décevante, en somme. Le lendemain, il a eu une idée de génie : il a pris le mode d'emploi et a suivi les instructions. Résultat : un café délicieux. C'est tout simple : le fabricant de cette machine sait comment elle fonctionne. Il l'a conçue. Suivez ses instructions et vous obtiendrez le résultat escompté. Ignorez-les, et vous obtiendrez soit un café médiocre, soit une machine qui ne fonctionne pas du tout, soit, pire encore, vous la détruirez.
Pourquoi cet évêque vous parle-t-il de machines à café ? Comment un être humain peut-il s'épanouir pleinement ? Nous avons un Créateur, nous sommes conçus par un Concepteur. Comment connaître notre raison d'être et comment la réaliser ? Nous a-t-Il donné des instructions ? Oui. Il nous a donné l'Ancien Testament (principalement le diagnostic de nos erreurs) et le remède : le Nouveau Testament : Jésus-Christ, les Apôtres, l'Église, la Tradition, l'enseignement de l'Église. Suivez ces instructions et vous découvrirez votre raison d'être et comment atteindre votre but : la vie éternelle. Ignorez les instructions de notre Créateur et tout ira mal. Comme une machine défaillante qui tombe en panne. Là où le Christ est absent, les choses tournent mal. Là où le Christ n'est pas Roi, le chaos règne. Et cela, mes chers amis, c'est ce que nous appelons la modernité.
Sans Dieu, il nous incombe de guérir le monde de ses défauts. Que les choses aillent mal depuis la nuit des temps est une évidence. Sans le Christ, quel est le remède ? Le monde croit au progrès. Mais pourquoi se soucier du progrès quand la condition humaine est le problème ? Le problème, c'est que la modernité ne le perçoit pas comme tel. Elle pense que le problème, c'est la société, les structures, les autres, l'économie, la politique, et que nous ne pouvons agir que sur ces aspects. C'est ce que pensaient les révolutionnaires français, les bolcheviks, et c'est ce que le Printemps arabe était censé accomplir. Et nous savons où cela mène : au chaos et à la destruction. L'histoire biblique de la tour de Babel l'a déjà clairement démontré : la tentative humaine de reconquérir le paradis. Nous savons comment cela s'est terminé. Et nous continuons de croire que c'est possible : l'Union européenne, le Nouvel Ordre Mondial, la grande réinitialisation.
Avant le siècle des Lumières, personne ne croyait au progrès (le christianisme était dominant ; les idées utopiques n'avaient aucune chance). Les Lumières ne croyaient pas en Dieu. L'homme était fondamentalement bon ; le problème résidait dans les structures de la société. Voltaire avait cette idée du « bon sauvage ». Là où l'argent et le christianisme ne risquaient pas de perturber la vie en société, il devait y avoir harmonie, amour, paix et compréhension. Or, cela s'est avéré être une erreur. Voltaire a également écrit un livre sur l'éducation des enfants. Avait-il lui-même des enfants ? Oui, cinq. Savez-vous comment il les a élevés ? Il ne les a pas élevés. Juste après leur naissance, il les a tous abandonnés à l'orphelinat. Je n'en dirai pas plus.
Nous croyons encore au progrès : progrès technologique, progrès scientifique. Si les Lumières croyaient aussi au progrès moral, depuis le XXe siècle (Hitler, Staline, Mao, Pol Pot), nous n'y croyons plus. Mais puisque nous ne croyons ni à la vie après la mort ni au progrès moral, que reste-t-il : la folie, l'absurdité, l'antithèse d'une société utopique. Comment cela se fait-il ? Deux raisons : 1. Nous avons rayé Dieu de l'équation. 2. Le bon sens n'est plus aussi répandu, comme Chesterton l'avait déjà constaté il y a un siècle.
L'Église catholique a toujours adhéré à la philosophie de Thomas d'Aquin. Pourquoi ? Parce qu'elle repose sur le bon sens. La philosophie de saint Thomas se fonde sur la conviction universelle qu'un œuf est un œuf. Cela peut paraître évident, mais dans un monde complexe, ce n'est plus le cas. L'hégélien pourrait affirmer qu'un œuf est en réalité une poule, car il participe à un processus de devenir infini. Le partisan de Berkeley pourrait prétendre que les œufs pochés n'existent que comme un rêve, puisqu'il est tout aussi simple de dire que le rêve a engendré les œufs que l'inverse. Le pragmatiste pourrait croire que l'on apprécie au mieux les œufs brouillés en oubliant qu'il s'agissait d'œufs et en ne retenant que le résultat.
Mais aucun disciple de saint Thomas n'a besoin de se creuser la tête pour conclure qu'un œuf est simplement un œuf. Le thomiste sait que les œufs ne sont ni des poules, ni des rêves, ni de simples suppositions pratiques, mais des réalités confirmées par l'autorité des sens. Ainsi parlait l'apôtre à l'esprit brillant, G.K. Chesterton.
Il semble que les thomistes et les chestertoniens – ces personnes pour qui il est évident qu'un garçon est un garçon et une fille est une fille – soient rares. Ce sont des faits biologiques perceptibles par les sens. Un garçon n'existe pas comme un rêve ; ce n'est pas le rêve qui est la cause de son être, ni son être la cause du rêve. On peut recourir à autant de chirurgie esthétique qu'on veut et oublier à quoi ressemblait le corps à l'origine, cela ne change rien au fait qu'il reste un garçon. Et un bébé est un bébé…
Il y a deux vérités fondamentales que Chesterton défend : la famille et la foi. La société moderne tout entière s'attaque à ces deux vérités. S'attaquer à la famille, c'est s'attaquer à la vie elle-même, et s'attaquer à la foi, c'est s'attaquer au Créateur de la vie.
Chaque enfant est Jésus : un visiteur du ciel, confié un temps à ses parents. Le mariage est un sacrement. Il révèle une vérité religieuse : l'amour est inconditionnel et source de vie. S'attaquer à la famille, c'est avant tout s'attaquer à une vérité religieuse. Et c'est s'attaquer à la religion qui a révélé cette vérité : l'Église catholique romaine. Défendre la foi, c'est défendre la famille. Mais c'est aussi défendre la foi elle-même : ses préceptes, ses pratiques, sa pureté. Les attaques viennent de toutes parts, subtiles ou manifestes. Chesterton affirme : « Ce qui est réellement à l'œuvre dans le monde aujourd'hui, c'est l'anticatholicisme, et rien d'autre. »
Chesterton : « Les adversaires du christianisme croiraient n'importe quoi, sauf le christianisme. » Et en effet, nous avons constaté que les sectes et les cultes les plus étranges sont pris au sérieux, tandis que l'Église est tournée en ridicule. Chaque hérésie s'est appropriée un fragment de vérité et a rejeté le reste. Ainsi, les luthériens sont devenus obsédés par la « foi seule », les calvinistes par la souveraineté de Dieu, les baptistes par la Bible, les adventistes du septième jour par le sabbat, et ainsi de suite.
L'Église catholique a été attaquée pour être trop austère ou trop ostentatoire, trop matérialiste ou trop spirituelle, trop mondaine ou trop détachée du monde, trop complexe ou trop simpliste. On reproche aux catholiques d'être célibataires, mais aussi d'avoir trop d'enfants ; on leur reproche d'être injustes envers les femmes, mais aussi parce que « seules les femmes » assistent à la messe. Les modernistes déplorent la mort de l'Église catholique, et s'indignent encore plus de son pouvoir et de son influence. Les laïcs admirent l'art italien tout en méprisant la religion italienne. Le monde reproche aux catholiques leurs péchés – et pire encore, de les confesser. Les protestants affirment que les catholiques ne prennent pas la Bible au sérieux, puis les critiquent pour leur interprétation littérale de l'Eucharistie.
En fin de compte, toute attaque contre l'Église est une attaque contre le sacerdoce et l'Eucharistie. Toute attaque contre l'Église est une attaque contre le Christ : Dieu venu comme un enfant, fondateur de l'Église, qui a présenté le pain et le calice en disant : « Ceci est mon corps. Ceci est mon sang. » Chesterton a défendu l'Église alors même qu'il en était encore un étranger. Ironie du sort, aujourd'hui, nous devons parfois défendre l'Église contre des personnes de l'intérieur – contre des catholiques, même à Rome – qui cherchent à saper leur propre foi. Dieu merci, les choses semblent se normaliser.
Pourtant, ce combat n'est pas perdu d'avance. Au contraire, le premier pas vers la guérison est la reconnaissance : admettre que ce à quoi nous sommes confrontés n'est pas seulement politique ou économique, mais une urgence morale et spirituelle. Ce n'est qu'alors que nous pourrons choisir les armes appropriées. Aussi, nous devons nous interroger : comment mener un combat spirituel ? La foi est une affaire personnelle. Jésus a le plus souffert sur la croix, sachant qu'il ne sauverait pas tout le monde, que tous ne croiraient pas en lui (« Mon peuple, voyez ce que j'ai fait pour vous ; qu'aurais-je pu faire de plus ? C'est pourquoi Jésus connaît Jérusalem »). Il est vrai que nous avons le libre arbitre. Il nous appartient de coopérer au plan de salut de Jésus. Le monde séculier cherche à résoudre les problèmes ; les chrétiens aspirent au salut.
En temps de crise, certains déplorent l'échec du christianisme, la perte d'influence de l'Église. Mais l'idéal chrétien a-t-il jamais été véritablement mis à l'épreuve et jugé insuffisant ? Notre monde ne souffre pas parce que nous avons suivi le Christ de trop près, mais parce que nous ne l'avons pas suivi du tout. Même au sein de l'Église, le problème persiste. L'Église après Vatican II… Non pas le Concile lui-même, mais l'interprétation qu'on en a faite : le prétendu « Esprit de Vatican II ». Le document de Vatican II en lui-même n’est pas fondamentalement erroné. Sacrosanctum Concilium souligne l'importance du latin, du chant grégorien ; il n'est nullement question de supprimer la balustrade de l'autel ni de remplacer le maître-autel par une table de cuisine. Mais les médias et des personnalités comme Küng et Schillebeeckx ont détourné le Concile et l'ont transformé en quelque chose de complètement différent. J'ai eu des centaines de discussions avec ces personnes et je leur pose toujours la même question : « Avez-vous lu les documents ? » La réponse est invariablement : « Non, mais… » Non, non, pas de « mais », lisez-les et revenez ensuite. Ils ne le font jamais. Certes, Vatican II avait ses défauts et son langage pastoral laissait place à diverses interprétations, mais ne confondons pas le concile lui-même avec le concile des médias et de ceux qui cherchaient à modifier la doctrine de l'Église. Le résultat ? De la mauvaise foi. C'est alors qu'on sait que quelque chose cloche vraiment.
Le problème, bien sûr, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un concile dogmatique. La seule raison d'être des conciles était de clarifier les choses. D'ailleurs, nous devrions être reconnaissants envers Arius et les autres hérétiques. Sans eux, nous n'aurions pas la confession de foi telle que formulée par le concile de Nicée. Les conciles étaient là pour clore les débats : si vous croyez ceci, vous êtes dedans, sinon, vous êtes dehors. Roma locuta, causa finita. Plus de Sed Contra.
Aggionamento. Nous pensions devoir suivre le courant de la société séculière. Nous voulions être pertinents à notre époque ; l'Église de Nice au lieu de l'Église de Nicée. Réunions mondaines. Nous avons réduit les dix commandements à un seul : aime ton prochain, sois bon. Cela se reflète dans le Novus Ordo : l'autel a été remplacé par une table [contrairement à Sacrosanctum Concilium]. L'autel symbolise le sacrifice. L'Eucharistie est un sacrifice sous la forme d'un repas, et non un repas sous la forme d'un sacrifice. Jésus a rompu le pain lors de la Cène, mais cela faisait référence au sacrifice sur la croix ! Et non au simple fait de « rompre et partager » ! Certes, nous sommes très sociables, mais qui parle de la vie après la mort, du jugement, des quatre dernières étapes humaines ?
Le problème n'est pas que l'Évangile soit dépassé, mais que nous l'ayons troqué contre des substituts plus faciles. Les demi-vérités ne peuvent guérir l'âme. Seule la vérité radicale et intégrale du Christ le peut. Il ne s'agit pas d'un idéal « médiéval ». La crise de notre temps – solitude, injustice, amertume – appelle de véritables chrétiens qui apportent un amour courageux et l'espérance là où règnent le cynisme et le désespoir.
Certains se détournent de la foi à cause des manquements des chrétiens : scandales, hypocrisie, compromis. Certes, ces manquements ont nui à la crédibilité de l’Église. Mais cela ne remet pas en cause la vérité de son message. L’Église n’est pas sainte parce que ses fidèles ne pèchent jamais, mais parce qu’elle offre aux pécheurs un chemin vers la sainteté. Les manquements des chrétiens prouvent non pas que le Christ a failli, mais que nous avons failli à le suivre.
La sortie de crise commence par un authentique retour au Christ. La foi ne doit pas être un accessoire culturel, mais la source de la vie. Lorsque les chrétiens vivent leur foi avec sérieux – non par obligation, mais par amour – elle rayonne. L’âme du monde ne peut être guérie que lorsque nos propres âmes s’embrasent à nouveau de foi, d’espérance et d’amour.
Ceci nous amène au rôle de l’Église. Certaines communautés tentent encore d’enrayer le déclin en s’adaptant à leur époque : modernisation, simplification, perfectionnement jusqu’à ce que rien ne choque. D’autres font le contraire : nager à contre-courant, s’accrocher à la tradition et à l’orthodoxie même si elles semblent « dépassées ». Lequel fonctionne vraiment ?
Chesterton, converti au catholicisme, était catégorique : adapter l’Église à chaque mode est vain. « Nous ne voulons pas, comme le disent les journaux, une Église qui suit le monde. Nous voulons une Église qui fasse bouger le monde. » Autrement dit : une Église gagne en crédibilité non pas en se faisant l’écho du monde, mais en le corrigeant. Nous avons besoin d’une foi qui nous interpelle lorsque nous avons tort, et non d’une foi qui se contente de nous rassurer lorsque nous sommes déjà d’accord.
Et de fait, que constatons-nous ? Les Églises dites « libérales » – celles qui diluent ou relativisent la doctrine pour paraître pertinentes – sont en déclin. Leurs bancs se vident et vieillissent. Les sociologues résument la situation ainsi : « Les Églises libérales n’ont pas d’enfants. » Elles ne peuvent inspirer les nouvelles générations. Dès le début des années 2000, on constatait le déclin de ces communautés, fréquentées principalement par des personnes âgées. Les jeunes ne sont pas attirés par un christianisme tiède et sécularisé. Un humanisme réchauffé n’a aucun pouvoir d’inspiration.
Parallèlement, les Églises orthodoxes – celles qui proclament avec audace leurs convictions, ancrées dans la tradition – attirent les jeunes. Ce sont des Églises qui défendent des valeurs, et cela se remarque. Une Église qui ose être une oasis dans le désert, offrant l'eau vive aux assoiffés, attire les chercheurs de vérité. Ce n'est pas une illusion : des enquêtes récentes confirment que les jeunes générations, de façon surprenante, connaissent un modeste retour à la foi, et que les communautés orthodoxes en sont les principales bénéficiaires.
En bref : les Églises qui restent fidèles – que ce soit par une liturgie empreinte de recueillement, une doctrine claire ou un enseignement moral intransigeant – sont précisément celles qui suscitent un renouveau, surtout chez les jeunes. J'en rencontre beaucoup. Ils ne veulent pas être dorlotés, mais interpellés. Ils veulent savoir s'il existe des convictions et des valeurs auxquelles croire et qu'il faut mettre en pratique. Ils veulent connaître la vérité. Ils arrivent dans nos Églises de façon totalement inattendue. Ils sont peu nombreux, mais ils sont là. Et cela se produit partout (4 caractéristiques : 1. un environnement laïque ; 2. le désir de connaître la vérité ; 3. un très jeune âge ; 4. tous de jeunes hommes/garçons).
Paradoxalement, au milieu de ce déclin, des signes d'espoir apparaissent chez les jeunes. Dans certains endroits, la génération Z semble légèrement plus religieuse que les Milleniaux qui l'ont précédée. Aux Pays-Bas, par exemple, des enquêtes montrent que 30 % des jeunes adultes âgés de 15 à 35 ans se déclarent religieux. Cela peut paraître peu, mais ce chiffre semblait avoir considérablement diminué. De plus, les communautés chrétiennes orthodoxes – catholiques, orthodoxes et évangéliques – sont en pleine expansion.
Pourquoi ? Parce que les jeunes recherchent la profondeur et la clarté. Ils ont grandi dans une culture où « chacun a sa propre vérité », mais ils ont constaté que cela les laissait insatisfaits. Ils aspirent à une Vérité qui les dépasse, un fondement solide sur un sol instable. Ils ne veulent pas d'une foi superficielle, mais de la foi authentique. Et ils ont soif de communauté. Dans une culture atomisée et individualiste, une authentique communauté chrétienne rayonne comme une famille. C'est pourquoi les groupes de jeunes, les pèlerinages et les paroisses traditionnelles, fréquentées par de jeunes familles, sont en plein essor. Loin d'être rebutés par une foi exigeante, beaucoup y sont attirés. Ils aspirent au mystère, à la beauté et au défi – et non à une pâle copie de la culture profane.
Nous sommes partis du principe que la crise actuelle est, au fond, spirituelle. Et en effet, les réponses les plus profondes doivent l'être aussi. L'apôtre Paul nous le rappelle dans sa lettre aux Éphésiens : « Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans l'air. » Autrement dit, le combat le plus profond du chrétien n'est pas contre des êtres de chair et de sang, mais contre les puissances invisibles du mal. Il ne s'agit pas d'une superstition médiévale, mais d'une réalité concrète de la vie chrétienne. Nous vivons, comme l'a dit C.S. Lewis, en territoire ennemi, où les ténèbres rôdent encore malgré la victoire décisive remportée par le Christ sur la croix.
Pourtant, ce combat spirituel paraît étrange, voire irréel, à beaucoup. À notre époque moderne et éclairée, parler de diables et d'anges semble désuet. Le mal est expliqué par la psychologie ou la sociologie, sans intervention surnaturelle. Mais peut-être que ce scepticisme est précisément ce que Satan souhaite. Nous pouvons tomber dans deux pièges opposés concernant le diable : soit nous nions totalement son existence, soit nous développons une obsession malsaine à son sujet. Comme l'observait Lewis dans The Screwtape Letters (Tactique du diable), le diable se réjouit tout autant des deux extrêmes. Le chrétien sage reste vigilant sans hystérie : il reconnaît le mal avec lucidité, sans paranoïa.
Le prince des ténèbres n'est pas l'égal de Dieu. Il n'est pas un anti-dieu éternel, mais un ange déchu – une créature jadis bonne, désormais en révolte. Il est limité. Intelligent et dangereux comparé à nous, certes, mais fini et, en fin de compte, soumis à la puissance de Dieu. Il y a bien une guerre dans l'univers, mais non entre deux dieux égaux. C'est la rébellion d'une créature contre son Créateur. Cette perspective permet d'éviter à la fois la surestimation et la sous-estimation de l'ennemi.
Paul met en garde contre les « ruses du diable ». Ces ruses évoquent la tromperie et la subtilité. Le diable n'apparaît généralement pas avec des cornes et des collants rouges. Son but est de nous éloigner de Dieu, et il y parvient par le mensonge et les tentations déguisées en pensées et humeurs ordinaires.
Avez-vous remarqué avec quelle rapidité votre humeur peut basculer de la foi et de la joie au doute ou au découragement, parfois sans raison apparente ? Une force obscure peut être à l'œuvre, avide d'exploiter ces moments de faiblesse. Le diable connaît nos vulnérabilités. Il murmure : « Ta prière est vaine ; abandonne. » Il réveille de vieux remords pour nous démoraliser. Sa tactique ne consiste généralement pas à renier Dieu ouvertement, mais à éroder progressivement notre confiance en sa bonté.
Prenons l'exemple d'une dispute au sein de l'Église. En apparence, il s'agit d'un simple désaccord humain. Mais bientôt, l'orgueil ou le ressentiment s'insinuent. L'autre personne commence à ressembler à l'ennemi. Les paroles de Paul nous rappellent que cette personne n'est pas le véritable ennemi. Le véritable ennemi rit lorsque les chrétiens se déchirent.
Prenons par exemple les tentations modernes. Souvent, le diable n'a même pas besoin de nous effrayer ; il préfère nous endormir. Il nous noie sous un flot de divertissements, de distractions et de confort, jusqu'à ce que Dieu devienne insignifiant. Grâces soient rendues à Dieu, car il ne nous a pas laissés sans défense. Paul prescrit l'armure de Dieu (Eph 6,13-17). L'image est celle d'un soldat romain, mais les armes sont des vertus spirituelles, non de l'acier. Examinons-les :
• La ceinture de vérité : La ceinture d'un soldat maintenait tout en place. De même, la vérité nous empêche de sombrer dans la confusion. Dans un monde de relativisme et de mensonge, l'honnêteté et l'amour de la vérité sont notre première défense.
• La cuirasse de justice : La cuirasse protège le cœur. La justice désigne à la fois le don de la justification par le Christ et notre intégrité morale.
• Les chaussures de la disponibilité à proclamer l'Évangile de paix : Les chaussures donnent stabilité et mouvement. Notre disponibilité à vivre et à partager l'Évangile nous rend fermes sur nos appuis.
• Le bouclier de la foi : Par la foi, nous éteignons les « flèches enflammées du Malin ». La foi est la confiance dans les promesses de Dieu.
• Le casque du salut : Le casque protège l'esprit. Le salut est notre assurance d'appartenir au Christ et notre espérance de la vie éternelle.
• L'épée de l'Esprit, qui est la Parole de Dieu : La seule arme offensive. « Croyez-vous que je sois venu apporter la paix ? Non, la division. »
Paul ajoute ensuite ce qui donne vie à tous : la prière. La prière est le lien qui nous unit à notre Commandant. Elle nous maintient connectés à son commandement. Sans prière, même la meilleure armure nous laisse isolés.
Ayez le courage d'aller à contre-courant. N'ayez pas honte de l'orthodoxie ni des valeurs « traditionnelles ». Ce sont précisément elles qui donnent de la crédibilité.
Bâtissez des communautés de vrais catholiques. Une paroisse ou une famille où le Christ est véritablement roi est une réponse puissante à la crise du sens. Unissez les communautés.
Le combat n'est pas encore gagné. Mais il n'est pas perdu non plus. L'histoire montre que la Vérité, même étouffée ou oubliée, finit toujours par triompher. Et dans nos heures les plus sombres, la lumière du Christ peut briller de tout son éclat.
Le monde est plein de fous qui disent que les temps sont sombres. Mais moi, je dis : c'est précisément dans les ténèbres qu'une simple bougie – le petit reste – brille le plus fort.
Alors, levons haut la flamme de la foi. Non avec amertume, mais avec joie ; non avec résignation, mais avec espérance. Car le Christ seul est la réponse qui peut transformer la crise. Il est le même hier, aujourd'hui et éternellement.
Parfois, l'armure nous paraît lourde. Parfois, nous nous sentons las. Pourtant, le combat est celui du Seigneur. Notre rôle est de rester fidèles, de prier, de tenir bon. Souvenez-vous : le plus faible des saints, revêtu de l'armure de Dieu, est plus fort que l'enfer. Efforcez-vous de devenir un saint. Si ce n'est pas votre but dans la vie, vous l'aurez gâchée.
Merci de votre attention. Viva Christe Re !"