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Communauté Saint-Jean : un bien triste déballage

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De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro via Il Sismografo :

Les Frères de Saint-Jean publient un rapport accablant sur les abus sexuels de leur fondateur

DÉCRYPTAGE - Le Père Marie-Dominique Philippe, mort en odeur de sainteté mais aujourd'hui déchu, serait à l'origine d'une spiritualité légitimant des actes réprouvés par la morale catholique.Les Frères de Saint-Jean publient un rapport accablant sur les abus sexuels de leur fondateur --

Un « saint » déchu. Le Père Marie-Dominique Philippe, dominicain, fondateur en 1975 de la communauté des « Frères de Saint-Jean » était mort le 26 août 2006 en odeur de sainteté. Il avait 93 ans. Sa photo trônait dans toutes les pièces de la trentaine de prieurés qu'il avait fondés en France et dans le monde. Il fallait accueillir l'extraordinaire afflux de vocations masculines et féminines qu'il suscitait. Ce religieux à la voix frêle était vénéré. Le succès de son œuvre était cité en modèle. Il est désormais voué aux gémonies.

Officiellement désavoués une première fois en 2013 par les responsables de l'ordre pour ses abus sexuels avérés - ce que nient encore certains frères et sœurs qui ont fait scission - les méthodes cachées du Père Marie-Dominique Philippe, les effets de son enseignement sur une partie des religieux, les origines théologiques et psychologiques de ses déviances, les mesures prises pour en sortir, sont aujourd'hui publiquement révélés par sa congrégation dans un implacable rapport de 800 pages, intitulé «comprendre et guérir». Il a été élaboré par une commission mixte impliquant des experts et des Frères de Saint-Jean.

Appelés «petits-gris» pour la couleur de leur coule, leurs effectifs ont fondu de moitié depuis 2013 : il reste aujourd'hui 422 religieux. Quant à la branche féminine de l'ordre, elle compte 53 religieuses contemplatives et 175 Sœurs apostoliques. Certains prieurés ont été fermés.

En 2022, la référence au fondateur a été officiellement exclue des constitutions de cet ordre religieux. La «règle de vie» du fondateur a été bannie. L'ordre a également remanié ses modalités de gouvernance, ses critères de discernement pour les vocations et son programme de formation. Il est vrai que le Père Marie-Dominique Philippe cumula longtemps les fonctions de fondateur, de prieur général, de supérieur, d'unique professeur référant, de confesseur suprême…

C'est une commission d'écoutes des victimes mise sur pied en 2015 qui a conduit ses disciples religieux à prendre conscience de l'étendue des conséquences des comportements déviants transmis par le fondateur chez nombre de frères de Saint-Jean et chez quelques religieuses : même mode opératoire pour capter les victimes ; même justification de leurs abus.

Ce qui décida le lancement d'une «commission d'enquête» aboutissant aujourd'hui à ce rapport. La démarche d'introspection - certes contrôlée par la congrégation, ce que critiquent certains - est sans concession. Elle est inédite dans l'Église catholique à ce niveau de précision et de révélation.

24 victimes identifiées

Le rapport s'intéresse d'abord au fondateur : «il est clair que le Père Marie-Dominique Philippe a entretenu des relations d'ordre sexuel dans la durée avec plusieurs personnes en même temps. À la fin des années 80, il est établi qu'il menait en parallèle au moins quatre relations impliquant des pratiques sexuelles».

Le document précise : «les agressions du Père Marie-Dominique Philippe ont eu lieu pendant des entretiens privés, souvent dans le cadre de la confession ou de l'accompagnement spirituel». Ces entretiens pouvaient se dérouler «jusque tard dans la nuit».

L'étude conclut : «Au total, le nombre de femmes victimes identifiées s'élève à 24». Ce qui peut sembler «relativement peu» poursuit le texte «étant donné le nombre de femmes que le Père M.D Philippe a rencontrées en privé. On peut craindre que ce nombre soit largement inférieur à la réalité (…) nous savons que certaines victimes n'ont pas souhaité se manifester jusqu'à présent».

L'enquête confirme que le Père Marie-Dominique Philippe, jeune religieux dominicain, avait pourtant déjà été «condamné» le 6 février 1957, par le «Saint-Office» - l'ancêtre romain du Dicastère pour la Doctrine de la foi - pour des comportements similaires, avec interdiction de «pouvoir écouter des fidèles en confession, ni exercer une quelconque direction spirituelle» et «interdiction de séjourner dans des monastères». Et ce, pour une «durée indéterminée».

Mais le rapport constate : «le secret de la condamnation du Père Marie-Dominique Philippe fut très bien gardé». De fait, il continuait à enseigner et cette sanction fut levée deux ans plus tard. Mais «le père Philippe gardait un secret total sur le sujet, même vis-à-vis de ses proches».

Une vision déviante de la «chasteté»

Le document explique aussi, avant la fondation des Frères de Saint-Jean, la relation très particulière du Père Marie-Dominique Philippe avec «trois femmes» dont «Nicole B» et «Alix Parmentier». Cette dernière deviendra son assistante, et plus, «une intimité sexuelle» entre eux étant révélée. Elle sera aussi la supérieure d'une des branches féminines des religieuses de Saint-Jean. Elle est accusée dans le rapport d'avoir agressé sexuellement deux jeunes religieux et «probablement« davantage estime l'étude car «elle a noué des relations étroites avec d'autres frères qu'elle voyait souvent», »ne voyant pas de problèmes à avoir des relations charnelles avec plusieurs hommes«. La troisième femme est Michèle-France Pesneau dont l'histoire avec le Père Marie-Dominique Philippe et son frère aîné, le Père Thomas Philippe, également religieux, est déjà connue par son livre et un documentaire télévisé.

Ces deux frères de sang, assure le texte «étaient tous deux convaincus que leurs pratiques sexuelles n'étaient pas peccamineuses et relevaient plutôt de grâces d'exceptions.» Des convictions qui remontent à loin. Leur oncle, le Père Pierre-Thomas Dehau, fut «un mentor» au point que «le Saint Office a estimé que ce prêtre a joué un rôle majeur dans les dérives de ses deux neveux», Thomas et Marie-Dominique. Le Père Dehau «a reconnu en 1956, avoir eu des pratiques sexuelles avec des religieuses».

Cette vision déviante de la «chasteté» - pourtant un vœu religieux prononcé par ces deux dominicains comme tous les religieux - a ensuite touché une partie des Frères de Saint-Jean, la congrégation fondée par le Père Marie-Dominique Philippe. Ce dernier se montrait toujours très indulgent sur les «difficultés de chasteté» des jeunes postulants et même des prêtres qu'il allait ordonner en fin de formation. C'est l'autre aspect du volumineux rapport. «Le Père Marie-Dominique Philippe est au centre des abus commis dans la famille Saint-Jean (...) soit en tant qu'auteur d'abus, soit en tant qu'accompagnateur spirituel , confident, et il faut ajouter enseignant car des arguments sont tirés de ses cours».

Pour ce qui est de la communauté de Saint-Jean, l'appareil statistique du document reconnaît 209 cas d'abus sexuels, touchant 187 victimes, perpétrés par 79 auteurs, dont 6 religieuses. Ce qui donne, en proportion, que 8,26 % des frères, (72 sur 871) ont commis des abus sexuels. Si l'on s'en tient à la seule catégorie des prêtres, déjà comptés dans le total des «Frères», la proportion s'élève à 13,33 % des frères prêtres (52 sur 390 prêtres ont commis des abus sexuels).

Le pic des abus s'étend de 1995 à 2010 pour chuter quasiment totalement aujourd'hui. «Trois abus» ont été enregistrés entre 2012 et 2020 et « aucun abus n'est recensé en 2021 et 2022». Les trois quarts des victimes sont de sexe féminin. 15 % des victimes sont âgées de moins de 15 ans. Le rapport affirme que sur les 72 auteurs, 35 ont quitté la congrégation. Parmi eux, 6 ont été condamnés par la justice civile, 10 enquêtes sont encore en cours et 12 plaintes ont été classées sans suite.

Pour les 37 frères accusés et qui sont toujours dans la congrégation, 5 sont sous procédures, 2 ont été renvoyés du statut de prêtre, 10 ont été condamnés à des peines temporaires, allant de 3 à 10 ans, dont l'interdiction de confesser ou de célébrer la messe, ou d'approcher des jeunes. 18 enfin, ont reçu des sanctions disciplinaires du même acabit, mais sans procès pénal, 2 ont été officiellement réprimandés. Mais tout n'est pas réglé pour autant. Certains cas connus de frères sont encore en suspens et le rapport est discret à ce sujet.

À longueur de centaines de pages, le document procède sur la base de témoignages concordants recueillis chez les victimes. Il détaille un mode opératoire finalement identique chez le fondateur comme chez une minorité significative de ses religieux. Lors de confessions ou d'entretiens spirituels, le prêtre se trouve seul à seul avec la personne qui, à travers lui, est censée confesser ses péchés au Christ, et recevoir ensuite l'absolution. Mais l'homme de Dieu se trouve alors informé de confidences intimes du pénitent et peut devenir «subtilement» un agresseur.

Contrairement aux consignes pourtant strictes de l'Église en matière de distance entre le prêtre et le confesseur ou le guide spirituel, le religieux se rapproche, en donnant d'abord la main, puis une accolade, puis un baiser et des caresses sous le prétexte de consoler et encourager la pénitente ou le pénitent.

Échanges qui peuvent devenir, au fil des rencontres, de plus en plus appuyés et clairement sexuels, selon toute la gamme possible, avec une limite toutefois : «Le père Marie-Dominique Philippe prétend respecter la virginité de ces femmes, c'est-à-dire qu'il ne pratique pas la pénétration vaginale, réservée aux époux». Il en serait ainsi des frères tombés dans ce travers : «La seule limite, assure le document, perçue par les auteurs d'abus de la congrégation Saint-Jean était la pénétration, considérée comme un acte strictement conjugal qu'il leur fallait par conséquent éviter». Certains franchiront toutefois le pas.

Après les faits, l'autre scandale mis à jour par le rapport est la «justification» qui était apportée à ces pratiques par le fondateur et par ses suiveurs dont il a couvert certains. Il serait même allé jusqu'à «bénir» symboliquement, affirme l'étude, la relation établie entre un religieux et une religieuse dès lors que leur «intention était bonne».

Il aurait d'ailleurs, selon le rapport, toujours demandé à ses victimes de ne confesser «qu'à lui» leur problème de chasteté. Il aurait aussi «légitimé le mensonge» avec une «consigne du secret» sur ces questions. Il aurait même «encouragé des victimes à faire confiance à l'auteur des abus», en leur affirmant que c'était une «grande grâce».

Cette justification est la grande faille théologique du Père Marie-Dominique Philippe. Elle fait l'objet d'une étude spécifique, véritable réquisitoire dans le rapport : C'est la «grande règle de l'amour d'amitié» qui «pouvait autoriser ces gestes», l'amitié flirtant avec l'amour, ou devenant amour, dans une «conception du péché contraire à la morale de l'Église» avec une «confusion fondamentale entre amitié et conjugalité».

Ce qui pouvait aussi conduire à une «soumission totale» de la victime finalement consentante sous un autre motif fallacieux, celui de l'abandon total à Dieu... La plénitude et l'extase amoureuses pouvant être alors certifiées comme une sorte expérience divine. Construction toutefois illusoire dans l'ordre d'une congrégation religieuse qui a fait des ravages et a conduit à des dépressions, visant «à rapprocher ce genre de relations sexuelles, aux relations spirituelles entre Dieu et sa créature». Soit un «pseudo-mysticisme censé légitimer des gestes non chastes».

Cette théologie faussée a longtemps aveuglé les frères et sœurs de Saint-Jean tant l'aura du Père Marie-Dominique était puissante. Elle est devenue un système pervers que dénonce aujourd'hui publiquement ce rapport accablant publié sous la responsabilité de la communauté. Si certains frères, reconnaît le rapport, «se servaient de l'autorité du Père Marie-Dominique Philippe, comme justification» pour leur «emprise», il ne faudrait pas, précisent les auteurs «déduire que tous les frères et sœurs aient vécu de tels liens affectifs (…). La plupart semblent en avoir été préservés».
 

Commentaires

  • 1975, année de la fondation de la communauté des Frères de Saint Jean, se situe dans cette période de flou doctrinal et spirituel qui donnait à toute personne un tant soit peu charismatique l'occasion de fonder un groupe, une communauté, une chapelle où se retrouvaient des fidèles perdus en raison qu'ils ne trouvaient plus, dans les paroisses et auprès du clergé diocésain, une spiritualité à laquelle ils aspiraient. Ce qui s'est passé chez les Frères de Saint Jean pouvait aussi se passer dans les séminaires diocésains où ne restaient alors, comme l'a clairement souligné Mgr Gaidon, que des "esprits faibles". Ainsi s'est constituée une pseudo-Église post-conciliaire qui, aujourd'hui, achève de faire le vide autour d'elle.

  • Ayant connu MD Philippe dans les années 80 , je me demande comment cet homme déjà âgé (né en 1912) pouvait avoir des rapports sexuels. Il était d'une constitution plutôt maladive avec sa voix éraillée, sa vision défectueuse. Il était à l'époque septuagénaire .Il est vrai que la sexualité peut persister avec l'âge....

    De plus, il y avait une floraison d'ouvrages de ce dominicain et on avait l'impression qu'on ne lisait que du MDP, ce qui m'avait laissé perplexe. Cette étroitesse de lectures m'avaient mis la puce à l'oreille.
    Beaucoup de frères avait mené des vies de patachons avant d'entrer chez les FSJ.
    Le clergé local du Diocése de Lyon était très critique envers ces religieux qui n'étaient pas très estimés. Avaient-ils déjà eu vent de ce qui se passait à St Jodard et à Rimont ?

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