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"Dignitas infinita" :  le retour de Jean-Paul II ?

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Du Père Raymond J. de Souza sur The Catholic Thing :

"Dignitas infinita" :  le retour de Jean-Paul II ?

27 avril 2024

Lors du dimanche de la Divine Miséricorde en 2014 (27 avril), le pape François a canonisé deux de ses prédécesseurs, Jean XXIII et Jean-Paul II. Dix ans plus tard, le Saint-Père s'est-il tourné vers Jean-Paul II dans ses moments difficiles ?

De nombreux fidèles de saint Jean-Paul le Grand - le titre de l'un des livres d'entretien du pape François, soit dit en passant - ont été terriblement déçus par l'approche plutôt discrète du Saint-Père lors de la canonisation, qui n'a mentionné brièvement les deux papes qu'en référence à son Synode sur la famille. La date de la canonisation correspondait également au 75e anniversaire du cardinal Stanisław Dziwisz, secrétaire de longue date de Jean-Paul II, assis à quelques mètres de là. Le pape François n'en a pas tenu compte.

C'était une erreur de lire trop de choses dans cette homélie en demi-teinte. Au cours des années qui ont suivi, il est devenu évident que le fait de ne pas prendre note des saints est typique du Saint-Père. En 2019, il a canonisé la "Mère Teresa du Brésil", Sœur Dulce Lopes Pontes, sans même mentionner son nom. Elle était si célèbre que Jean-Paul II l'a visitée à l'hôpital lors d'un voyage au Brésil.

L'étrange relation entre François et Jean-Paul II s'est manifestée très tôt. On aurait pu s'attendre à des hourras et des hosannas du premier à l'égard du second, puisque c'est ce dernier qui a sauvé le premier de son exil jésuite à Cordoba.

En 1990, les jésuites argentins, fatigués des dissensions entre le père Jorge Bergoglio et la communauté, l'ont envoyé à 500 miles au nord de Buenos Aires pour s'occuper de jésuites âgés et entendre des confessions à Córdoba. Si cela n'avait tenu qu'à ses confrères jésuites, le père Bergoglio aurait probablement passé les dix années suivantes à enseigner la chimie dans un lycée quelque part. Au lieu de cela, Jean-Paul II a mis fin à l'exil et l'a renvoyé à Buenos Aires en tant qu'évêque auxiliaire. Six ans plus tard, il était archevêque. L'exil et l'éloignement des Jésuites étaient probablement considérés comme de bonnes références à Rome.

Pourtant, le pape François a pris une étrange distance lors de son élection. Lorsqu'il s'est agi d'annoncer le miracle nécessaire à la canonisation de Jean-Paul II, cela s'est fait le jour même de la publication de l'encyclique Lumen fidei. Et François et Benoît XVI sont apparus ensemble pour la première fois lors d'un événement au Vatican. François s'est attaqué à l'histoire de Jean-Paul II avec un marteau-pilon.

De plus, en renonçant à l'exigence d'un miracle pour Jean XXIII afin qu'il puisse être canonisé en même temps que Jean-Paul II, le pape François a laissé entendre qu'il souhaitait diluer l'attention portée au seul Jean-Paul II.

Les symboles allaient bientôt céder la place à un désir apparent de mettre de côté certaines des réalisations emblématiques de Jean-Paul II.

L'encyclique Veritatis splendor - l'une des plus importantes du siècle dernier - est devenue le document qui n'a pas retenti sous François. Amoris laetitia, l'un des plus longs documents papaux de l'histoire, ne contient pas une seule référence à Veritatis splendor dans ses plus de 400 citations. Bien que le chapitre 8 d'Amoris laetitia soit en contradiction apparente avec les principes de Veritatis splendor, ce dernier a simplement été traité comme s'il n'existait pas.

Si, comme cela a été largement rapporté, l'archevêque Víctor Manuel Fernández - l'une des premières nominations épiscopales du pape François en Argentine - était le principal rédacteur d'Amoris laetitia, cela devrait logiquement s'ensuivre. Fernández avait été publiquement en désaccord avec l'enseignement de Veritatis splendor, à tel point que lorsque le cardinal Bergoglio l'a proposé comme recteur de l'Université catholique d'Argentine, le Vatican a refusé de l'approuver. Bergoglio s'est retranché dans ses positions, un bras de fer s'est ensuivi et Fernández a finalement été installé. Il a été élevé au rang d'archevêque de La Plata quelques mois après l'élection de François.

En temps voulu, la principale fondation académique de Jean-Paul II, l'Institut JPII, consacré aux études théologiques sur le mariage et la famille, a été reconfiguré de manière à refléter l'approche d'Amoris laetitia. Il a été effectivement aboli.

Ce fut un coup particulièrement douloureux pour ceux que Jean-Paul II inspirait, car l'Institut était né de son cœur et baignait dans son sang. Il devait l'annoncer lors de l'audience générale du 13 mai 1981, le jour où il a été abattu. L'Institut a survécu à la tentative d'assassinat. Il ne survivra pas à l'homme que Jean-Paul II a créé cardinal.

Les deux académies créées par Jean-Paul II en 1994 - l'Académie pontificale pour la vie et l'Académie pontificale des sciences sociales - ont été placées sur une trajectoire similaire, faisant désormais parler d'elles principalement lorsqu'elles confondent, plutôt qu'elles ne clarifient, l'enseignement social catholique.

La publication de Dignitas infinita (DI), la récente déclaration du Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF), est donc un moment curieux. Jean Paul est-il en train de participer à une nouvelle mission de sauvetage, comme à Cordoue il y a plus de trente ans ?

La précédente déclaration du préfet de la DDF, le cardinal Fernández, Fiducia supplicans, a été un véritable fiasco. Le pape François a accordé une dérogation à son magistère pour l'Afrique, et de nombreux autres évêques se sont eux-mêmes exemptés, jugeant les bénédictions pour les "couples irréguliers et de même sexe" impossibles, ou du moins massivement imprudentes.

Immédiatement, le cardinal Fernández a commencé à manœuvrer, promettant une autre déclaration sur la dignité humaine qui apaiserait les critiques, comme si le DDF s'engageait dans une triangulation clintonienne plutôt que de proclamer la splendeur de la veritas. C'est ainsi qu'est née Dignitas infinita au début de ce mois.

Pour que la manœuvre d'apaisement réussisse, il serait utile d'invoquer le patronage céleste de Jean-Paul II. Cinq de ses textes majeurs sont cités, et il y a ce passage :

Ce serait une grave erreur de penser qu'en nous éloignant de Dieu et de son assistance, nous pourrions en quelque sorte être plus libres et donc nous sentir plus dignes. Au contraire, détachée du Créateur, notre liberté ne peut que s'affaiblir et s'obscurcir. Il en va de même si la liberté s'imagine indépendante de toute référence extérieure et perçoit comme une menace toute relation avec une vérité antérieure. (#30)

Cela ressemble à Veritatis Splendor, mais une citation directe serait apparemment un pas de trop. Au lieu de cela, le pape et le préfet ont décidé d'utiliser Jean-Paul II pour le titre : La "dignité infinie" est tirée d'une source plutôt obscure, un discours de l'Angélus à la cathédrale Saint-Pierre d'Osnabrück, en Allemagne, le 16 novembre 1980.

Ce n'est pas une phrase que Jean-Paul II a souvent utilisée. Peut-être ne l'a-t-il utilisée qu'une seule fois. Le mot allemand unendliche pourrait être traduit par "sans fin" ou "sans limites". Quoi qu'il en soit, le titre était une extension évidente destinée à invoquer Jean-Paul II.

Le titre de DI devait à l'origine être Al di là di ogni circonstanza (au-delà de toutes les circonstances), une phrase tirée de Fratelli Tutti, l'encyclique du pape François pour 2020. Il est tout à fait plausible qu'après la débâcle de la Fiducia, Fernández ait jugé plus sage - ou du moins plus intelligent - que le Saint-Père fasse appel à son prédécesseur plutôt qu'à lui-même.

C'est du style plutôt que de la substance, mais le style a son importance. En effet, le style consistant à distancer ce pontificat de celui de Jean-Paul II, et en particulier de Veritatis splendor, a toujours été inutile.

Une citation ne fait pas un été, mais peut-être que Dignitas marque un dégel printanier, et que Jean-Paul le Grand est maintenant le saint qui peut revenir du froid.

Commentaires

  • Il faut sortir de l'idée que le pape François serait opposé à Jean-Paul II. Dès le début de son pontificat lorsque François a choisi de sa propre autorité de canoniser le même jour saint Jean-Paul II et Saint Jean XXIII, son intention était explicitement précisée :

    "Il faut garder de manière intacte la doctrine universelle. Mes prédécesseurs l'ont établie. Et il faut ajouter à cela que lors de l'acte concret, c'est ultimement la "conscience éclairée par cette doctrine universelle" qui devra prendre la décision finale".

    Je sais que c'est avec raison que les théologiens de la doctrine universelle regardent cet apport du pape François avec un œil suspicieux. Ils ont peur que, au nom de la pastorale et du concret, on autorise par la bande toutes sortes d'horreurs. Ce n'est absolument pas l'intention du pape François.

  • On juge un arbre a ses fruits, pas à ses intentions.

  • "Au nom de la pastorale et du concret, autoriser par la bande toutes sortes d'horreurs" : ce n'était pas davantage l'intention explicite de Jean XXIII, et ce n'était pas non plus l'intention officielle de Paul VI, mais on ne sait que trop que, pendant que Paul VI laissait les uns "détridentiniser" l'Eglise et la liturgie catholiques à toute vitesse, il empêchait les autres d'essayer de sauver ce qui pouvait l'être.

    Posons-nous aussi, ou plutôt, les deux questions suivantes :

    - Jean-Paul II aurait-il pu écrire, sans se renier, ce qu'il y a de plus disruptif, dans Amoris laetitia, par rapport à sa propre vision des choses ?

    - François aurait-il pu écrire, sans se renier, ce qu'il y a de plus pacellien, dans Veritatis splendor, par rapport à sa propre vision des choses ?

    C'est dans le domaine du dialogue interreligieux que le pape François est le moins contestablement un continuateur de Jean-Paul II, et c'est dans le domaine du dialogue interconvictionnel que le successeur de Benoît XVI est le plus discutablement un continuateur du prédécesseur du pape du Compendium du Catéchisme.

    Prenons de la distance, de la hauteur, du recul : depuis Jean XXIII ou, en tout cas, à coup sûr, depuis Paul VI, jusqu'à Benoît XVI inclus, les uns et les autres sont tous les continuateurs directs ou les héritiers indirects des clercs qui, à partir du milieu de l'entre deux guerres mondiales, ont commencé puis continué à consentir à la mise a jour de leur logiciel, voire à la mise au goût du jour de leur système d'exploitation, au contact des conceptions souvent proches de celles, sinon toujours telles que celles de Balthasar, Beauduin, Chenu, Congar, de Lubac, Maréchal, Maritain, Mounier, Rahner et/ou Teilhard.

    Francois se démarque en partie ou se distingue partiellement de cette ligne de pensée, en raison d'un certain style et de certains thèmes qu'il doit, notamment, à la théologie du peuple, qui est une "dérivée" de la théologie de la libération.

    Un autre aspect des choses est absolument fondamental : François n'a pas une relation affective personnelle au Concile Vatican II, ce qui lui donne une grande liberté pour actualiser et amplifier la dynamique conciliaire, notamment au moyen de la dynamique synodale,

    - tout en poursuivant la dénaturation de l'inspiration initialement et officiellement seulement réformatrice de la dynamique conciliaire,

    et

    - tout en poursuivant la dissimulation ou la minimisation de l'échec, voire de la faillite de la dynamique conciliaire, dans l'ensemble du monde occidental.

  • J'admire ceux qui savent comment entrer dans le cerveau des autres et connaître leurs intentions. Personnellement, je n'y suis jamais parvenu. Je peux les écouter et les observer, noter éventuellement les contradictions entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font, mais je n'ai pas accès à leurs pensées.
    Nous entendons des choses diverses : Hitler annoncer sa "dernière revendication", un ministre français certifier "les yeux dans les yeux" qu'il n'a pas de compte à l'étranger, un chef d'Etat oeuvrant sans relâche à l'avortement se proclamer catholique, un banquier prétendre donner un conseil profitable à son client, un laboratoire pharmaceutique affirmer que ses produits sont "sûrs et efficaces", un agent immobilier présenter une affaire "à ne pas rater", un juge anglais décider la mort d'un être humain "dans son intérêt", un comité scientifique déclarer que l'appartenance sexuelle est une question de volonté, des héritiers affecter l'indifférence à la fortune d'un vieillard et, en période électorale, des candidats assurer qu'ils vont diminuer les impôts. Mais le contenu du ciboulot reste hors d'atteinte. Dommage, estimeront certains. Pas sûr : serait-ce beau à voir ?

  • Encore faut-il voir à qui le pape prête sa plume.... Mgr Fernandez n'est pas un fervent wojtylien.

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