Ce verset du psalmiste, du saint au pécheur, beaucoup d’hommes religieux l’ont répété dans leur cœur, des artistes nombreux aussi l’ont exprimé par leur art, comme l’immense peintre Rembrandt dont le musée du Louvre nous offre pour l’instant une exposition : « Rembrandt et la figure du Christ » (jusqu’au 18 juillet). Cette exposition, le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, l’a commentée en répondant aux questions d’Anne-Cécile Beaudoin dans « Paris Match » (1er juillet) ici Rembrandt et la figure du Christ au Louvre
Extraits :
Paris Match. Connaissiez-vous tous ces tableaux de Rembrandt sur le Christ?
Monseigneur Philippe Barbarin. Non. Le seul que je connaissais bien est celui qui représente le repas d’Emmaüs. Mais pour moi, le plus impressionnant est peut-être la seconde version de ce “repas”, celle où Jésus ressuscité est projeté comme une ombre sur la paroi. Rembrandt sort de l’habituel, et même de toute vraisemblance. On ne voit plus qu’un des deux disciples; c’est un homme perdu, on a l’impression que c’est le peintre lui-même, totalement abasourdi par ce qu’il est en train de peindre. Je me retrouve bien en lui. Tous les prédicateurs ont ce sentiment d’annoncer un message qui les dépasse. Tertullien a même écrit: “Nous proclamons un message qui nous condamne”, parce que nous ne vivons pas suffisamment la bonne nouvelle que nous proclamons. (…)
Dans l’histoire de l’art, quelle est la représentation du Christ qui vous touche le plus?
Difficile de répondre! Tant de représentations restent gravées dans ma mémoire, dans l’incroyable variété qui va de Vélasquez à Rouault en passant par Turner, les icônes byzantines ou le retable d’Issenheim, à Colmar… Rappelez-vous la fascination de Dali pour le Christ de saint Jean de la Croix. Des siècles et un abîme culturel séparent ces deux hommes, mais la foi d’un mystique espagnol du XVIe siècle, exprimée dans un tout petit dessin, a bouleversé Dali quatre siècles plus tard et lui a inspiré son merveilleux “Christ sur le monde”. Et puis, il n’y a pas que la peinture. Quand Péguy décrit la Passion de Jésus à partir du cœur meurtri de sa maman, on a l’impression que Marie nous associe d’une manière toute nouvelle à la souffrance de son fils. J’ai écouté la “Passion selon Saint Jean”, de Bach, un nombre incalculable de fois, avec le sentiment de percevoir la foi du compositeur et ce qui le touche dans cette ultime étape du chemin de Jésus. (…)
Selon vous, que représente Jésus dans le monde actuel?
Il demeure une référence pour une foule de personnes. Pour nous, ses disciples, Jésus est “la lumière du monde”, et le centre de l’histoire. Lui seul donne la réponse de Dieu à la question lancinante qui habite le cœur des hommes sur la souffrance et la mort. Certes, beaucoup d’hommes sont indifférents et parfois hostiles à Jésus et à son message. Cela nous a valu de terribles persécutions par le passé et peut en faire apparaître de nouvelles demain. Mais d’autres ne le connaissent pas, et ils sont interrogés et éblouis intérieurement quand on leur parle de Lui. Il me semble que Rembrandt est proche de cette dernière catégorie. Dans le célèbre tableau du “Retour de l’enfant prodigue”, qui est au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, on a l’impression que Rembrandt est partout: dans l’enfant qui revient à la maison après une vie de débauche et se laisse saisir par les bras de son père. Mais le peintre est déjà âgé et on peut l’imaginer aussi dans le visage du père, rempli de miséricorde. Et, quand on découvre le fils aîné, sur le côté du tableau, droit et raide (beaucoup de représentations le cachent), on a l’impression que c’est encore Rembrandt. Il est tiraillé entre tous ces personnages; c’est cela que j’appelle son “combat spirituel”.
Comprenez-vous que l’Islam interdise toute représentation de Dieu?
Oui. Les musulmans ont un sens très vif de la grandeur de Dieu. Rien de ce qui est proche de Dieu ne peut donner lieu à une représentation. Les juifs non plus n’admettent aucune représentation de Dieu, ni “de rien de ce qui ressemble à ce qui est dans les cieux ou sur la terre”, dit le premier commandement. On n’adore que Dieu. Les chrétiens ont longuement débattu cette question, et c’est seulement au cours du deuxième Concile de Nicée, au VIIIe siècle, qu’elle a été définitivement tranchée. Dieu, nul ne l’a jamais vu. On ne doit en faire aucune image et il faut se méfier de la tentation d’idolâtrie qui réapparaît sans cesse. Mais puisque Dieu a voulu lui-même venir jusqu’à nous et qu’il s’est donné à voir dans le visage de Jésus, on a le droit de le représenter et de vénérer aussi les saints, à commencer par la Vierge Marie, “la toute sainte”. D’ailleurs, en regardant les visages du Christ peints par Rembrandt, à partir d’un jeune Juif d’Amsterdam qui lui servait de modèle, je me demandais si le peintre ne restait pas marqué, au fond de lui, par les diverses icônes de l’Orient chrétien.
«Rembrandt et la figure du Christ», du 21 avril au 18 juillet 2011, musée du Louvre. Rens.: 01 40 20 53 17 ou www.louvre.fr