Les idéologues qui n’ont que les droits de l’homme à la bouche sont curieusement discrets sur un drame humain qui perdure depuis des décennies à l'est du Congo. Rutshuru, Lubero, Butembo, Bunia, Watsa, Isiro, Buta et autres lieux: “terrae hodie incognitae”, comme on aurait dit du temps de Léopold II. Anne Guion nous en parle sur le site web de “La Vie” (Extraits):
Sommes-nous à la veille d'un nouveau conflit régional en RDC ? Depuis quelques jours, les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) soutenus par le Rwanda, menacent de prendre la ville de Goma. Enième épisode d'une guerre "mondiale" occultée qui a fait près de 6 millions de morts et trouve son origine dans le trafic du coltan, minerai indispensable à nos téléphones portables. Décryptage:
Quel est le rapport entre un chef rebelle, Bosco Ntaganda, une poignée d’États africains, votre téléphone portable et une Playstation ? Aucun ? Détrompez-vous. La guerre au Kivu, dans l'Est de la République démocratique du Congo est la grande oubliée des médias. Pourtant ce qui s’y passe n’est qu’un épisode d’une guerre mondiale qui déchire le coeur du continent depuis près de vingt ans. Une guerre qui aurait fait près de 6 millions de victimes, entre les combats et les maladies, sans compter des milliers de déplacés. "Mondiale" parce qu’elle dépasse les frontières de la République démocratique du Congo. Mais pas seulement : en arrière-plan, il y a aussi les États-Unis, des multinationales, la Chine, et au bout de la chaîne, nous, consommateurs occidentaux. Pour comprendre, il faut revenir aux origines de ce conflit, qui découle du génocide rwandais de 1994 (800 000 victimes).
Juin 1994 : 1 million de Hutu fuient les Tutsi, arrivés au pouvoir à Kigali, et se réfugient de l’autre côté de la frontière en RDC
Deux guerres s’ensuivent. La première, en 1996 : Laurent-Désiré Kabila, aidé notamment par le Rwanda et l'Ouganda, part du Kivu, traverse le pays jusqu’à Kinshasa, la capitale, à 2 000 km de là, et renverse le maréchal Mobutu. Deux ans plus tard, en 1998, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, lâchés par Kabila, lancent un nouveau conflit sans parvenir à faire chuter le président congolais.
Ces deux guerres vont installer durablement des groupes armés au Kivu. Fin 2008, le tutsi Laurent Nkunda, à la tête du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) mène une nouvelle rébellion. Mais il est arrêté en 2009. Deux ans plus tard, en 2011, des ruines du CNDP, naît le "Mouvement du 23 mars", (M23) dont l'homme-fort est Bosco Ntaganda, seigneur de guerre sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI).
Pourquoi ce pays que l’on surnomme le "ventre mou" de l’Afrique déchaîne-t-il autant de passions ?
Tout simplement parce que la RDC regorge de ressources minières. Cuivre et étain, cobalt, diamant, or et le fameux coltan, un conducteur électrique si résistant à la chaleur qu’il est devenu indispensable dans la composition des téléphones et ordinateurs portables, mais aussi des consoles de jeu comme la Playstation. On y trouve même de l’uranium. Le "ventre" a beau être mou, il est surtout très fécond. De quoi attirer des prédateurs bien plus intéressés par le gain que par la prise du pouvoir à Kinshasa. Groupes rebelles armés par les États ou armées régulières dont l’objectif principal était de prendre le contrôle des mines. En 1996, l’avancée des rebelles menée par Kabila vers la capitale s’est ainsi faite bizarrement... en zigzag, en suivant la localisation des zones minières.
Entre 2000 et 2003, l’Onu a publié plusieurs rapports sur l’exploitation illégale des ressources de la RDC. Avec une grande précision, un groupe d’experts y détaille le dépeçage du pays, aux lendemains de la seconde guerre du Congo, par des "réseaux d’élite". En clair, des mafias composées de dirigeants politiques et militaires d’Afrique centrale et australe, d’hommes d’affaires africains et occidentaux en lien avec des chefs rebelles. Ceux-ci ont "la mainmise sur une série d’activités commerciales comprenant l’exploitation des ressources naturelles, le détournement des recettes fiscales et d’autres opérations productrices de revenus". Selon le groupe d’experts de l’ONU, l’argent ainsi récolté sert à financer en partie l’armée rwandaise. Celle-ci a quitté le Kivu après les accords de paix de 2002, mais le Rwanda semble avoir continué à bénéficier du pillage par l’intermédiaire de bandes armées, comme le CNDP de Laurent Nkunda. Aujourd'hui un rapport de l'ONU rendu public en juin dernier, établit que c'est depuis le Rwanda qu' une "aide directe" a été organisée par des militaires de haut rang pour former les hommes du M23 (…) ”
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De fil en aiguille, les protagonistes d’aujourd’hui sont les héritiers d’une longue histoire commencée en un temps qui se perd aujourd’hui dans les brumes du souvenir : celui de la décolonisation lamentable des années 1960.
Dans cette affaire, le péché originel a été commis par la Belgique. De la même manière qu’au lendemain des premiers troubles au Congo (5 janvier 1959) elle décida de jeter les Congolais à l’eau comme de jeunes chiens auxquels on n’a pas besoin d’apprendre à nager, elle choisit au Rwanda d’abandonner, au milieu d' affrontements alors à leur début, la minorité tutsie à la loi de la majorité hutue (dont les politiciens étaient soutenus par la démocratie chrétienne et les Pères Blancs d’Afrique) : au nom du principe « one man, one vote » cette minorité fut alors offerte en sacrifice (25 septembre 1961) à « Demokarasi », une divinité mangeuse d’hommes dont les paysans de la brousse, lors de son avènement, cherchaient vainement à connaître le sexe.
Tout le reste s’en suit. Ponce-Pilate ayant fuit ses responsabilités par ce double lavement des mains, le démon de l’anarchie, du tribalisme, des guerres intestines et du génocide fut lâché de la région des Grands Lacs à l’Ituri et bien au-delà jusqu’au plateau de l’Uélé. Un demi-siècle plus tard, on ne l’a pas encore rattrapé. Ses avatars portent des noms : mulélistes, maï-maï, interhamwés, armée de résistance du Seigneur ou, aujourd’hui encore, Mouvement du 23 mars (M23), surgissant tantôt de la forêt, de la savane ou des collines pour se ruer sur les îlots d’ordre relatif subsistant au milieu de cette barbarie. Et Mammon, soufflant sur les braises, y trouva bien sûr aussi son compte.
Ayant eu la curiosité de faire, avant d’écrire ces mots, une brève recherche informatique sur le poste de brousse où j’ai vécu durant ma jeunesse coloniale j’ai appris qu’outre la violence, la peste y régnait désormais de manière récurrente et que, la route étant devenue impraticable pour les véhicules, la région échappait au contrôle des missions de l’Onu depuis plusieurs années. On y « exploite », paraît-il, le diamant. Comme écrivait Dante au seuil de l’Enfer : vous qui entrez ici, laissez toute espérance…
JPS
Commentaires
On aura compris ici que les Droits de l'Homme sont "à géométrie variable" et que tout le monde n'est pas traité de la même façon. Les Congolais ont gagné leur indépendance et en même temps perdu leur bonheur et aujourd'hui, même à Gbadolite,...