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  • Les évêques belges et la lutte pour l'héritage de François

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    D'Ed. Condon sur The Pillar :

    Les évêques belges et la lutte pour l'héritage de François

    Le projet des évêques flamands de bénir les couples de même sexe est au cœur de la lutte pour l'héritage réformateur du pape, même si celui-ci est toujours en fonction.

    21 septembre 2022l

    Les évêques flamands de Belgique ont publié mardi un texte sur la pastorale des catholiques qui s'identifient comme LGBT, incluant une prière pour "l'amour et la fidélité" des couples de même sexe largement comprise comme un texte à utiliser pour la bénédiction des relations homosexuelles. La partie francophone de la conférence épiscopale de Belgique devrait bientôt publier sa propre version du texte.

    Comme on pouvait s'y attendre, la prière est controversée, ses détracteurs y voyant une répudiation des directives du Vatican sur le sujet.

    Le pape François interviendra-t-il sur cette question ? Ce n'est pas encore certain.

    Mais sa publication pourrait marquer le début d'une bataille publique dans l'Église sur l'héritage du pape François. Et la question de savoir si le pape interviendra pour définir lui-même cet héritage reste incertaine, mais pressante.

    Il y a un peu plus d'un an, l'ancienne Congrégation pour la doctrine de la foi a publié un document expliquant que l'Église n'a pas le pouvoir de bénir les unions homosexuelles, tout en soulignant la dignité de toutes les personnes, y compris les catholiques, qui s'identifient comme homosexuels. Le document visait à répondre à l'Église d'Allemagne, où les premiers documents du processus de la "voie synodale" avaient demandé des révisions de l'enseignement de l'Église sur la sexualité humaine, et appelé à la bénédiction des unions homosexuelles dans les églises. Le texte de la CDF (maintenant DDF) n'a pas été accueilli favorablement par l'assemblée synodale allemande, et le clergé allemand a organisé une journée de protestation massive, bénissant liturgiquement des centaines d'unions homosexuelles dans les églises du pays. Mais les évêques allemands ont pour l'essentiel accepté les instructions de Rome - pour l'instant - tout en promettant de poursuivre le débat sur leur programme synodal.

    C'est en fait en Belgique que la réponse de la CDF (Congrégation pour la Doctrine de la Foi) a rencontré la réaction la plus provocante. L'évêque Johan Bonny d'Anvers a déclaré que le texte lui faisait "honte de mon Église". L'évêque a qualifié le bureau doctrinal du Vatican d'"arrière-boutique idéologique" et a accusé le principal signataire du texte, le cardinal Luis Ladaria Ferrer, d'être, en fait, dépassé par les événements : "Intellectuellement, cela n'atteint même pas le niveau du lycée", a déclaré Bonny.

    Un an plus tard, les évêques belges semblent avoir montré que leur mépris pour le désormais DDF n'est pas que de la rhétorique. Le document prévoyant la bénédiction des relations homosexuelles a été publié quelques semaines seulement avant la visite ad limina des évêques à Rome, leur première depuis plus de dix ans. Pendant leur séjour à Rome, ils rencontreront, comme le font tous les évêques en visite, tous les grands services curiaux, y compris le DDF (Dicastère pour la Doctrine de la Foi en remplacement de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi).

    Le texte belge sera sans aucun doute évoqué, mais il s'agira probablement d'un sujet plus embarrassant pour Ladaria, jésuite et nommé par François, que pour ses visiteurs. Les évêques sont bien conscients de l'enseignement de l'Église et de ce que le DDF a dit à ce sujet. Ils semblent tout aussi clairs sur le fait que l'enseignement de l'Église doit changer, et qu'il n'y a rien que le département de Ladaria puisse faire pour les empêcher d'essayer.

    Au cours des décennies et des siècles précédents, l'autorité finale du Vatican sur les questions de foi et de morale était à la fois comprise et explicite - mais cette compréhension était sous-tendue par l'attente de toutes les parties que, passé un certain point, le pape interviendrait, de manière décisive si nécessaire. Ce fut le cas au cours des dernières décennies, lorsque l'archevêque de Seattle, Raymond Hunthausen, s'est retrouvé l'objet d'une visite apostolique dans les années 1980, et que saint Jean-Paul II lui a assigné un évêque coadjuteur pour vérifier et corriger efficacement les enseignements de l'archevêque.

    Dans un exemple plus récent, l'évêque australien William Morris de Toowoomba a été démis de ses fonctions par Benoît XVI en 2011, lorsqu'il était clair qu'il ne serait pas mis en conformité avec l'enseignement de l'Église sur l'impossibilité d'ordonner des femmes à la prêtrise.

    Mais lorsque Ladaria s'assiéra avec les évêques belges dans quelques semaines, peu de personnes dans la salle prendront probablement au sérieux la perspective que François réponde comme JPII et Benoît XVI auraient pu s'y attendre.

    Si le pape s'est montré prêt à destituer un évêque pour des raisons de "désobéissance" et de rupture de communion avec d'autres évêques, il n'existe aucun exemple de François prenant des mesures disciplinaires sur des questions doctrinales. En conséquence, les différends sur les questions de foi et de morale entre Rome et les évêques, en particulier en Europe, ont eu tendance à s'articuler autour d'interprétations concurrentes - certaines assez spéculatives - de ce que le pape François enseigne et pense réellement.

    Il est révélateur, par exemple, que le texte de 2021 du DDF excluant la possibilité de bénédictions ecclésiastiques pour les unions de même sexe et le document des Belges les introduisant fassent tous deux référence à l'exhortation Amoris laetitia de 2016 de François. Alors que les Belges insistent sur le fait que leurs plans sont dans le moule pastoral exigé par les enseignements du pape, le DDF pourrait faire remarquer que c'est François qui a ordonné la publication de leur document en premier lieu.

    Pourtant, l'impression s'est installée, tant à Rome qu'à travers l'Eglise, que le pape lui-même n'est pas susceptible de prendre explicitement position pour l'un ou l'autre camp. Certains observateurs du Vatican y voient une preuve de "gâtisme" de la part du pape, la disposition à manger la confiserie et à l'avoir en même temps - dans ce cas, il semble simultanément se tenir aux enseignements éternels de l'Église tout en permettant une poussée pour des changements radicaux de ceux-ci.

    D'autres, y compris de nombreux fonctionnaires travaillant dans la curie romaine, suggèrent discrètement qu'en dépit de son image de pape dirigeant une réforme culturelle et gouvernementale radicale de l'Église universelle, François craint en fait une confrontation directe avec les conférences épiscopales plus progressistes comme la Belgique et l'Allemagne, et s'inquiète de ne pas avoir l'autorité nécessaire pour les mettre au pas, même lorsqu'il pense qu'elles sont allées trop loin.

    Que l'une ou l'autre de ces impressions de l'esprit véritable du pape soit exacte, la réalité est que les débats les plus féroces actuellement en cours - sur l'enseignement de l'Église en matière de moralité sexuelle, sur les sacrements, sur la signification et la nature de la synodalité - se sont tous transformés en batailles sur l'héritage de François en tant que pape, même s'il reste en fonction.

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    Parmi les fonctionnaires du Vatican qui ont parlé au Pillar, il y a un consensus : Un point de rupture a été atteint dans la tension qui couvait depuis longtemps entre ceux qui sont frustrés que le Vatican n'ait pas fait d'"avancées" doctrinales sur des questions comme les relations homosexuelles, et ceux qui s'efforcent d'empêcher ce qu'ils considèrent comme une abrogation de la doctrine catholique.

    Les spéculations médiatiques sur la santé du pape, ou les allusions à une démission, sont normales à ce stade du pontificat - François va bientôt avoir 86 ans. Mais derrière les bavardages habituels de la presse, la bataille pour l'héritage du pontificat de François est devenue réelle, même parmi ceux qui se considèrent tous comme des partisans engagés de l'agenda du pape.

    D'un côté, on trouve les institutionnalistes, qui considèrent la plus grande réforme de François comme un changement de musique, plutôt que de paroles, pour l'Église, apportant un nouveau ton pastoral à des vérités et des enseignements immuables. Pour ces personnalités, les actions des évêques allemands et belges constituent un danger clair et présent pour l'existence structurelle d'une Église universelle, menaçant d'une rupture avec Rome et les autres conférences épiscopales du monde sur des questions de doctrine fondamentale.

    De l'autre côté, il y a ceux qui voient le pontificat de François comme une fenêtre d'opportunité pour une réforme active de la substance, et pas seulement du ton, de l'enseignement de l'Eglise. Cette fenêtre, craignent-ils, se referme rapidement, et inspire une nouvelle urgence pour cimenter les propositions et les discussions en actions et en résultats.

    Il est peut-être révélateur que les tensions entre ces deux camps se soient jusqu'à présent manifestées dans le contexte de la préparation de la session synodale finale de l'année prochaine, prévue pour octobre - mais dans les conversations autour de Rome au moins, le cadre de référence se déplace vers une discussion plus ou moins ouverte sur le prochain conclave et au-delà.

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    Alors que les commentateurs essaient généralement d'opposer les candidats conservateurs aux candidats libéraux lors d'une élection papale, c'est la division entre les institutionnalistes et les archiprogressistes qui mérite d'être observée de plus près, les deux camps se présentant comme les plus aptes à poursuivre les réformes de François.

    Certains cardinaux éminents, comme le secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, et le président de la conférence épiscopale italienne, le cardinal Matteo Zuppi, ont longtemps été considérés par certains comme des héritiers potentiels de François. Mais ils sont de plus en plus considérés - du moins par certains progressistes - comme trop proches de la mentalité "institutionnaliste" et pas assez ouverts au type de réforme radicale exigée, par exemple, par les évêques belges et allemands.

    De nouveaux noms commencent maintenant à circuler à Rome comme des "François II" potentiels, notamment celui du cardinal Mauro Gambetti, archiprêtre de Saint-Pierre et vicaire général de l'État de la Cité du Vatican, et celui du cardinal maltais Mario Grech, chef du secrétariat permanent du synode. On dit que chacun d'eux signale discrètement son engagement en faveur d'une "réforme définitive" de l'Église.

    Les institutionnalistes et les réformateurs radicaux semblent toutefois partager un point commun important : une vision de l'Église qui met l'accent sur l'autorité enracinée dans la personne et la fonction du pape.

    Mais, paradoxalement, c'est précisément le refus du pape de soutenir explicitement l'un ou l'autre camp dans les divers affrontements qui se dessinent entre sa curie et les évêques de Belgique et d'Allemagne qui fait craindre à de nombreux observateurs la perspective d'une véritable crise de communion. La dynamique selon laquelle Rome dit une chose et les évêques font le contraire - par exemple en Belgique - n'est tout simplement pas viable à long terme. Même si Rome (et le pape) refuse de prendre des mesures contre les Belges, ou à terme contre les Allemands, le fait d'ignorer publiquement la situation a peu de chances de la faire disparaître. En effet, si François espère qu'en ne prenant pas parti, il pourra éviter le conflit, cette stratégie pourrait finir par provoquer la confrontation même qu'il espère éviter.

    Les lettres épiscopales de préoccupation provenant d'autres parties du monde finiront par se transformer en reconnaissant franchement que l'une ou l'autre conférence épiscopale a rompu avec l'enseignement et la discipline universels de l'Église, même si François refuse de répondre à ces lettres. Mais, selon certains, cela pourrait faire partie du plan.

    Une théorie suggérée dans certaines parties du Vatican est que certaines conférences épiscopales progressistes cherchent à provoquer une confrontation. Selon cette théorie, si le pape François ne soutient pas explicitement, par exemple, l'ordination des femmes ou la reconnaissance des unions homosexuelles, il appartiendra à son successeur de régler définitivement la question. Dans ce cas, l'argument est le suivant : provoquer une rupture ouverte sur ces questions maintenant pourrait forcer son successeur éventuel à choisir entre le programme de réforme progressiste et la perspective d'un véritable schisme - les réformateurs misant sur le fait qu'il choisira l'unité de l'Église plutôt que l'autorité d'enseignement. Ce futur pape guérirait alors la brèche tout en fixant l'orientation de la réforme en leur faveur, une fois pour toutes. Comme toutes les stratégies de pré-conclave, cette stratégie peut ou non être aussi cohérente et organisée que certains aiment à le penser. Et comme tous les plans précédents, il peut ou non réussir. Mais pour l'instant, il semble qu'au moins certains des fils ecclésiologiques de François réclament, en fait, leur part de son héritage maintenant. Reste à savoir où ils iront avec cela.

  • Euthanasie et « gender » : l’Église catholique s’entend mieux avec la communauté juive qu’en son propre sein

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    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso (traduction de Diakonos.be) :

    Sur l’euthanasie et le « gender », l’Église catholique s’entend mieux avec les Juifs qu’en son propre sein

    On n’en a presque pas parlé mais la déclaration conjointe de l’Église catholique et du Grand rabbinat d’Israël émise en mai à Jérusalem sur « ce qui est interdit, autorisé, obligatoire » avec les malades en fin de vie a confirmé que les deux traditions religieuses continuent à être solidaires dans leur souci de demeurer fermes contre l’euthanasie.

    À l’époque actuelle, il en faut du courage pour soutenir que « tout ce qui est techniquement réalisable n’est pas forcément éthique ». La pression de la culture dominante pour abattre toute résistance est très forte. Et pourtant, aucune des deux parties n’a fait mine de vouloir infléchir le moins du monde ses précédentes prises de position, y compris celle qui avait été définie comme « historique » en 2019 « des trois religions abrahamiques », islam y compris, contre « l’euthanasie active et le suicide médicalement assisté ».

    Les délégations qui ont signé en mai dernier la déclaration conjointe étaient présidées, côté catholique, par le cardinal Kurt Koch et, côté juif, par le grand rabbin Rasson Arussi.

    Le principe fondamental qui impose le refus de l’euthanasie est pour les deux parties la référence à Dieu « créateur et seigneur de toute vie », créée « selon l’image divine » et donc non susceptible d’être soumise, en ce qui concerne sa valeur et sa durée, à la domination de quelque personne ou groupe humain que ce soit.

    En revanche, découle de ce même principe fondamental « l’importance des soins palliatifs et de déployer tous les efforts possibles pour soulager la douleur et les souffrances ».

    La déclaration donne également l’information qu’à Jérusalem, « les délégations ont été reçues par le directeur général de l’hôpital Shaare Zedeq, où ils ont pu constater les modalités de traitement des malades en fin de vie, en conformité avec les principes énoncés ci-dessus ».

    Mais il reste à voir à quel point tout cela est effectivement partagé, aussi bien dans le monde juif que dans l’Église catholique.

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    En effet, au sein de l’Église, la prise de position en faveur d’une loi pro-euthanasie débattue au parlement italien, exprimée en janvier 2022 par le théologien moraliste jésuite Carlo Casalone dans « La Civiltà Cattolica », la revue des jésuites de Rome publiée moyennant le contrôle ligne par ligne du Pape et de la secrétairerie d’État, a laissé des traces.

    Dans cet article, Casalone reconnaissait que oui, la loi en débat s’écartait du magistère de l’Église catholique sur « l’illicéité du suicide assisté », mais poursuivait en soutenant – et citant le Pape François pour étayer ses dires – que « l’évaluation d’une loi de l’État exige de considérer un ensemble complexe d’éléments en faveur du bien commun » et concluait que, pour prévenir des lois encore pires, il valait mieux approuver la loi en discussion qui, à ses yeux, « ne s’opposait pas à une recherche responsable du bien commun possible ».

    Il va sans dire que quelques semaines plus tard, le 9 février 2022, dans une audience générale du mercredi dédiée à saint Joseph, « patron de la bonne mort », le Pape François s’est exprimé publiquement avec des paroles très nettes contre le suicide assisté et les autres formes d’euthanasie, réfutant les thèses de « La Civiltà Cattolica », tout en évitant de la citer.

    Et il faut ajouter que même la revue « Il Regno », qui est le porte-parole autorisé de l’aile progressiste de l’Église italienne, s’est opposée sans concession, par la plume du juriste Luciano Eusebi, à la loi débattue au parlement italien.

    Mais tout cela n’enlève rien au fait que l’euthanasie soit malgré tout devenue, à différents niveaux de l’Église catholique, une question controversée, avec diverses prises de positions, pour ou contre, en guise de matière à débat.

    Exactement comme cela est en train de se passer, sous des formes encore plus décomplexées, sur d’autres questions de morale catholique. Par exemple, dernièrement, sur l’encyclique de Paul VI « Humanae vitae » et sa condamnation de la contraception artificielle, qui a vu s’opposer d’un côté, en défense de l’encyclique, le cardinal Luis Francisco Ladaria, Préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi, et de l’autre, en faveur d’une relecture très évolutive de cette même encyclique, le président de l’Académie pontificale pour la Vie, Vincenzo Paglia, rejoint à son tour par le cardinal Matteo Zuppi, moins catégorique que lui mais tout aussi ouvert à des variations.

    *

    Bref, sur certaines questions, les positions classiques de l’Église catholique en matière de morale trouvent davantage de consensus chez les Juifs que chez nous, comme on a pu le voir dans le cas de l’euthanasie.

    Cela est d’ailleurs confirmé par ce que déclarait le Pape Benoît XVI dans son discours avant Noël à la Curie romaine du 21 décembre 2012, le dernier de son pontificat.

    Pour mener une critique de fond aussi bien sur les attaques actuelles contre la famille que sur le « gender » en tant que « nouvelle philosophie de la sexualité », Benoît n’a rien trouvé de mieux que de citer, pour appuyer ses dires, le grand rabbin de France, Gilles Bernheim.

    Voici donc ce qu’avait déclaré, mot pour mot, le Pape Joseph Ratzinger à cette occasion :

    « Le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, dans un traité soigneusement documenté et profondément touchant, a montré que l’atteinte à l’authentique forme de la famille, constituée d’un père, d’une mère et d’un enfant – une atteinte à laquelle nous nous trouvons exposés aujourd’hui – parvient à une dimension encore plus profonde. Si jusqu’ici nous avons vu comme cause de la crise de la famille un malentendu sur l’essence de la liberté humaine, il devient clair maintenant qu’ici est en jeu la vision de l’être même, de ce que signifie en réalité le fait d’être une personne humaine.

    Il cite l’affirmation devenue célèbre, de Simone de Beauvoir : ‘On ne naît pas femme, on le devient’. Dans ces paroles se trouve le fondement de ce qui aujourd’hui, sous le mot ‘gender’, est présenté comme une nouvelle philosophie de la sexualité. Le sexe, selon cette philosophie, n’est plus un donné d’origine de la nature, un donné que l’être humain doit accepter et remplir personnellement de sens, mais c’est un rôle social dont on décide de manière autonome, alors que jusqu’ici c’était à la société d’en décider. La profonde fausseté de cette théorie et de la révolution anthropologique qui y est sous-jacente, est évidente. L’être humain conteste d’avoir une nature préparée à l’avance de sa corporéité, qui caractérise son être de personne. Il nie sa nature et décide qu’elle ne lui est pas donnée comme un fait préparé à l’avance, mais que c’est lui-même qui se la crée.

    Selon le récit biblique de la création, il appartient à l’essence de la créature humaine d’avoir été créée par Dieu comme homme et comme femme. Cette dualité est essentielle pour le fait d’être une personne humaine, telle que Dieu l’a donnée. Justement, cette dualité comme donné de départ est contestée. Ce qui se lit dans le récit de la création n’est plus valable : ‘Homme et femme il les créa’ (Gn 1, 27). Non, maintenant ce qui vaut c’est que ce n’est pas lui qui les a créés homme et femme, mais c’est la société qui l’a déterminé jusqu’ici et maintenant c’est nous-mêmes qui décidons de cela. Homme et femme n’existent plus comme réalité de la création, comme nature de l’être humain. Celui-ci conteste sa propre nature. Il est désormais seulement esprit et volonté.

    La manipulation de la nature, qu’aujourd’hui nous déplorons pour ce qui concerne l’environnement, devient ici le choix fondamental de l’homme à l’égard de lui-même. L’être humain désormais existe seulement dans l’abstrait, qui ensuite, de façon autonome, choisit pour soi quelque chose comme sa nature. L’homme et la femme sont contestés dans leur exigence qui provient de la création, étant des formes complémentaires de la personne humaine. Cependant, si la dualité d’homme et de femme n’existe pas comme donné de la création, alors la famille n’existe pas non plus comme réalité établie à l’avance par la création. Mais en ce cas aussi l’enfant a perdu la place qui lui revenait jusqu’à maintenant et la dignité particulière qui lui est propre.

    Bernheim montre comment, de sujet juridique indépendant en soi, il devient maintenant nécessairement un objet, auquel on a droit et que, comme objet d’un droit, on peut se procurer. Là où la liberté du faire devient la liberté de se faire soi-même, on parvient nécessairement à nier le Créateur lui-même, et enfin par là, l’homme même – comme créature de Dieu, comme image de Dieu – est dégradé dans l’essence de son être. Dans la lutte pour la famille, l’être humain lui-même est en jeu. Et il devient évident que là où Dieu est nié, la dignité de l’être humain se dissout aussi. Celui qui défend Dieu, défend l’être humain ! »

    *

    Vie, famille et sexe ne sont pas des questions marginales dans la vie de l’Église. La désorientation qui l’a envahie doit beaucoup à la cacophonie ambiante sur ces sujets.

    Josef Seifert, un philosophe autrichien catholique réputé qui a fondé en 2017 une « Académie Jean-Paul II pour la vie humaine et la famille », parallèle à l’Académie pontificale pour la vie pilotée par Paglia, se dit très préoccupé par cette dérive de l’Église catholique et par le silence par lequel même ceux qui devraient parler restent sans réaction. Les quatre cardinaux des fameux « dubia » auront été les derniers, dit-il, « à avoir parlé avec clarté contre de telles erreurs et contre l’obscurcissement de l’enseignement catholique ».

    Et pour que ce silence soit brisé, il a envoyé au printemps dernier une lettre-appel à tous les cardinaux. Confiant que Dieu puisse susciter en eux, ou à tout le moins en certain d’entre eux, « le don du saint courage ».

  • La contagion du « chemin synodal » allemand, non maîtrisée par le Pape, va-t-elle contaminer le synode général sur la sy

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    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso, en traduction française sur Diakonos.be :

    Le synode allemand contamine toute l’Église, sans que le Pape ne le freine

    Dans un récent entretien avec les directeurs des revues européennes de la Compagnie de Jésus, transcrit et publié par « La Civiltà Cattolica », le Pape François a dit ce qu’il pensait notamment du « chemin synodal » en Allemagne. Selon lui, « Le problème se pose lorsque la voie synodale vient des élites intellectuelles, théologiques, et est très influencée par des pressions extérieures », alors qu’en revanche, il faudrait le faire « avec les fidèles, avec le peuple ».

    Le souci, c’est que quand c’est ce qu’on fait, c’est-à-dire, quand on collecte les questions de la base ou que l’on sonde l’opinion des fidèles, les résultats sont pratiquement identiques à ceux dictés par les élites dominantes ou par les pressions extérieures, avec la sempiternelle litanie de demandes qui vont des prêtres mariés aux femmes prêtres, en passant par la nouvelle morale sexuelle et la démocratisation du gouvernement de l’Église.

    Ses craintes sur le synode d’Allemagne, le Pape François les a partagées dans une lettre de juin 2019 qu’il a « rédigée entièrement lui-même ». Mais ensuite, il l’a laissé suivre son cours sans plus chercher à le freiner ni faire mine ne fût-ce que d’écouter les cris d’alarmes lancés par le cardinal Walter Kasper, qui au début du pontificat était son théologien réformateur de référence, mais qui en ce qui au sujet du synode allemand – une « tentative de coup d’État », comme il l’a défini – doute même qu’il soit « vraiment catholique ».

    Et ce n’est pas tout. Le risque est toujours plus palpable que l’agenda du « chemin synodal » d’Allemagne ne finisse dans cet autre synode de l’Église universelle que le Pape a convoqué en 2021, le faisant partir, justement des périphéries et de la base, et qui culminera avec une session à Rome en octobre 2023.

    Au départ, la convocation de ce synode général n’a pas vraiment fait parler d’elle. Le thème que le Pape François lui avait assigné, la « synodalité », semblait à ce point abstrait et ennuyeux qu’il avait dissuadé les médias de s’y attarder.

    Mais ensuite, à peine les diocèses ont-ils commencé à sonder les avis des prêtres et des fidèles qu’on a tout de suite vu à quel genre de litanie de demandes on avait affaire. Avec pour résultat qu’à présent, les conférences épiscopales, dans leurs synthèses de la première phase décentralisée du synode, se retrouvent avec entre les mains une copie conforme du « chemin synodal » d’Allemagne, issu de leurs propres fidèles.

    La France est un cas d’école. À la mi-juin, la conférence épiscopale française s‘est réunie en session extraordinaire précisément pour élaborer une « Collecte des synthèses synodales » produites par les différents diocèses, et la transmettre à Rome. Au moment de voter le document, la Conférence épiscopale n’en a pas approuvé le contenu, se limitant à constater l’adhésion de milliers de prêtres et de fidèles interrogés à ces demandes. Mais les demandes envoyées à Rome incluent justement le dépassement du célibat du clergé, l’ordination des femmes au diaconat et à la prêtrise ou à tout le moins, « comme premier pas », le fait qu’on leur confie des homélies à la messe, une réforme radicale de la liturgie et de son langage « désormais irrecevables », l’admission généralisée aux sacrements des divorcés remariés et des couples homosexuels.

    En Irlande, c’est pareil. En plus des comptes-rendus des consultations dans chaque diocèse, les évêques se sont fendus d’un grand sondage d’opinions parmi les fidèles. Il en résulte que la quasi-totalité des catholiques irlandais veut des prêtres mariés et des femmes prêtres, 85% souhaitent le dépassement de condamnation des actes homosexuels, 70% veulent que les laïcs puissent également disposer du pouvoir de décision dans l’Église et d’autres encore voudraient qu’on en finisse à la messe avec les lectures « sanglantes » de l’Ancien Testament.

    Sœur Nathalie Becquart, la sous-secrétaire à Rome du synode sur la synodalité, qui était présente à la réunion de la Conférence épiscopale d’Irlande de la mi-juin, a déclaré qu’en deux mille ans d’histoire, c’était la première fois que l’Église donnait vie à une consultation aussi universelle, que le Pape François a voulu faire partir de la base. Personne ne sait où ce synode s’arrêtera, a-t-elle conclu, mais c’est justement pour cela qu’il faut être ouverts aux « surprises de l’Esprit Saint ».

    Sœur Becquart, qui aura le même droit de vote que les évêques au synode, fait partie du tiercé nettement progressiste que le Pape François a mis à la tête du synode sur la synodalité, tout comme le secrétaire général, le cardinal maltais Mario Grech et le rapporteur général, le cardinal luxembourgeois et jésuite Jean-Claude Hollerich.

    Et comme si cela ne suffisait pas, le Pape François a flanqué ces deux cardinaux d’un groupe de travail sur la manière de concilier le synode allemand avec celui de l’Église universelle. Cette information a été donnée par le président de la Conférence épiscopale d’Allemagne, l’évêque du Limbourg Georg Bätzing, dont les velléités révolutionnaires vont encore plus loin que celles, déjà très téméraires, de Mgr Hollerich lui-même, au point d’avouer qu’il était « déçu » des avancées trop lentes du Pape.

    C’est en vain que plusieurs évêques et cardinaux ont frappé à la porte du Dicastère pour la doctrine de la foi, en demandant que les thèses les plus hardies du cardinal Hollerich soient démenties, surtout celles qui renversent la doctrine sur la sexualité et l’homosexualité. Le dicastère se tait et tout le monde pense qu’elle est muselée par le Pape.

    Parmi les nouveaux cardinaux annoncés par le Pape François le dimanche de l’Ascension, au moins deux sont des paladins de cette révolution doctrinale : l’évêque de San Diego, Robert McElroy et l’archevêque de Manaus, Leonardo Ulrich Steiner.

    La politique de la carte blanche accordée par le Pape au « chemin synodal » allemand a pour conséquence que le nombre de ceux qui s’estiment autorisés à se comporter de la sorte ne cesse de grandir au sein de l’Église.

    En Allemagne, on parle encore de l’affaire de ces trois cents frères franciscains qui ont élu comme supérieur provincial Markus Fuhrmann, qui avait défrayé la chronique quelques semaines plus tôt pour avoir publiquement déclaré qu’il était homosexuel, en plus d’être un ardent promoteur des nouveautés les plus hardies en chantier dans le « chemin synodal » allemand.

    Et quelques jours plus tard, toujours en Allemagne, le numéro un de la hiérarchie allemande, le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et membre de premier plan de conseil restreint des cardinaux créé par le Pape pour l’assister dans le gouvernement de l’Église universelle, a réclamé pour la énième fois les mêmes nouveautés – y compris la bénédiction à l’église des unions homosexuelles, expressément interdite par le Vatican.

    En Suisse, dans le diocèse de Coire, l’évêque Joseph Marie Bonnemain a contraint les prêtres et les collaborateurs diocésains à signer une charte arc-en-ciel où ils s’engagent entre autres à « renoncer à tout jugement globalement négatif sur de prétendus comportements non bibliques en matière d’orientation sexuelle ».

    En Italie, dans l’archidiocèse de Bologne, ce 11 juin, un couple d’hommes s’est marié civilement à la commune et, immédiatement après, a célébré son union à l’église, à l’occasion d’une messe présidée par le responsable de la pastorale familiale de l’archidiocèse, don Gabriele Davalli. Un communiqué de l’archidiocèse a ensuite tant bien que mal tenté de justifier ce qui s’était passé, en prétendant qu’il ne s’agissait simplement – contre l’évidence des faits – d’une messe d’action de grâce pour le groupe catholique LGBT « In cammino », dont ces deux hommes font partie. Mais il n’a échappé à personne que l’archevêque de Bologne est le cardinal Matteo Zuppi, qui depuis un mois est le président, nommé par le pape, de la Conférence épiscopale italienne et le premier en lice des papables lors d’un futur conclave. On peut s’attendre à ce que cet épisode ruine ses chances de succéder à François, en lui faisant perdre les quelques votes qui aurait pu récolter auprès des cardinaux de tendance conservatrice.

    Bref, la contagion du « chemin synodal » d’Allemagne, non maîtrisée par le Pape, a désormais franchi les frontières et menace de conditionner le synode général sur la synodalité lui-même. La vibrante lettre ouverte envoyée aux évêques allemands le 11 avril par les cardinaux Francis Arinze, Raymond Burke, Wilfried Napier, George Pell, Camillo Ruini, Joseph Zen et par une centaine d’archevêques et d’évêques du monde entier n’aura servi à rien.

    Le cardinal Kasper dénonce également le risque que l’Église catholique ne se transforme en une sorte de synode permanent, à la demande de la base, c’est-à-dire de la culture dominante, qui en tirerait les ficelles.

    Quoi qu’il en soit, de l’avis d’un autre cardinal, l’italien Camillo Ruini, une bonne partie de l’Église a déjà franchi les limites de la doctrine catholique au moins sur un point : l’approbation des actes homosexuels. « Je ne nie pas qu’il y ait un risque de schisme », a-t-il déclaré dans une interview accordée à « Il Foglio » le 4 mai dernier. « Mais je garde confiance qu’avec l’aide de Dieu, on puisse le surmonter ».

  • François : une ”victime de l'Esprit Saint” qui a fort à faire...

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    Une nouvelle - et significative - interview du pape est publiée par Vida Nueva.

    "Vida Nueva" se définit ainsi : Vida Nueva est un magazine hebdomadaire d'information religieuse qui se veut une voix engagée au sein de l'Église. Il a une vocation universelle et un regard sur le particulier ; il navigue sur la mer en offrant une parole opportune, véridique, professionnelle, conciliante et toujours encourageante. Après presque 60 ans d'expérience, Vida Nueva continue d'être à l'avant-garde de l'information religieuse en Espagne et dans le monde, avec rigueur et objectivité, offrant information, analyse, évaluation, approche et point de vue. Nous sommes une voix au sein de l'Église. Nous ne sommes pas la voix de l'Église. Nous cherchons à être une voix engagée dans l'Église, une voix significative dans la société et une voix libre, claire, respectueuse et proactive.

    De Vida Nueva :

    Le pape François à Vida Nueva : "Je suis victime de l'Esprit Saint...".

    Le souverain pontife accueille l'équipe de la revue pour une rencontre dans le cadre de notre 65e anniversaire.

    "Le Synode est le rêve de Paul VI", partage-t-il lors du dialogue à Santa Marta

    Jorge Mario Bergoglio estime que "les temps ne sont pas mûrs pour un troisième concile du Vatican".

    "Cela a commencé par une idée folle et nous voilà". C'est ainsi que commence l'accueil du pape François. Par le naturel avec lequel il a pénétré tous les recoins d'un pontificat qui a déjà dépassé une décennie et qui ne sent ni l'usure ni la liquidation par fermeture. C'est du moins ce que l'on ressent. Non seulement au premier coup d'œil, mais aussi lorsque la conversation s'engage sur n'importe quel sujet.

    Malgré ses limites physiques dues à son mauvais genou, ses forces ne lui font pas défaut. Encore moins son enthousiasme. C'est pourquoi la nécessité de lui poser la question de sa démission ne se fait même pas sentir dans la conversation avec lui. Elle n'est ni vue ni attendue. Surtout, en raison de sa lucidité et de son agilité à supporter un troisième degré, pendant plusieurs heures, en sautant d'un sujet à l'autre. Il les connaît tous, comme un prêtre de bidonville habitué à traiter aussi bien avec une femme qui travaille de l'aube au crépuscule pour élever sa famille qu'avec un trafiquant de "paco" qui tente d'accrocher les enfants du bidonville.

    François réagit. Il réfléchit. Il pose des questions. Il propose. Il plaisante. Et il rit. Il rit beaucoup. Il ne relativise pas, mais donne l'importance qu'il faut aux problèmes qui se posent. Brutal avec tout ce qui ronge en s'accumulant. Miséricordieux quand quelqu'un ouvre son cœur en dehors de l'interrogatoire journalistique. Il caresse les blessures. Il console. Il conjugue des verbes d'action. Mais aussi de contemplation. Il écoute. Il accueille. Surtout, il accueille. Dès la minute zéro. Faire voir aux autres qu'ils ne se sentent pas étranges, aliénés ou jugés. C'est ce que perçoit l'équipe de Vida Nueva dès qu'elle franchit la barrière qui s'élève inévitablement lorsqu'on se sait reçu par le successeur de Pierre.

    À l'occasion du 65e anniversaire de la revue, François partage la table avec ceux qui, jour après jour, semaine après semaine, font avancer les éditions imprimées et numériques de ce projet de communication qui a commencé alors qu'une brise commençait à souffler en prévision d'un coup de vent conciliaire et qui, aujourd'hui, semble se renouveler avec un vent frais qui continue à pointer vers Jésus de Nazareth et l'Évangile. Sans règles du jeu ni restrictions, un dialogue s'est instauré au cours de plusieurs séances d'une rencontre où se sont entrecroisés un regard sur le passé, une analyse du présent et des rêves pour l'avenir.

    De la même manière, les préoccupations de ceux qui s'expriment non seulement en tant que rédacteurs, mais aussi en tant que simples chrétiens, alternent avec celles des non-croyants. Ou en tant que non-croyants. (...) Ceux qui prennent la parole sont ceux qui sont sur le terrain : répondant au téléphone aux abonnés -qui appellent tantôt sous les applaudissements, tantôt en se faisant taper sur les doigts-, ou réclamant à cor et à cri que les annonceurs leur confient un bout de chemin de plus sur la route commune. Un à un, les invités se présentent. Quelqu'un lance que, depuis cette fumée blanche du 13 mars 2013, il croit un peu plus à l'Esprit Saint. L'interpellé relève le gant, comme s'il devait lui aussi justifier sa présence dans la salle. Mais il le fait sans sourciller.

    FRANCOIS : Je vais vous dire une chose. Je suis victime de l'Esprit Saint... Je pensais rentrer chez moi après l'élection du pape. J'avais même préparé mon sermon à Buenos Aires pour le dimanche des Rameaux et le jeudi saint. Pendant le conclave, il y a eu plusieurs détails révélateurs, mais je ne les ai pas vraiment remarqués sur le moment. Je les ai vus plus tard, au fil du temps. Je n'ai même pas été inquiet lorsque le premier vote a eu lieu et que certains ont pointé mon nom.

    Ce soir-là, je suis monté au cinquième étage de la Casa Santa Marta pour porter au cardinal de La Havane, Jaime Ortega, les notes qu'il m'avait demandées sur les paroles que j'avais prononcées lors des congrégations générales, lorsque j'avais parlé de la joie douce et réconfortante de l'évangélisation, du danger d'une Église autoréférentielle et de la mondanité spirituelle, ainsi que de la nécessité d'aller dans les périphéries. En lui donnant le journal, il m'a dit : "Oh, comme c'est bien ! Je prends un souvenir du Pape". Sur le moment, je n'ai même pas remarqué la remarque. Lorsque j'ai pris l'ascenseur pour descendre au premier étage, où je me trouvais, le cardinal Errázuriz est entré dans la pièce et m'a dit : "Avez-vous déjà préparé le discours ? "Lequel ? "Celui que vous devez prononcer sur le balcon". Je l'ai également ignoré, comme si rien ne s'était passé.

    De la même manière, il s'est passé quelque chose dans la salle à manger le lendemain au déjeuner. Un autre cardinal m'a parlé et m'a demandé de venir parler à un groupe d'électeurs européens : "Votre Éminence, venez, nous voulons en savoir plus sur l'Amérique latine. Parlez-nous. Je ne me suis pas rendu compte qu'ils me faisaient passer un examen. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase, c'est lorsqu'un cardinal ami s'est ensuite approché de moi pour me demander des nouvelles de ma santé. J'ai démenti certaines rumeurs à mon sujet, sans leur accorder la moindre importance. A tel point que je suis allé faire une sieste tranquille. Ensuite, je suis allé voter comme n'importe quel électeur. Avant d'arriver à la chapelle Sixtine, j'ai rencontré le cardinal Ravasi et nous avons discuté en nous promenant. Je lui ai avoué que j'utilisais ses livres pour enseigner, et à partir de là, nous avons commencé à parler, en évitant tout, jusqu'à ce que nous entendions une voix au loin : "Tu entres ou tu n'entres pas ? Parce que je ferme la porte...". Nous avons failli être enfermés dehors...

    Je vous le dis parce qu'au fond, on est victime de la Providence, de l'Esprit Saint. C'est ainsi que je suis entré dans le conclave et c'est ainsi que j'en suis sorti. Lors du premier vote de l'après-midi, alors que tout était presque évident, le cardinal Hummes, qui était derrière moi, s'est approché de moi et m'a dit : "Ne t'inquiète pas, c'est comme ça que l'Esprit Saint travaille". Et lorsque j'ai été élu lors du vote final, il m'a dit ce que j'avais déjà dit tant de fois : "N'oubliez pas les pauvres". Conclusion : je partage cela pour que vous puissiez voir que l'Esprit Saint existe et je crois qu'il m'a placé là.

    Ceux qui sont dans la salle continuent à se faire connaître. Un espace opérationnel, le lieu où se réunit le Conseil des Cardinaux. Aujourd'hui, il y a des voix avec des accents différents. Parce qu'au sommet de Vida Nueva avec François, il y a les vaticanistes de la maison avec résidence en Italie. Il y a aussi ceux qui racontent la réalité de l'Amérique depuis les délégations situées au Mexique, en Colombie et en Argentine. Certains en personne. D'autres, depuis l'écran, avec un décalage horaire qui appelle la tequila, le café et le maté. Ceux qui sont devant le pape lui offrent un cadeau personnel : une histoire, une croix, une vieille édition de "L'Imitation du Christ" de Thomas de Kempis... Et quelques livres.

    FRANCOIS : Le Synode était le rêve de Paul VI. À la fin du Concile Vatican II, il s'est rendu compte que l'Église en Occident avait perdu la dimension synodale. C'est pourquoi il a créé le Secrétariat pour le Synode des évêques, afin de commencer à y travailler. À l'occasion du 50e anniversaire, ce document signé par moi a été publié, que j'ai rédigé avec un groupe de théologiens, et dans lequel la doctrine synodale est claire et ancrée.

    J'ai récemment appelé un couvent pour parler à une religieuse. Tout allait bien jusqu'à ce qu'elle me dise : "Mais ce Synode ne va-t-il pas changer notre doctrine ? Je lui ai répondu : "Dis-moi, ma chère, qui t'a mis ça dans la tête ? Il s'agit d'aller de l'avant pour retrouver cette dimension synodale que l'Église orientale a et que nous avons perdue.

    Je me souviens qu'au synode de 2001 [sur "L'évêque : serviteur de l'Évangile de Jésus-Christ pour l'espérance du monde"], j'étais secrétaire. L'après-midi, on m'apportait les documents des groupes et je restais sur place pour préparer les votes. Ensuite, le cardinal chargé de la coordination arrivait, vérifiait les documents et commençait à dire : "Ceci ne doit pas être voté... Ceci ne doit pas être voté non plus". Je répondais : "Votre Éminence, cela vient des groupes...". Mais les choses ont été "purifiées". Nous avons progressé et, aujourd'hui, tout est voté et écouté.

    Un exemple est le Synode de l'Amazonie [qui s'est tenu en 2019]. Tout le monde est venu en parlant des viri probati et, une fois à l'intérieur, nous avons vu comment l'action de l'Esprit Saint l'a progressivement changé. On a parlé des 'viri probati', oui, mais aussi d'autres choses importantes, comme le travail des catéchistes, des diacres permanents, des séminaires régionaux ou l'implication des prêtres dans les territoires. Ce sont des avancées qui sont venues de l'intérieur et, en fin de compte, la question des 'viri probati' est restée là.

    Il y a une chose que je ne cesse de répéter : dans le Synode, le protagoniste est l'Esprit Saint. Celui qui ne croit pas en Lui et ne prie pas pendant le Synode ne peut aller nulle part. Cela ne viendra pas à lui. Il arrivera avec une idéologie, une position politique, mais rien de vrai sans un climat de prière. C'est pourquoi j'insiste pour que, dans la méthode de travail de toutes les sessions de l'assemblée, après toutes les trois interventions, il y ait un moment de prière et de silence, pour méditer. Dans le Synode, le protagoniste est l'Esprit Saint. Et si nous sommes fidèles, l'Esprit Saint nous poussera là où nous ne pouvons même pas l'imaginer.

    Nous avons aussi l'exemple du Synode sur la famille. De l'extérieur, la communion pour les divorcés nous a été imposée comme un grand thème. Dans ce cas, il y avait la psychologie de la vague, qui cherchait à s'étendre. Mais, heureusement, le résultat est allé beaucoup plus loin... beaucoup plus loin.

    QUESTION : Ce Synode de synodalité semble tout couvrir : des propositions de renouveau liturgique à la nécessité de plus de communautés évangélisatrices, en passant par une véritable option préférentielle pour les pauvres, un véritable engagement pour l'écologie intégrale, l'accueil des collectifs LGTBI... Était-il question de lui donner la forme d'un Concile Vatican III ?

    RÉPONSE : Le temps n'est pas venu pour un Concile Vatican III. Il n'est pas non plus nécessaire pour le moment, étant donné que Vatican II n'a pas encore été mis en route. Vatican II était très risqué et doit être mis en œuvre. Mais il y a toujours cette crainte que nous ayons tous été secrètement infectés par les "vieux catholiques" qui, dès Vatican I, prétendaient être les "dépositaires de la vraie foi". Toutes ces propositions de "mauvais lactose" doivent être combattues avec des arguments clairs. Il est important de s'opposer aux sophismes.

    Jeunes prêtres...

    François n'ignore pas les résistances à la réforme qu'il a en main. Elles l'inquiètent, mais ne l'accablent pas non plus. Lorsqu'il aborde cette question, il le fait avec la sérénité de celui qui sait que ce qu'il propose n'est pas une idée, mais un atterrissage conciliaire qui n'a pas fait son chemin dans les paroisses, les diocèses et les différents épiscopats.

    Un prêtre qui vit à Santa Marta et qui a rejoint par hasard le groupe Vida Nueva prend la parole. La Providence. Le prêtre, qui a un pied à la Curie et l'autre dans son diocèse, se fait l'écho auprès du Pape lui-même de cette opposition qu'il sent à Rome... et loin de Rome : "Je suis préoccupé par la rigidité des jeunes prêtres...".

    FRANCISCO : Cette rigidité est celle de bonnes personnes qui veulent servir le Seigneur. Ils réagissent ainsi parce qu'ils ont peur de l'époque d'insécurité que nous vivons, et cette peur ne leur permet pas de marcher. Nous devons supprimer cette peur et les aider. D'autre part, cette armure cache beaucoup de pourriture. J'ai déjà eu à intervenir dans certains diocèses de plusieurs pays avec des paramètres similaires. Derrière ce traditionalisme, nous avons découvert des problèmes moraux et des vices graves, des doubles vies. Nous connaissons tous des évêques qui, ayant besoin de prêtres, ont utilisé des personnes qui avaient été renvoyées d'autres séminaires pour immoralité.

    Je n'aime pas la rigidité parce qu'elle est un mauvais symptôme de la vie intérieure. Le pasteur ne peut pas se permettre d'être rigide. Il doit être prêt à faire face à tout ce qui se présente.

    Quelqu'un m'a dit récemment que la rigidité des jeunes prêtres est due au fait qu'ils sont fatigués du relativisme actuel, mais ce n'est pas toujours le cas. Je demande aux évêques de se méfier de cette dérive et d'être clairs sur le fait qu'il n'y a pas que les "bienheureux Imeldas" qui font les meilleurs prêtres. Si l'un d'entre eux vous fait une tête de 'saint' en roulant des yeux, méfiez-vous. Nous avons besoin de séminaristes normaux, avec leurs problèmes, qui jouent au football, qui ne vont pas dans les quartiers pour dogmatiser... Cela m'a aidé de demander des rapports aux femmes des paroisses, aux curés et aux frères chez qui les séminaristes sont allés...

    Q.- Une fois que ces prêtres identifiés comme "rigides" ont été ordonnés, comment les accompagner pour qu'ils rejoignent Vatican II ? Parce que, au fond, ils souffrent de ne pas pouvoir accepter ce qui vient ?

    R.- On a besoin de ces pasteurs à poigne, de ces prêtres qui sont vivants et qui ont dépassé l'âge mûr. Ils ont l'expérience et la patience pour les accompagner. Lentement, ils les "amollissent". Quand ils voient que l'accueil du Concile n'est pas une menace pour le magistère, ils "s'assouplissent". Mais ce n'est pas facile, car le cléricalisme est toujours là.

    Il y a des gens qui vivent enfermés dans un manuel de théologie, incapables d'entrer dans les questions et de faire avancer la théologie. La théologie stagnante me rappelle que l'eau stagnante est la première à se corrompre, et que la théologie stagnante engendre la corruption. Les mouvements de gauche et de droite qui restent stagnants créent de la corruption.

    Je me souviens que, lorsque le père Arrupe a dit que le pape devait intervenir sur l'analyse marxiste de la réalité dans la théologie de la libération, ils se sont heurtés à une théologie qui stagnait et privait la richesse de ce qui était une théologie de la libération plus sérieuse, créée par Gustavo Gutiérrez. D'ailleurs, l'autre jour, j'ai vu une photo de lui à l'occasion de son 95e anniversaire et de la façon dont le cardinal Pedro Barreto lui a remis son pectoral. ....

    Q.- Avez-vous pu lire le rapport que vous avez commandé sur les séminaires espagnols ?

    R.- La première chose que je dois dire, c'est que les deux évêques uruguayens qui se sont rendus en Espagne - Arturo Fajardo et Milton Tróccoli - ont fait un excellent travail ; c'est l'un des meilleurs que nous ayons. En gardant cette idée à l'esprit, et maintenant je parle en général, au-delà de l'Espagne, il est clair qu'un séminaire avec deux, trois ou cinq séminaristes ne fonctionne pas. Les grands séminaires doivent créer de petites communautés, et ceux qui ont peu de candidats doivent se regrouper. Il est nécessaire de redimensionner et de générer une dynamique communautaire raisonnable. Le nombre est la clé.

    D'autre part, nous devons mettre l'accent sur une formation humaniste. Ouvrons-nous à un horizon culturel universel qui les humanise. Les séminaires ne peuvent pas être des cuisines idéologiques. Les séminaires sont là pour former des pasteurs, pas des idéologues. Le problème des séminaires est grave.

    Q.- (...) Comment voyez-vous les évêques espagnols ?

    R.- Ce sont de bons bergers. Ils voient déjà que dans les nouvelles nominations d'évêques, non seulement en Espagne, mais dans le monde entier, j'applique un critère général : une fois qu'un évêque est résidentiel et qu'il est assigné, il est déjà marié à ce diocèse. S'il en regarde un autre, il s'agit d'un "adultère épiscopal". S'il cherche à être promu, il commet un "adultère épiscopal". C'est pourquoi je vous demande de chercher des prêtres auxiliaires ou des évêques auxiliaires. Un évêque auxiliaire est un veuf qui a quitté sa paroisse, mais qui est maintenant dans le no man's land, accompagnant la résidence.

    Q.- Pourquoi ne venez-vous pas en Espagne ?

    R.- Je n'irai dans aucun grand pays d'Europe avant d'avoir terminé les petits. J'ai commencé par l'Albanie et, bien que je sois allé à Strasbourg, je ne suis pas allé en France. Même si je vais à Marseille, je ne vais pas en France.

    Q.- Avez-vous d'autres voyages prévus que ceux annoncés officiellement ?

    R.- Nous travaillons sur le Kosovo, mais ce n'est pas encore défini.

    Q.- Et l'Argentine, allez-vous vraiment y aller ?

    R.- Je peux confirmer que c'est au programme. Nous verrons s'il est possible de le faire, une fois l'année électorale terminée. Une fois les élections passées, c'est possible. Pour l'instant, je ne pense qu'à l'Argentine... et peut-être à l'Uruguay. Il y a eu plusieurs tentatives auparavant, mais les élections ont fait échouer la visite.

    Q.- Comment se déroulent les négociations de paix face à la guerre en Ukraine ?

    R.- Le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne, travaille d'arrache-pied en tant que responsable des négociations. Il s'est déjà rendu à Kiev, où l'on maintient l'idée de la victoire sans opter pour la médiation. Il s'est également rendu à Moscou, où il a trouvé une attitude que l'on pourrait qualifier de diplomatique du côté russe. L'avancée la plus significative concerne le retour des enfants ukrainiens dans leur pays. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que chaque membre de famille réclamant le retour de ses enfants puisse le faire.

    A cette fin, j'envisage de nommer un représentant permanent pour servir de pont entre les autorités russes et ukrainiennes. Pour moi, dans la douleur de la guerre, c'est un grand pas. Après la visite du cardinal Zuppi à Washington, la prochaine étape prévue est Pékin, car tous deux détiennent également la clé de la désescalade du conflit. Toutes ces initiatives constituent ce que j'appelle une "offensive de paix". En outre, en novembre, avant le sommet des Nations unies sur le climat qui se tiendra à Dubaï, nous organiserons une réunion sur la paix avec les chefs religieux à Abou Dhabi. Le cardinal Pietro Parolin coordonne cette initiative, qui vise à se dérouler en dehors du Vatican, dans un territoire neutre qui invite to

  • Comment le pape François prépare le prochain conclave

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    De Sandro Magister (Settimo Cielo) en traduction française sur Diakonos.be :

    Comment François prépare le prochain conclave, avec ses favoris en cardinaux

    Ce n’est plus une hypothèse mais une certitude.  Nous savons à présent que le Pape François est obnubilé par l’idée de « ce qu’il y aura après moi », c’est-à-dire au futur conclave, qu’il soit proche ou lointain.  C’est lui-même qui l’a dit il y a quelques jours dans une interview à l’agence ADN Kronos.  Dans cette interview, il a notamment appliqué à lui-même la célèbre citation « Nous sommes en mission pour le Seigneur » des Blues Brothers, en disant textuellement :

    « Je ne crains rien, j’agis au nom et pour le compte de notre Seigneur.  Suis-je un inconscient ?  Est-ce que je pèche par manque de prudence ?  Je ne saurais le dire, mais je me laisse guider par mon instinct et par l’Esprit-Saint ».

    Et de fait, ses dernières promotions – et destitutions – anciennes et nouvelles de cardinaux semblent avoir précisément pour objectif de préparer un conclave dans un sens qui lui plaise.

    *

    Pour commencer, le Pape François a brutalement mis hors-jeu – en le dégradant sur-le-champ le 24 septembre – le cardinal Giovanni Angelo Becciu, qui, dans un conclave, s’il n’était pas candidat à sa succession, aurait certainement été un grand électeur capable de mener sa barque, fort de ses huit années à la Secrétairerie d’État en tant que « substitut », au contact quotidien avec le Pape et aux manettes du gouvernement de l’Église mondiale.

    Dépouillé de ses « droits » de cardinal, Mgr Becciu ne pourra en effet même plus entrer en conclave, bien que l’historien de l’Église Alberto Melloni prétende le contraire.

    La raison de sa disgrâce serait le mauvais usage qu’il aurait fait de l’argent de la Secrétairerie d’État et du Denier de Saint-Pierre.  Mais Mgr Becciu sait également que ni le Pape ni son propre supérieur direct, le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, ne sont tout blancs dans cette affaire. En effet, un document de la magistrature du Vatican accessible à tous montre que Mgr Becciu aurait informé le Pape de ses placements, même les plus risqués, et que ce dernier les avait approuvés. Tout comme un email de travail entre le cardinal Parolin et la soi-disant experte des services secrets Cecilia Marogna, recrutée des années auparavant par Mgr Becciu parmi les « officiels publics » de la Secrétairerie d’État et aujourd’hui accusée de détournement de fonds et d’abus de biens sociaux avec l’argent du Vatican qui lui avait imprudemment été confié.

    Le fait que le Pape François l’ait nommé comme son « délégué personnel » auprès de l’ordre des Chevaliers de Malte témoigne du lien de confiance étroit qui unissait jusqu’il y a peu le Pape et Mgr Becciu.  Et qui le Pape a-t-il à présent nommé à la place de Mgr Becciu ?  Un autre de ses favoris, le nouveau cardinal Silvano Tomasi, ancien représentant du Vatican aux Nations-Unies, qui a surtout été impliqué dans le conflit fratricide au sein de l’Ordre qui a poussé l’innocent Grand-Maître Fra’ Matthew Festing à la démission forcée qui lui a été imposée par le Pape en personne.

    Très proche du cardinal Parolin, Mgr Tomasi est justement l’un des treize nouveaux cardinaux que François revêtira de la pourpre cardinalice le 28 novembre prochain.

    Une liste dans laquelle il est instructif de voir non seulement qui y figure mais également qui ne s’y trouve pas.

    *

    N’y figurent pas, par exemple, deux archevêques de premier ordre : celui de Los Angeles José Horacio Gómez, qui est également le président de la Conférence épiscopale des États-Unis, et l’archevêque de Paris, Michel Aupetit.

    L’un et l’autre sont dotés de qualités hors du commun et jouissent d’une large estiment mais ils ont le désavantage – aux yeux du Pape François – d’apparaître trop éloignés des lignes directrices de l’actuel pontificat.  Mgr Aupetit a également une expérience comme médecin et bioéthicien, tout comme l’archevêque et cardinal hollandais Willem Jacobus Eijk.  Et ce n’est un mystère pour personne qu’aussi bien Mgr Gómez que Mgr Aupetit, s’ils sont créés cardinaux – ce qui ne sera pas le cas – figureraient, en cas de conclave, dans la liste restreinte des candidats au profil solide susceptible d’apparaître comme des alternatives à François, une liste dont font déjà partie le cardinal Eijk ainsi que le cardinal hongrois Péter Erdô, bien connu pour avoir mené, au cours du synode sur le famille dont il était le rapporteur général, avec sagesse et fermeté la résistance aux partisans du divorce et de la nouvelle morale homosexuelle.

    *

    Parmi les cardinaux fraîchement nommés, et qui doivent tous leurs carrières respectives à Jorge Mario Bergoglio, figurent trois autres noms qui sortent du lot.

    Aux États-Unis, la promotion au cardinalat de Wilton Gregory, l’archevêque de Washington, premier cardinal afro-américain de l’histoire mais également adversaire acharné de Donald Trump, a fait beaucoup de bruit.

    C’est de l’île de Malte que provient un autre nouveau cardinal, Mario Grech, défenseur acharné de la synodalité comme forme de gouvernement de l’Église et récemment promu par François secrétaire général du synode des évêques. À peine nommé, Mgr Grech s’est tout de suite illustré dans une interview à « La Civiltà Cattolica » dans laquelle il a taxé d’« analphabétisme spirituel » et de « cléricalisme » ces chrétiens qui souffrent du manque de célébrations eucharistiques pendant le confinement et qui ne comprennent pas qu’on peut fort bien se passer de sacrements parce qu’il existe « d’autres moyens pour se connecter au mystère ».

    Mais la promotion de Marcello Semeraro, le nouveau cardinal qu’il a nommé à la place laissée vacante par Mgr Becciu fraîchement défenestré, celle de de Préfet de la Congrégation pour la cause des saints, est quant à elle bien plus stratégique.

    Mgr Semararo est un personnage-clé de la cour du Pape Bergoglio, depuis son élection au pontificat.  Il a été, jusqu’à il y a quelques semaines encore, le secrétaire de l’équipe des 8, puis 9, puis 6 et à présent 7 cardinaux qui assistent François dans la réforme de la Curie et dans le gouvernement de l’Église universelle.

    Originaire des Pouilles et âgé de 73 ans, Mgr Semeraro a été professeur d’ecclésiologie à l’Université pontificale du Latran et ensuite évêque, d’abord d’Oria et ensuite d’Albano.  Mais le tournant décisif a été pour lui sa participation au synode de 2001 comme secrétaire.  C’est là qu’il s’est lié d’amitié avec celui qui était encore le cardinal Bergoglio, chargé en dernière minute de prononcer le discours d’ouverture de ces assises à la place du cardinal Edward M. Egan de New-York, bloqué au pays à cause de l’attentat contre les tours jumelles.

    Le lien entre les deux hommes s’est rapidement renforcé et, chaque fois que le cardinal Bergoglio venait à Rome, il ne manquait jamais l’occasion de faire un petit détour par Albano.  Jusqu’au conclave de 2013 où les deux hommes – comme aime à le rappeler Mgr Semeraro – se sont rencontrés pendant deux heures la veille de l’élection, et où le cardinal Bergoglio était « étrangement silencieux ».  Le premier évêque que le nouveau pape a reçu en audience après son élection a justement été Mgr Semeraro, qui a ensuite rapidement été nommé secrétaire de la toute nouvelle équipe de cardinaux conseillers.  Quand, en décembre 2017, Mgr Semeraro a atteint l’âge de 70 ans, le Pape François lui a fait la surprise d’apparaître à Albano à l’heure du déjeuner et de faire la fête avec lui (voir photo).

    Mais ce n’est pas tout.  Aussi bien Gregory que Grech et Semeraro sont depuis des années partisans d’un changement de la doctrine et de la pratique de l’Église catholique en matière d’homosexualité.  Dans son diocèse d’Albano, Semeraro accueille chaque année le Forum des chrétiens LGBT italiens.  C’est également lui qui a rédigé la préface du récent essai « L’amour possible. Personnes homosexuelles et morale chrétienne » du P. Aristide Fumagalli, professeur à la Faculté théologique de Milan et émule en Italie du jésuite américain James Martin, encore plus célèbre égérie de la nouvelle morale gay, une préface à laquelle le Pape François n’a pas manqué de manifester son appréciation.

    *

    Il faut également rappeler les manœuvres que François a effectuées ces dernières semaines pour favoriser d’autres cardinaux qui sont chers à ses yeux.

    La plus singulière a été la nomination le 5 octobre dernier du cardinal Kevin Farrell comme président d’un nouvel organisme du Vatican compétent pour les « dossiers spéciaux », c’est-à-dire qui sortent des normes ordinaires et qui sont couverts par le secret le plus rigoureux.

    Âgé de 73 ans, le cardinal Farrell est né à Dublin et a ensuite été évêque aux États-Unis, membre des Légionnaires du Christ dans sa jeunesse, il a été nommé en 2016 au Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie et, depuis février 2019, il est également « camerlingue » du collège des cardinaux, c’est-à-dire délégué pour diriger l’Église pendant la période entre la mort d’un Pape et l’élection de son successeur.

    Il est clair qu’avec ces promotions en série, le Pape François a attribué au cardinal Farrell, visiblement son benjamin, une quantité de pouvoirs hors du commun.

    Et tout cela malgré que la biographie de ce cardinal comporte plusieurs parts d’ombres qui ne sont toujours pas éclaircies.

    Ses années les plus sombres ont été celles où, en tant qu’évêque auxiliaire et vicaire général de Washington, il a été le plus proche collaborateur et l’homme de confiance de celui qui était alors titulaire du diocèse, le cardinal Theodore McCarrick, avec lequel il a même partagé son logement entre 2002 et 2006.

    Ces années-là, les deux diocèses de Metuchen et de Newark dans lesquels McCarrick avait été précédemment évêque ont payé des dizaines de milliers de dollars pour mettre fin aux poursuites judiciaires lancées par des anciens prêtres qui l’avaient dénoncé pour avoir sexuellement abusé d’eux.  Et déjà à l’époque, des accusations bien plus large d’abus circulaient à l’encontre de McCarrick, des accusations qui allaient s’intensifier et se vérifier jusqu’à le mener à sa condamnation définitive en 2018 et à sa réduction à l’état laïc.

    Mais malgré sa grande proximité avec McCarrick, Mgr Farrell a toujours prétendu n’avoir jamais eu, à cette époque, « aucune raison de suspecter » quoi que ce soit d’illicite dans le comportement du cardinal qui était son chef, son mentor et son ami.

    En octobre 2018, le Pape François a promis la publication d’un rapport censé mettre en lumière les protections et les complicités dont McCarrick aurait bénéficié dans la hiérarchie jusqu’au plus haut niveau.

    Mais la nomination du cardinal Farrell comme gardien des dossiers les plus confidentiels ne permet pas d’espérer que ce rapport – dont la publication est annoncée pour demain 10 novembre – fera entièrement la clarté.

    En tant que préfet du Dicastère pour la famille, Farrell s’est également distingué pour avoir nommé comme rapporteur de la rencontre mondiale des familles qui s’est tenue à Dublin en 2018 le jésuite James Martin, dont il a rédigé la préface du livre pro-LGBT « Building a bridge ».

    *

    Une autre manœuvre de François concerne la soi-disant « banque » du Vatican, l’Institut pour les Œuvres de Religion (IOR).

    L’IOR est supervisé par une commission de cardinaux à laquelle le Pape a apporté certains changements le 21 septembre dernier.

    Il a parachuté parmi les nouveaux membres deux de ses protégés : le cardinal polonais Konrad Krajewski, son « aumônier » très actif dans les œuvres caritatives, ainsi que le cardinal philippin – un peu chinois du côté de sa mère – Luis Antonio Gokim Tagle, préfet de « Propaganda Fide » et universellement considéré comme l’homme que François verrait bien prendre sa succession.

    Parmi les membres non reconduits, on trouve en revanche un nom bien connu, celui du cardinal Pietro Parolin, ce qui a fait penser à un déclassement personnel aussi bien pour lui que pour la Secrétairerie d’État.

    Mais en réalité, le fait qu’il ait quitté de la commission de l’IOR constitue un avantage pour le cardinal Parolin.  En effet, il fait des pieds et des mains pour se positionner comme n’ayant rien à voir avec les malversations qui font l’objet d’une enquête au sein de la Secrétairerie d’État et il a donc intérêt à se tenir éloigné d’une éventuelle tourmente qui pourrait rapidement impliquer l’IOR, qui est accusée par deux fonds d’investissement maltais de leur avoir causé un préjudice de plusieurs dizaines de millions d’euros à la suite de la rupture d’un accord pour l’achat et la restauration de l’ancien Palais de la Bourse de Budapest.

    Mais entretemps, Parolin a subi un autre revers, bien plus sérieux celui-là : l’injonction du Pape à la Secrétairerie d’État de se dépouiller de tous ses biens mobiliers et immobiliers, qui devront tous être confiés à la banque centrale du Vatican, l’APSA, et soumis au contrôle de la Secrétairerie pour l’économie, c’est-à-dire précisément à cet organisme présidé à l’origine par le cardinal George Pell et auquel Parolin et son substitut Becciu ont toujours refusé de se soumettre.

    Parolin figurait depuis longtemps parmi les « papables » mais il peut désormais se considérer comme rayé de la liste.  Cela fait d’ailleurs au moins deux ans que le consensus autour de sa candidature est en net déclin.  En tant qu’homme de gouvernement, les malversations de ses subalternes à la Secrétairerie d’État jouent lourdement en sa défaveur.  En tant que diplomate, il n’a pas engrangé le moindre succès sur le terrain, ni au Moyen-Orient, ni au Venezuela, et encore moins en Chine.  Et désormais, même ses éventuelles capacités à canaliser et à équilibrer l’état de confusion dans lequel l’Église est plongée par le pontificat de François sont jugées comme étant trop modestes.

    *

    En effet, le Pape Bergoglio semble préférer comme homme au pouvoir un autre cardinal que Parolin, le Hondurien Óscar Andrés Rodríguez Maradiaga, qu’il a reconfirmé mi-octobre dans ses fonctions de coordinateur du « C7 », l’équipe des sept cardinaux chargés de le conseiller.

    Comment François peut encore continuer à faire confiance à Maradiaga, c’est un mystère.  Outre le fait qu’il fasse l’objet de lourdes accusations de malversations financières ayant déjà d’une visite apostolique dans son diocèse pour enquêter, le cardinal Maradiaga a eu pendant des années comme évêque auxiliaire et comme protégé Juan José Pineda Fasquelle, destitué à l’été 2018 en raison de pratiques homosexuelles continues avec ses séminaristes.

    Et ce n’est pas tout.  Ce même été de l’année 2018, François a nommé au rôle-clé de substitut de la Secrétairerie d’État – à la place de Becciu promu cardinal – l’archevêque vénézuélien Edgar Peña Parra, ancien conseiller de nonciature au Honduras entre 2002 et 2005 et très lié à Maradiaga et Pineda, auxquels il doit sa nomination comme évêque auxiliaire et Tegucigalpa, en plus d’avoir lui-même fait l’objet d’accusations pour des écarts de conduite qui n’ont jamais fait l’objet d’aucune vérification impartiale au Vatican.

    *

    Est-ce donc Tagle qui reste le véritable successeur que François a « in pectore », lui que toutes les manœuvres décrites semblent favoriser le plus ?

    Il ne fait aucun doute que le cardinal sino-philippin soit le « papable » le plus cher aux yeux du Pape Bergoglio.  Mais de là à ce qu’un futur conclave l’élise Pape, rien n’est gagné, au contraire.  Précisément parce qu’il ressemble trop à François, il est facile de prévoir que Tagle sera victime des nombreux ressentiments envers le pontificat actuel qui ne manqueront pas de se manifester.

    Il n’est donc pas exclu que le pape Bergoglio ait en tête un autre successeur qui lui plaise, peut-être davantage en mesure d’être élu.  Et il pourrait s’agir du cardinal passe-partout de Bologne, Matteo Zuppi, qui a déjà plusieurs cordes à son arc – il a même gagné le mois dernier un prix de 

  • L’Ukraine combat mais, pour le pape François, il n’y a pas de guerre juste

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    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso, en traduction française sur Diakonos.be :

    L’Ukraine combat mais, pour François, il n’y a pas de guerre juste

    Jour après jour le Pape François n’a de cesse de condamner la « guerre d’agression » déclenchée par la Russie contre l’Ukraine comme étant « inacceptable » et « sacrilège » avec une indignation allant crescendo, sans cependant jamais nommer l’État agresseur ni son monarque.

    François a également tacitement consenti à ce que son Secrétaire d’État, le cardinal Pietro Parolin, reconnaisse que « le droit à défendre sa propre vie, son propre peuple et son propre pays inclut parfois également le triste recours aux armes » et que donc « les aides militaires à l’Ukraine peuvent être compréhensibles ».

    Mais dans le même temps, le Pape continue à proférer des invectives contre la fabrication et la distribution des armes par « le pouvoir économico-technocratico-militaire », qu’il juge être une « folie », « un scandale qui tache l’âme, salit le cœur, salit l’humanité », la véritable origine de toutes les guerres, pour l’amour de l’argent. Il a été jusqu’à dire qu’il a été « honteux » de lire qu’« un groupe d’États s’était engagé à dépenser 2% de leur PIB pour acheter des armes ».

    Donc, à en croire le Pape François, si les Ukrainiens, qui sont les agressés, voulaient continuer à se défendre, ils devraient le faire à mains nues. Tout comme les États libres d’Europe et de l’Atlantique Nord.

    Cette contradiction irrésolue sur la paix et la guerre n’est pas la seule qui caractérise le pontificat actuel. Mais c’est sans doute celle qui est la plus lourde de conséquences politiques, sans parler de l’insignifiance croissante du Saint-Siège sur l’échiquier mondial.

    *

    C’est au XXe siècle que la doctrine catholique sur la paix et la guerre ont trouvé leur formulation la plus aboutie. On peut la lire dans le « Catéchisme de l’Église catholique » de 1997, dans le « Compendium de la doctrine sociale de l’Église catholique » de 2006 ainsi que, anticipée avec lucidité, dans un classique de la pensée chrétienne du XXe siècle tel que « Les Chrétiens devant le problème de la paix » d’Emmanuel Mounier, un ouvrage de 1939, republié en Italie ces derniers jours par Castelvecchi sous le titre « I cristiani e la pace » avec une introduction de Giancarlo Galeazzi, professeur à l’Université pontificale du Latran et spécialiste du « personnalisme », la philosophie élaborée par Mounier lui-même et par Jacques Maritain.

    Il s’agit d’une doctrine qui, dans des conditions précises et rigoureuses, légitime l’usage de la force. Jusqu’à finir par admettre, dans le discours inaugural de 1993 du Pape Jean-Paul II au corps diplomatique, « l’ingérence humanitaire » armée pour défendre un État qui se retrouve « sous les coups d’un agresseur injuste ».

    Pour le Pape François, en revanche, cette doctrine a fait son temps. Selon lui, on peut peut-être faire la guerre pour défendre celui qui est victime d’une agression, comme un moindre mal, mais dans tous les cas on ne doit plus la définir ni la juger comme étant « juste ». Il l’a dit lors de la vidéoconférence qu’il a eue le 15 mars dernier avec le patriarche de Moscou Cyrille : « Autrefois, même dans nos Églises, on parlait de guerre sainte ou de guerre juste. Aujourd’hui, on ne peut plus parler ainsi. Les guerres sont toujours injustes ».

    La rupture la plus nette avec la doctrine et la formule de la « guerre juste » a été actée par le Pape François dans son message pour la journée de la paix du 1er janvier 2017, entièrement consacré à la non-violence « comme style d’une politique pour la paix ».

    Mais ensuite, dans la conférence de presse du 26 novembre 2019 à bord du le vol de retour du Japon, il a estimé que le projet d’une encyclique consacrée à la paix et à la non-violence pour codifier ce retournement n’était pas encore mûr, même s’il l’avait envisagé. Il a affirmé que la question était ouverte et « qu’il fallait la soumettre à un réexamen ». Et il a ajouté que pour le moment le recours aux armes « restait toujours licite » dans les cas admis par la théologie morale.

    Il est un fait que les oscillations permanentes de jugement de la part du pape actuel génèrent même au sein de l’Église des dérapages dans un sens comme dans l’autre.

    La Communauté de Saint’Egidio, en particulier, qu’on surnomme « l’ONU du Trastevere », s’est faite ces derniers jours la promotrice d’une mise en œuvre très diversifiée, et donc fidèle, du magistère contradictoire de François.

    Mario Giro, une personnalité éminente de la Communauté dans la politique internationale, a écrit sans admettre d’exceptions : « Les papes nous disent que la guerre est un mal en soi, que toutes les guerres le sont et qu’il n’existe pas de guerre juste. C’est la guerre qui est le mal absolu ».

    Andrea Riccardi, le fondateur, a lancé un appel, depuis les premiers jours de l’agression de l’Ukraine, pour que la capitale Kyiv soit déclarée « ville ouverte » pour être épargnée de la destruction. Sans expliquer, cependant, que techniquement une « ville ouverte » est une ville qui, à la suite d’un accord explicite des parties en conflit, est abandonnée à l’ennemi, dans ce cas à la Russie, sans opposer de résistance. Autrement dit, une capitulation devant le nouvel empereur Vladimir Poutine.

    Quant à Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et cardinal, lui aussi parmi les fondateurs de la Communauté de Sant’Egidio et qui plus est papabile, il a préféré dire vaguement tout et son contraire dans une interview de deux pages publiée dans le quotidien « Domani » du dimanche 20 mars : aussi bien qu’ « aucune guerre n’est juste » que « dans une situation de conflit ouvert et tragique comme celle à laquelle nous assistons, on a le droit de se défendre ».

    En revanche, dans l’attente du « réexamen » évoqué confusément par le Pape François, la doctrine catholique classique sur la guerre et la paix, dont traite Mounier dans son essai récemment republié et surtout développée par Jean-Paul II, reste quant à elle bien plus linéaire.

    Pour s’en faire une idée, appliquée à la guerre actuelle en Ukraine, voici un bref extrait de la préface du livre du penseur français.

    L’auteur de cette préface est Stefano Ceccanti, professeur de droit public comparé à l’Université de Rome « La Sapienza » et sénateur du parti démocrate, ainsi que dans sa jeunesse président des universitaires catholiques.

    *

    La leçon inquiète d’Emmanuel Mounier

    de Stefano Ceccanti

    Malgré la diffusion de positions pacifistes radicales au sein de l’Église catholique, tout appréciables qu’elles soient au plan individuel, et la nécessité d’une position diplomatique et œcuménique du Saint-Siège qui lui évite, avec le pontife « pro tempore » en charge qui qu’il soit, de basculer dans la polémique pure et dure avec les pays agresseurs, comme c’est aujourd’hui le cas de la Russie poutinienne, la complexité décrite en son temps par Emmanuel Mounier, avec quelques mises à jour importantes, reste centrale dans le magistère actuel de l’Église.

    Le « Compendium de la doctrine sociale de l’Église catholique » de 2006, au numéro 500 (sur les conditions de la légitime défense » repropose les quatre conditions énoncées par Mounier, avec un ajout de prudence accrue sur la « puissance des moyens actuels de destruction ». Sur la question de l’autorité légitime, le numéro 501 se réfère à la Charte des Nations unies et au rôle du conseil de sécurité. Le paragraphe 506 (sur le devoir de protection des minorités opprimées) s’ouvre, à des conditions similaires, y compris à des formes d’ingérence humanitaire au sein d’un État donné, remettant donc en cause la souveraineté de l’État et faisant l’éloge de l’institution de la Cour pénale internationale.

    Par rapport à la reconstruction de Mounier, la doctrine catholique semble donc faire preuve d’un doute plus grand par rapport au canon de la proportionnalité, vu l’augmentation de la puissance destructrice des moyens, mais semble dans le même temps étendre l’intention droite à l’ingérence humanitaire.

    En d’autres termes, les deux mises à jour les plus importantes confirment la complexité de la doctrine, parce que l’une invite à une plus grande prudence tandis que l’autre étend les finalités susceptibles de légitimer l’usage de la force.

    Le paragraphe 500 du « Compendium » conditionne également l’exercice de la légitime défense à son efficacité raisonnable : on ne doit la pratiquer que quand « soient réunies les conditions sérieuses de succès », une précision qui vise de toute évidence à éviter des formes de témoignage extrêmes. On ne peut toutefois pas lire cette observation de manière simpliste, comme si l’évaluation était limitée au seul moment d’une agression et à ses conséquences les plus immédiates : si c’était le cas, seule une capitulation sans conditions serait admise. Du reste, l’Écriture sainte nous présente le cas de Goliath, beaucoup plus grand et plus fort, mais avec une visibilité inférieure à celle de David qui l’a vaincu. Celui qui voit plus loin sait que celui qui semble perdant dans un premier temps ne le sera pas nécessairement en fin de parcours.

    Dans tous les cas, objectivement, que ce soit avant ou après, il n’en demeure pas moins une grande complexité des critères identifiés ainsi que le refus de positions simplistes, comme l’avait clarifié quelques années plus tôt la Note doctrinale de 2002 de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui rejetait « une vision irénique et idéologique de la paix, […] qui ne tiendrait pas compte de la complexité des raisons en question », à laquelle elle opposait « un engagement constant et vigilant de la part des responsables politiques ». […]

    Loin d’avoir mis l’histoire au frigo, la fin de la guerre froide a suscité des dilemmes constants sur les difficultés de la paix et de la guerre. Avec la fin d’une période dans laquelle les équilibres étaient définis par deux superpuissances dans le cadre de sphères d’influences bien définies, bien que non comparables entre elles (l’Occident des sociétés ouvertes, malgré toutes ses imperfections et ses contradictions, a été et demeure malgré tout un « monde libre »), les situations de crise dans lesquelles les démocraties occidentales se sont retrouvées à devoir choisir entre mobilisation belliqueuse et neutralité se sont multipliées : de la première guerre du Golfe décidée par l’ONU à la seconde voulue par Bush contre l’avis de l’ONU, en passant par l’intervention humanitaire au Kosovo contre la très dure répression des minorités albanaises de la part de Milosevic, sans oublier l’Afghanistan et le Liban, jusqu’à l’envoi d’armes en Ukraine.

    Ces dilemmes se prêtent mal à des certitudes absolues, et bien souvent les jugements sont même susceptibles de changer, parce qu’il n’est possible d’avoir une conscience complète de l’impact des décisions qu’après le déroulement des événements. En outre, tout ce qui est légitime n’est pas forcément opportun ni fécond.

    Toutefois, sans tomber dans des manichéismes faciles, on gagne toujours à se rappeler qu’un droit imparfait vaut toujours mieux que pas de droit du tout. L’approche des cultures démocratiques, à la différence de la résignation substantielle aux pires pulsions de volonté de puissance du bellicisme ou de la recherche de perfection d’un pacifisme abstrait, nous montre justement l’importance de la batille pour les causes imparfaites théorisée par Emmanuel Mounier, qui l’a reprise du philosophe Paul-Ludwig Landsberg.

    Comme Mounier l’a écrit, la « force créatrice » de l’engagement naît de « la tension profonde » qu’elle suscite entre l’imperfection de la cause et la fidélité absolue aux valeurs qui sont en jeu. L’abstention est une illusion. Le scepticisme est encore une philosophie : mais la non-ingérence entre 1936 et 1939 a produit la guerre d’Hitler. D’autre part, la conscience inquiète et parfois lacérée que nous obtenus de l’impureté de notre cause nous tient éloignés du fanatisme, dans un état d’attention et de vigilance critique. […] Le risque que nous acceptons dans l’obscurité partielle de notre choix nous place dans un état de privation, d’insécurité et d’audace qui est le climat des grandes actions ».

  • ”L'Église doit changer, nous risquons de parler à un homme qui n'existe plus” (cardinal Hollerich)

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    De Stefano Fontana sur la Nuova Bussola Quotidiana :

    Même l'Osservatore Romano embrasse l'Église gay et sécularisée.

    26-10-2022

    Dans une longue interview accordée au journal du Vatican, le cardinal Hollerich, président des évêques européens, théorise une "Église qui ne discrimine pas" dans laquelle il n'y a même plus besoin de se convertir : ayant effacé le péché, originel et actuel, tout ce qui existe est bon. Et bien sûr, il est bon de bénir les unions homosexuelles. Et que ce soit clair : l'interview de Hollerich, ainsi que la précédente de Zuppi, n'est pas une opinion personnelle, mais a pour but d'indiquer le chemin décidé d'en haut.

    Le cardinal Jean-Claud Hollerich, archevêque de Luxembourg, a exprimé ses idées sur l'Église d'aujourd'hui et de demain dans une longue interview à L'Osservatore Romano que Vatican news a intitulée "L'Église doit changer, nous risquons de parler à un homme qui n'existe plus". Hollerich est un cardinal très important aujourd'hui. Il préside la Comece, l'organe épiscopal des pays de l'Union européenne, il est vice-président du Conseil des évêques européens et il est le rapporteur général du Synode sur la synodalité. Appelons-le un homme clé de l'Eglise de François.

    De cet entretien émerge le "que faire ?" ecclésial et pastoral de notre temps. Les méga-interviews de ce type dans L'Osservatore répondent à une fonction politique, elles servent à faire dire à l'interviewé l'importance qu'il accorde à la confirmation d'une ligne ou à son opposition. Cela ne signifie pas qu'ils sont moins importants, ils le sont en fait davantage, car ils n'expriment pas des opinions personnelles mais la voie qui a été décidée au sommet.

    En ce qui concerne cette voie, mettons tout d'abord nos cœurs en repos sur un point particulier : les bénédictions des couples homosexuels à l'église seront là, elles seront autorisées et même réglementées. Ce que les évêques flamands ont fait deviendra la norme pour tous (c'est pourquoi il est facile de penser que l'initiative ne vient pas d'eux). Hollerich dit ceci en tant que "pasteur" : "Il y a quelques semaines, j'ai rencontré une fille d'une vingtaine d'années qui m'a dit "Je veux quitter l'Église parce qu'elle n'accepte pas les couples homosexuels", je lui ai demandé "vous sentez-vous discriminée parce que vous êtes homosexuelle ?" et elle m'a répondu "Non, non !". Je ne suis pas lesbienne, mais mon amie la plus proche l'est. Je connais sa souffrance, et je n'ai pas l'intention de faire partie de ceux qui la jugent". Ceci, conclut le cardinal, m'a fait beaucoup réfléchir".

    Il poursuit en affirmant que les personnes homosexuelles n'ont pas choisi leur orientation sexuelle, qu'elles ne sont pas des "pommes pourries", que lorsque Dieu a vu la création, il a dit qu'elle était bonne et que, par conséquent, "je ne pense pas qu'il y ait de place pour un mariage sacramentel entre personnes du même sexe, car il n'y a pas la finalité procréatrice qui le caractérise, mais cela ne signifie pas que leur relation affective n'a pas de valeur". Un couple de même sexe est une bonne chose, car Dieu ne fait de mal à personne.

    Une Église qui ne fait pas de discrimination, telle est la proposition du cardinal Hollerich pour la mission de l'Église dans le monde d'aujourd'hui. Une Église qui proclame l'Évangile de manière radicale : "Nous sommes appelés à annoncer une bonne nouvelle, et non un ensemble de règles et d'interdictions. Une Église qui veut annoncer l'Évangile " avant tout par son engagement dans le monde en faveur de la protection de la création, de la justice pour la paix ". Dans le monde d'aujourd'hui, dit-il, ce n'est pas ce que nous disons mais ce que nous témoignons qui est reçu. Selon lui, l'encyclique "Laudato sì" est comprise et appréciée même par les non-croyants parce qu'elle est la proclamation d'un "nouvel humanisme", qui n'est pas une proposition politique mais est évangélique.

    La proposition de Hollerich est celle de l'Église d'aujourd'hui : "Partir de la réalité, cette réalité qui nous voit tous comme des créatures et des enfants du même Père". La réalité, cependant, n'est pas ce qu'elle devrait être, et partir de la réalité peut aussi signifier partir de quelque chose de corrompu et de déviant. Si par réalité on entend l'existant, partir de l'existant est insuffisant, la fraternité se fait dans la vérité et non dans le simple être, un regard discriminant, un éclairage évaluatif est déjà nécessaire au préalable. On ne part plus alors de l'existant, mais de l'éternel, qui donne alors aussi de la lumière à l'existant car il nous permet de ne pas tomber dans ses pièges.

    L'Église de Hollerich a maintenant complètement métabolisé la sécularisation, qui est considérée comme positive et irréversible. Cela signifie accepter la simple existence comme normale, en niant la possibilité d'une situation déchue. La bénédiction des couples homosexuels signifie la bénédiction de l'existant simplement parce qu'il existe. Comme si le péché, tant le péché originel que le péché actuel, n'existait plus. Elle implique également deux nouveautés importantes dans l'Église d'aujourd'hui : on peut et on doit collaborer avec tout le monde est la première, on doit plier les principes moraux absolus pour ne pas diviser est la seconde. Ne pas collaborer avec tout le monde et être divisé signifierait en fait être discriminant, et l'Église d'aujourd'hui pense qu'il ne peut plus en être ainsi.

    L'existence montre les "changements anthropologiques" sur lesquels Hollerich insiste avec beaucoup d'inquiétude, en soulignant qu'ils ne sont plus seulement culturels mais désormais physiques et génétiques. Mais avec le critère de non-discrimination de l'existant, comment peut-on - on se le demande - contrer un existant aussi révolutionnaire, imposant et très rapide ? Comment ne pas voir dans les changements anthropologiques du nouvel Adam, les résultats extrêmes de cette sécularisation que l'Église d'aujourd'hui accepte et accueille comme positive, afin de ne pas discriminer l'homme sécularisé ? C'est-à-dire de l'homme qui n'existe plus ?

    En complément, on peut lire l'article de Tomaso Scandroglio sur la même Nuova Bussola Quotidiana :

    Le Cardinal Hollerich épouse la cause gay. Voici pourquoi il a tort

    26-10-2022

    Tout le monde est appelé au salut, mais cela ne signifie pas que tout le monde est sauvé. La conversion est nécessaire, et le cardinal Hollerich, dans son interview à L'Osservatore Romano, l'oublie : on n'entre pas dans le Royaume de Dieu en tant que divorcé remarié convaincu et en tant qu'homosexuel pratiquant, mais en tant qu'ancien divorcé et ancien homosexuel pratiquant.

    Le cardinal Jean-Claude Hollerich, président de la Comece, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne, a accordé le 24 octobre une interview à L'Osservatore Romano dans laquelle il aborde plusieurs sujets, dont l'homosexualité. Sur la question tristement célèbre de la bénédiction des couples homosexuels, le cardinal a déclaré : "Si nous nous en tenons à l'étymologie de 'bien dire', pensez-vous que Dieu puisse jamais 'dire du mal' de deux personnes qui s'aiment ?". Et à un autre moment de l'interview, il s'est exprimé ainsi : " Je ne pense pas qu'il y ait de place pour un mariage sacramentel entre personnes du même sexe, parce qu'il n'y a pas la finalité procréative qui le caractérise, mais cela ne signifie pas que leur relation affective n'a pas de valeur ".

    Hollerich n'est pas étranger à de tels débordements gay-friendly (nous en avons parlé en février de cette année). Comment réagir ? L'homosexualité est une condition intrinsèquement désordonnée car elle ne respecte pas l'ordo naturel, c'est-à-dire les finalités intrinsèques de la nature humaine, qui conduit un homme à être attiré par une femme et vice versa (dans l'article de février, nous avons expliqué en détail le sens de cette affirmation). Si l'homosexualité est une condition intrinsèquement désordonnée, il s'ensuit que tous les effets qui en émanent sont également désordonnés : actes homosexuels, relations homosexuelles, affection homosexuelle, etc. Par conséquent, l'affection homosexuelle est également désordonnée, elle n'est pas une valeur comme le dit Hollerich, et en tant que telle ne peut recevoir la bénédiction de Dieu, car Dieu ne peut pas dire du bien d'un mal, ce serait une contradiction. Par conséquent, tout ce qui est perçu comme beau n'est pas bon sur le plan moral.

    M. Hollerich a ajouté que "beaucoup de nos frères et sœurs nous disent que, quelles que soient l'origine et la cause de leur orientation sexuelle, ils ne l'ont certainement pas choisie. Ce ne sont pas des "pommes pourries". Ils sont aussi le fruit de la création. Et dans Béréchit, nous lisons qu'à chaque étape de la création, Dieu prend plaisir à son œuvre en disant "...et il vit que cela était bon"".

    Il semblerait donc que l'homosexualité soit l'œuvre de Dieu, mais pour les raisons vues précédemment, elle ne peut l'être : Dieu ne peut pas créer le désordre, il ne peut pas créer quelque chose de contraire à sa propre volonté. Le cardinal Hollerich, en revanche, soutient le contraire car il juge l'homosexualité comme une bonne condition, en nette antithèse avec le Magistère catholique : Catéchisme de l'Église catholique, nos 2357-2358 ; Congrégation pour la doctrine de la foi, Persona humana, no. 8 ; Lettre sur la pastorale des personnes homosexuelles, n° 3 ; Quelques considérations concernant la réponse aux propositions de législation sur la non-discrimination des personnes homosexuelles, n° 10 ; Considérations concernant les projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, n° 4. Et en effet, le cardinal luxembourgeois a déclaré que la doctrine sur l'homosexualité doit changer.

    Le président de la Comece a ensuite abordé le sujet du salut : "Voici la bonne nouvelle ! Et je veux ajouter : tout le monde y est appelé. Personne n'est exclu : même les divorcés remariés, même les homosexuels, tout le monde. Le Royaume de Dieu n'est pas un club exclusif. Elle ouvre ses portes à tous, sans discrimination. A tous ! Il y a parfois un débat dans l'Église sur l'accessibilité de ces groupes au Royaume de Dieu. [...] Il s'agit simplement d'affirmer que le message du Christ est pour tous !

    Une distinction doit être faite : tout le monde est appelé au salut, mais tout le monde n'est pas sauvé. Certes, les divorcés remariés et les personnes homosexuelles sont également appelés au salut, mais pour être sauvés, les premiers, au moins et pas seulement, doivent vivre chastement et les seconds ne doivent pas assouvir leurs pulsions homosexuelles. Par conséquent, on n'entre pas dans le Royaume de Dieu en tant que divorcé remarié ou en tant qu'homosexuel pratiquant, mais en tant qu'ancien divorcé ou en tant qu'homosexuel pratiquant, c'est-à-dire en tant que personne ayant abandonné le péché mortel. Saint Paul est explicite à ce sujet : "Ne vous trompez pas vous-mêmes : ni les immoraux, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les sodomites, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les rapaces n'hériteront du royaume de Dieu" (1 Co 6, 9-10 ; voir aussi Rm 1, 24-28 ; Rm 1, 32 ; 1 Co 9-10 ; 1 Tm 1, 10). Il est vrai que Jésus nous dit que les prostituées nous précéderont dans le Royaume des Cieux, mais il explique ensuite pourquoi : parce qu'elles ont cru, donc elles se sont converties, elles ont changé de vie. L'appel universel au salut ne suffit pas, il faut aussi répondre à cet appel de manière appropriée.

    Et, en effet, si nous croyons que tout le monde sera sauvé au-delà de ses mauvais choix, pourquoi devrions-nous nous convertir ? Même si vous péchez, Dieu vous aime de la même manière et vous sauve de la même manière. De là, il n'y a qu'un pas à franchir pour conclure que si Dieu aime Titius qui est un voleur, Titius sera sauvé même s'il continue à voler. Voilà donc l'importance de distinguer le fait que Dieu nous aime malgré nos péchés du fait que les péchés entrent en conflit avec l'amour de Dieu et, s'ils sont mortels, empêchent le salut éternel.

    Derrière les propos de M. Hollerich se cache un stéréotype très répandu dans les milieux catholiques : Dieu vous aime tel que vous êtes. En réalité, Dieu aime le pécheur, mais pas le péché. Plus correctement, nous devrions dire qu'il aime la personne qui pèche, malgré ses péchés. Il n'aime donc pas le pécheur en tant que tel, mais il l'aime en dépit du fait qu'il est également pécheur. Dieu ne peut qu'aimer le bien et ne peut donc qu'aimer les bonnes parties de notre être : il aime la bonté qu'il trouve en nous, pas notre méchanceté. Le Seigneur n'aime donc pas tout ce que nous sommes. Dans une autre perspective, mais en arrivant aux mêmes conclusions, nous pourrions dire que Dieu nous aime toujours en tant que personnes, mais que c'est nous qui, par nos actions, nous détournons de son amour.

    La constitution apostolique Gaudium et spes du Concile Vatican II note à ce propos : « on doit distinguer entre l’erreur, toujours à rejeter, et celui qui se trompe, qui garde toujours sa dignité de personne, même s’il se fourvoie dans des notions fausses ou insuffisantes en matière religieuse. » (n° 28). Des paroles qui font écho à celles du Pape Jean XXIII : « C'est justice de distinguer toujours entre l'erreur et ceux qui la commettent, même s'il s'agit d'hommes dont les idées fausses ou l'insuffisance des notions concernent la religion ou la morale. L'homme égaré dans l'erreur reste toujours un être humain et conserve sa dignité de personne à laquelle il faut toujours avoir égard. » (Pacem in Terris, n° 158). Dieu accueille à bras ouverts le voleur, le meurtrier, la prostituée, l'homosexuel, l'adultère.

    Dieu nous demande donc d'abandonner le péché, c'est-à-dire de nous convertir. Si nous ne voulons pas abandonner le péché, il est impossible à Dieu de nous embrasser, c'est-à-dire qu'il est impossible à Dieu de pardonner à une personne si celle-ci ne veut pas être pardonnée, car recevoir l'amour miséricordieux de Dieu ne peut être qu'un choix libre. Pour recevoir l'amour de Dieu et être sauvés, nous devons donc être dignes de son amour, c'est-à-dire que l'état de nos âmes doit être adéquat à son amour. Dieu fait tomber sur nous la pluie de son amour, de sa grâce, mais si nous ouvrons le parapluie du péché, pas une goutte de cet amour ne peut nous toucher. En effet, Dieu ne force personne à l'aimer et à recevoir son amour.

  • 100 jours de Fiducia Supplicans : ceux qui l'applaudissent, ceux qui la critiquent, ceux qui la réorientent

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    De Pablo J. Ginés sur Religion en Libertad :

    100 jours de Fiducia Supplicans : ceux qui l'applaudissent, ceux qui la critiquent, ceux qui la réorientent

    26 mars 2024

    Trois mois se sont écoulés depuis la publication de Fiducia Supplicans le 18 décembre, juste avant Noël. Le 27 mars marque le 100ème jour. Depuis lors, les évêques, les corps épiscopaux et d'autres organismes ecclésiastiques ont eu le temps de s'exprimer (après coup) sur cette instruction autorisant les prêtres et les diacres à donner des bénédictions à des couples de même sexe ou à des couples en situation irrégulière (c'est-à-dire en situation de cohabitation sexuelle hors mariage). Des autorités d'autres églises chrétiennes se sont également exprimées.

    L'impression générale est que la plupart des évêques et des églises locales ont essayé (et réussi), au cours de ces trois mois, de faire profil bas et de ne pas avoir à s'exprimer. Beaucoup se sont contentés de paraphraser ou de résumer Fiducia Supplicans, sans s'engager pour ou contre elle, ni donner de détails sur sa mise en œuvre concrète. Certains, surtout la première semaine, ont tenté de rendre la presse responsable de la "confusion", mais au fil des semaines, il est apparu clairement que la confusion n'était pas due à une mauvaise présentation dans les médias.

    Le cardinal Victor Manuel Fernandez, dans sa note explicative et dans ses déclarations à la presse, a affirmé qu'un diocèse ne pouvait pas refuser catégoriquement ces bénédictions, mais qu'il pouvait les adapter au contexte pastoral, et il a cru comprendre que c'est ce qu'ils ont fait en Afrique. "La prudence et l'attention à la culture locale pourraient admettre des modalités d'application différentes, mais pas un refus total de cette démarche que l'on demande aux prêtres", a déclaré Mgr Fernandez, alors que la quasi-totalité des conférences épiscopales d'Afrique s'étaient déjà prononcées contre FS.

    Il est difficile de faire un " tableau de bord " des " évêques pour et des évêques contre ", car beaucoup font des nuances, déclarent ne pas comprendre les termes, sortent du débat ou laissent des questions ouvertes (" qu'est-ce que bénir le couple sans bénir la relation ", en viennent à dire beaucoup).

    Nous allons tenter une certaine classification orientée avec trois grandes classifications d'évêques : ceux qui applaudissent FS, ceux qui sont clairement opposés à FS (déclarant même qu'elle ne sera pas appliquée sur leur territoire) et ceux qui tentent de la " réorienter " à leur manière.

    Les précédents : ceux qui ont déjà fait des bénédictions

    Les grands promoteurs de la "bénédiction gay" sont les évêques allemands et les évêques flamands. Le pape François semble avoir chargé FS de leur faire plaisir, mais bien qu'ils l'aient louée, ils estiment qu'elle n'est pas à la hauteur.

    En septembre 2022, 80 % des évêques allemands impliqués dans la Voie synodale allemande ont approuvé un document appelant à modifier le catéchisme et à "réévaluer l'homosexualité" (en gros, à enseigner que les actes homosexuels ne sont pas un péché, voire qu'ils sont très bons). Les évêques flamands ont publié un document contenant des normes liturgiques pour la bénédiction des unions homosexuelles, avec tout l'attirail utilisé lors des mariages. En mars 2023, des bénédictions publiques de couples homosexuels ont eu lieu dans des églises (ou devant des églises, dans la rue) dans les diocèses d'Osnabrück, Essen, Spire et Berlin.

    Il semble que le pape espérait plaire à ces groupes avec ses bénédictions "non liturgiques", "spontanées" et "brèves". Ces groupes considèrent plutôt FS comme un premier pas vers ce qu'ils demandent, et au lieu de cela, une division est apparue comme jamais auparavant dans l'Église, chaque évêque ou groupe d'évêques inventant sa propre façon de comprendre sa relation avec un document papal.

    Enthousiastes ou défenseurs de Fiducia Supplicans

    En Belgique, l'évêque d'Anvers, Johan Bonny, a salué FS comme "un pas en avant" vers la reconnaissance future du mariage sacramentel entre personnes de même sexe dans l'Église catholique.

    Geert De Kerpel, porte-parole de la Conférence épiscopale belge, a déclaré que de telles bénédictions d'unions homosexuelles étaient déjà pratiquées dans le pays, mais qu'avec la nouvelle règle, elles devront l'être dans le monde entier.

    En Autriche, l'archevêque de Salzbourg, Franz Lackner, a fait l'éloge de FS, l'interprétant comme signifiant que "l'on ne peut plus dire non" à la bénédiction des unions de même sexe.

    En Suisse, la Conférence épiscopale a déclaré le 19 décembre que FS correspondait "au souhait des évêques suisses d'une Église ouverte qui prend au sérieux, accompagne et respecte les personnes dans différentes situations relationnelles".

    En Allemagne, l'un des responsables du "chemin synodal" controversé, Mgr Georg Bätzing, évêque de Limburg, a également insisté sur le fait que FS confirme désormais que de telles bénédictions "ne peuvent être refusées lorsqu'elles sont demandées personnellement".

    Georg Batzing, ancien président des évêques allemands, encourage les liturgies homosexuelles et fait campagne pour modifier le catéchisme dans son diocèse de Limbourg.

    L'évêque allemand de Passau, Stefan Oster, s'est félicité de cette déclaration qui, selon lui, "nous aide dans les débats polarisés". Il a rappelé qu'il avait créé un bureau pastoral pour les "personnes queer" et qu'avec FS, "il y a un chemin pastoral partagé et qui s'élargit". Il estime que FS "peut être une bénédiction pour ceux qui sont sincèrement engagés dans l'accompagnement".

    En France, l'archevêque d'Auxerre, Mgr Hervé Giraud, a déclaré qu'il s'agissait d'une "bénédiction de croissance et non d'une pure reconnaissance" et qu'il "pourrait donner une bénédiction à un couple de même sexe, parce que je crois que cela repose sur une belle idée de la bénédiction, selon l'Évangile et le style du Christ".

    En Irlande, l'archevêque de Dublin, Dermot Farrell, a déclaré : "Je me réjouis de la déclaration et de la clarification qui s'ensuit et qui nous aidera à prendre soin de nos frères et sœurs", soulignant que les bénédictions sont "spontanées et pastorales", "sans format liturgique et qu'elles n'excusent ni ne justifient la situation dans laquelle ces personnes se trouvent".

    L'archevêque d'Armagh (Irlande), Eamon Martin, a déclaré à OSV News : "J'apprécie la clarté de ce document, le Pape est très clair sur le fait que ces bénédictions pastorales ne sont pas une reconnaissance liturgique ou rituelle". Il a ajouté qu'il espérait que "les personnes qui s'identifient comme LGBT+" verraient cela comme un pas vers eux avec l'amour et la miséricorde du Christ.

    En Écosse, l'évêque de Motherwell, Mgr Joseph Toal, a déclaré dans sa lettre du Nouvel An que FS "permet d'élargir et d'enrichir la compréhension classique des bénédictions, sur la base de la vision pastorale du pape François".

    Au Pays de Galles, l'archevêque de Cardiff, Mark O'Toole, a demandé aux catholiques de méditer et de lire FS, afin que les fidèles "montrent clairement que l'Église est une mère aimante".

    En janvier, le cardinal José Cobo, archevêque de Madrid, a déclaré à Religión Digital : "Nous allons appliquer FS avec l'intensité que le document mérite et exige, et si quelqu'un n'est pas d'accord, je l'invite à le lire. Il a également déclaré que les prêtres qui se sont exprimés publiquement contre la déclaration ont été "sérieusement réprimandés", "on leur a demandé s'ils avaient quelque chose contre le Pape et on leur a rappelé leur serment de fidélité au Saint-Père".

    Aux Philippines, le président des évêques, Pablo Virgilio David de Kalookan, a publié une note déclarant FS "bienvenue" le 20 décembre, affirmant qu'elle était "claire dans son contenu et son intention" et qu'elle "ne nécessitait pas beaucoup d'explications".

    Mais l'archevêque de Lingayen-Dagupan, Socrates Villegas, ancien président des évêques philippins, a ensuite publié une série de nuances et de limitations montrant que des explications étaient effectivement nécessaires : "Les prêtres sont invités à bénir les couples en situation irrégulière en choisissant les mots appropriés pour montrer l'intention de l'Église", écrit-il. À un autre moment, il déduit que le couple "demande à Dieu d'avoir pitié d'eux deux et de leur donner la grâce de la conversion pour régulariser leur relation".

    En Inde, l'archevêque de Shillong, Mgr Victor Lyngdoh, a écrit au clergé pour résumer FS et insister sur le fait que les fidèles ne doivent pas être "des juges qui ne font que nier, rejeter et exclure".

    Le diocèse de Hong Kong (dont l'évêque est un jésuite formé aux États-Unis) a déclaré dans sa note du 23 décembre que la déclaration "n'est pas seulement enracinée dans la tradition biblique et l'enseignement de l'Église, mais qu'elle témoigne de l'instinct pastoral aigu du pape".

    En février, l'évêque de Maldonado (Uruguay) a facilité la bénédiction d'un célèbre couple gay (Carlos Perciavalle et Jimmy Castilhos) à la suite de leur "mariage" civil, avec caméras et photographes et scandale public, et a publié une "Lettre à la communauté diocésaine" assurant qu'il avait consulté la nonciature car "il était prévu des caractéristiques médiatiques" : "Nous avons été informés que la bénédiction devait être donnée, étant donné qu'il y avait un document signé par le Pape et que nous devions procéder en conséquence".

    En Uruguay, le prêtre Francisco Gordalina s'adresse aux célèbres Carlos Perciavalle et Jimmy Castilhos avant de les bénir, avec photographes, cérémonie, costumes... et autorisation de la nonciature et de l'évêque de Maldonado.

    Les évêques nord-africains (presque tous des missionnaires européens, avec très peu de fidèles, généralement des migrants, dirigés par le cardinal salésien espagnol Cristóbal López) précisent que lorsque la bénédiction est demandée par des "personnes en situation irrégulière" qui viennent en couple, "elle peut être accordée à condition qu'elle ne cause pas de confusion ni aux intéressés eux-mêmes ni aux autres". Ils demandent à leurs chrétiens les plus critiques de "réexaminer" le sujet et le document "de manière pacifique" et "d'éviter tout esprit de controverse et de cultiver tout ce qui contribue à nourrir la communion et l'unité de l'Église universelle".

    Mgr Rogelio Cabrera López, archevêque de Monterrey, signant en tant que président de la Conférence épiscopale mexicaine, a publié une note dans laquelle il appelait essentiellement à "l'obéissance" aux orientations pastorales du pape et à "l'unité" dans la "communion avec Pierre et en Pierre". Il n'a donné aucune indication concrète sur la manière d'appliquer FS ou d'éviter la confusion ou les scandales.

    Mgr Óscar Ojea, évêque de San Isidro (Argentine), signant en tant que président des évêques argentins, a écrit le 30 décembre que "le Pape fait de la théologie d'un point de vue pastoral, c'est pourquoi il est parfois difficile pour certains esprits de le comprendre", qu'il (Ojea) fait des bénédictions dans la rue sans demander qui les demande et que "certainement les évêques et les ministres qui ont été en désaccord avec cette Déclaration n'ont pas vécu cette expérience de bénédiction dans le contexte de la piété populaire". Il a ajouté : "La déclaration ne prête pas à confusion".

    L'archevêque de Porto Rico, Mgr Roberto González Nieves, a déclaré le 30 décembre qu'il accueillait FS "comme un instrument d'amour miséricordieux et de grande richesse pastorale", avec "la possibilité d'accueillir les personnes dans leurs circonstances particulières".

    Le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président des évêques italiens, dans une allocution prononcée le 22 janvier lors de la réunion de leur commission permanente, a déclaré : "Nous avons accepté la déclaration du Dicastère pour la doctrine de la foi, Fiducia supplicans. C'est un document qui se place à l'horizon de la miséricorde, du regard d'amour de l'Église sur tous les enfants de Dieu, sans déroger aux enseignements du Magistère". Les bénédictions de FS sont "une ressource pastorale, plutôt qu'un risque ou un problème".

    Lors d'un petit-déjeuner avec des journalistes en janvier, l'évêque d'Almería, Antonio Gómez Cantero, a déclaré que si un prêtre lui faisait part de son refus de donner les bénédictions contenues dans FS, ce serait "très mal de la part d'un prêtre qui doit obéissance à l'évêque et, par conséquent, au Pape". Il a ajouté que les bénédictions de FS sont "un geste de miséricorde, et c'est ce qui doit nous émouvoir le plus. La miséricorde est au-dessus de la loi, comme le dit saint Paul et comme le dit le Christ".

    L'évêque de Bilbao, Joseba Segura, dans une interview publiée sur le site web de son diocèse, a rappelé que, lorsqu'il était missionnaire en Équateur, de nombreuses personnes lui demandaient des bénédictions. "Ce caractère concret de la bénédiction des couples en est le prolongement. Si les gens veulent se sentir accompagnés par Dieu, je crois qu'ils doivent être bénis".

    L'évêque de Saint-Sébastien (Espagne), Fernando Prado, interrogé par El Diario Vasco, a déclaré que FS "normalise quelque chose de très courant". "Cela ne signifie pas que nous applaudissons ce qu'ils font ou que nous légitimons un mariage qui ne peut être célébré, mais nous les accueillons et leur donnons une bénédiction qui les aide à comprendre dans la vie que, dans l'Église, ils ne sont pas rejetés", a-t-il ajouté. Il a ajouté qu'il donnait toujours des bénédictions, "mais je ne l'ai jamais fait en faisant une référence directe et spécifique à cette question".

    Aux Etats-Unis, le lobby LGBT New Ways Ministry a cité comme évêques en faveur de la bénédiction le cardinal Alberto Rojas de San Bernardino ("nous sommes appelés à étendre son amour à tous nos frères et sœurs, y compris les couples LGBTQ+, sans jugement ni qualification"), le cardinal Robert McElroy de San Diego (les bénédictions sont "un merveilleux acte d'accompagnement et de grâce"), l'évêque David Bonnar de Youngstown (qui affirme que les bénédictions "ne devraient pas être un obstacle à notre unité, mais une opportunité"), l'archevêque George Thomas de Las Vegas et l'évêque Joseph Bambera de Scranton.

    Les "reconducteurs" de FS.

    Les "reconducteurs" seraient ceux qui ne s'opposent pas directement à FS, mais la "reconduisent" en la relisant comme une exhortation à bénir les personnes séparément, en secret, à l'abri des regards, et une occasion d'encourager le pécheur à se convertir et à quitter la vie de péché.

    Beaucoup la restreignent par de nombreuses conditions ou la réinventent. Beaucoup préfèrent parler de "prière d'intercession" (où le prêtre prie Dieu d'intercéder pour le pécheur ou la personne troublée) plutôt que de "bénédiction". Beaucoup utilisent le mot "confus" pour se référer au mandat de FS.

    Czeslaw Kozon, évêque de Copenhague (Danemark) et président des évêques scandinaves, a réagi rapidement et a déclaré : "Au lieu d'une bénédiction formelle ou d'un rituel exécuté publiquement, l'attention devrait être exprimée, par exemple, dans les conversations et l'intercession. Toute personne qui cherche sincèrement Dieu peut demander et obtenir sa bénédiction, qui est alors une bénédiction qui aide les gens à se rapprocher de Dieu, c'est-à-dire une bénédiction qui s'applique à la personne et non à sa relation.

    Erik Varden, évêque de Trondheim (Norvège), considéré comme un théologien expert en matière de sexualité et de relations, a écrit à ses prêtres pour leur dire que "la clarté détaillée n'est explicitement pas la priorité de FS". Il précise que si les demandeurs ont un "objectif politique ou idéologique", alors "le prêtre n'est pas libre de bénir, et devrait plutôt les inviter à prier ensemble le Notre Père", en appliquant "vous ne prendrez pas le nom du Seigneur votre Dieu en vain". Et que s'il y a des bénédictions, elles doivent être faites en privé, comme Jésus l'a fait lorsqu'il a conduit le lépreux par la main hors du village (Marc 8,23).

    Bernt Eidsvig, évêque d'Oslo (Norvège), qui s'est converti au catholicisme à partir du luthéranisme à l'âge de 24 ans, après avoir passé quelques semaines comme prisonnier du KGB soviétique à Moscou pour avoir introduit de la propagande "subversive" en URSS, a déclaré à Katolsk. Il n'a pas déclaré que "ceux qui peuvent maintenant être bénis, avec l'approbation de l'Église, sont des personnes qui vivent ensemble dans l'amitié, un bien humain grand et important" (bien qu'une simple lecture de Fiducia Supplicans ne trouve nulle part dans le texte les mots "amis" ou "amitié" (ni chaste, chaste, chasteté, continence...)).

    En février, l'évêque Frank Joseph Caggiano (de Bridgeport, Connecticut) a détaillé des règles strictes sur la façon d'appliquer FS : ni devant témoins, ni à l'intérieur d'une église, ni à deux, réservée aux "prêtres en règle du diocèse (empêchant ainsi la bénédiction des diacres, et du clergé arrivant d'autres diocèses), pas de livres, pas de prières sacramentelles, ne peut se faire dans un lieu sacré", "la bénédiction doit être donnée à chaque personne individuellement et non en tant que couple", "la bénédiction doit demander au Seigneur le don de la santé, du pardon et de la force", "le prêtre impliqué doit essayer de discerner l'intention et la sincérité de la demande".

    Raimo Goyarrola, l'évêque espagnol d'Helsinki (Finlande), dans un long document daté du 27 décembre, tente de sauver le plus de FS, accepte que "le couple" soit béni et reconnaît qu'il y a de bonnes choses dans leur relation, mais à la fin il demande "l'humilité, un cœur humble qui présuppose naturellement un désir de métanoïa, de conversion intérieure et de changement de notre mode de vie", afin que la bénédiction ne soit pas "un geste vide ou contradictoire". Il a suggéré que toute personne souhaitant une bénédiction se mette dans la file d'attente pour la communion et que le prêtre la bénisse, selon la coutume des pays nordiques.

    Michael Nazir-Ali, prélat de Sa Sainteté, ancien évêque anglican de Rochester (Angleterre), catholique depuis 2021, né au Pakistan et doté d'une vision globale, a dénoncé dans The Pillar "le manque de clarté dans la distinction entre prière d'intercession et bénédiction", a proposé d'utiliser la bénédiction comme un guide et a insisté : "Aimer les gens ne signifie pas leur donner raison et bénir tout ce qu'ils font. Comme le dit la déclaration, c'est par la prière et le repentir que les âmes sont amenées au Christ", ajoute-t-il.

    Le cardinal anglais Vincent Nichols a déclaré dans une note du 21 décembre : "La déclaration indique clairement que ces moments de prière et de bénédiction doivent être spontanés et ne jamais faire partie d'un rituel ou d'un acte liturgique. Aucune formule fixe de prière ou de bénédiction n'est prévue. De cette manière, il devrait être clair que ces moments de prière et de bénédiction sont tout à fait distincts de la bénédiction de l'union ou du couple lui-même".

    Les évêques slovaques, dans une note de janvier, ont précisé que la bénédiction des couples irréguliers ne peut être accordée "qu'après avoir informé honnêtement les demandeurs de la véritable signification et du but de cette bénédiction" ; si le prêtre ne voit pas l'acceptation de cette signification, ils invitent à "ne pas accorder la bénédiction", mais à les inclure dans leurs prières. Ils rappellent que la bénédiction doit se faire sans vêtements liturgiques, loin d

  • Le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État, vrai candidat de la gauche bergoglienne ?

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    De l'abbé Claude Barthe sur Res Novae :

    Le cardinal Parolin en embuscade

    29 novembre 2023

    Le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État, vrai candidat de la gauche bergoglienne[1] ? Il faut se souvenir qu’en 2013, les cardinaux qui s’auto-désignaient sous l’appellation de « Groupe de Saint-Gall » et qui ont porté au pouvoir Jorge Bergoglio, usèrent d’une manœuvre consistant à mettre en avant le nom du cardinal Scherer, archevêque de São Paulo, pour faire avancer plus efficacement leur véritable papable, l’archevêque de Buenos Aires. De même aujourd’hui, derrière le cardinal Tagle, philippin, 66 ans, préfet du Dicastère pour l’Évangélisation, mais dépressif et assez insignifiant, ou encore derrière le cardinal Hollerich, 65 ans, jésuite, archevêque de Luxembourg, rapporteur du Synode des Évêques pour une Église synodale, mais trop bruyamment hétérodoxe, serait en réalité le cardinal Parolin.

    L’héritier du cardinal Silvestrini

    Ordonné en 1980 pour le diocèse de Vicence, en Vénétie, il entra dès 1986 dans les services diplomatiques du Saint-Siège alors que le cardinal Casaroli était Secrétaire d’État, Achille Silvestrini, Secrétaire des relations avec les États (l’équivalent d’un ministre des Affaires Étrangères), et chef de file, durant des décennies, de la Rome libérale. Grand travailleur, Pietro Parolin a acquis d’emblée, sous la direction de son mentor Silvestrini, une grande connaissance de la Curie au plus haut niveau, en même temps que des chancelleries du monde. Il servit dans diverses nonciatures, puis revint à Rome en 1992, le cardinal Sodano étant devenu Secrétaire d’État. Il fut nommé Sous-Secrétaire pour les relations avec les États, sous Jean-Louis Tauran, qui avait succédé à son patron Silvestrini, et se signala par son savoir-faire dans des tractations délicates (Mexique, Vietnam). Mais le cardinal Bertone devenu Secrétaire d’État de Benoît XVI le disgracia et le remplaça par l’un de ses fidèles, Ettore Balestero. Il fut expédié dans la plus difficile des nonciatures, celle du Venezuela d’Hugo Chavez. C’est d’ailleurs un prélat vénézuélien très discuté, Mgr Edgar Peña Parra, devenu très proche du pape, qui deviendra son premier collaborateur comme Substitut pour les Affaires générales, en 2018, en remplacement de Giovanni Becciu devenu cardinal et Préfet pour la Cause des Saints.

    On dit que l’attitude habile de Pietro Parolin à Caracas, face à Hugo Chavez, fut très appréciée par le cardinal Bergoglio, archevêque de Buenos Aires. Devenu pape, il se laissa facilement convaincre par les cardinaux Silvestrini et Tauran d’appeler, en août 2013, ce diplomate chevronné et de sensibilité libérale, pour remplacer celui qui l’avait exilé, le cardinal Bertone. L’expérience de Parolin en Amérique latine semblait précieuse au pape dont la bête noire – péronisme oblige – était les États-Unis et leur Église largement conservatrice. Cruelle fut pour le pape et son Secrétaire d’État l’élection de Trump en 2016, et plus cruelle encore l’élection récente du Trump argentin, Javier Milei, auquel il est arrivé de traiter François de « démon ».

    Car si l’élection de Jorge Bergoglio au souverain pontificat était apparue comme ouvrant une ère nouvelle, elle représentait en fait le retour d’un monde ancien après une longue période de « restauration » wojtylo-ratzinguérienne. Pietro Parolin, fils spirituel du cardinal Silvestrini, admirateur de l’Ostpolitik du cardinal Casaroli, était l’homme de ce retour aux vieilles lunes.

    L’aiguille dans la chair de Parolin : l’accord avec la Chine

    Précisément, le gros handicap de Parolin est le désastreux accord du Saint-Siège avec la Chine. Bien plus professionnel que son prédécesseur Bertone, Parolin a cependant stupéfié le monde par l’irénisme de l’accord qu’il a passé avec la République populaire de Chine, le 22 septembre 2018, et dont les termes sont secrets.

    Il faut dire que la situation du catholicisme chinois est suprêmement complexe : opposition farouche de l’héroïque Église clandestine vis-à-vis de l’Église contrôlée par le pouvoir ; mais au sein de cette dernière, les lignes sont souvent brouillées. Déjà sous Jean-Paul II, bien que nommés par l’Association patriotique, un certain nombre d’évêques, demandaient en secret leur reconnaissance par Rome.

    Le Pape François et le cardinal Parolin ont donc organisé des négociations directes avec Pékin menées côté romain par Mgr Celli. En outre, furent réutilisés les services du cardinal McCarrick, ancien archevêque de Washington, mis en pénitence par Benoît XVI pour ses crimes de prédateur sexuel. Il s’était déjà rendu à plusieurs reprises en Chine, et eut mandat de recommencer ses voyages auprès des catholiques « officiels ». Tout ceci n’empêchant nullement les persécutions contre les chrétiens catholiques et protestants, notamment par la destruction d’églises organisée à grande échelle.

    L’accord Parolin de 2018, signé pour deux ans et prorogé en 2020 et en 2022, concédait aux autorités chinoises la « présentation » des évêques à investir par Rome. En vertu de cet accord ont été réintégrés dans la communion romaine les sept derniers évêques « officiels » nommés, dont il s’est trouvé que deux étaient mariés. En outre, les évêques clandestins, non approuvés par les autorités communistes, étaient écartés du gouvernement des diocèses. Ceci provoqua des critiques scandalisées, notamment celle du cardinal Zen, accusant Pietro Parolin, « homme de peu de foi », de « vendre l’Église catholique au gouvernement communiste », mais aussi, tout récemment, celle du cardinal Müller : « Avec le diable, on ne peut pas faire de pacte »[2]. Car il faut y insister, le pacte en question accorde à des communistes toujours persécuteurs de l’Église, la nomination des évêques.

    Pietro Parolin a d’ailleurs concédé en juillet dernier que cette politique conduisait le Saint-Siège à avaler d’énormes couleuvres : « pour le bien du diocèse et du dialogue » Rome avait reconnu la nomination unilatérale par l’Association patriotique, contrairement aux accords passés, de Joseph Shen Bin à la tête du diocèse de Shanghai[3]. En réalité, cette manière de faire – annonce par les autorités ecclésiales chinoises d’une nomination d’évêque et consécration de évêque, avalisée ensuite par Rome et publiée par la Salle de Presse vaticane – est le processus habituel.

    Le cardinal Zen faisait remarquer que le Secrétaire d’État avait cité une phrase de la Lettre de Benoît XVI à l’Église de Chine du 27 mai 2007, qui disait : « La solution des problèmes existants ne peut pas être recherchée dans un conflit permanent avec les autorités civiles légitimes ». Parolin, trop heureux que le pape Ratzinger ait reconnu la légitimité des autorités communistes, tronquait la suite de la phrase : « Cependant il n’est pas acceptable de se rendre aux volontés des autorités civiles lorsqu’elles interviennent indûment dans des affaires concernant la foi et la discipline de l’Église ». Et le cardinal Zen d’inviter le coupable de cette « incroyable trahison » à démissionner.

    Le cardinal mondialiste

    On a pas mal glosé sur la participation du deuxième personnage de l’Église à la réunion d’un club dont les visées sont parfaitement étrangères à sa doctrine sociale : il s’agissait de la conférence annuelle, à huis clos, du groupe Bilderberg, qui se tenait à Turin, du 7 au 10 juin 2018, au menu de laquelle était l’analyse de la montée « préoccupante » des populismes. Ce groupe a été fondé en 1954 par David Rockefeller, et se veut aujourd’hui un relais efficace des idéologies mondialistes. Ses membres et invités, une grosse centaine de personnes, sont cooptés parmi les personnalités influentes de la diplomatie, des affaires, de la politique, des médias, dont un bon nombre ne cachent pas leur appartenance « humaniste ». Le secret total des débats – les participants sont enfermés durant deux jours comme dans un conclave – entretient tous les fantasmes. Mais selon la Salle de Presse, le Secrétaire d’État du Vatican n’avait été présent « qu’un court laps de temps – environ une heure trois-quarts », au cours duquel il avait prononcé un discours « sur la doctrine sociale de l’Église ». En un mot, Parolin l’élite capitalo-mondialiste…

    Toujours dans cette ligne d’ouverture aux thèmes chers aux mondialistes, mais toujours avec la même prudence, Parolin avait reçu le 5 avril 2019, pendant plus d’une heure, des militants LGBT de haut vol, à savoir une cinquantaine d’avocats, magistrats, politiques, militant tous pour la décriminalisation de l’homosexualité. Le personnage-clé de cette délégation était le professeur émérite de criminologie de Buenos Aires, Raúl Zaffaroni, ami de longue date de Jorge Bergoglio, connu pour ses positions très libérales, son engagement pour la reconnaissance légale des « mariages » homosexuels, et pour la décriminalisation de l’avortement. Le Secrétaire d’État avait affirmé que l’Église condamnait « toutes les violences contre les personnes », ce qui engageait peu, tout en faisant par cette réception un geste d’une grande puissante symbolique. C’est moins grossier que la réception à déjeuner d’un groupe de femmes transgenres par le pape, mais c’est tout aussi significatif d’« ouverture ». Tout Parolin est là.

    Une relation complexe avec le pape François

    Pietro Parolin a été membre du groupe des cardinaux qui travaillèrent sur la réforme de la Curie, laquelle était censée réduire l’importance de la Secrétairerie d’État. Tout s’est joué du côté des finances. Pietro Parolin a habilement manœuvré pour contrecarrer l’efficace remise en ordre, commencée par le cardinal Pell, des organes financiers du Saint-Siège et de l’État de la Cité du Vatican. En théorie, la réforme Pell enlevait une part importante du contrôle exercé par le Secrétaire d’État. En réalité, Pietro Parolin fit exclure la Secrétairerie d’État de l’audit organisé pour l’ensemble des entités financières du Vatican, ce qui torpilla la remise à plat organisée par Pell.

    Du coup, le cardinal Parolin s’est trouvé directement inquiété par la mise en lumière, en 2019, d’une transaction suspecte menée par la Secrétairerie d’État en 2012 : l’investissement de près de 200 millions d’euros dans un luxueux immeuble londonien grevé d’une hypothèque. Il avait été acquis à un prix très surévalué avec les fonds collectés par le Denier de Saint-Pierre, puis revendu à lourde perte. Situation relativement classique où des ecclésiastiques, se prenant pour des financiers chevronnés, s’avèrent extrêmement naïfs. La responsabilité majeure portait sur le premier collaborateur de Pietro Parolin, Angelo Becciu. devenu entretemps Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints. Il dut démissionner de sa charge, perdit tous les droits liés au cardinalat et fut déféré devant la justice vaticane avec d’autres hauts fonctionnaires romains, le Suisse René Brülhart, ancien président de l’Autorité d’information financière (AIF), le gendarme financier du Saint-Siège, Mgr Carlino, longtemps secrétaire particulier d’Angelo Becciu, et Mgr Crasso, ancien gestionnaire du patrimoine réservé de la secrétairerie d’État. Leurs avocats ne se privèrent pas d’alléguer que Parolin était au courant de leurs activités.

    Parolin est-il alors tombé dans une semi-disgrâce ? Ces accusations de malversations ou de grosses imprudences ont fait que, fin 2020, la Secrétairerie d’État a été dépouillée de ses actifs et de son énorme portefeuille d’investissements. Cependant, quelle que soit l’implication du cardinal Parolin, cette affaire est tellement complexe, en elle-même et dans la manière complètement atypique – bergoglienne – dont elle a été poursuivie par le pape en personne, qu’elle n’est pas un vrai danger pour les chances du cardinal Secrétaire d’État lorsque s’ouvrira un conclave.

    Par ailleurs, malgré la participation du personnel diplomatique de Parolin aux discussions internationales sur les questions climatiques, il a été exclu du processus de rédaction de l’exhortation papale Laudate Deum. De plus, c’est le cardinal Zuppi, adossé à la puissante Communauté Sant’Egidio, Président de la Conférence Épiscopale Italienne, qui a été chargé de mettre en œuvre des efforts du pape pour obtenir un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie. Ainsi, le cardinal de Bologne, qui a déjà par le passé assumé d’importantes missions diplomatiques, est considéré comme une sorte de deuxième Secrétaire d’État.

    Mais être moins proche du pape peut devenir un atout pour Pietro Parolin quand il faudra pourvoir à la succession de François, et que se produira nécessairement une réaction contre le despotisme sous lequel gémissent Curie et cardinaux.

    Dans ce genre de spéculations, son état de santé incertain – Parolin a été soigné d’un cancer – compenserait son « jeune » âge (69 ans) pour des électeurs qui, depuis l’interminable pontificat de Jean-Paul II, veulent limiter les risques en cherchant des papables pour des règnes courts (le cardinal Ricard avait révélé que l’âge du cardinal Bergoglio était l’un des arguments qu’avançaient ses soutiens, lors du conclave de 2013).

    Un retour au « pur » Concile : Amoris laetitia et Traditionis custodes

    Ce qui nous en apprend le plus sur l’ecclésiologie paroline est le discours qu’il a prononcé le 14 novembre 2017, à Washington, à la Catholic University of Americaoù il recevait un doctorat honoris causa en théologie. Il y fit une longue leçon magistrale de 55mn en italien à la gloire de Vatican II, qui avait toutes les allures d’un manifeste, et dans lequel il se plaçait avec insistance dans le sillage du Pape François lequel réalisait pleinement les intentions du Concile[4]

    Pour Pietro Parolin, le Concile Vatican II est fons et origo de l’Église d’aujourd’hui et de celle du futur. Les Pères y ont adopté un paradigme nouveau, celui d’une Église, qui a certes toujours été catholique, mais qui est devenue mondiale, dégagée de sa coïncidence avec l’Europe. D’où résultent diverses conséquences, comme l’introduction des langues locales dans la liturgie et la légitimation de théologies locales. L’adjectif mondial accolé à l’Église, étant utilisé avec une ambiguïté semblable à celle de l’adjectif œcuménique pour qualifier le Concile Vatican II, concile œcuménique parce que général et/ou parce qu’il a fait triompher le rapprochement avec les séparés.

    Pietro Parolin citait Mgr Doré, pour lequel, après Vatican II, rien ne sera plus jamais comme avant. De même que l’Église était passée à l’origine, selon lui, du judéo-christianisme au pagano-christianisme, elle a fait, lors de Vatican II, une mue tout aussi radicale. Processus « irréversible », martelait le cardinal, qui soulignait que, parmi les nouveautés profondes de Vatican II mises en lumière par le Pape François, était l’introduction de la synodalité qui « rééquilibre » l’organisation monarchique anté-conciliaire.

    Mais à côté de l’aspect « communication » de la synodalité, pour lui l’essentiel du présent pontificat se trouve dans l’harmonisation réalisée par Amoris lætitia. Existait une contradiction : Vatican II avait adopté une ecclésiologie libérale (œcuménisme, liberté religieuse), mais Paul VI, avec Humane vitæ, avait conservé une morale conjugale à l’ancienne. Amoris lætitia a effacé ce hiatus en engageant également la morale vers une ouverture libérale. On notera que Pietro Parolin a sanctuarisé cette ouverture en faisant inscrire, le 7 juin 2017, aux Acta Apostolicae Sedis, au titre de « magistère authentique », la louange adressée par le pape aux évêques argentins pour leur interprétation ultralibérale d’Amoris laetitia..

    Cette défense de la nouvelle lex credendi en sa plénitude se manifeste, comme il se doit, par une défense de la nouvelle lex orandi, la liturgie réformée en suite du ConcileLe cardinal Parolin a joué un rôle-clé, comme Secrétaire d’État, dans l’élaboration de Traditionis custodes. On se souvient que le premier acte avait été l’enquête organisée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en date du 7 mars 2020, auprès des évêques du monde, destinée à dresser un bilan de l’application de Summorum Pontificum. Les résultats pouvaient certes être interprétés comme une approbation de Summorum Pontificum, mais c’est son abrogation qui était programmée. Lors des assemblées de la Congrégation qui en discutèrent, intervinrent des personnages très hostiles à l’usus antiquior, comme le cardinal Stella, Préfet de la Congrégation pour le Clergé, le très virulent cardinal Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les Évêques, le cardinal Versaldi, Préfet de la Congrégation pour Éducation catholique (en charge des séminaires), et le cardinal Parolin, qui aurait notamment dit lors d’une de ces séances, jouant sur l’appellation de « messe de toujours » que l’on donne parfois à la messe tridentine : « Nous devons mettre fin à cette messe pour toujours !»

    Un opportun recentrage

    Une très grande discrétion a été imposée aux membres de l’assemblée d’octobre du Synode sur la synodalité, et elle a été étonnamment respectée. On sait ainsi que le cardinal Parolin y a fait une intervention décrite comme « très forte » et « très franche », qui a beaucoup marqué l’assistance, mais sans qu’ait été divulgué son contenu. Il y aurait « défendu la doctrine » qui doit être placée au cœur de de la synodalité. Andrea Gagliarducci ironisait dans Il Foglio du 20 octobre : « Il est cependant peu probable que Parolin a parlé comme un guerrier ». Il paraît vraisemblable qu’il a tenu un discours de recentrage, en harmonie avec la pensée de François, qui tient à marquer sa distance avec le Chemin synodal allemand. On peut d’ailleurs comprendre la lourde machine synodale romaine comme un processus de transaction entre Rome et l’Église d’Allemagne, ou plutôt entre les bergogliens « exagérés » (Hollerich) proches de l’Allemagne, et les bergogliens « réalistes » (Parolin), ces derniers exprimant la pensée du Souverain Pontife.

    D’ailleurs, ce discours s’est avéré être une préparation des esprits à la publication d’une lettre adressée le 23 octobre par le Secrétaire d’État à Mlle Beate Gilles, la secrétaire générale des évêques allemands, dans laquelle il rappelait que la doctrine de l’Église réserve l’ordination sacerdotale aux hommes, et que, sans juger de la responsabilité subjective des intéressés, la moralité objective des relations sexuelles entre personnes de même sexe a été « évaluée […]de manière précise et certaine ».

    Les interventions publiques du Secrétaire d’État devraient désormais se répéter en un sens « conservateur » et, en cas de maladie grave du pape ou de vacance du Siège, il pourrait comme naturellement occuper le devant de la scène, comme cela arriva pour le cardinal Ratzinger en 2005.

    Au fond, Parolin offre la version institutionnelle du bergoglionisme, celle d’une ouverture aussi large que possible sans mettre trop l’institution en péril. Iacopo Scaramuzzi dans La Repubblica du 25 octobre classait les cardinaux importants, au nombre desquels les papables, en cinq groupes. Si on laisse de côté les outsiders, venus de pays lointains et souvent indéfinissables, il reste quatre groupes bien caractérisés :