Cristina Cabrejas (EFE): Hier, vous avez envoyé un message au peuple chinois et demandé aux catholiques d'être de bons citoyens après que les autorités du pays ont refusé la venue d'évêques en Mongolie. Quelles sont les relations avec la Chine à l'heure actuelle? Des nouvelles du voyage du cardinal Zuppi à Pékin et de la mission en Ukraine?
La mission du cardinal Zuppi est une mission de paix que je lui ai confiée. Le cardinal Zuppi est un homme de grand dialogue et de vision universelle, il a dans son histoire l'expérience du travail accompli au Mozambique dans la recherche de la paix et c'est pour cela que je l'ai envoyé. Les relations avec la Chine sont très respectueuses, très respectueuses. Personnellement, j'ai une grande admiration pour le peuple chinois, les canaux sont très ouverts. Pour la nomination des évêques, il y a une commission qui travaille depuis un certain temps avec le gouvernement chinois et le Vatican, puis il y a beaucoup ou plutôt il y a quelques prêtres catholiques ou intellectuels catholiques qui sont souvent invités dans les universités chinoises pour donner des cours. Je crois que nous devons progresser sur le plan religieux pour mieux nous comprendre et pour que les citoyens chinois ne pensent pas que l'Ãglise n'accepte pas leur culture et leurs valeurs et qu'elle dépend d'une autre puissance étrangère. La commission présidée par le cardinal Parolin s'acquitte bien de cette tâche amicale: elle fait du bon travail et, du côté chinois également, les relations sont en bonne voie. J'ai beaucoup de respect pour le peuple chinois.
Gerard O'Connell (America Magazine): Sainteté, les relations entre le Vietnam et le Saint-Siège sont très positives en ce moment, elles ont fait un grand pas en avant récemment. De nombreux catholiques vietnamiens vous demandent de leur rendre visite, comme vous l'avez fait en Mongolie. Est-il possible que vous vous rendiez au Vietnam, le gouvernement vous a-t-il invité à le faire? Et quels autres voyages prévoyez-vous?
Le Vietnam est l'une des plus belles expériences de dialogue que l'Ãglise ait connues ces derniers temps. Je dirais que c'est comme une sympathie dans le dialogue. Les deux parties ont eu la bonne volonté de se comprendre et de chercher des moyens d'avancer. Il y a eu des problèmes, mais au Vietnam, je crois que tôt ou tard, les problèmes seront surmontés. Il y a peu, nous nous sommes entretenus librement avec le président du Vietnam. Je suis très optimiste quant aux relations avec le Vietnam, un bon travail est en cours depuis des années. Je me souviens qu'il y a quatre ans, un groupe de parlementaires vietnamiens est venu nous rendre visite: nous avons eu un dialogue agréable avec eux, très respectueux. Lorsqu'une culture est ouverte, le dialogue est possible; s'il y a fermeture ou suspicion, le dialogue est très difficile. Avec le Vietnam, le dialogue est ouvert, avec ses avantages et ses inconvénients, mais il est ouvert et nous avançons lentement. Il y a eu quelques problèmes, mais ils ont été résolus. En ce qui concerne le voyage au Vietnam, si je n'y vais pas, Jean XXIV y ira certainement. Il est certain qu'il ira, parce que c'est un pays qui mérite d'y aller, qui a ma sympathie. Pour les autres voyages, il y a Marseille et puis il y a un projet dans un petit pays d'Europe et nous sommes en train de voir si nous pouvons le faire mais, à vrai dire, pour moi maintenant faire un voyage n'est pas aussi facile qu'au début, je suis limité dans la marche et cela me limite, mais nous verrons.
Fausto Gasparroni (ANSA): Sainteté, vos déclarations aux jeunes catholiques russes concernant la grande Mère Russie, l'héritage de personnages tels que Pierre le Grand et Catherine II, ont récemment suscité un débat. Ce sont des déclarations qui - disons-le - ont fortement irrité les Ukrainiens, elles ont également eu des conséquences dans la sphère diplomatique et ont été quelque peu perçues comme une exaltation de l'impérialisme russe et une sorte d'approbation des politiques de Poutine. Je voulais vous demander pourquoi vous avez ressenti le besoin de faire ces déclarations, si vous avez envisagé de les faire, si vous les répéteriez; et aussi, par souci de clarté, si vous pouvez nous dire ce que vous pensez des impérialismes et en particulier de l'impérialisme russe?
Rappelons le contexte de ces paroles: un dialogue avec les jeunes Russes. Et à la fin de ce dialogue, je leur ai donné un message, un message que je répète toujours: prendre en charge leur héritage. Premier point: prenez en charge votre héritage. Je répète la même chose partout. C'est aussi avec cette vision que j'essaie de faire dialoguer les grands-parents et les petits-enfants: laissez les petits-enfants prendre en charge l'héritage. C'est ce que je dis partout et c'est le message que j'ai fait passer. Le deuxième point consiste à rendre l'héritage explicite: j'ai parlé en fait de l'idée de la grande Russie, parce que l'héritage russe est très bon, il est très beau. Pensez à la littérature, à la musique, jusqu'à un Dostoïevski qui nous parle aujourd'hui d'humanisme mûr; cet héritage a assumé cet humanisme, qui s'est développé, dans l'art et la littérature. Ce serait un deuxième point, quand je parlais de l'héritage, n'est-ce pas ? Le troisième, peut-être pas très heureux, mais en parlant de la grande Russie dans le sens non pas tant de la géographie que de la culture, je me suis souvenu de ce qu'on nous avait appris à l'école: Pierre Ier, Catherine II. Et il y a eu ce troisième (point, ndlr), qui n'est peut-être pas tout à fait juste. Je ne sais pas. Laissons les historiens nous le dire. Mais c'est un ajout qui m'est venu à l'esprit parce que je l'avais étudié à l'école. Ce que j'ai dit aux jeunes Russes, c'est de prendre en charge leur héritage, de prendre leur héritage, c'est-à -dire de ne pas l'acheter ailleurs. Assumer son propre héritage. Et quel héritage la grande Russie a donné: la culture russe est d'une grande beauté, d'une très grande profondeur; et elle ne devrait pas être effacée à cause de problèmes politiques. Il y a eu des années sombres en Russie, mais l'héritage est toujours resté ainsi, en main. Vous parlez ensuite d'impérialisme. Je ne pensais pas à l'impérialisme en disant cela, je parlais de la culture, et la transmission de la culture n'est jamais impériale, jamais; c'est toujours un dialogue, et je parlais de cela. C'est vrai qu'il y a des impérialismes qui veulent imposer leur idéologie. Je m'arrête là : quand la culture est distillée et transformée en idéologie, c'est le poison. La culture est utilisée, mais distillée en idéologie. Il faut faire la distinction entre la culture d'un peuple et les idéologies qui naissent ensuite chez un philosophe ou un politicien de ce peuple. Et je dis cela pour tout le monde, même pour l'Ãglise. Souvent, des idéologies sont introduites dans l'Ãglise, qui la détachent de la vie qui vient de la racine et qui va vers le haut; elles détachent l'Ãglise de l'influence de l'Esprit Saint. Une idéologie est incapable de s'incarner, elle n'est qu'une idée. Mais l'idéologie prend sa place et devient politique, elle devient généralement dictature, n'est-ce pas, non? Elle devient une incapacité à dialoguer, à s'entendre avec les cultures. Et c'est ce que font les impérialismes. L'impérialisme se consolide toujours sur la base d'une idéologie. Dans l'Ãglise aussi, nous devons faire la distinction entre doctrine et idéologie: la vraie doctrine n'est jamais idéologique, jamais; elle est enracinée dans le peuple saint et fidèle de Dieu; au contraire, l'idéologie est détachée de la réalité, détachée du peuple... Je ne sais pas si j'ai répondu.
Robert Messner (DPA): Bonjour. Jâai une question concernant votre mise à jour de Laudato si'. Peut-on la comprendre comme une manifestation de solidarité à l'égard des militants écologistes membres de groupes tels que "dernière génération", ceux qui organisent des protestations spectaculaires ? Peut-être y a-t-il aussi un message dans cette mise à jour pour les jeunes activistes qui descendent dans la rue ?
De manière générale, je ne suis pas favorable à ces extrémistes. Mais les jeunes sont inquiets. Un scientifique italien reconnu - nous avons tenu une réunion à l'Académie - a fait un beau discours qui sâachevait ainsi: «Je ne voudrais pas que ma petite-fille, qui est née hier, vive dans un monde aussi laid dans trente ans». Les jeunes pensent à l'avenir. Et en ce sens, j'apprécie qu'ils se battent bien. Mais quand l'idéologie ou la pression politique s'en mêle, ça ne va pas. Mon exhortation apostolique sera publiée le jour de la Saint-François, le 4 octobre, et fera le point sur ce qui s'est passé depuis la COP de Paris, qui a peut-être été la plus fructueuse des COP à ce jour. Il y a des nouvelles concernant certaines COP et certaines questions qui n'ont pas encore été résolues et il est urgent de les résoudre. Ce n'est pas aussi important que Laudato si', mais il fait avancer Laudato si' vers de nouvelles choses et propose une analyse de la situation.
Etienne Loraillere (KTO Tv): Vous souhaitez une Ãglise synodale, en Mongolie et dans le monde. L'assemblée d'octobre est déjà le fruit du travail du peuple de Dieu. Comment sera-t-il possible d'impliquer les baptisés du monde entier dans cette étape ? Comment éviter la polarisation idéologique ? Et les participants pourront-ils parler et partager publiquement ce qu'ils vivent, afin que nous puissions marcher avec eux ? Ou bien tout le processus sera-t-il secret ?
Vous avez parlé d'éviter les pressions idéologiques. Dans le Synode, il n'y a pas de place pour l'idéologie, c'est une autre dynamique. Le Synode est un dialogue, entre les baptisés, entre les membres de l'Ãglise, sur la vie de l'Ãglise, sur le dialogue avec le monde, sur les problèmes qui affectent l'humanité aujourd'hui. Mais quand on pense (à prendre) un chemin idéologique, le Synode s'arrête. Dans le Synode, il n'y a pas de place pour l'idéologie, il y a de la place pour le dialogue. Se confronter, entre frères et sÅurs, et confronter la doctrine de l'Ãglise. Aller de l'avant. Je tiens ensuite à souligner que la synodalité n'est pas une invention de ma part. C'est une invention de saint Paul VI. à la fin du Concile Vatican II, il s'est rendu compte qu'en Occident, l'Ãglise avait perdu la dimension synodale, alors que l'Ãglise orientale l'a conservée. C'est pourquoi il a créé le Secrétariat du Synode des évêques, qui, au cours de ces soixante années, a poursuivi la réflexion de manière synodale, en progressant continuellement, en allant de l'avant. Lors du cinquantième anniversaire de cette décision de saint Paul VI, j'ai signé et publié un document sur ce qu'est le Synode, sur ce qu'il est devenu. Et maintenant, il a progressé, il a mûri davantage, et c'est pourquoi j'ai pensé qu'il était très bon d'avoir un Synode sur la synodalité, qui n'est pas une mode, c'est une vieille chose, l'Ãglise orientale l'a toujours eue. Mais comment vivre la synodalité ? Il faut la vivre en tant que chrétien. Et, comme je l'ai déjà dit, sans tomber dans l'idéologie. Comment se déroulera l'assemblée ? Il y a une chose que nous devons préserver, c'est l'atmosphère synodale. Il ne s'agit pas d'une émission de télévision où l'on parle de tout. Non. Il y a un moment religieux, un moment d'échange religieux. Pensez que dans les introductions au synode, il y aura trois à quatre minutes chacun, trois (discours, ndlr) et ensuite il y aura trois à quatre minutes de silence pour la prière. Puis trois autres, et la prière. Sans cet esprit de prière, il n'y a pas de synodalité. Ce serait de la politique, du parlementarisme. Le Synode n'est pas un parlement. En ce qui concerne le secret, il y a un département dirigé par Paolo Ruffini (ndlr: Paolo Ruffini est préfet du dicastère pour la Communication), qui est ici et qui fera les communiqués de presse sur les progrès du Synode. Dans un Synode, il faut veiller à la religiosité et à la liberté des personnes qui s'expriment. C'est pourquoi il y aura une commission, présidée par le Paolo Ruffini, qui fera le rapport sur les progrès du Synode.
Antonio PELAYO (Vida Nueva): Saint-Père, vous venez de parler du Synode et nous sommes tous d'accord avec vous pour dire que ce Synode suscite beaucoup de curiosité et d'intérêt. Malheureusement, il suscite également beaucoup de critiques provenant des milieux catholiques. Je voudrais faire référence à un livre dont le prologue est signé par le cardinal Burke, qui affirme que le Synode est la boîte de Pandore d'où sortiront toutes les calamités pour l'Ãglise. Que pensez-vous de cette position ? Pensez-vous qu'elle sera dépassée par la réalité ou qu'elle conditionnera le Synode ?
Je ne sais pas si je l'ai déjà dit une fois. Il y a quelques mois, j'ai appelé une carmélite. Je lui ai demandé «comment vont les nonnes, Mère Supérieure ?» - il s'agit d'un carmel non italien. La prieure m'a répondu, pour finalement me dire: «Votre Sainteté, nous avons peur du Synode». «Mais que se passe-t-il ? - lui dis-je en plaisantant, voulez-vous envoyer une religieuse au synode?». «Non, mâa-t-elle dit, nous avons peur qu'il change notre doctrine». C'est ce que vous dites: il y a cette idée... Mais si vous allez à la racine de ces idées, vous trouverez des idéologies. Toujours, quand dans l'Ãglise on veut se détacher du chemin de la communion, ce qui se détache toujours, c'est l'idéologie. Et on accuse l'Ãglise de ceci ou de cela, mais on ne l'accuse jamais de ce qui est vrai: elle est pécheresse. Jamais ils ne disent péché... Ils défendent une «doctrine», qui est comme l'eau distillée, qui n'a de goût pour rien et qui n'est pas la vraie doctrine catholique qui est dans le Credo. Et cela scandalise si souvent, comme scandalise l'idée que Dieu s'est fait chair, que Dieu s'est fait homme, que la Vierge a conservé sa virginité. Cela scandalise.
Cindy WOODEN (CNS): Bonjour Votre Sainteté, je voudrais répondre à la question de mon collègue français sur le Synode et l'information. Tant de fidèles laïcs ont consacré tant de temps, de prières, d'implication dans la prise de parole, d'écoute. Ils veulent savoir ce qui se passe pendant le synode, l'assemblée. Vous avez parlé de votre expérience du Synode sur les religions, au cours duquel certains membres du Synode ont dit «ne mettez pas ceci», «vous ne pouvez pas dire ceci...». Nous, journalistes, n'avons même pas accès à l'assemblée et aux sessions générales, comment pouvons-nous être sûrs que ce que l'on nous donne comme information est vrai ? N'y a-t-il pas moyen d'être un peu plus ouvert avec les journalistes ?
Mais câest très ouvert, ma chère, très ouvert ! Il y a une commission présidée par Paolo Ruffini qui donnera des nouvelles tous les jours⦠mais plus ouvert que cela je ne sais pas, non je ne sais pas... et il convient que cette commission soit très respectueuse des interventions de chacun et qu'elle essaie de ne pas faire de bavardage, mais de dire des choses sur le processus synodal qui sont constructives pour l'Ãglise. Si vous voulez -ou si quelqu'un veut- que la nouvelle soit: celui-ci s'en est pris à celui-là pour ceci ou cela, c'est du bavardage politique. La commission a la tâche difficile de dire: aujourd'hui, la réflexion va dans telle ou telle direction, et de transmettre l'esprit ecclésial, et non l'esprit politique. Un parlement est différent d'un synode. N'oubliez pas que le protagoniste du synode est l'Esprit Saint. Et comment le transmettre ? C'est pourquoi la tendance ecclésiale doit être transmise.
Vincenzo Romeo (RAI TG 2): Bonjour Votre Sainteté. Vous êtes le Pape des périphéries et les périphéries, surtout en Italie, souffrent beaucoup. Nous avons eu des épisodes de violence, de dégradation... par exemple, près de Naples, où un curé, Don Patriciello vous a même invité à vous rendre, ensuite à Palerme... Que peut-on faire ? Vous vous êtes rendu dans les villas miserias à Buenos Aires, vous avez donc de l'expérience en la matière. Notre Premier ministre a également visité l'une de ces banlieues. Que peut-on faire, que peuvent faire l'Ãglise et les institutions de l'Ãtat pour surmonter cette dégradation et faire en sorte que les périphéries fassent véritablement partie d'un pays ?
Tu parles là des périphéries comme des bidonvilles. Il faut y aller, s'y rendre et y travailler, comme cela a été fait à Buenos Aires avec les prêtres qui y travaillaient: une équipe de prÃ
De Sandro Magister, en traduction sur diakonos.be :
La synodalité part en fumée. Exercices de monarchie pontificale sur les États-Unis et sur la Chine
Nous sommes très loin d’une Église synodale. Après avoir fait l’éloge de la « synodalité » qui aurait été le principal fruit du synode des évêques d’octobre dernier et après avoir promisdepuis 2013 plus d’autonomie et de pouvoir aux conférences épiscopales, y compris une « certaine autorité doctrinale authentique », le Pape François vient de décapiter l’ordre du jour de l’assemblée plénière de l’une des plus grandes conférences épiscopales du monde, celle des États-Unis, qui est réunie à Baltimore depuis le lundi 12 novembre.
Dans la même foulée, en Chine, il vient d’abandonner à leur sort les évêques qui n’entrent pas dans l’accord secret signé fin septembre entre le Saint-Siège et les autorités de Pékin, c’est-à-dire la trentaine d’évêques dits « souterrains » ou clandestins qui résistent courageusement à l’oppression de l’Église par le régime. Au Vatican, on nie que ce soit l’intention du Pape. Mais n’en reste pas moins que les évêques chinois clandestins se sentent abandonnés par le Pape, comme en témoigne le cardinal Zen Ze-Kiun dans une lettre-appel à cœur ouvert qu’il a remise personnellement entre les mains de François un matin au début de ce mois de novembre.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.
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En effet, le Pape François a agi en monarque absolu envers les évêques des États-Unis. Samedi 10 novembre il a reçu en audience à Rome le Préfet de la Congrégation pour les évêques, le cardinal Marc Ouellet, ainsi que le nonce aux États-Unis, Christophe Pierre, et il a chargé le premier de transmettre au cardinal Daniel N. DiNardo, le président des évêques américains, l’interdiction de voter sur deux points cruciaux de l’ordre du jour de l’assemblée concernant le scandale des abus sexuels : un « code de conduite » extrêmement sévère pour les évêques et la création d’un organisme composé de laïcs pour enquêter sur les évêques incriminés.
En annonçant, la double interdiction du Pape, le cardinal DiNardo, assez mal à l’aise, a expliqué que François exigeait que les évêques américains n’aillent pas au-delà de ce que le droit canon prévoit déjà en la matière et surtout qu’ils n’anticipent pas les décisions qui seront prises à Rome lors de la réunion des présidents des conférences épiscopales du monde entier convoquée par le Pape du 21 au 24 février prochain.
Le « diktat » de François a suscité des réactions très négatives aux États-Unis, y compris chez ceux qui ont cherché d’en comprendre les raisons.
Dans le cas des évêques chinois, ce qui est le plus frappant en revanche, c’est l’impressionnant silence qui accompagne leur chemin de croix, de la part des plus hauts responsables de l’Eglise. Un silence non seulement public, comme la prudence pourrait l’expliquer, mais surtout dépourvu de tout geste de proximité ou de soutien qui pourrait s’exprimer de manière réservée. Tout cela dans le silence non moins assourdissant de nombreux médias catholiques, en particulier de ceux qui sont les plus proches du Pape François.
C’est ce que dénonce le P. Bernardo Cervellera, de l’Institut Pontifical des Missions Étrangères qui dirige l’agence « Asia News », dans l’éditorial que nous reproduisons ci-dessous qui s’offusque de l’énième arrestation ces derniers jours de l’un des évêques qui a été le plus héroïque dans son refus de se soumettre au régime communiste chinois.
Le cardinal Carlo Caffarra, RIP (source : Le Salon Beige)
L'archevêque émérite de Bologne, âgé de 79 ans, est décédé ce matin, des suites d'une longue maladie. Il avait dirigé l'archidiocèse de l'Émilie-Romagne pendant 12 ans, de 2003 à 2015.
Ordonné prêtre en 1961, il obtient un doctorat en droit canonique à l’université pontificale Grégorienne et un diplôme de spécialisation en théologie morale auprès de l’Académie pontificale alphonsienne. Il part enseigner la théologie morale dans les séminaires de Parme et de Fidenza, puis à la faculté théologique de l'Italie septentrionale à Milan. En 1974, il est nommé par le Pape Paul VI membre de la Commission théologique internationale.
Dans les années 1970, le cardinal Caffarra approfondit les thèmes du mariage, de la famille et de la procréation et enseigne l’éthique médicale à la Faculté de médecine et de chirurgie de l'université catholique du Sacré-Cœur à Rome. En 1980, le Pape Jean-Paul II le nomme expert au Synode des évêques sur le Mariage et la Famille puis le charge l’année suivante de fonder et de présider l’Institut pontifical Jean Paul II sur le mariage et la famille.
Le cardinal Carlo Caffarra fait partie des quatre signataires des « Dubia » adressés au pape à propos de l'exhortation Amoris laetitia. Après le décès du cardinal Meisner il y a quelques mois, il ne reste plus que le cardinal Burke et le cardinal Brandmüller.
Nommé cardinal par le pape Benoît XVI en 2006, le cardinal Caffarra était un très proche de Saint Jean-Paul II.
Le cardinal Caffarra ne sera pas mort sans avoir eu le temps de confirmer, de vive voix, la teneur de la lettre que lui avait envoyée sœur Lucie de Fatima sur la dernière bataille de Satan qui serait livrée autour de la famille et du mariage.
En juin 2015, le cardinal Carlo Caffarra déclarait au journal italien Il Tempo à la veille de la marche pour la famille à Rome :
"L’Europe est en train de mourir. Et peut-être même n’a-t-elle aucune envie de vivre, car il n’y a pas de civilisation qui ait survécu à la glorification de l’homosexualité. Je ne dis pas : à l’exercice de l’homosexualité. Je parle de la glorification de l’homosexualité. Et je fais une incise : on pourrait observer qu’aucune civilisation n’est allée jusqu’à proclamer le mariage entre personnes de même sexe. En revanche, il faut rappeler que la glorification est quelque chose de plus que le mariage. Dans divers peuples l’homosexualité était un acte sacré. De fait, l’adjectif utilisé dans le Lévitique pour juger la glorification de l’homosexualité à travers le rite sacré est celui d’« abominable ». Elle avait un caractère sacré dans les temples et dans les rites païens.
C’est si vrai que les deux seules réalités civiles, appelons-les ainsi, les deux seuls peuples qui ont résisté pendant de nombreux millénaires – en ce moment je pense surtout au peuple juif – ont été ces deux peuples qui ont été les deux seuls à contester l’homosexualité : le peuple juif et le christianisme. Où sont les Assyriens ? Où sont les Babyloniens ? Et le peuple juif était une tribu, il paraissait n’être rien par rapport aux autres réalités politico-religieuses. Mais la réglementation de l’exercice de la sexualité que nous rencontrons, par exemple, dans le livre du Lévitique, est devenu un facteur de civilisation extrêmement important. Voilà ma première pensée : c’est la fin.
Ma deuxième réflexion est purement de foi. Devant de tels faits je me demande toujours : mais comment est-il possible que dans l’esprit de l’homme puissent s’obscurcir des évidences aussi originelles, comment est-ce possible ? Et je suis arrivé à cette réponse : tout cela est une œuvre diabolique. Littéralement. C’est le dernier défi que le diable lance au Dieu créateur, en lui disant : « Je vais te montrer comment je construis une création alternative à la tienne et tu verras que les hommes diront : on est mieux ainsi. Toi, tu leur promets la liberté, je leur propose d’être arbitres. Toi, tu leur donnes l’amour, moi je leur offre des émotions. Tu veux la justice, et moi, l’égalité parfaite qui annule toute différence.
J’ouvre une parenthèse. Pour quoi dis-je : « création alternative » ? Parce que si nous retournons, comme Jésus nous le demande, au Principe, au dessein originel, à la manière dont Dieu a pensé la création, nous voyons que ce grand édifice qu’est la création est érigée sur deux colonnes : la relation homme-femme (le couple) et le travail humain. Nous parlons maintenant de la première colonne, mais la deuxième aussi est en train de se détruire… Nous sommes, par conséquent, face à l’intention diabolique de construire une création alternative, qui défie Dieu dans l’intention de voir l’homme finir par penser qu’on se trouve mieux dans cette création alternative ? [...]"
L’archevêque de Bologne Matteo Zuppi présidera les obsèques du cardinal Caffarra le samedi 9 septembre en la cathédrale de Bologne, où il sera enterré dans la crypte.
Ce 6 septembre au matin, le cardinal Carlo Caffarra, archevêque émérite de Bologne et théologien moral de premier plan, particulièrement sur les questions de famille et de vie, nous a quittés à l’improviste.
Après la disparition, brutale elle aussi, du cardinal Joachim Meisner le 5 juillet dernier, les quatre cardinaux signataires des « dubia » soumis au pape François il y a un an sur des points controversés d’Amoris laetitia ont été réduits de moitié. Les deux à être encore en vie sont l’allemand Walter Brandmüller et l’américain Raymond L. Burke.
C’est le cardinal Caffarra qui était le moteur du groupe. C’est sa signature qui figurait au bas de la lettre de demande d’audience pour lui et les trois autres envoyée au pape François au printemps dernier. Cette fois encore, comme ce fut déjà le cas pour les dubia, cette demande était restée lettre morte.
Peu avant l’envoi de cette lettre, le cardinal Caffarra avait eu la chance de croiser le pape François lors d’un de ses déplacement, à Carpi, près de Bologne, le 2 avril dernier. Pendant le repas, il était assis à côté de lui mais le pape avait préféré converser avec un vieux prêtre et avec les séminaristes assis à la même table.
Voici le texte intégral de la lettre en question, la dernière que le cardinal Caffarra ait adressée au Pape et qui avait déjà été publiée en exclusivité le 20 juin dernier par Settimo Cielo, avec l’autorisation de l’auteur.
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« NOTRE CONSCIENCE NOUS POUSSE… »
Très Saint Père,
C’est avec une certaine appréhension que je m’adresse à Votre Sainteté durant ces jours du temps pascal. Je le fais au nom de leurs éminences les cardinaux Walter Brandmüller, Raymond L. Burke, Joachim Meisner ainsi qu’en mon nom personnel.
Nous souhaitons avant tout réaffirmer notre dévouement et notre amour inconditionnel à la Chaire de Pierre et pour Votre auguste personne, en laquelle nous reconnaissons le Successeur de Pierre et le Vicaire de Jésus : le « doux Christ de la terre » comme aimait à le dire Sainte Catherine de Sienne. Nous ne partageons en rien la position de ceux qui considèrent que le Siège de Pierre est vacant ni celle de ceux qui voudraient également attribuer à d’autres l’indivisible responsabilité du « munus » pétrinien. Nous ne sommes animés que par la conscience de la grave responsabilité issue du « munus » cardinalice : être des conseillers du Successeur de Pierre dans son ministère souverain. Ainsi que par le Sacrement de l’Episcopat qui « nous a établis comme évêques pour être les pasteurs de l’Église de Dieu, qu’il s’est acquise par son propre sang. » (Actes 20, 28).
Le 19 septembre 2016, nous avons remis à Votre Sainteté et à la Congrégation pour la doctrine de la foi cinq « dubia » en Lui demandant de trancher des incertitudes et de faire la clarté sur certains points de l’exhortation apostolique post-synodale « Amoris laetitia ».
N’ayant reçu aucune réponse de Votre Sainteté, nous avons pris la décision de demander respectueusement et humblement audience à Votre Sainteté, ensemble, s’il plaît à Votre Sainteté. Nous joignons, comme c’est l’usage, une feuille d’audience dans laquelle nous exposons les deux points desquels nous souhaiterions nous entretenir avec Votre Sainteté.
Très Saint Père,
Une année s’est déjà écoulée depuis la publication d’ « Amoris laetitia ». Pendant cette période, plusieurs interprétations de certains passages objectivement ambigus de l’exhortation post-synodale ont été données publiquement, non pas divergentes mais contraires au Magistère de l’Eglise. Malgré que le Préfet de la Doctrine de la foi ait à plusieurs reprises déclaré que la doctrine de l’Eglise n’a pas changé, plusieurs déclarations d’évêques individuels, de cardinaux et même de conférences épiscopales ont eu lieu et elles approuvent ce que le magistère de l’Eglise n’a jamais approuvé. Non seulement l’accès à la Sainte Eucharistie de ceux qui vivent objectivement et publiquement dans une situation de péché grave et entendent y demeurer mais également une conception de la conscience morale contraire à la Tradition de l’Eglise. Et c’est ainsi – oh comme il est douloureux de le constater ! – que ce qui est péché en Pologne est bon en Allemagne, ce qui est interdit dans l’Archidiocèse de Philadelphie est licite à Malte. Et ainsi de suite. L’amère constat de Blaise Pascal nous vient à l’esprit : « Justice au-deçà des Pyrénées, injustice au-delà ; justice sur la rive gauche du fleuve, injustice sur la rive droite ».
De nombreux laïcs compétents, aimant profondément l’Eglise et fermement loyaux envers le Siège Apostolique se sont adressés à leurs Pasteurs et à Votre Sainteté afin d’être confirmés dans la Sainte Doctrine concernant les trois sacrements du Mariage, de la Réconciliation et de l’Eucharistie. Et justement ces derniers jours à Rome, six laïcs provenant de chaque continent ont organisé un Colloque d’études qui a été très fréquenté, intitulé significativement: « Faire la clarté ».
Face à cette situation grave dans laquelle de nombreuses communautés chrétiennes sont en train de se diviser, nous sentons le poids de notre responsabilité et notre conscience nous pousse à demander humblement et respectueusement audience.
Que Votre Sainteté daigne se souvenir de nous dans Ses prières, comme nous l’assurons que nous le ferons dans les nôtres. Et nous demandons à Votre Sainteté le don de sa bénédiction apostolique.
Carlo Card. Caffarra
Rome, le 25 avril 2017
Fête de Saint Marc évangéliste
De l'Abbé Claude Barthe sur Res Novae :
Pour une liberté catholique… dans l’Église catholique
1/4/2022
Le présent pontificat, avec ses boursoufflures, pourrait bien constituer, sinon la phase terminale de l’après-Vatican II, en tout cas l’approche de son terme. À condition, bien entendu, qu’il se trouve des hommes d’Église qui aient la détermination nécessaire pour tourner la page.
Incontestablement, on se trouve aujourd’hui dans une atmosphère de pré-conclave[1]. Ce qui ne veut pas dire que les cardinaux électeurs auront à se réunir dès demain dans la Chapelle Sixtine. Mais lorsque viendra le jour où se réuniront les Congrégations générales préparatoires, on peut rêver qu’il y soit fait un bilan sincère ouvrant la voie à un courageux examen de conscience. À défaut, peut-on espérer l’adoption d’une sorte de réalisme d’étape, en vertu duquel on laisserait vivre et se développer les forces catholiques qui existent encore.
Le contexte pessimiste
Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer, que chez les plus hauts prélats, non seulement ceux de l’aile conservatrice, mais aussi pour une part de ceux des diverses mouvances progressistes, il y a désormais une conscience très vive et très pessimiste de la sécularisation, vue comme fatale. La situation de l’Église, en Occident surtout, avec une telle réduction du nombre des fidèles et des prêtres qui fait qu’elle est en passe de devenir presque invisible en certains pays. Ce qui leur fait apparaître que toutes les solutions expérimentées depuis le Concile ont échoué l’une après l’autre : réformes à tout va sous le pape Montini, tentative de « restauration » sous Jean-Paul II et Benoît XVI, réactivation d’un conciliarisme débridé sous François. De là à faire un bilan… Car il est certes aisé de constater que l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de Vatican II ont contribué à dévaloriser la mission. Personne n’ose cependant dire ouvertement que les orientations de ce concile hors normes – a-normatif – ont une large part dans la catastrophe aujourd’hui constatée. Il est vrai que, seuls les plus idéologues des bergogliens, comme les jésuites qui s’activent actuellement à la préparation du Synode des synodes, considèrent qu’il faut aller plus avant encore et que d’ailleurs la sécularisation est une « chance ».
Nombreux hauts prélats sont aujourd’hui déstabilisés par les mots d’ordre de lutte contre le « cléricalisme », mots d’ordre dévastateurs pour les vocations qui restent et qui sont suivis de visites canoniques, puis sanctions contre les communautés, les séminaires, les diocèses « cléricaux », qui peuvent avoir des faiblesses, mais qui bénéficient encore d’un certain recrutement. Ils sont aussi très perturbés par les propositions délirantes du Chemin synodal allemand, avec lequel l’assemblée du Synode romain sur la synodalité va vraisemblablement enclencher un mécanisme éprouvé de négociation-capitulation, en faisant des propositions en-deçà des propositions allemandes mais qui auront de facto valeur de blanc-seing, de non-condamnation.
Il n’est donc pas difficile de prévoir que lorsque les Congrégations générales se réuniront, la critique ouverte ou tamisée contre l’actuel chaos sera dominante, y compris chez des prélats progressistes : gouvernement suprêmement autoritaire et aussi peu « synodal » que possible, décisions en zigzags, réforme illisible de la Curie, échec cuisant de la diplomatie avec la Chine, et aussi situation financière particulièrement inquiétante (voir les précisions bien informées du memorandum cité en note 1). Quant à la critique doctrinale des conservateurs, elle se fera entendre, non seulement à propos des hiatus entre l’enseignement bergoglien et l’enseignement antérieur (pas celui d’avant le Concile, mais celui des papes postconciliaires précédents) : Amoris lætitia qui contredit Familiaris consortio, Traditionis custodes qui réécrit Summorum Pontificum, mais également à propos de la théologie sommaire des exhortations et encycliques du pontificat.
Les forces en présence ?
Tout le monde note que, le collège cardinalice a été largement renouvelé sous ce pontificat par un nombre record de créations et que ses membres se sont vu empêchés de se rencontrer, discuter et donner librement leurs avis lors des consistoires. Les prévisions quant aux poids des tendances dans le Sacré Collège sont donc plus aléatoires que jamais, même si on suppute que la majorité est nettement progressiste. Il est d’ailleurs probable que les nominations, lors du prochain consistoire, vont chercher à faire pencher plus encore la balance en ce sens.
Mais qui émergera de ce côté ? Pour qui les cardinaux Parolin, Marx, Becciu, feront-ils en définitive voter leurs clientèles ? Le cardinal Tagle, 66 ans, préfet de la Propagande, qui a bénéficié de l’appui sans faille des jésuites, semble trop proche de François et ne manifeste pas une grande épaisseur théologique. La faiblesse du cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque du Luxembourg, outre le fait qu’il est fort jeune (63 ans), est d’être jésuite. Sandro Magister, qui redouble actuellement d’activité, lui donne la qualification, assassine dans le contexte actuel, de « François-bis »[2]. En fait, ses chances, s’il en a, tiennent à la sorte de modération un peu naïve avec laquelle il tempère son hétérodoxie : il est pour les prêtres mariés, mais « sur le long terme » ; il n’est pas pour les femmes prêtres, mais leur confierait volontiers des postes d’autorité et l’homélie dans les célébrations ; il estime que « les positions de l’Église sur le caractère peccamineux des relations homosexuelles sont erronées », tout en refusant les bénédictions de « mariages » homosexuels ; il ne voit pas d’inconvénient à ce que les protestants viennent communier à la messe, mais il a été horrifié, en assistant à une cène protestante, de voir qu’on jetait ensuite les restes du pain et du vin à la poubelle parce qu’il croit à la présence réelle (chez les protestants ?).
Du côté conservateur, il paraît assez improbable, en tout cas à ce jour, qu’un candidat (Robert Sarah, ou avec une assise plus large Peter Erdö, 69 ans, archevêque de Budapest, puisse recueillir les 2/3 des voix. Mais l’apport conservateur sera nécessaire à l’élection d’un candidat de transaction, de gauche libérale, qui devra nécessairement entendre leurs désirs. On peut citer, mais simplement pour donner une sorte de portrait-robot d’un candidat réaliste et rassurant, Jean-Pierre Ricard, ancien archevêque de Bordeaux, 77 ans, d’un progressisme libéral tout en rondeur. En l’état actuel,c’est Matteo Zuppi, 66 ans, archevêque de Bologne, porté par le très puissant groupe de pression de Sant’Egidio, qui remplirait les conditions. Peut-il en apparaître d’autres ?
Pour une liberté catholique… dans l’Église catholique
Au XIXe siècle, dans le système politique français, s’était dessinée la situation paradoxale suivante : les partisans les plus fermes de la Restauration monarchique, ennemis dans le principe des libertés modernes apportées par la Révolution, ont cependant prôné en permanence la liberté. Ils ont en somme réclamé, non sans risques, qu’on leur laisse un espace de vie et d’expression : liberté de la presse, liberté de l’enseignement (mais ils n’ont cependant pas su profiter des occasions que cet espace leur donnait pour retourner l’ordre des choses).
Toutes choses égales, dans le système ecclésial de XXIe siècle… D’un point de vue catholique, la perspective à poursuivre est, à terme, celle d’une « restauration » plus profonde que celle qu’a voulue Joseph Ratzinger/Benoît XVI : un retour, pour réamorcer une mission active, à un magistère de pleine autorité, départageant au nom du Christ le vrai du faux sur toutes les questions controversées de morale familiale, d’œcuménisme, etc. Départageant, non seulement ce qui est catholique de ce qui ne l’est pas, mais ceux qui sont catholiques de ceux qui se disent catholiques et ne le sont pas : car il est dévastateur pour la visibilité de l’Église qu’on ne sache plus où est le dehors et où est le dedans d’une Église minée par un schisme latent, ou plutôt submergée par une sorte de néo-catholicisme sans dogme.
Mais, de manière plus immédiate, il semble qu’on ne puisse obtenir qu’un desserrement du despotisme idéologique – pas seulement de celui, genre baroud d’honneur conciliaire, du présent pontificat –, mais de celui plus profond qui pèse sur l’Église depuis que lui a été imposée une manière molle de croire et de prier. Despotisme qui fait qu’au nom de la « communion », il faut se soumettre peu ou prou à un Concile et à une réforme liturgique posés comme nouvelles Tables de la Loi.
Le moyen serait qu’un pontificat de transition donnât une pleine liberté à toutes les forces vives de l’Église. Si l’on s’en tient au paysage français, mais qui peut par analogie servir de grille d’analyse dans toute l’Église, le catholicisme qui aujourd’hui « fonctionne », c’est-à-dire qui remplit les églises de fidèles, notamment de jeunes, de familles nombreuses, qui produit des vocations sacerdotales et religieuses, qui provoque des conversions, se résume à deux grande aires. D’une part, celle qu’on pourrait qualifier de nouveau conservatisme, avec la communauté de l’Emmanuel, la Communauté Saint-Martin (100 séminaristes actuellement, soit plus que tous les séminaires diocésains français réunis), la Communauté de Saint-Jean, des monastères de religieux et religieuses contemplatifs florissants. Ailleurs dans le monde, ce seront des communautés religieuses, des diocèses vigoureux, certains séminaires. Et d’autre part, le monde traditionaliste, avec ses deux composantes l’une « officielle », l’autre lefebvrienne, ses lieux de culte (450 environ en France), ses écoles, ses séminaires (en 2020, 15% des prêtres français ordonnés appartenaient aux communautés traditionnelles). On objectera qu’un « laisser faire, laisser passer », fût-ce en faveur de ce qui produit des fruits de la mission, est lui aussi plein de risques de dérives. Aussi bien n’est-il à souhaiter qu’aussi longtemps qu’on restera dans des zones magistérielles grises et incertaines.
Tout le monde a cependant conscience, soit pour le désirer, soit pour le craindre (cf. les motivations de Traditionis custodes), que c’est au monde traditionnel, en raison de son poids symbolique, que cette pleine liberté de vivre et de grandir peut donner le plus de possibilités pour aider les prélats qui s’y décideront à « renverser la table ».
[1] Voir le memorandum publié sur le blog de Sandro Magister, Settimo Cielo, sous la signature de Demos : https://www.diakonos.be/settimo-cielo/un-memorandum-sur-le-prochain-conclave-circule-parmi-les-cardinaux-le-voici/
[2] Si le conclave souhaite un François bis, voici son nom et son programme | Diakonos.be.
Un article de Sandro Magister sur Settimo Cielo :
François sans plus aucun voile. Une analyse de ses dernières nominations
La mort de son prédécesseur, Benoît XVI, à la fin de l'année 2022, a été pour le pape François comme la disparition du "katéchon", de la barrière qui l'empêchait de se révéler pleinement.
En témoignent les actes de gouvernance qu'il a accumulés ces derniers mois, à un rythme effréné.
Dernier en date, l'annonce de la nomination de 21 nouveaux cardinaux, dont 18 en âge de participer au conclave. Ni l'archevêque de Paris, ni l'archevêque de Milan, en poste depuis six ans, ne figurent sur la liste. Mais surtout, il n'y a pas l'archevêque majeur de l'Église gréco-catholique d'Ukraine, Sviatoslav Shevchuk, coupable lui aussi d'avoir dit ouvertement tout ce qu'il considère comme mauvais dans l'action de François concernant la guerre actuelle.
Deux jésuites figurent sur la liste, l'évêque de Hong Kong Stephen Chow Sau-Yan - tout juste sorti d'un voyage officiel à Pékin qui, pour le pape, vaut plus que l'humiliation subie de la part du régime avec les récentes installations de deux évêques sans le consentement préalable de Rome - et l'archevêque de Córdoba, en Argentine, Ángel Sixto Rossi, un fidèle de Jorge Mario Bergoglio depuis les années où le futur pape était provincial de la Compagnie de Jésus, en contraste criant avec la majorité de ses confrères.
Il y a aussi l'archevêque de Juba au Soudan du Sud, Stephen Ameyu Martin Mulla, dédommagé avec la bourse de l'attaque qu'il a subie lors de son installation dans le diocèse en 2019, par des opposants de différentes tribus, qui l'ont aussi accusé d'actes immoraux.
Et encore deux nominations délibérément contraires aux orientations conservatrices des épiscopats nationaux respectifs : en Afrique du Sud l'archevêque du Cap Stephen Brislin, blanc de peau et aux idées similaires à celles de la " voie synodale " allemande ; et en Pologne Grzegorz Rys, archevêque de Lodz, le même diocèse d'où est originaire l'aumônier du pape, le cardinal Konrad Krajewski, son ami intime. Rys est l'une des rares voix progressistes de l'épiscopat polonais, alors que Cracovie, gouvernée par un successeur de Karol Wojtyla d'orientation opposée, reste dépourvue de la pourpre.
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La nomination la plus marquante n'est cependant pas celle, évidente, de l'Argentin Victor Manuel Fernández en tant que cardinal, mais celle qui lui a été confiée auparavant, à savoir le poste de préfet du dicastère pour la doctrine de la foi.
En fait, François a accompli ici ce qu'il n'avait jamais osé faire avec Joseph Ratzinger de son vivant. Il s'agit de la nomination, dans le rôle clé qui était celui du grand théologien et futur pape allemand, d'une personne qui est son total opposé.
Il suffit de dire que son avant-dernier prédécesseur au même poste, le cardinal Gerhard L. Müller, a accusé Fernández, il y a des années, ni plus ni moins que d'"hérésie", pour les thèses décousues qu'il soutenait. Mais le pape François n'a pas bronché. Il avait nommé Müller puis Luis Francisco Ladaria Ferrer au poste de préfet pour la doctrine de la foi, l'un et l'autre d'une orthodoxie irréprochable, mais ce n'était pour lui qu'un hommage à Benoît XVI toujours vivant. Il se souciait peu de ce qu'ils disaient et faisaient, allant même parfois jusqu'à contredire ouvertement leurs décisions, comme le veto de Ladaria à la bénédiction des couples homosexuels. C'est toujours Fernández qui a rédigé les documents clés du pontificat, "Evangelii gaudium" ou "Amoris laetitia", copiant même des passages entiers de ses essais précédents.
Et maintenant, c'est à lui, Fernández, de faire "quelque chose de très différent" de ses prédécesseurs, selon la lettre inhabituelle avec laquelle le pape a accompagné sa nomination : mettre fin à "l'époque où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on poursuivait d'éventuelles erreurs doctrinales", laisser l'Esprit Saint faire de lui "l'harmonie" des lignes de pensée les plus diverses, "plus efficacement que n'importe quel mécanisme de contrôle". Bref, le triomphe de ce relativisme qui fut l'ennemi numéro un de Ratzinger, théologien et pape.
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Autres nominations significatives : celles des participants au prochain synode sur la synodalité. Parmi les évêques élus par les conférences épiscopales figurent en bonne place les cinq évêques des Etats-Unis, tous conservateurs, mais François a compensé en ajoutant, de son propre choix, les cardinaux les plus proches de lui : Blase Cupich, Wilton Gregory, Robert McElroy, Joseph Tobin et Sean O'Malley, ainsi que l'archevêque Paul Etienne et le très actif jésuite James Martin, ce dernier étant le porte-étendard de cette nouvelle morale homosexuelle qui figure également parmi les objectifs déclarés du véritable directeur du synode avec le pape, le cardinal Jean-Claude Hollerich, rapporteur général de l'assemblée.
Parmi les "témoins" sans droit de vote, François a également inclus Luca Casarini, l'activiste non-mondialiste qu'il a loué à plusieurs reprises en tant que héros du sauvetage des migrants en Méditerranée, plus récemment lors de l'Angélus du dimanche 9 juillet.
Mais outre les élus, ceux que François a exclus de la participation au synode font également parler d'eux, notamment les titulaires de tous les bureaux du Vatican qui s'occupent de droit.
Le premier exclu est le cardinal Dominique Mamberti, préfet du tribunal suprême de la signature apostolique et jusqu'à récemment, par statut, également président de la cour de cassation de l'État de la Cité du Vatican, ainsi que deux autres cardinaux membres du tribunal suprême, tous juristes et canonistes à la compétence avérée.
Mais au printemps de cette année, François a promulgué une nouvelle loi fondamentale de l'État de la Cité du Vatican et a complètement modifié les critères de nomination des membres de la Cour de cassation, se réservant le choix de chacun d'entre eux.
Et qui sont les quatre cardinaux qu'il a nommés ? L'Américain Kevin J. Farrell comme président du nouveau tribunal et les Italiens Matteo Zuppi, Augusto Lojodice et Mauro Gambetti comme membres. Aucun d'entre eux n'a la moindre compétence juridique. Gambetti, par exemple, a récemment brillé plutôt par le fiasco retentissant d'un spectacle prétentieux avec des chanteurs et des prix Nobel venus du monde entier au nom de la fraternité, sur une place Saint-Pierre désolée et vide.
Parmi les spécialistes du droit canonique, la nouvelle Loi fondamentale promulguée par le pape a été immédiatement accueillie par de sévères critiques. Mais il est bien connu que François n'a aucun respect pour l'État de droit, étant donné la façon dont il a jusqu'à présent altéré, par exemple, le procès en cours au Vatican pour les malversations du palais de Londres. Ou comment il a cloué au pilori le cardinal Giovanni Angelo Becciu, bien avant qu'il ne soit dûment jugé et sans même dire pourquoi.
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Pour en revenir à la nomination de Fernández, il convient d'ajouter qu'il a immédiatement déclaré qu'il n'était pas compétent pour traiter les cas d'abus sexuels, qui figurent parmi les principales tâches du dicastère qui lui a été confié, et qu'il en avait averti le pape à l'époque, mais qu'il l'aurait dispensé de traiter de tels cas à l'avenir, laissant cette tâche aux spécialistes du même dicastère.
En outre, Mgr Fernández a également admis avoir mal agi, toujours par manque de préparation, dans la gestion d'un cas d'abus en tant qu'évêque de l'archidiocèse de La Plata.
Mais les abus sexuels n'ont-ils pas été déclarés à plusieurs reprises par le pape François comme une question capitale pour l'Église ? Alors pourquoi en confier la responsabilité à un incompétent ?
Il est un fait que dans le cas le plus épineux et toujours non résolu, celui du jésuite Marko Ivan Rupnik, c'est François lui-même qui a étendu une couverture protectrice, d'abord en révoquant l'excommunication que la Congrégation pour la doctrine de la foi avait imposée au jésuite en l'espace de quelques heures, puis en faisant en sorte que la même Congrégation rejette un procès ultérieur pour cause de prescription.
C'est alors au tour de la Compagnie de Jésus d'ouvrir une nouvelle enquête contre Rupnik, étayée par de nombreuses nouvelles plaintes, toutes jugées crédibles à l'issue d'un premier examen. Mais le jésuite s'est toujours soustrait à cette enquête, jusqu'à ce qu'il soit exclu de la Compagnie et se retrouve encore plus libre qu'avant, attendant d'être incardiné dans le diocèse d'un évêque ami, et toujours sous le bouclier du pape.
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Pêchons encore parmi les petites décisions prises par François ces derniers mois, il y en a d'aussi révélatrices.
Par exemple, la création d'une Commission des nouveaux martyrs et témoins de la foi, catholiques et d'autres confessions chrétiennes, pratiquement confiée par le pape à la déjà omniprésente - au Vatican - Communauté de Sant'Egidio, avec le fondateur Andrea Riccardi comme vice-président, le secrétaire Marco Gnavi, curé de la basilique Santa Maria in Trastevere, et parmi les membres Angelo Romano, recteur de la basilique de San Bartolomeo all'Isola, épicentre de la nouvelle commission, et le professeur Gianni La Bella, tous appartenant à la Communauté.
Ou encore la nomination inattendue comme recteur du grand séminaire pontifical romain et évêque auxiliaire de Rome de Michele Di Tolve, jusqu'à hier curé de Rho et avant cela, de 2014 à 2020, recteur du grand séminaire archiépiscopal de Milan.
Curieusement, les références de Di Tolve en tant que recteur de séminaire sont loin d'être brillantes. Durant son rectorat dans l'archidiocèse ambrosien, le nombre de séminaristes a chuté et ses méthodes de gestion ont été très critiquées. Une savante enquête statistique sur l'avenir du clergé milanais a donné des prévisions désastreuses.
Pourtant, François l'a voulu à Rome comme recteur et évêque. Il l'a expliqué le 25 mars lors d'une audience au Vatican devant les fidèles des paroisses de Rho. Voici ce qu'il a dit textuellement :
"Votre curé Michele Di Tolve, que je connais depuis de nombreuses années, je l'ai rencontré dès qu'il a été nommé cardinal. J'étais allé rendre visite à une cousine et elle m'a parlé d'un vice-curé exceptionnel : "Regarde, ce prêtre travaille" - "Ah oui ? Laisse-moi le rencontrer, mais ne lui dis pas que je suis cardinal" - "Non, je ne le dirai pas". J'ai enlevé ma bague, nous sommes arrivés à l'oratoire et il allait d'un côté à l'autre, se déplaçant comme un danseur avec tout le monde. C'est comme ça que je l'ai rencontré. Et c'est comme ça qu'il est resté toute sa vie : quelqu'un qui sait bouger, qui n'attend pas que les brebis viennent le chercher. Et en tant que recteur du séminaire, il a fait tant de bien aux garçons qui se préparent au sacerdoce, tant de bien, et pour cela je voudrais témoigner devant vous tous et vous remercier pour ce que vous faites : merci, merci !".
Personne à Milan n'a pleuré l'appel de Di Tolve à Rome. Mais tant de nominations de François sont ainsi.