Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Quand des théologiens planchent sur Vatican II

IMPRIMER

En cette année du cinquantenaire de Vatican II, une cinquantaine des meilleurs théologiens de la sphère francophone catholique se sont retrouvés en juillet dernier aux “rencontres de Moulins 2012”, une sorte d’université d’été pour évoquer le bilan du concile et de sa transmission.

Une note très complète de Jean Mercier en a rendu compte, le 2 octobre, ici: Quand des théologiens planchent sur Vatican II

Une des interventions remarquées de ce symposium a été celle de l’évêque auxiliaire de Lyon, Mgr Jean-Pierre Batut. Ne jouons pas les mauvais esprits en disant que celui-ci était tout désigné pour faire un exposé sur la théologie d’un échec. La réalité est toujours faite d’ombres et de lumières. Avec le recul du temps, il est toutefois devenu difficile de nier aujourd’hui  que le grand événement religieux des “golden sixties” n’a pas vraiment apporté dans l’Eglise ce “gulf stream” de la grâce prophétisé à l'époque par l’un de ses grands “modérateurs”, le cardinal belge Léon-Joseph Suenens (qui s’en souvient encore ?) . Mais telle est la force des images médiatisées que le propos de Mgr Batut relaté ci-dessous  a encore pu paraître dérangeant en 2012 pour la pensée convenue:

“Le Concile a été lancé dans une phase historique où l’Eglise croyait encore à sa grandeur dans un monde qui, lui était en crise. Mgr Jean-Pierre Batut, dans l’intervention qu’il a faite, a rappelé que Jean XXIII avait évoqué, dans sa bulle de convocation :” un double spectacle, d'une part un monde souffrant d'une grande indigence spirituelle, d'autre part l'Eglise du Christ resplendissante de vitalité”.

En 2012, on ne peut pas dire que l’Eglise en Europe soit débordante de vitalité. On a assisté depuis 50 ans à une réduction spectaculaire de la surface sociale du catholicisme. On a fait le Concile pour mieux répandre l’Evangile. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. Le monde n’a pas répondu à tous les efforts de l’Eglise pour s’ouvrir à lui. L’un des problèmes majeurs de l’après Vatican II, soulignait Jean-Pierre Batut, a été la désillusion devant le peu d’empressement de ce monde à engager avec l’Eglise le dialogue et la coopération espérés.

Selon l’évêque auxiliaire de Lyon (qui reprend la pensée de Ratzinger), une fois l’euphorie du Concile passée, ce fut l’Eglise qui fut désignée comme responsable d’un certain échec (face à la repris qui ne venait pas) et qu’il fallait condamner. “N’avons nous pas trop attendu, trop espéré du Concile dans une perspective trop terrestre, faussement théologique, visant subrepticement à rendre l’Histoire plus confortable, à substituer à l’Histoire réelle, avec ses aspérités et ses épreuves, une histoire rêvée plus conforme à nos espérances et nos attentes ?” s’est demandé Mgr Batut, ajoutant une idée qui fait froid dans le dos : cette attente de succès était une manière de tenter Dieu, à qui on voulait faire prescrire les fruits que nous attendions du Concile.

De fait, à vues humaines, et du moins en Europe, si la visée du Concile était expansionniste, le résultat est tout autre. Mais Mgr Batut estime que c’est peut-être la volonté de Dieu de faire passer, du moins en Europe, l’Eglise par une phase de dépouillement numérique, de mort sociale.

Batut cite Ratzinger quand il évoque la désillusion post Conciliaire, en 1996 : “Nous n’avons pas vécu une nouvelle heure du christianisme, mais nous avons assisté à nombre d’effondrements, à côté aussi de nombreux départs, on ne peut pas le contester. Pourquoi les choses ont-elles tourné ainsi ? Je voudrais proposer deux explications : premièrement, nous avions sans doute trop espéré. Nous ne pouvons pas faire l’Eglise nous-mêmes. Nous pouvons faire notre service, mais les aléas de dépendent pas de notre seule action. Les grands courants de l’Histoire ont continué leur chemin. Pour une part, nous ne les avions pas estimés avec justesse. Tout d’abord, il y avait une attente démesurée, qui n’était peut-être pas juste elle non plus : nous voulions voir le christianisme s’étendre en largeur et nous ne nous sommes pas aperçus que l’heure de l’Eglise peut avoir une toute autre apparence.

Le second point, c’est qu’entre ce que les Pères voulaient, ce qui a été communiqué à l’opinion publique et ce qui a ensuite marqué la conscience générale, il y avait une différence considérable. Les pères voulaient un aggiornamento de la foi - mais ils voulaient aussi, par ce moyen précisément, la proposer dans toute sa force. Au lieu de cela, on a eu de plus en plus l’impression que la Réforme consistait simplement à jeter du lest, que nous nous rendions la besogne facile, si bien que la réforme semblait consister non en une radicalisation, mais en une espèce de dilution de la foi”.

Le fruit aigre-doux du Concile serait non pas l’expansion numérique du Règne du Christ, mais un approfondissement âpre.... La profondeur plutôt que la surface.

Batut complétait son propos un autre texte, cette fois tiré du Catéchisme de l’Eglise catholique (675 et 677): “Avant l’avènement du Christ, l’Eglise doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants. la persécution qui accompagne son pélerinage sur la terre dévoilera le mystère d’iniquité sous la forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de l’Anti-christ, c’est à dire celle d’un pseudo messanisme où l’homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair. (...) L’Eglise n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection. Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Eglise selon un progrès ascendant, mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal qui fera descendre du ciel son Epouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du Jugement dernier après l’ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe.”

Selon cette vision, la volonté de Dieu pour l’après Concile est l’approfondissement du christianisme dans une forme de kénose qui pourrait aboutir au martyre. Rien à voir avec l’optimisme vitaminé de l’époque 1962-1965.

Ce propos de Jean-Pierre Batut a quelque chose de très dérangeant, et d’ailleurs il a semé le trouble lors de la rencontre de Moulins. En effet, l’évêque obligeait à reprendre la vision de Vatican II sous le prisme de l’échec nécessaire voulu par Dieu (on sait que l’échec est, en régime spirituel chrétien, une vibration de la Croix).

Nous sommes dans une vision eschatologique des choses. Elle implique la double croissance parallèle du mal et du bien jusqu’à une crise ultime des figures du mal. L’important est de faire confiance à Dieu, et de résister à la tentation récurrente d’assigner à Dieu ce qu’il doit faire. Or on ne peut rien assigner à Dieu. Cette lecture eschatologique est d’autant plus dure à assumer que notre monde se refuse à penser au-delà du visible et du tangible. Et qu’elle implique la Croix.”

Les commentaires sont fermés.